samedi 10 mai 2014

Présence de Fernand Moutet - II

Cette deuxième chronique consacrée à Fernand Moutet, fait suite à l'article précédent de Nelly Orengo. Elle reprend les souvenirs d'un voyage en Angleterre, qui avaient été également publiés dans le n°4 de Revue Vence durant le XXe siècle. Il est intéressant  de découvrir ce qu'un poète qui a écrit en provençal pouvait ressentir dans un univers qui ne lui était pas habituel.

 SEPT SEMAINES EN ANGLETERRE
(Extraits du carnet de voyage de Fernand Moutet, 1952)


Mon premier contact avec l’Angleterre ?
Une cascade d’ahurissements… Dès l’embarquement à Calais, je m’étais ému d’entendre toutes les langues, m’attachant surtout à comprendre ceux qui parlaient anglais, le capitaine du navire, couperosé et monoclé, semblait un amiral d’opérette… Les deux heures de voyage dans un petit wagon étroit et encombré me réservaient déjà quelques surprises : il était bondé d’Italiens qui se rendaient en Écosse. Une inquiétude m’est venue : je devais me présenter à la pension le 22 juillet, j’allais arriver le 21, où passerais-je ma nuit ? Je craignais que mon avance ne fût considérée comme une faute de goût.
Me voilà débarqué à Victoria Station. 8h30. Vingt minutes d’attente et deux jeunes filles m’apprennent que ce bus ne fonctionne que jusqu’à 7h30. Après m’avoir demandé « are you an Italian ? ». Je me dirige vers une station de métro ; c’est assez malaisé car il n’y a pas de bouches de métro à Londres comme à Paris ; l’entrée des stations se confond avec celles des magasins.
Je décide de manger un sandwich : j’entre dans une petite boutique, trois ou quatre hommes, perchés sur de hauts tabourets, mastiquent silencieusement un petit sandwich posé sur la planchette. On me tend un mince triangle de mie de pain garni d’une feuille de laitue. La serveuse, une grosse fille blonde qui paraît scandalisée quand je commande de la bière : « It’s not a pub, here, it’s a snack ». Quand il faut payer, on me demande 1 « taps », je commence à remarquer que le langage parlé n’est pas tout à fait celui de nos manuels.
Ce copieux repas dégusté, je prends le métro. Un policeman m’indique aimablement la ligne… Je m’embarque dans le « tube ». On a le droit d’y fumer, je brûle la station de Euston, je reviens sur mes pas, enfin, à dix heures je débarque à Paddington.
Je repère un hôtel (quinze shillings). Je pose mes valises, je vais faire une petite promenade. J’entre dans un « pub », ma pinte me coûte six pence (24 F). Mon voisin me demande « well, you are catholic ? » - « I am » - « So am I, I am an Irish ». Là-dessus, il fait un grand signe de croix (on devait m’apprendre, plus tard, qu’une histoire de fous, en Angleterre, s’appelle une histoire irlandaise).
Je vais me coucher. J’ai vu assez d’Angleterre pour aujourd’hui, j’ai gardé l’esprit tendu pendant des heures.

LE LENDEMAIN

22 juillet, je prends mon premier breakfast : maïs grillé, arrosé de lait et de sucre (j’ai pris ces corn flakes pour des pommes de terre frites) ; deux tranches de pâté avec des biscottes ; deux ou trois toasts avec beurre et confiture trempés dans du thé au lait.
    Mme Garrick s’étonne que rien ne soit rationné en France. ‘Jeb’ me pèse : neuf stones et onze pounds (une stone vaut 6 kg 350, et une livre : 0,452 kg). Je veux faire comprendre à Mme Garrick que le calcul mental, en Angleterre, présente de sérieuses difficultés : 1 livre vaut 20 shillings, 1 guinée vaut 21 shillings, 1 shilling vaut 12 pence.

QUELQUES MOTS SUR NOTRE TRAVAIL

 Notre temps a été efficacement employé. Huit « learners ». Mr Downes nous a expliqué le parti à tirer des leçons de géographie, d’arithmétique (tour de France)… Aucun de nous n’avait osé déclarer que ces « new methods » sont connues de tous les instituteurs français depuis longtemps.
    Un mot sur Exeter. La cathédrale a beaucoup souffert pendant la dernière guerre. Nous avons eu la surprise de voir une côte qu’on appelle là-bas la Rivièra anglaise : Torquay, avec une belle plage et des palmiers. A Widecombe, un déluge nous a précipités dans un salon de thé.

CHEZ LES JAMES :

 Leur maison leur appartient mais ils doivent payer une sorte de loyer car le sol sur lequel la maison est bâtie ne leur appartient pas, je ne sais quelle loi les empêche d’en faire l’acquisition. Edouard ne gagne que 28 livres par mois (28000 F) mais Mr James, avec 1 Livre Sterling, peut acheter plus de choses qu’un Français avec 1000 Francs*. Il se plaint du rationnement. La cuisine est très monotone et faite sans goût. Le dimanche est le jour du Seigneur : on ne travaille pas. Que font les Anglais ? Ils prient et boivent du thé…

* 1952 = il s’agit encore d’anciens Francs.

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