samedi 16 mars 2013

Le souvenir de Max Picard

       Il y a des penseurs qui mènent une existence discrète et retirée dans notre tradition culturelle même s'ils ne cessent de la nourrir. Tels des astres solitaires dans le firmament du patrimoine spirituel, ils brillent d'une vive lumière en contribuant ainsi à la splendeur totale, mais leur luminosité est occultée par les projecteurs de la machine culturelle. Leur force est d'être tellement bien intégrés dans notre héritage intellectuel que la critique ne ressent plus la nécessité de les célébrer expressément, seule leur stature de «classiques» en maintient vivant le témoignage. Régulièrement, mais sans grand éclat, ils émergent du silence qui les entoure pour nous montrer l'un ou l'autre aspect de leur œuvre, et quand nous portons vers eux notre attention nous nous apercevons qu'ils ne nous ont jamais quittés et que leur lumière ne s'est jamais estompée. 



 Ce sont des réflexions qui surgissent spontanément lorsqu'on lit un texte de Max Picard, médecin, philosophe et écrivain suisse qui a traversé le XX siècle en contact étroit avec ses plus grands protagonistes intellectuels (Rilke, Bachelard, Marcel, Lévinas, entre autres) tout en gardant suffisamment de distance pour diagnostiquer l'évolution du climat culturel général. Le destin de l'oeuvre de Picard est assez singulier : de son vivant, le «sage de Neggio» était une référence incontournable, ses livres étaient traduits dans le monde entier (du Japon aux Etats-Unis, du Danemark à l'Italie), on demandait son avis sur les arguments les plus disparates (en témoignent les nombreux ouvrages collectifs dans lesquels figurent ses contributions) et même toute sorte de personnes le sollicitaient à son domicile pour trouver une solution à leurs problèmes individuels. Après son décès, en 1965, une chape d'oubli et de silence a recouvert son oeuvre, même si, comme on l'a dit, quelques unes de ses oeuvres sont publiées ou traduites à intervalles plus ou moins réguliers et espacés, parmi lesquelles la plus connue, Le monde du silence, ne cesse de connaître de nouvelles éditions, la prochaine programmée étant une traduction chinoise. Ces dernières années on assiste toutefois à une sorte de renaissance de l'intérêt pour cet auteur, tant au niveau éditorial que scientifique. En 2009 un colloque international dans la ville italienne de Trente a permis de mesurer l'envergure de sa pensée et d'en souligner l'actualité.


 Jean-Luc Egger s’emploie depuis plusieurs années à faire connaître l’œuvre du philosophe suisse; il a publié en Italie et en Suisse plusieurs essais sur cet auteur, un recueil de pensées et aphorismes qui présente une image globale des positions fondamentales de Picard (Il rilievo delle cose, Servitium 2004 ), une nouvelle traduction italienne du Monde du silence (Il mondo del silenzio, Servitium 2007) et il prépare actuellement une monographie sur l'auteur à paraître cette année. Nous lui avons posé quelques questions.

 Comment expliquer ce renouveau d'intérêt pour Max Picard et son œuvre ?

Il y a d'abord des raisons purement historiographiques. La Suisse n'a pas la tradition d'un pays de philosophes et le fait de découvrir un penseur d'envergure internationale comme Picard n'est pas anodin. Mais il y a, plus important, la fascination pour l’œuvre. On se rend compte d'avoir affaire avec une pensée très riche et d'une grande profondeur, que ce soit sur le front de la philosophie du langage, de la réflexion sur l'image ou encore de la physiognomonie. Quant à la réflexion de Picard sur le silence, il s'agit tout simplement d'une approche révolutionnaire dont, me semble-t-il, on n'a pas encore mesuré la réelle portée et importance.

Pourtant la thématique du silence paraît aujourd'hui assez courante au point de risquer la banalisation ...

C'est vrai ; face à une communication pervasive et à l'omniprésence quotidienne d'images et de paroles on redécouvre l'importance du silence comme une dimension où faire retour pour se recentrer et donner un sens à l'existence et à la réalité. Plusieurs ouvrages ont d'ailleurs été publiés récemment pour rappeler l'existence de cet élément fondamental de notre monde et même pour en faire l'éloge en tant que vecteur d'expériences spirituelles. Il y a peut-être aussi un marché du silence qui est en train de se mettre en place. La réflexion de Picard s'inscrit aussi dans cette tendance, mais elle va bien au-delà, dans la mesure où elle vise à replacer le silence au coeur de la réalité en en faisant une véritable dimension de l'être.

Qu'entendez-vous par faire du silence une «dimension de l'être» ?

Cela signifie reconnaître au silence un statut métaphysique et, par là, renverser l'approche usuelle que nous avons de ce phénomène, une approche selon laquelle le silence n'est conçu que par  opposition à la parole ou à la raison (le logos). L'originalité de l'approche de Picard, sa portée révolutionnaire, consiste justement dans le fait de mettre en évidence la présence du silence dans chaque aspect central de l'existence et de la réalité et cela non pas pour promouvoir une conception du monde fondée sur le silence (ce qui n'aurait pas de sens pour l'homme), mais pour redonner consistance aux choses et pour sauvegarder la dignité de la parole. Autrement dit, le silence n'est pas ‒ principalement ‒ le havre de paix dans lequel chercher refuge, mais il est le fondement de l'objectivité du monde, le garant de la substantialité des choses et des paroles. 

Quels sont les liens entre Picard et la France ?

Ses ancêtres venait de France. Tout le long de son existence il a eu des contacts étroits avec des intellectuels français tels que Gabriel Marcel, Gaston Bachelard ou Emmanuel Lévinas et il était connu par Simone Weil. La France est aussi le pays dans lequel ses ouvrages ont été le plus traduits. En 2006 a paru chez l'Harmattan la correspondance Picard-Marcel ; une très belle initiative, mais sur les rapports entre le philosophe et la France il reste encore beaucoup à rechercher.

Et les perspectives pour l'avenir ?

Dans l'immédiat, on envisage avec le petit-fils du philosophe la création d'une association des amis de Max Picard, pour donner une plus ample visibilité à cette importante figure intellectuelle du XX siècle, mais aussi pour fédérer les initiatives éparses autour de son oeuvre. On y discutera aussi de la réédition de ses ouvrages.

Liens :
- Page dédiée à l'auteur sur le site de l'éditeur Loco qui a publié plusieurs œuvres de Picard.
- Enciclopedia Treccani.

- Come all'inizio del mondo, ouvrage collectif sur la pensée de Picard.

4 commentaires:

  1. Excuse me for writing in English. It is ok to reply in French. My email is
    mdelnevo@cis.catholic.edu.au
    I am approaching a US publisher about a Max Picard series of volumes, starting with Flight From God. Picard is neglected and out of print in English, but ought not to be.
    I am particularly interested in who he knew. You mention Rilke, Bachelard, Levinas, Marcel, Simone Weil. Who else? What about Jung? Did he meet Jung? What was his view of him in any case? I would like to be in touch. I am also interested in the mention of forming some kind of international society of Friends of Max Picard, has this moved ahead at all do you know? And who would I contact about it? You can see about me on our website under faculty www.cis.catholic.edu.au or google me.
    Matthew Del Nevo

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  2. Bonjour.
    J'ai consacré plusieurs textes, indiqués en lien, à ce très grand penseur, hélas si méconnu en France.
    Cordialement.

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    1. Félicitations ! Vous devriez prendre contact avec Jean-Luc Egger.

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  3. Il convient à mon sens de faire le rapprochement entre le Monde du silence de Max Picard et le livre du philosophe trop tôt disparu joseph Rassam qui d'ailleurs cite de nombreuses fois Max Picard . ce livre issu de sa thèse s'intitule "le silence comme introduction à la métaphysique Pour Rassam comme pour Picard le silence est lié à l'être Il se situe au carrefour du métaphysique, du spirituel et de l'existentiel

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