Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 20 juillet 2019

Faire vivre la poésie

Ce livre vient ponctuer une préoccupation ancienne souvent présente dans ce blog. Il en reprend d'ailleurs quelques pages. En voici l'argument :

 Comment faire vivre la poésie ? Comment lui assurer une présence dans une société qui n'en fait pas grand cas. À ces questions que tout poète et tout amoureux de la poésie se pose, l'auteur a souhaité, en y associant les contributions de Monique Marta, Michel Bernier, Brigitte Maillard, Roselyne Camelio et Beth Gersh-Nešić, apporter sa propre réponse. Celle-ci voudrait à la fois être inscrite dans le moment présent et le dépasser, afin de rester en accord avec ce qui taraude depuis toujours le cœur du poète.


Michel Capmal qui est un ami de ce blog, nous en livre ici un premier écho écrit en juin dernier :
 
Faire vivre la poésie


Ces quelques lignes ne sont pas un compte-rendu de lecture du livre récemment paru de Jean-Luc Pouliquen intitulé Faire vivre la poésie - et dont le contenu est tout à fait appréciable par la sincérité de son questionnement et la qualité des contributions - mais d’abord l’expression qu’un tel titre, avec toute sa force impérative, peut inspirer à lui seul.


A la veille d’un énième Marché de la Poésie, place Saint-Sulpice à Paris, (où l’on devrait déployer la banderole souhaitée par Brigitte Maillard pour les marchés bretons : « N’abandonnez pas la poésie aux poètes… ») pour faire vivre la poésie, c’est le mot incarnation qui paraît s’imposer. Répétons-le, il ne s’agit pas de « consommer » ou de « produire » des poèmes, pas plus que de vivre « de » la poésie ni même « pour » la poésie mais véritablement, et en quelque sorte, « par » la poésie. Une langue inconnue, probablement. « Le poème comme lieu de délivrance et non celui d’une contrainte. » Mais, tout en préservant son « âme d’enfant », c’est une voie périlleuse qui s’impose et correspondrait à « la voie sèche » des alchimistes. On devient à soi-même son propre athanor. Le travail s’effectue au plus profond et à fleur de vie. Un choix de vie dont les inévitables aléas ont valeur d’enseignement. C’est ainsi que la poésie, dont le sens ne sera jamais épuisé, est l’évidence même. L’évidence d’être relié et de participer à la relation. Dans un rapport sensible et profond à l’inachèvement fécond d’une quête de vérité « dans une âme et un corps » (Rimbaud). Et l’on s’accorde avec l’apparent paradoxe de cette maxime : « Ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous qui passons dans le temps. »


En l’époque présente, où la vie assistée par ordinateur et l’acculturation technocratique ont presque aboli la vie « privée » et menace la « vie intérieure » de disparition, il est devenu de première nécessité pour la vraie poésie de s’incarner au cœur du désenchantement du monde, de sa dématérialisation programmée (la victoire du matérialisme le plus vulgaire) et de son agitation incessante et insensée. Il est opportunément rappelé page 72 le Donc c’est non de Henri Michaux. Un refus exemplaire de reconnaissance sociale « officialisée » par l’Université et l’Édition. Et n’y aurait-il pas, un peu partout en ce monde « mondialisé », nombre de résistantes et résistants se tenant par-delà le ressentiment et la frustration dans un rapport solaire entre l’humain et le non-humain. Présentes et présents à eux-mêmes sans orgueil inutile ni fausse humilité. Dans la justesse du langage rendu à son magnétisme cosmique. Incarnation de l’unité de l’être, unité jamais acquise de manière définitive mais parfois survenant ici et maintenant, dans le plus haut registre de l’expression de l’aventure humaine, la poésie. L’infini, en nous-mêmes. L’infini et son incarnation. La multitude des singularités habitant le monde. Le monde redevenu réel. Ce qui est en jeu, tel un Grand Jeu, c’est l’élaboration d’une poétique. Tout en vivant existentiellement au jour le jour. Et aussi parfois « matériellement », cela peut arriver


On sera bien sûr d’accord avec Jean-Luc Pouliquen évoquant, au cours de son échange avec Beth Gersh-Nešić, « la poésie au niveau viscéral… » Et affirmant : « …C’est lui (l’artiste) qui est le mieux placé pour savoir ce qui lui est le plus favorable ou au contraire préjudiciable. Car c’est dans la liberté et l’indépendance que se forge les œuvres les plus durables. »


Etant donné l’état du monde, actuellement à la limite, on peut souhaiter une fertile convergence entre, par exemple, le fervent humanisme de L’École de Rochefort et la grande voix « impersonnelle » de Saint-John-Perse ; laissant au parking subventionné l’égotisme étriqué et poétiquement conforme de quelques poètes contemporains. Et pour en finir avec tout jugement moralisateur, la voix d’Antonin Artaud reviendra aussi vers nous. Ensuite par ricochet, celle du « mauvais garçon » François Villon. Mais sans oublier « les exopoètes » qui ont d’autres pratiques que l’écriture de poèmes, selon Georges Amar qui a longtemps fréquenté Kenneth White, toujours vivant. Ni perdre de vue le bel ordinaire du quotidien qui, dans le fond, n’est en rien incompatible avec l’exception, l’excellence, l’impossible.


Ces quelques lignes sont à rapprocher des textes hébergés dans ce même blog, notamment L'écart, l'éclair et de ma contribution au numéro de la revue Vocatif, animée par Monique Marta et en partie consacré au poète dans la cité : Un fugueur dans la cité-vortex.


                          Michel Capmal

Complément :
-Pour se procurer le livre.