samedi 15 avril 2023

Éclats de poésie

 Lorsque l'on considère la puissance de feu des médias, capables de répandre en un temps très court une information qui touchera des millions d'individus, on peut se demander quel sens peut avoir de continuer à diffuser un message qui dans le meilleur des cas ne sera reçu que par quelques centaines de personnes. C'est à cette question que sont aujourd'hui confrontés quotidiennement les poètes et les éditeurs de poésie. Question qui ne les empêche pas de continuer  leur chemin, sans doute parce qu'ils savent que durée et nombre sont inversement proportionnels, que la trace laissée par une information de masse est éphémère alors que celle laissée par un poème va être profonde et durable.

Voici deux exemples de ces éclats de poésie venus scintiller dans le miroir terne que les moyens de communication moderne nous proposent en continu.

Ce nouveau recueil de Jacques Guigou fait suite à l'édition de Poésie complète 1980-2020 qui a rassemblé ses vingt premiers recueils de poésie. Dans ce dernier opus Jacques Guigou poursuit un thème que nous avions déjà eu l'occasion d'évoquer dans une précédente chronique : sa fréquentation assidue des rivages.

Pour le poète, le littoral est source inépuisable de contemplations, de sensations, de désirs, d'émerveillements, de méditations et d'interrogations qu'il traduit dans une langue épurée et suggestive :

            Maintenant

            à même cette jetée 

            cet instant bleuté

            analogue aux instants d'alors

            instant non répété

            mais instant relié

            instant dont aucuns des éclats anciens

            de la mer

            ne lui est retiré

            maintenant

            à même cette jetée

            ce rapt d'éternité

 

Complément :

- Le livre sur le site de l'éditeur.

*

Avec L'île aux oiseaux de Claude Held que viennent d'éditer les éditions de l'Estey nous avons un bel objet entre les mains. "L'objectif de notre association est de réaliser en typographie des livres, des objets-livres, des livres d'artistes, des projets de création liant des textes aux Arts plastiques" nous disent ses responsables Edith Masson et Hervé Bougel. Avec ce recueil tiré à 120 exemplaires numérotés le résultat est convaincant. Pour les connaisseurs la couverture est imprimée sur un papier Fabriano Tiepolo 295g. pur coton, le texte est en caractère Helvetica Corps 10,12 et 16 sur un très beau papier de Lune ne pesant pas plus de 100 g.

Les poèmes de Claude Held quant à eux avaient déjà paru en 2010. Dans une écriture proche de celle de Jacques Guigou, ils font curieusement écho à ses préoccupations :

            à quoi faut-il croire quand

            l'eau se retire

            et que les bancs de sables

            émergent

            alors que tu passes

            avec une idée

            de ce qui reste

            et s'éloigne


Complément :

- Pour contacter les éditions : estey.editions@gmail.com

 


1 commentaire:

  1. Je connaissais, un peu, le théoricien de la revue Temps Critique, mais, je l’avoue, je découvre le poète Jacques Guigou. Pour lui, la poésie est une parole. Parole venue d’un langage sacré, oublié, démantelé, refoulé ? Et/ou parole préfigurant un langage à hauteur d’homme mais possible seulement dans une civilisation construite par une communauté humaine enfin libérée de ses propres ténèbres ? Parole disant présentement le réel à distance de la pensée séparée, et malgré l’aggravation d’une sensibilité mutilée ?

    Mais si, en quelque sorte, on met en perspective les titres de l’ensemble de ses recueils - (dans le désordre) - : « Par les fonds soulevés, D’emblée, Avènement d’un rivage, Sables intouchables, Vents indivisant, La mer presque, Une aube sous les doigts, Exhaussé de l’instant, Prononcer, Garder,… » et d’autres encore, avec le tout dernier : « Sans mal littoral », on est invités vers l’approche d’un suspens, pour la saisie d’une attente, la redécouverte d’un état d’être qui pourrait s’appeler la « littoralité ».

    La littoralité ?... Espace, bord, dimension autre venue à notre rencontre telle une promesse de dévoilement du réel un instant réunifié. On est au bord du monde. Non pas un « arrière-monde ». Nulle mélancolie. On est sur le point de se rejoindre corps et âme dans l’évidence de l’instant. Un « instant relié ». Le temps que la nuit descende dans une bienfaisante lenteur. « Ce rapt d’éternité ». Avec la persistance du pays d’oc.

    Il nous reste encore à lire son livre – « théorique » ? – « Poétiques révolutionnaires et poésie ». Et celui de sa « poésie complète ».

    Pour « L’île aux oiseaux » de Claude Held, Jean-Luc Pouliquen nous dit avoir entre les mains un bel objet. Au tirage limité à 120 exemplaires. Elégance d’un « objet-livre » pour une vraie poésie. « … ce qui reste et qui s’éloigne ».

    Michel Capmal. 11 mai 2023.

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