Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 29 novembre 2014

Trois anthologies de Jacques Basse

Jacques Basse a déjà été l'hôte de ce blog où son travail remarquable au service de la poésie et des poètes a été présenté. Après les six tomes de ses Visages de poésie qui brossent un tableau très complet de l'activité poétique contemporaine, il s'est lancé dans des anthologies thématiques qui regroupent portraits et poèmes autour d'une figure fédératrice, une identité géographique, un pays.


La première de ces trois réalisations concerne Xavier Grall et tous les poètes qui s'inscrivent dans sa mouvance. Marie-Josée Christien s'est chargée de rappeler qui fut ce poète breton disparu en 1981 à l'âge de 51 ans dont l’œuvre a été rassemblée en un volume aux éditions Rougerie. Sa Ballade de la mort si lente ouvre le livre. Puis se retrouve la centaine de poètes qui de près ou de loin ont croisé le poète ou sa poésie à un moment particulier de leur parcours. Inutile de préciser que l'audience de Xavier Grall s'est étendue bien au-delà de la Bretagne.


La deuxième anthologie concerne la Méditerranée française que Jacques Basse connaît bien puisqu'il y a passé son enfance et qu'il y habite toujours aujourd'hui. Le livre est préfacé par Jacques Lovichi qui fut longtemps au comité de rédaction de la revue Sud puis de Autre Sud. Je suis associé à cette parution par un texte où j'évoque tous les grands poètes disparus qui ont précédé ceux qui sont évoqués dans l'ouvrage, depuis Perpignan jusqu'à Menton. Poètes qui se sont exprimés en français comme en langue d'Oc.



Avec cette troisième anthologie, Jacques Basse s'est lancé dans un travail aussi original que difficile puisqu'il est sorti du territoire national pour aborder les rivages de la Turquie. Il lui a fallu découvrir une poésie qui est encore mal connue en France et dont les poètes s'expriment dans une langue qui nous est étrangère. Il a été secondé dans cette entreprise par Claire Lajus qui signe la préface mais aussi par Mustafa Balel qui depuis Istanbul lui a prodigué de précieux conseils ainsi que par Aydan Yalçin qui a fait de même depuis Ankara. Les 91 visages choisis correspondent au nombre d'années qui séparent 2014 de 1923 où la République fut proclamée par Mustafa Kemal Atatürk. Tous se situent sous la figure tutélaire de Nazim Hikmet, référence obligée de la poésie turque moderne.

Compléments :
- Xavier Grall face à Pierre Jakez Helias dans l'émission "Apostrophes".
- Les deux premières anthologies sont édités par Raphael de Surtis, la troisième par CapBéar éditions.







samedi 22 novembre 2014

Le souvenir de Jacques Taurand

Dans ce blog qui rend souvent compte des publications relatives à l’École de Rochefort, je voudrais aujourd'hui parler d'un poète trop tôt disparu qui se situa dans son sillage. Il s'agit de Jacques Taurand qui nous a quitté il y a six ans déjà.

Jacques Taurand

De tous les poètes de l’École de Rochefort, c'est de Michel Manoll dont Jacques Taurand se sentira le plus proche. Il lui consacrera d'ailleurs un beau livre en 1997 qui s'intitulera Michel Manoll ou L'envol de la lumière.


Ce livre aura pour éditeur L'Harmattan où l'on retrouvera en 2001 son recueil La Cendre des heures paru dans la collection Poètes des cinq continents, en 2004 son récit Le château de nulle part, en 2007 son essai Au pays de l'inconsolé, lettres à Gérard de Nerval. En 2005, pour les 30 ans de la maison d'édition, Jacques Taurand réalisera un entretien avec Denis Pryen, son fondateur. Je dois avouer que la transcription qu'il m'en fit gentiment parvenir n'est pas étrangère à ma décision de confier par la suite plusieurs de mes manuscrits à L'Harmattan. Mais Jacques Taurand a déployé son activité de poète sur différents fronts, a participé à l'aventure de plusieurs revues - je pense en particulier au Cri d'Os de Jacques Simonomis - et a confié ses manuscrits à d'autres éditeurs. Il publiait par exemple en 2006 Les Allées du temps aux éditions de Saint Mont.


Voici un poème qui en est extrait. Il traduit bien à mon sens l'art poétique de l'auteur, son lyrisme contenu, la musique et la lumière qui s'en dégagent. Il est dédié à Jean-Claude Albert Coiffard, avec qui Jacques Taurand partagera la même ferveur pour les poètes de Rochefort :

D'UN SILLAGE

Là-bas où se perd
une pensée
L'écume d'un nuage
que lisse le vent

Il est l'heure de boucler
le passé
de lever l'ancre
pour un dernier départ
Des visages accosteront
au coin d'une table
on partagera les souvenirs
d'escales lointaines
On laissera sur la nappe de l'instant
quelques miettes de soi
une tache de vin
qui ressemble à du sang

Et les mots
les phrases vaines
            s'évanouiront
dans le large des regards
et la lumière
                    d'un sillage

Jacques Taurand 

Jean-Claude Albert Coiffard et Jacques Taurand à La Baule

Compléments :






samedi 15 novembre 2014

L'anthologie poétique de Maurice Couquiaud

Nous avons déjà eu l'occasion dans ce blog, sous la plume de Laure Dino, de présenter l’œuvre de Maurice Couquiaud. 2014 est pour lui une année importante puisqu'elle marque la parution d'une anthologie qui retrace un parcours de quarante années de création poétique.


A cette occasion j'ai réalisé avec l'auteur un entretien pour le site Recours au poème. En voici un extrait qui trouve sa pertinence ici à plusieurs titres. Il éclaire tout d'abord deux recueils Un profil de buée ainsi que Un plaisir d'étincelle parmi les onze dont cette anthologie présente des extraits. Il fait ensuite référence à Gaston Bachelard auquel nous continuons à être attaché. Il illustre enfin une nouvelle fois la solide relation entre philosophie et poésie. Dans le cas de Maurice Couquiaud, il faut aussi ajouter la relation de la poésie avec les sciences  :

"Plus tard, au fil des années, je découvrais l’élan vital de Bergson s’appuyant sur la durée, s’opposant ainsi à Bachelard défendant la verticalité de l’instant avec celle de la flamme. Ma poésie baignait avec bonheur dans la saisie rapide des entrevisions chères à Jankélévitch. Mes idées sur l’étonnement se confortaient parallèlement dans mes nombreuses lectures scientifiques en livres et revues. A travers Le phénomène humain, l’anthropologue Teilhard de Chardin m’avait poussé à suivre la lente apparition de la conscience à travers les milliards d’années, depuis le big-bang et les particules de la soupe originelle, jusqu’à la complexité de l’homo (soit–disant) sapiens en passant par les divers stades primitifs de la vie, des plantes, des animaux et même des australopithèques. D’où le titre de mon recueil de 1980, Un profil de buée, retraçant la naissance de l’univers et le parcours de l’homme toujours en gestation. J’avais eu le bonheur de rencontrer Gérard Murail éditeur, poète, peintre et directeur de la revue phréatique ayant pris la défense de mon manifeste, partageant l’essentiel de mes espoirs et de mes idées. D’abord membre du comité de lecture, ayant changé d’occupations professionnelles, en 1983 je fus en mesure d’accepter le rôle de rédacteur en chef pour contribuer à développer une démarche poétique ouverte à toutes les disciplines, dans le Groupe de Recherches polypoétiques. En quelque sorte, j’inaugurais ce qui devint pour moi une nouvelle vie, me permettant de découvrir que bien des chercheurs scientifiques ne sont pas insensibles à la poésie. Certains n’hésitent pas à cultiver avec nous les champs et les chants de l’imaginaire. Un plaisir d’étincelle, le titre de mon recueil paru en 1985 révèle assez bien cette tendance à élargir les préoccupations de la difficile condition humaine et de l’ego jusqu’aux mystères du monde. On trouve dans ce livre l’un de mes poèmes intitulé Météorite, repris plus tard par l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet dans son essai Le feu du ciel."
                              
                                                                      Maurice Couquiaud

Complément :
- L'anthologie poétique sur le site de l'éditeur. 
- L'entretien complet avec Maurice Couquiaud.

samedi 8 novembre 2014

Le pouvoir des mots

Nous venons de rendre hommage dans la chronique de la semaine dernière à Geneviève Clancy qui croyait au pouvoir des mots pour résister. Philippe Tancelin, frère de Geneviève, a mené à ses côtés de nombreux combats partageant avec elle le même idéal de justice. Il est un habitué de ce blog où paraissait en septembre de l'année dernière son poème intitulé : Des mots... Des Bombes... Des mots encore.. Des bombes... En voici une version actualisée toujours inspirée par la situation au Moyen-Orient qui n'a fait en un an que se détériorer :

NON A VOS GUERRES

Oui vous avez des bombes mais nous avons des mots
des mots qui hantent vos rampes de lancement
vos largages chirurgicaux
vos frappes qui hurlent du fond des âges
qu'au faîte de vos démocraties
décline l'enseigne de l'armurier


Nous avons des mots dans le sein des dieux
des mots qui pèsent de rêves et de sanglots
sur le soleil couchant

Contre le jeu de vos armes
Nous avons le jeu des mots du poème
guetté par la descente autant que la danse du phénix

Nous dessinons sur l'ombre
le vol de l'hirondelle
et cernons dans vos yeux la chute des héros
apeurés d'inculture

Vous avez les bombes
nous avons les mots

vous vous épuisez d'artefacts
dans vos technologies de la fuite et du désespoir
mais nous avons le goût nomade du verbe
tel un vaisseau libéré de ses haleurs
 

VOUS AVEZ LES BOMBES
NOUS AVONS LES MOTS

vous fabriquez des preuves
pour alibi de vos guerres
vous enfantez des armes
pour jouet de vos crimes
jusque dans les cours d'écoles
mais dans les yeux verts de nos jardins
les enfants courent sous l'abri des clématites

vous avez des bombes
nous avons des mots pleins de ciel
croisés de sens étrangers les uns aux autres
des mots secrets d'espace
pour échapper à vos geôles
briser le mutisme de vos fers


Contre vos bombes protectrices
nos mots sont tisserands d'herbes folles
contre vos morales punitives
bouffies de leur Bien
nous posons les mots du poème levant
Vous larguez des deuils
nous lançons des respirations
vous enterrez les fleurs
nous berçons leur pistil

Vous avez les bombes nous avons les mots
Au seuil d'une histoire debout sur ses écumes
l'histoire du voyage des sans terre à leur cri
l'histoire du chant des bannis enlaçant l'oasis

Sur vos décombres
un geste un seul des mots de chair et d'encre
donnera son poids d'espoir au jour revenu de lointaine énigme

Contre vos bombes
nous avons les mots de l'outre-nu des choses que toute plaie traverse
et quand vos guerres se porteront volontaires
pour assiéger les figures du bonheur
nous prendrons les mots de la beauté
à bras le poème de craie blanche
sur le tableau de la destinée

Philippe Tancelin
 

Sept 2014






samedi 1 novembre 2014

L'enseignement de Geneviève Clancy

Certains enseignants sont plus que des enseignants, ils transmettent à leurs élèves ou leurs étudiants plus que de la connaissance, plutôt une manière d'être qui les accompagne longtemps et les aide à avancer dans ce monde le geste large et l'esprit ouvert. Geneviève Clancy appartient à cette catégorie. Elle fut directrice de la collection "Poètes des cinq continents" à L'Harmattan, co-fondatrice du CICEP (Centre international de création et d'espaces poétiques) avec Jean-Pierre Faye, Philippe Tancelin et Stéphanette Vendeville mais aussi professeur de philosophie et d'esthétique à l'UFR d'Arts plastiques et sciences de l'art de l'université de Paris 1. C'est dans ce cadre qu'Alexandre Massipe, devenu à son tour universitaire, avait suivi ses cours entre octobre 2002 et juin 2005.


Dans un livre de 86 pages, il nous restitue toute la force poétique et pédagogique qu'il a retirée de cette expérience. Nous le suivons pas à pas dans ces cours où le portrait de Geneviève Clancy se détache de son attention à la vie quotidienne de ses étudiants, des exercices d'écriture qu'elle propose à partir des poètes et philosophes qu'elle a judicieusement choisis (Eluard, Saint-John Perse, Bachelard, Simone Weil notamment), de ses réflexions aussi sur l'évolution de l'Université. C'est une femme insoumise qui croit aux pouvoirs de la poésie pour résister et transformer ce monde que nous découvrons. Depuis sa disparition en 2005, les initiatives se succèdent pour prendre la mesure de ce qu'elle nous a légué. En même temps qu'il y contribue avec ce livre, Alexandre Massipe en est aussi un témoin assidu. Il en rend compte à la fin de son témoignage qu'il conclue ainsi : "Sans doute Geneviève se réjouirait-elle de savoir que sa parole continue de réunir des femmes et des hommes venus de tous horizons. Puisse-t-elle jamais cesser de le faire."

Compléments :