samedi 27 mars 2010

Poésie du ciel - III

Continuons à regarder le ciel avec cette photo qui m'a été adressée par Emmanuelle Corbeau. Nous voici cette fois sous le ciel de Paris et cela change tout. On trouvera en complément de cette chronique les paroles de la chanson d'Edith Piaf qui portent justement ce titre. Le ciel à Paris n'existe que par rapport à la capitale, il n'est pas porte du cosmos mais décor, toile de fond d'une ville animée où depuis des siècles les destinées individuelles se mêlent au mouvement de l'Histoire. Pourtant le ciel est bien là avec ses mouvements d'humeurs et ses changements subits. Il y a peu me promenant le long des quais de la Seine j'ai dû affronter une pluie soudaine, puis à la faveur d'une éclaircie, j'ai vu apparaître un arc-en-ciel qui prenait son départ du côté de Notre-Dame. La beauté du spectacle ainsi créée me donna alors envie de la partager avec mon plus proche voisin, un bouquiniste occupé à protéger ses livres de l'eau qui continuait de ruisseler. Sans sortir sa tête de la boîte dans laquelle il était plongé, il me répondit ceci : " Parce que je n'ai que ça à faire ?" . Je pensais alors à ce poème de Jean Follain : " L'an mil huit cent douze en Russie / quand les soldats faisaient retraite / au milieu de cadavres / d'hommes et de chevaux / avait gelé le vin robuste / la hache du sapeur / dut alors partager / entre tous même moribonds / le bloc de glace rouge / à forme de futaille / qu'aucun musée / n'eût pu jamais garder. " et me dis qu'aucun des livres que vendrait cet homme dans sa vie ne pourrait restituer la splendeur et le mystère contenus dans ce qui était en train de se passer sous nos yeux.

Compléments :

Emmanuelle Corbeau est Chef costumière pour le cinéma. Elle pratique depuis peu la photo. Munie d’un petit appareil numérique, elle a plaisir à capter ce qu’elle appelle « des choses de l'instant, drôles ou émouvantes, campagne ou ville, c'est selon » en prenant soin d’ajouter « …le génie du Hasard, on ne lit pas impunément Aragon et Breton dans sa jeunesse ».

lundi 22 mars 2010

Poésie du ciel - II

En écho à la photo envoyée par Arlette voici un tableau de Pierre Sentenac extrait d'une série réalisée en 1994 qui s'intitule Le Ciel et les Nuées. Le peintre m'en a adressé la reproduction accompagnée de ce commentaire : "Si l'on me demandait si les lieux magiques existent, j'acquiescerais en indiquant le ciel. Cela fait des années, depuis l'enfance, que cet espace infini m'obsède. Et d'abord ses jeux de couleurs, ses turbulences et ses douceurs, ses rythmes aquatiques... Y bruissent des souvenirs d'enfant mais surtout une respiration cosmique, alternant abstraction et révélation, lignes de forces où s'enclôt la pulsation jubilatoire de l'écume. Etat de gestation où le plaisir de peindre surpasse tous les discours autour de la peinture. "

samedi 20 mars 2010

Poésie du ciel

Cette photo m'a été transmise par Arlette qui appartient à cette communauté d'amis grâce auxquels la poésie peut avoir une assise sociale et les poètes trouver un écho à leur activité de création. Aimer la poésie est une véritable exigence, une attitude de vie qui accompagne toutes les heures de la journée. Et si celle-ci passe par la lecture des poètes, elle se prolonge aussi par une attention au monde pour en saisir la vibration qui pourra nous émouvoir, nous émerveiller et provoquer en nous un mouvement qui permettra de dépasser le quotidien.
Chaque jour, Arlette observe le ciel de son balcon et le photographie lorsqu'il l'inspire. Elle se confronte ainsi à la conjugaison toujours inédite du temps qui passe avec le temps qu'il fait et en extrait sa propre lecture, sa propre interprétation. Dans les couleurs d'un ciel, la forme de ses nuages, leur évolution soudaine, il y a toujours un message à capter. Voici que le chaos fait place à l'harmonie, que la lumière triomphe des ténèbres.
Empédocle, ce philosophe poète de la Grèce ancienne, fut parmi les premiers à nous révéler nos racines cosmiques. Il en avait répertorié quatre : l'eau, le feu, la terre et l'air. Plus près de nous, Gaston Bachelard, dans sa poétique des éléments nous a montré comment ceux-ci continuaient de traverser l'imaginaire des poètes.
Ils le feront encore, à condition me semble-t-il, que nous continuions d'entretenir avec eux un commerce agréable. Sans quoi les mots perdront de leur pouvoir et resteront des signes froids sans pouvoir irradiant.

Complément:

dimanche 14 mars 2010

René Rougerie s'en est allé

René Rougerie vient de nous quitter. C'est un très grand éditeur de poésie qui disparaît. Qui s'intéressait par exemple à L'Ecole de Rochefort devait un jour découvrir les livres que René Rougerie avait édités de René Guy Cadou, Marcel Béalu, Jean Follain ou encore Louis Guillaume et Jean Bouhier. Et remontant jusqu'à la génération qui les avait précédés, se passionner pour les ouvrages de Max Jacob ou de Saint-Pol Roux que cet éditeur libre et indépendant avait décidé de publier en dehors de toutes considérations commerciales. Mais René Rougerie fut aussi un solide soutien à la génération qui succéda à celle de L'Ecole de Rochefort et d'une fidélité exemplaire à ses auteurs dont il suivait et encourageait l'écriture. C'est à la force du poignet qu'il avait constitué un des catalogues les plus marquants de la création poétique du XXème siècle. Ses livres, imprimés en typographie, étaient sa marque de fabrique. La couverture était blanche, le titre à l'encre rouge, et c'est avec un coupe-papier que l'on ouvrait les pages intérieures. La poésie est en deuil. Adieu René Rougerie !

Compléments :

- René Rougerie filmé à Saint-Malo en 2008
- Le site de ses éditions

samedi 13 mars 2010

Les paysages poétiques de Pierre Oster

En ce mois de mars et du salon du livre, parlons édition ou plutôt réédition avec deux titres de Pierre Oster, Pratique de l’éloge et Une machine à indiquer l’univers, publiés il y a quelques mois, par Gallimard et Fata Morgana. Revenons aussi sur ce thème qui nous est cher, la place du poète dans la société et les différentes initiatives prises pour qu’il puisse se faire entendre. Parmi celles-ci, citons les rencontres organisées en Languedoc par Georges et Nicole Drano dans le cadre de leur association Humanisme & Culture. Ces rencontres ont pour titre générique À la santé des poètes. Dans ce pays viticole, cela s’imposait et les organisateurs ont eu la bonne idée d’associer à chaque rencontre un producteur de vin. À l’occasion de la venue de Pierre Oster à Frontignan, j’avais été chargé en ouverture de le présenter au public. Pour faire écho à la parution de ses deux livres, voici le texte de cette présentation.



UN REGARD SUR L’ŒUVRE DE PIERRE OSTER


Faire part en quelques mots, d’un regard sur l’œuvre de Pierre Oster, est un exercice difficile si l’on pense aux trois journées que l’Université de Pau organisa sous la direction de Yves-Alain Favre, il y a quelques années, pour aller à sa rencontre.
En 2003, les revues Nunc et Autre Sud, consacrèrent chacune un numéro spécial au poète. C’est donc vers ces publications que l’on se tournera si l’on veut connaître avec précision le cheminement de sa poésie.
Il sera toutefois préférable de lire avant deux ouvrages de Pierre Oster où celui-ci nous livre quelques clefs pour entrer dans son art poétique. Le premier a pour titre Pratique de l’éloge, le second Une machine à indiquer l’univers.
Pratique de l’éloge rassemble des articles où l’auteur rend hommage aux poètes et écrivains qui ont compté dans son itinéraire. Signalons que Nicole et Georges Drano viennent de rééditer dans le numéro 35 des Carnets des Lierles, les textes concernant Jean Grosjean et Paul Claudel.
Paul Valéry, Jean Paulhan et Saint-John Perse, sur lesquels Pierre Oster aura peut-être l’occasion de revenir, occupent aussi une place de choix dans Pratique de l’éloge. Faut-il insister ce soir sur le fait que ces trois auteurs eurent un lien très fort avec le sud ?
Nous ne sommes pas loin de Sète et du cimetière marin de Paul Valéry. Jean Paulhan a passé son enfance à Nîmes. J’arrive de Hyères, que Pierre Oster fréquenta à l’époque où Saint-John Perse s’était retiré sur la presqu’île de Giens. Comme on aurait aimé d’ailleurs aller avec lui rencontrer celui qui reçut le prix Nobel de littérature en 1960, dirigea sous le nom d’Alexis Léger, la diplomatie française de l’entre-deux guerres, résista à Hitler à Munich en 1938, rencontra Staline et conseilla le président Franklin Roosevelt lors de son exil aux Etats-Unis.



Une machine à indiquer l’univers regroupe des entretiens où notre invité s’explique sur le sens de son activité de poète. Une machine à indiquer l’univers, le titre est suffisamment explicite pour nous montrer l’ampleur du projet. Il faut le rapprocher de celui du volume de la collection Poésie/Gallimard dans lequel est rassemblé l’essentiel de la poésie de Pierre Oster depuis 1951 jusqu’à l’an 2000 : Paysage du Tout.
L’univers, le tout, la totalité, c’est à leur célébration que s’est employé le poète. Dans le bel article qu’il lui a consacré dans Autre Sud sous le titre Pierre Oster, arpenteur de l’universel, Bernard Fournier a en quelque sorte posé la question à laquelle par son œuvre, notre invité s’est efforcé de répondre, en demandant :

« Comment redonner à entendre qu’il demeure possible de tenter la célébration du monde, de ne pas s’en tenir à un chant minimal ? De construire des pages alliant complexité et transparence ? Une œuvre qui n’aurait pas de fin ? Et dont la loi serait l’idée même de variation… »

En effet, à la manière des Feuilles d’Herbe de Walt Whitman, seul et même livre, qui n’a cessé au fil des ans de gagner en volume, le Paysage du tout de Pierre Oster n’est qu’un même chant qui s’amplifie dans le temps. Si le livre reprend dans son organisation les titres de différents recueils tels qu’ils sont apparus dans l’ordre chronologique, à savoir : Le champ de mai, Solitude de la lumière, Un nom toujours nouveau, La grande année, Les dieux, il se présente aussi dans une continuité d’inspiration et d’intention que traduit la numérotation des poèmes. Alors, par delà la séparation des chapitres, peut-on lire : premier poème, sixième poème, septième poème, huitième poème, et cela jusqu’au vingt-huitième.
« Une œuvre qui n’aurait pas de fin ? Et dont la loi même serait l’idée de variation » nous a dit Bernard Fournier, en touchant là à une autre vérité de l’auteur. A la fin du vingt-huitième poème, se trouve cette locution en latin, langue que Pierre Oster aime utiliser, UTINAM VARIETUR (Puisse-t-il changer encore !). Eh bien, grâce à Nicole et Georges Drano qui ont édité au printemps dernier de Pierre Oster, Sur une lyre de paille, dans la collection Vent de terre de l’association Humanisme et Culture, nous pouvons disposer d’un recueil qui donne corps à ce principe. Sur une lyre de paille est une variation du vingt-huitième poème de Paysage du tout, qui s’intitule La terre. Il commence à l’identique : « La terre est un savoir » et puis la variation s’installe. « La terre est un savoir. Que les eaux, que les rochers répandent ! » est devenu : « La terre est un savoir ! D’où les eaux, d’où les rochers jaillissent ».
Souvenons-nous à ce moment précis que dans Pratique de l’éloge l’auteur a rendu hommage à Paul Valéry en précisant : « qu’il fut par excellence l’homme des reprises, des ratures, de l’aventure et de la réussite aussi », qu’il « se prodiguait plus que tout autre dans ses livres », que « nul plus que lui ne s’est si mal contenté de ce que les jours, la fatigue, le dépit de ne point parvenir à une plus grande perfection nous arrachent des mains ».
Une des façons pour Pierre Oster de satisfaire à cette exigence de perfection, est de pratiquer ce qu’il appelle lui-même la sagesse de l’élagueur. Cette sagesse vient s’ajouter à l’idée de variation pour tirer le meilleur de la langue, sans cesse remise en cause.
Pour faire écho à l’univers, il faut se forger un style qui en ait l’amplitude et le souffle universel. Mais un tel projet ne peut avancer sans s’accompagner d’une réflexion, d’une méditation. Pierre Oster nous les fait partager, aux côtés de ses poèmes, sous forme de notes et d’aphorismes.
Cependant lorsqu’il écrit : « Le langage n’est pas seulement le lieu de toute vérité humaine ; il est la vérité même de l’Homme, la condition réalisatrice de notre ouverture à l’Être éternel qui est la Vérité » nous pouvons nous demander, s’il n’y a pas en lui un philosophe qui s’ajoute au poète. Dès lors ses amitiés avec Michel Deguy ou Bertrand Saint-Sernin y trouvent un relief nouveau.
Pour ce soir, nous allons rester avec le poète et sa poésie. Nicole et Georges Drano nous offre cette chance inouïe de pouvoir l’écouter lire lui-même ses textes. Alors ne pensons plus aux principes qui guident son art poétique, oublions pour quelques minutes ses livres, que nous retrouverons ensuite différemment, car entre temps sa voix et son propre rythme se seront glissés dans notre mémoire.






samedi 6 mars 2010

Nathalie Riera et la parole emprisonnée

Dans un texte paru précédemment Michèle Serre avait posé la question de la place accordée à la poésie dans la société d'aujourd'hui. Avec cet essai intitulé La parole derrière les verrous, Nathalie Riera nous permet de reprendre ce sujet d'une manière singulière. En effet, l'auteure fait le point sur son activité d'animatrice culturelle en milieu carcéral et montre, en même temps que le théâtre, quel rôle peut y jouer la poésie. Une attention particulière à la souffrance et au désespoir de l'autre l'a conduit vers cette population de détenus qu'elle a voulu aider à continuer à tisser des liens avec le monde extérieur. Pour elle, mettre les délinquants au ban de la société, les réduire à l'isolement strict en les coupant radicalement de ce qui fut leur environnement quotidien, n'est pas préparer leur réinsertion mais au contraire favoriser des lendemains de violence. Ce lien avec l'extérieur c'est par la parole, le théâtre et la poésie qu'elle a travaillé à le maintenir. Quelques témoignages nous sont proposés qui nous permettent de mesurer l'impact des actions de Nathalie Riera sur son public. Celui-ci par exemple : "C'est bien ce que tu fais avec eux. C'est trop rare ces choses-là. On ne peut pas imaginer ce que le théâtre peut apporter. Je partage la cellule avec l'un des acteurs de la pièce. C'est moi qui lui donne la réplique. Et je peux te dire que ça bosse. Il est vraiment investi, et c'est pour ça qu'il s'accroche. Tu n'as pas choisi le texte le plus simple. Même moi, je ne savais pas qu'on pouvait écrire des histoires pareilles." N'allons pas idéaliser cependant, il y a aussi des rejets, des blocages mais toujours quelque chose s'est passé qui a fait bouger les esprits : "La seule chose qui me reste, ce sont mes rêves. Ils peuvent tout me prendre, mais ce qu'il y a là, dans ma tête et dans mon coeur, ils n'y parviendront pas".
De nombreuses citations accompagnent ce livre. Nathalie Riera a interrogé les oeuvres de nombreux poètes pour savoir ce qu'ils pouvaient nous dire lorsqu'une situation extrême nous confronte au sens même de l'existence. Elle retiendra par exemple ces mots de Pierre Reverdy : " Non, la poésie n'est pas cette chose inutile et gratuite dont on pourrait si facilement se passer - elle est au commencement de l'homme, elle a ses racines dans son destin". Dès lors le livre prend une autre dimension. Il n'est pas seulement réflexion sur une pratique culturelle à vocation sociale, il est plongée au coeur même de nos vies et de l'usage que nous pouvons y faire de la parole. "La parole emprisonnée" écrit-elle "c'est l'impossible dialogue entre les hommes et le cruel monologue de l'homme face au monde. Harcelés par les mensonges, nous astreignons notre vie à attendre du monde des réponses à nos malaises et à nos tragédies intimes. Mais ce qui définit le monde, c'est son refus de répondre." Le constat est amer. Sans doute a-t-il été favorisé par le contexte. Pourtant, grâce à la poésie, Nathalie Riera entrevoit un dépassement possible sinon elle n'aurait pas choisi de terminer son essai par ce vers de Goethe : "C'est pour l'étonnement que j'existe."

Compléments :