samedi 13 mars 2010

Les paysages poétiques de Pierre Oster

En ce mois de mars et du salon du livre, parlons édition ou plutôt réédition avec deux titres de Pierre Oster, Pratique de l’éloge et Une machine à indiquer l’univers, publiés il y a quelques mois, par Gallimard et Fata Morgana. Revenons aussi sur ce thème qui nous est cher, la place du poète dans la société et les différentes initiatives prises pour qu’il puisse se faire entendre. Parmi celles-ci, citons les rencontres organisées en Languedoc par Georges et Nicole Drano dans le cadre de leur association Humanisme & Culture. Ces rencontres ont pour titre générique À la santé des poètes. Dans ce pays viticole, cela s’imposait et les organisateurs ont eu la bonne idée d’associer à chaque rencontre un producteur de vin. À l’occasion de la venue de Pierre Oster à Frontignan, j’avais été chargé en ouverture de le présenter au public. Pour faire écho à la parution de ses deux livres, voici le texte de cette présentation.



UN REGARD SUR L’ŒUVRE DE PIERRE OSTER


Faire part en quelques mots, d’un regard sur l’œuvre de Pierre Oster, est un exercice difficile si l’on pense aux trois journées que l’Université de Pau organisa sous la direction de Yves-Alain Favre, il y a quelques années, pour aller à sa rencontre.
En 2003, les revues Nunc et Autre Sud, consacrèrent chacune un numéro spécial au poète. C’est donc vers ces publications que l’on se tournera si l’on veut connaître avec précision le cheminement de sa poésie.
Il sera toutefois préférable de lire avant deux ouvrages de Pierre Oster où celui-ci nous livre quelques clefs pour entrer dans son art poétique. Le premier a pour titre Pratique de l’éloge, le second Une machine à indiquer l’univers.
Pratique de l’éloge rassemble des articles où l’auteur rend hommage aux poètes et écrivains qui ont compté dans son itinéraire. Signalons que Nicole et Georges Drano viennent de rééditer dans le numéro 35 des Carnets des Lierles, les textes concernant Jean Grosjean et Paul Claudel.
Paul Valéry, Jean Paulhan et Saint-John Perse, sur lesquels Pierre Oster aura peut-être l’occasion de revenir, occupent aussi une place de choix dans Pratique de l’éloge. Faut-il insister ce soir sur le fait que ces trois auteurs eurent un lien très fort avec le sud ?
Nous ne sommes pas loin de Sète et du cimetière marin de Paul Valéry. Jean Paulhan a passé son enfance à Nîmes. J’arrive de Hyères, que Pierre Oster fréquenta à l’époque où Saint-John Perse s’était retiré sur la presqu’île de Giens. Comme on aurait aimé d’ailleurs aller avec lui rencontrer celui qui reçut le prix Nobel de littérature en 1960, dirigea sous le nom d’Alexis Léger, la diplomatie française de l’entre-deux guerres, résista à Hitler à Munich en 1938, rencontra Staline et conseilla le président Franklin Roosevelt lors de son exil aux Etats-Unis.



Une machine à indiquer l’univers regroupe des entretiens où notre invité s’explique sur le sens de son activité de poète. Une machine à indiquer l’univers, le titre est suffisamment explicite pour nous montrer l’ampleur du projet. Il faut le rapprocher de celui du volume de la collection Poésie/Gallimard dans lequel est rassemblé l’essentiel de la poésie de Pierre Oster depuis 1951 jusqu’à l’an 2000 : Paysage du Tout.
L’univers, le tout, la totalité, c’est à leur célébration que s’est employé le poète. Dans le bel article qu’il lui a consacré dans Autre Sud sous le titre Pierre Oster, arpenteur de l’universel, Bernard Fournier a en quelque sorte posé la question à laquelle par son œuvre, notre invité s’est efforcé de répondre, en demandant :

« Comment redonner à entendre qu’il demeure possible de tenter la célébration du monde, de ne pas s’en tenir à un chant minimal ? De construire des pages alliant complexité et transparence ? Une œuvre qui n’aurait pas de fin ? Et dont la loi serait l’idée même de variation… »

En effet, à la manière des Feuilles d’Herbe de Walt Whitman, seul et même livre, qui n’a cessé au fil des ans de gagner en volume, le Paysage du tout de Pierre Oster n’est qu’un même chant qui s’amplifie dans le temps. Si le livre reprend dans son organisation les titres de différents recueils tels qu’ils sont apparus dans l’ordre chronologique, à savoir : Le champ de mai, Solitude de la lumière, Un nom toujours nouveau, La grande année, Les dieux, il se présente aussi dans une continuité d’inspiration et d’intention que traduit la numérotation des poèmes. Alors, par delà la séparation des chapitres, peut-on lire : premier poème, sixième poème, septième poème, huitième poème, et cela jusqu’au vingt-huitième.
« Une œuvre qui n’aurait pas de fin ? Et dont la loi même serait l’idée de variation » nous a dit Bernard Fournier, en touchant là à une autre vérité de l’auteur. A la fin du vingt-huitième poème, se trouve cette locution en latin, langue que Pierre Oster aime utiliser, UTINAM VARIETUR (Puisse-t-il changer encore !). Eh bien, grâce à Nicole et Georges Drano qui ont édité au printemps dernier de Pierre Oster, Sur une lyre de paille, dans la collection Vent de terre de l’association Humanisme et Culture, nous pouvons disposer d’un recueil qui donne corps à ce principe. Sur une lyre de paille est une variation du vingt-huitième poème de Paysage du tout, qui s’intitule La terre. Il commence à l’identique : « La terre est un savoir » et puis la variation s’installe. « La terre est un savoir. Que les eaux, que les rochers répandent ! » est devenu : « La terre est un savoir ! D’où les eaux, d’où les rochers jaillissent ».
Souvenons-nous à ce moment précis que dans Pratique de l’éloge l’auteur a rendu hommage à Paul Valéry en précisant : « qu’il fut par excellence l’homme des reprises, des ratures, de l’aventure et de la réussite aussi », qu’il « se prodiguait plus que tout autre dans ses livres », que « nul plus que lui ne s’est si mal contenté de ce que les jours, la fatigue, le dépit de ne point parvenir à une plus grande perfection nous arrachent des mains ».
Une des façons pour Pierre Oster de satisfaire à cette exigence de perfection, est de pratiquer ce qu’il appelle lui-même la sagesse de l’élagueur. Cette sagesse vient s’ajouter à l’idée de variation pour tirer le meilleur de la langue, sans cesse remise en cause.
Pour faire écho à l’univers, il faut se forger un style qui en ait l’amplitude et le souffle universel. Mais un tel projet ne peut avancer sans s’accompagner d’une réflexion, d’une méditation. Pierre Oster nous les fait partager, aux côtés de ses poèmes, sous forme de notes et d’aphorismes.
Cependant lorsqu’il écrit : « Le langage n’est pas seulement le lieu de toute vérité humaine ; il est la vérité même de l’Homme, la condition réalisatrice de notre ouverture à l’Être éternel qui est la Vérité » nous pouvons nous demander, s’il n’y a pas en lui un philosophe qui s’ajoute au poète. Dès lors ses amitiés avec Michel Deguy ou Bertrand Saint-Sernin y trouvent un relief nouveau.
Pour ce soir, nous allons rester avec le poète et sa poésie. Nicole et Georges Drano nous offre cette chance inouïe de pouvoir l’écouter lire lui-même ses textes. Alors ne pensons plus aux principes qui guident son art poétique, oublions pour quelques minutes ses livres, que nous retrouverons ensuite différemment, car entre temps sa voix et son propre rythme se seront glissés dans notre mémoire.






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