samedi 29 août 2015

Les Cahiers de Garlaban - XXII

Comme Eric Tremellat, Guy Knerr fait partie des jeunes poètes que les Cahiers de Garlaban ont été heureux sinon de découvrir du moins d'encourager. C'est à La Goutte d'Or qu'a germé l'idée de ce recueil pour lequel le dessinateur Jean-Louis Guitard a apporté sa contribution graphique. Il a été publié le 29 août 1995.


Voici la préface que m'avait demandée l'auteur :

Celui que nous accueillons dans les pages de ce recueil s'est laissé guider par la poésie pour vivre une expérience qui se renouvelle mystérieusement à chaque génération.
C'est une grâce de pouvoir travailler en soi un art qui remue profondément les sens, le cœur,  la mémoire, tout ce qui donne une épaisseur et une densité à notre présence en ce monde.
J'ai connu Guy Knerr dans une école de la Goutte d'Or. je l'ai vu partager avec bonheur sa passion de l'écriture avec de jeunes élèves, la plupart originaires d'Afrique noire et du Maghreb.
Dans un Paris en proie aux contradictions de nos choix de civilisation, dans un quartier qui les mettait à jour avec violence, le jeune homme qui me lisait ses poèmes après la classe m'émerveillait par la pureté de ses images, la noblesse de sa langue.
Ses mots brillaient d'une lumière particulière, que les bruits et turbulences qui nous environnaient, n'avaient pas réussi à ternir.
La source intérieure était restée intacte. L'époque ne l'avait pas étouffée. Elle en avait au contraire provoqué le jaillissement plus vif et plus resserré.
A chaque lecteur, aujourd'hui, d'en apprécier la saveur.

Ajoutons un poème extrait de Sentinelles :

C'est vers les sept heures du soir
en novembre
que je meurs d'habitude
quand le jour a fini sa semaine
Je tourne longtemps sur moi-même
Je deviens pluie ou neige
Un enfant s'amuse de mon manège :
"Tu es magicien ?" Du foulard
de mon chagrin s'envolent
les couleurs les plus tendres

Mon ombre se glace dans une foule
J'ai faim Je dévore les visages
J'ai soif et viens boire aux fenêtres
la lumière d'une vie simple
c'est vers les sept heures du soir
en novembre
que je meurs d'habitude
Mes regrets finiront la semaine

      Guy Knerr

Complément :

samedi 22 août 2015

Les Cahiers de Garlaban - XXI

Après Jòrgi Reboul, André Resplandin, Charles Galtier, Serge Bec, Fernand Moutet et Yves Rouquette, nous avions été heureux de publier Robert Allan (1927-1998). Il forme avec les précédents le groupe des sept grandes voix occitanes qui ont été accueillies aux Cahiers de Garlaban. Ce n'était nullement voulu mais ce chiffre sept fait écho aux sept poètes qui fondèrent le Félibrige en 1854. Les Lettres d'Oc ont leurs correspondances secrètes. C'est par Serge Bec que nous étions rentrés en contact avec Robert Allan. Il nous proposa un recueil intitulé Quatre Pouèmo Chausi dont il se chargea lui-même de l'illustration de couverture et d'un dessin en page intérieure. Le cahier fut publié le 30 juin 1995.



Voici ce que nous écrivions en quatrième de couverture :

Les quatre grands poèmes de Robert ALLAN (né en 1927, à Montpellier, de famille comtadine) avaient été publiés entre 1956 et 1963 dans différentes revues, dont les prestigieux "Cahiers du Sud" pour "Lou Cantico dóu Brau".

Ils étaient devenus introuvables. Les voici réunis et proposés en version bilingue, française et provençale. Pour cette dernière l'auteur a tenu à retranscrire entièrement ses textes en graphie mistralienne par fidélité à sa terre avignonnaise.

En une période où le minimalisme envahit l'expression littéraire et picturale, on appréciera d'autant mieux ces longues compositions qui ont puisé dans la culture d'oc les forces de renouvellement du lyrisme en même temps que les éléments pour illustrer les grands thèmes universels.

Parti de l'animal, du végétal et de l'humain méditerranéens, Robert Allan a réussi à élever son chant au dessus de la vie ordinaire pour dire l'amour et la mort en des termes sur lesquels le temps a perdu prise.

Compléments : 
- Robert Allan sur Wikipédia.
- Une étude de Marie-Jeanne Verny sur l’œuvre de Robert Allan.

samedi 15 août 2015

Les Cahiers de Garlaban - XX

Le 7 août 1994 les Cahiers de Garlaban publiaient Solaire solitude de Michel Manoll. Ce recueil faisait suite pour nous à celui de Une fenêtre sur le monde que nous avions publié en 1990 et qui a déjà été présenté dans ce blog. L'illustration de couverture ainsi qu'un dessin en page intérieure étaient confiés à Aurélia Manoll.


On pouvait en lire en quatrième de couverture :

 "Si l'existence n'est qu'une suite de prévisions qui se vérifient, la somme d'une détermination, une série de faits et d'événements infimes qui s'engrènent tous l'un dans l'autre, il n'est point nécessaire d'exister."

Dix ans après sa disparition, ces paroles de Michel Manoll (1911-1984) éclairent avec plus de force sa propre destinée.

"Les êtres de quiétude, déjà cloisonnés par certaines habitudes et conditionnés par leur milieu, n'éprouvent point le goût de se dépayser ou de changer d'axe", écrivait-il encore. Cela pour mieux préciser : "Le poète n'a donc pas d'autre assignation que d'éprouver lui-même ce qu'il ne peut éprouver en autrui."

"A l'origine était la vie, le germe, le souffle et tout ce qui, en cet univers, se meut sans cesse et s'accouple, se désagrège et se reforme, se livre et se cache, disparaît et émerge, sous la forme de l'astre, du minéral, de la vague ou de la semence qui nous contient", ajoutait encore Michel MANOLL.

C'est ce mouvement premier, cet élan sans tache, que nous voulons aujourd'hui prolonger en publiant ces poèmes inédits d'un grand poète toujours vivant parmi nous.

samedi 8 août 2015

Les Cahiers de Garlaban - XIX

Comme tous les mois d'août, nous allons continuer notre présentation des Cahiers de Garlaban. Nous allons aujourd'hui parler de La tortue gourmette, une pièce en deux actes que nous avait proposée le poète Armand Olivennes (1931-2006). Elle fut publiée en avril 1994 et son lancement fut organisé à Marseille où vivait alors le poète.


Voici ce que l'on pouvait lire en quatrième de couverture :

Plus que d'une véritable comédie en deux actes, il s'agit ici d'un Proverbe au sens où l'entendait Musset, c'est à dire du développement théâtral d'une maxime résumant la sagesse des nations.

Une tortue a des ennuis circulatoires et digestifs. ne sachant si la cause en est le soleil ou son alimentation, elle en vient à faire attention à tout, à se méfier même de ses réactions les plus naturelles. Elle acquiert de ce fait un goût pour la gastronomie tel que la qualité de son exigence en matière de diététique suscite critiques et émulations...

L'auteur de Masques sans Masques, de L'Enterreur et de Sentiment Latéral nous livre ici en substance sa conviction profonde que le vrai festin  à venir, hors de toute conception culinaire, sera composé de plats qui sauront répondre à ce qui jeûne en nous d'amour, de fraternité et de paix.

Complément :

samedi 1 août 2015

Michel Capmal, l'écart, l'éclair - V


Le texte présenté au cours des quatre chroniques précédentes a été écrit, plus ou moins, au fil de la plume voici bientôt trois ans. Il pourrait être considéré comme une sorte d’autoportrait oblique. La première version eut pour titre Électron libre avec ensuite ce rajout : aimanté vers le Mont Analogue en référence bien sûr au récit de René Daumal mais aussi à ce que Yves Bonnefoy nous propose d’appeler imagination et imaginaire métaphysiques.

L’Écart, l’Éclair est ici l’expression d’un état d’esprit ou d’une démarche (comme on dit désormais) que je crois et voudrais mienne. Tentative d’un coup d’aile dans une atmosphère trop souvent plombée. Mais plusieurs dizaines de pages seront nécessaires pour un développement satisfaisant.

Alors, pour le moment deux ou trois  précisions en repartant du début. Y ou X ? Disons, dans le meilleur des cas et en moins abstrait : Villon et Baudelaire ou Rilke, Apollinaire, René Char, et quelques autres encore un peu moins statufiés. Et s’il est toujours question de forme, il s’agit d’une forme habitée. Individualisme ? Pour la souveraineté de l’individu sans laquelle rien n’est humainement possible. Pour une individualité consciente et déconditionnée selon une libre volonté d’autoconstruction, et non pas égocentrée. Revendication aujourd’hui plus que jamais scandaleuse parce que radicalement subversive. Civilisation lyrique ?  À chacune et chacun de comprendre selon son cœur.

« …tous des briseurs de chaînes « N’était cette phrase d’une indéniable sincérité, j’ai assez peu fréquenté la poésie de l’estimable Jean Laugier, lui-même très proche de l’École de Rochefort. Par contre,  en reprenant, non sans quelque ironie, la même thématique, je me suis, à certains moments, attardé du côté de l’auteur de On n’enchaîne pas les volcans, Annie Lebrun affirmant que l’espace mental de ce grand incompris que fut D. A. F. de Sade  est « un espace paradoxal, un espace d’une béance première ». Et nous devrions, selon elle, « être redevable à ce 'bloc d'abîme', non pas de nous donner des idées, mais de nous en enlever, de nous défaire de tout ce qui sert à nous tromper sur ce que nous sommes. »

Et parmi mes préférences, qui toutes suivent une ligne de fracture du dedans-dehors aux arêtes et saillies contradictoires et complémentaires, je voudrais inviter à lire ou relire le chapitre entier De la Poésie de l’ouvrage de Raoul Vaneigem, au titre inspiré de Dürer : Le chevalier, la dame, le diable et la mort. « Nous ne cessons d’errer dans la légende des jours ». 
Et puis Kenneth White : « Notre temps manque singulièrement d’espace et de respiration ». Le nomadisme intellectuel, le paysage archaïque, la figure du dehors, une poétique du monde, une textonique de la Terre, la géopoétique.  Le Centre géopoétique de Paris vient de se ranimer. Il lui faudra encore un peu d’espace-temps pour trouver ses marques dans le champ du grand travail. L’époque présente étant ce qu’elle est. « Le Temps est sorti de ses gonds ». Voilà au moins une certitude et on ne saurait mieux dire que Shakespeare : « The time is out of joint » Hamlet. Littéralement et dans tous les sens du terme.

La Poésie ? La sensibilité véritablement poétique ?  Une quête vers le « vrai lieu », ici-même ? Dans l’évidence et le mystère d’être là, vivant, à la croisée de ce que nous nommons, innocemment et présomptueusement trop souvent, immanence et transcendance. La nuit du désir, l’inespéré au point du jour. L’écart, l’éclair. Et tout ce qui n'a pu être dit dans le cadre de cette chronique.



                                                 Michel  Capmal   25 juillet 2015

(Les photographies accompagnant cette chronique ont été prises par Cathy Bion qui a été déjà l'hôte de ce blog, elles ont pour titre Granville et Dournenez).