samedi 30 octobre 2010

Les hautes terres de Michel Capmal

Michel Capmal est un poète rare et exigeant. Il ne s'est jamais dispersé, ni a cherché à se faire connaître en multipliant les parutions. Sur un parcours de plus de trente années, on compte seulement trois titres de lui. Le premier En ce lieu même a été publié par les éditions L'Etoile au front en 1981 sous le pseudonyme de Aurélien Montségur qui rappelait ainsi les origines occitanes de l'auteur. Le second Les interstices sont innombrables est venu en 1997 compléter la collection de poésie des Cahiers de Garlaban. Les poèmes y étaient accompagnés d'encres de Jean-Claude Couillard. Et voici aujourd'hui Nous avons perdu les hautes terres, notre errance est infinie qui contient les deux précédents titres auxquels s'ajoutent de nombreux inédits. Le livre est édité par les éditions Le chemin brûlé créées pour l'occasion. Pour Michel Capmal : " le chemin brûlé est un chemin qui court sous les herbes folles, toujours oublié et redécouvert et qui se réinvente lui-même lorsque les mots justes sont prononcés. Un chemin fertile quand l'acte d'écrire devient connaissance de soi, affirmation de la volonté de vivre." Nous avons compris que tout dans cet ouvrage fait sens.
"Un tel livre nous dit l'auteur n’est pas seulement un recueil de poèmes. Il a été imaginé et voulu pour « sauver » des textes, ou fragments de textes. Quelques-uns furent écrits voici plus de trente années et publiés sous le pseudonyme de Aurélien Montségur. Ceux-ci, remaniés ou tels quels, entrent en résonance avec d’autres plus récents mais tout aussi « inactuels ». Ces textes, ces poèmes ont été vécus de l’intérieur selon une constante thématique aussi bien spirituelle qu’érotique : le sang, le vent, le feu, l’exil. On pourrait parler d’une écriture en évolution à partir d’un ou plusieurs affects qui ont eux-mêmes évolué au cours de leur confrontation au réel. À l’évidence, il ne s’agit pas là de poésie état d’âme ni de poèmes militants. Le réel étant la préoccupation fondamentale si l’on sait voir l’ailleurs dans l’ici et maintenant. Dans l’approche d’une dimension métaphysique. Polysémie et logique quantique. "
Ces paroles suffisent à montrer à quelle hauteur Michel Capmal a porté son art et en expliquent aussi le titre. Qui peut encore aujourd'hui se prévaloir d'un service aussi fidèle de la poésie ? Chassés de ses terres, nous sommes condamnés à errer. Néanmoins, qui saura capter les signes de l'autre monde, dissimulés dans la réalité, pourra entrevoir une sortie du labyrinthe. Pour l'auteur, lucidité n'est pas abdication. Et comme il l'écrit à la fin de son livre : "... nous ne renonceront pas aux étoiles !"
Terminons par la lecture d'un des poèmes de Michel Capmal. Il nous révélera une des formes de son écriture, en même temps qu'il nous donnera quelques clefs pour pénétrer dans son univers. Une photographie réalisée par l'auteur lui-même l'accompagne. Elle montre le Pont du Diable dont il est question dans le poème. Celui-ci se situe au débouché des gorges de l'Hérault entre Aniane, Saint-Guilhem-le-Désert, et Saint-Jean-de-Fos, le village natal du poète.

Une poignée de suie vient de tomber
de la cheminée d’une maison désertée des Cévennes.
Une passerelle de bois, en amont, s’écroule sans bruit
pour que le Pont du Diable reste encore intact.
Ce soir,
je suis un vieil indien sur le boulevard du Montparnasse.
Toi et moi,
avons rendez-vous à la terrasse vitrée d’une brasserie.
À minuit. Comme l’an passé et depuis toujours.
Te voici, inchangée.
Vêtue de soi et de velours à la même table.
Nue irradiante dans les profondeurs.
Tu écrivais sous la dictée d’un oiseau de mer.
Ton dessin au rouge à lèvres
ponctué de pétales de roses déchirées
se confond avec tout l’espace jadis parcouru
et réinventé par nous deux.
Paris, les îles, le labyrinthe, les souterrains, la forêt sans fin.
Un homme sans tête nous apporte un alcool brûlant.
Il n’est pas l’heure encore pour nous de mourir.
Le cri du corbeau dans la nuit du ciel de Paris
nous tiendra éveillés.
Ce peu de suie est devenu corbeau hurlant
dans la maison fermée.
Au matin, il remontera vers le jour.
Et il y aura deux arbres nouveaux, deux bouleaux blancs,
enlacés au jardin du Luxembourg.
Nous traverserons sans crainte le vieux pont de pierres,
indifférents à l’appel du précipice.



Complément :
Le livre compte 128 pages, est vendu 16€. Pour le commander contacter les éditions par e-mail : lecheminbrule@wanadoo.fr

samedi 23 octobre 2010

Traduire Frédéric Mistral en espagnol

L’an dernier, on a fêté les 150 ans de la publication de Mirèio, le chef d’œuvre de Frédéric Mistral, qui symbolise encore aujourd’hui la renaissance de la littérature provençale et plus généralement de langue d’Oc. Ce qui fait l’universalité d’une œuvre est bien sûr sa capacité à toucher des lecteurs au-delà de la sphère culturelle dans laquelle elle a été écrite. Mais cet agrandissement de l’audience, pour qu’il ait lieu, doit passer inévitablement par la traduction. Grâce doit ainsi être rendue à ceux qui vont jouer ce rôle de passeur et permettre de lire un auteur dans une autre langue que sa langue d’origine. Avec cette intention, j’ai posé quelques questions à Pilar Blanco qui a traduit Mirèio en espagnol.

Pilar Blanco, vous êtes universitaire, vous avez longtemps dirigé l’Institut de Traduction de l’Université Complutense de Madrid, quels chemins vous ont fait passer du castillan au provençal ?

Effectivement, je suis universitaire et j’ai été pendant quelques années la directrice de l’Institut de Langues Modernes et Traducteurs. Les chemins de la traduction sont insondables parce qu’il n’existe pas qu’un seul chemin, il y en a beaucoup. Les miens ont été : d’abord l’enseignement de la culture provençale ; le besoin de lire Frédéric Mistral dans sa propre langue pour mieux le comprendre puis l’envie de diffuser l’œuvre d’un prix Nobel presque inconnu d’un grand nombre d’universitaires et du public espagnol en général.

Je suppose que pour avoir envie de diffuser l’œuvre d’un auteur dans sa propre langue, il faut entretenir avec lui une relation privilégiée.

J’ai découvert Mistral lorsque j’étais étudiante de philologie française à la Faculté. Cet auteur me paraissait intéressant alors j’ai commencé à le lire, évidemment en français, puisque je ne connaissais pas la langue provençale. D’auteur intéressant, il est devenu inclassable, irréductible à toute définition, m’ouvrant toujours un nouvel horizon quand je croyais l’avoir cerné. Alors j’ai choisi son œuvre Nerto comme sujet de ma thèse de doctorat. L’été qui a suivi, je suis partie pour la Provence et la chance m’a accompagnée. J’ai fait la connaissance de personnes qui parlaient la langue provençale et cela m’a beaucoup plu. À l’époque, j’avais de l’audace et j’ai commencé à faire la traduction de cette œuvre, toujours à partir de la langue française. Un peu plus tard, je suis devenue professeur à la Fac et l’on m’a demandé de m’occuper de l’Histoire de la Langue et de la Littérature provençales (des troubadours à nos jours). Je ne savais presque rien. Le premier cours a été très difficile mais j’ai continué mes recherches. Elles m’ont conduite jusqu’à Maillane dans la maison de Mistral. C’est là que j’ai fait la connaissance de mon grand ami Carles Galtier.

Un grand ami des Cahiers de Garlaban également. Il était en effet conservateur de cette maison. Une maison d’écrivain, comme on dit aujourd’hui, bien avant l’heure.

Une fois finie la thèse, je me suis aperçue que je ne connaissais absolument rien du provençal et je devais apprendre cette langue merveilleuse qui chantait en moi quand je la lisais. Je peux dire que ma rencontre avec Mistral a été un coup de foudre que continue encore.

Votre traduction de Mirèio n’a donc pas été un travail de commande mais bien l’aboutissement d’un long cheminement guidé par la passion. Pourriez-vous nous en parler un peu ?

Ma traduction de Mirèio a été véritablement la conséquence et le résultat de la passion d’une lectrice et de son amour pour l’œuvre complète de Mistral mais aussi le fait d’une traductrice spécialisée dans l’enseignement de la traduction. Mistral a mis tellement d’Histoire et de culture dans ses œuvres... que je voulais les boire comme on boit un verre "d’aigueto lindo". Je dirai encore un mot sur la traduction : je voulais analyser et expérimenter la didactique qui se trouvait dans cette œuvre car l’auteur est aussi devenu traducteur de lui-même.

C’est vrai, il a d’abord écrit Mirèio en provençal puis il en a fait la traduction en français qu’il a mise en regard dans son livre.

Et c’est en suivant son enseignement que j’ai commencé à faire ma propre traduction et à faire des études sur l’autotraduction. Pour le reste, je connaissais le directeur des éditions Catedra et je lui ai fait une proposition : publier la traduction de l’œuvre complète de Mistral du provençal à l’espagnol. Il m’a dit d’accord et de commencer par la traduction de la première œuvre, mais que je devais accompagner chaque traduction d’une introduction racontant la genèse du texte et toute son histoire. Le résultat : la publication de cette œuvre qui m’est si chère.

Une œuvre en effet précédée d’une longue présentation de votre part, un livre dans le livre pourrait-on même dire, dans lequel vous situez Mistral dans l’Histoire de la littérature de langue d’Oc, dans le contexte de la Provence du XIXe siècle, tout en montrant comment ce chef-d’œuvre écrit très jeune fut reçu par les écrivains et artistes de son temps. Les lecteurs espagnols auront été choyés. Vu de France, ce qui me semble important, c’est que la collection Letras Universales qui a accueilli votre traduction rassemble les grands auteurs de tous les temps. Ovide y voisine avec Kafka et Shakespeare avec Tolstoï. Mistral ainsi se trouve au rang qui est le sien et ne souffre pas de l’étiquette régionaliste que certains attachent encore à son œuvre.

Letras Universales est une grande collection des Grands de la littérature Universelle, et Mistral en est l’un d’eux. Que dire de ces gens qui le qualifient de régionaliste ! Qu’ils ne connaissent ni leur propre Histoire, ni Mistral ! Mistral est le grand inconnu du peuple français, et quand je dis le peuple, c’est la France moins une minorité qui habite au sud. À ce propos je vous dirai que la première fois que j’ai parlé de Mistral, en France, c’était à la librairie parisienne Gibert. J’y suis arrivée, très jeune encore, cherchant les œuvres de mon cher poète, et l’employé m’a répondu que Fréderic Mistral, prix Nobel Français, n’existait pas, qu’il devait s’agir de Gabriela Mistral.

La poétesse chilienne, prix Nobel de littérature en 1945, qui avait justement choisi le pseudonyme de Mistral en hommage à notre grand poète.

Je lui ai répondu qu’il se trompait et il n’a pas voulu me croire. Mais après une longue conversation et de nombreux faits et arguments, j’ai réussi à le convaincre. Il m’a indiqué alors tout en bas de la librairie un fonds de vieux livres où je pourrais chercher et il m’a accompagné. Au bout de quelques minutes, je remontais avec une pile non seulement de livres de Mistral, mais des autres membres du Félibrige. C’est ainsi qu’il m’a demandé de lui en dire plus sur ce mouvement et ces écrivains et nous avons eu sur le sujet un dialogue nourri. Il s’est même engagé à chercher toutes les œuvres de Mistral et à me les envoyer. Il a tenu sa promesse. Il a lu Mistral et grâce à lui, je dispose à Madrid de l’œuvre complète et même de la première édition de Mireille, ainsi que des premières éditions d’autres textes des premiers écrivains de la renaissance provençale.

C’est finalement en passant par Paris que vous avez eu accès aux grandes œuvres écrites en provençal. Lorsqu’une capitale sert de point de convergence et de relais à tout ce qui se passe sur le territoire national, elle joue pleinement son rôle.


Mistral reste un auteur mal connu. Si vraiment les Français le connaissaient mieux, je suis sûre qu'ils en seraient fiers. Ils l’aimeraient autant qu’ils aiment les grands poètes de la littérature française. Si Mistral est provençal, il est aussi français et son œuvre est écrite également dans cette langue, de manière différente, c'est vrai, mais en langue française tout de même. J’aimerais que les Français qui liront cet entretien se rapprochent de Mistral, car je suis certaine qu’ils seront contents de cette découverte.

Je formule ce souhait avec vous. Ce blog est là pour faire découvrir et aimer la littérature de langue d’Oc. Merci encore d’y apporter depuis l’Espagne votre ardente contribution.


Complément :


samedi 16 octobre 2010

Nicole et Georges Drano, un couple de poètes

Dans l'histoire de la poésie contemporaine, les exemples de couples de poètes sont rares. Me viennent à l'esprit ceux de Claire et Yvan Goll, d'Hélène et de René Guy Cadou ou encore d'Ilse et de Pierre Garnier dont j'ai déjà eu l'occasion de parler dans ce blog. Je voudrais ajouter aujourd'hui à cette courte liste celui de Nicole et Georges Drano. J'ai déjà eu l'occasion de les évoquer lorsque j'ai rendu hommage à Pierre Oster, puisque cela se passait à l'occasion d'une des rencontres qu'ils avaient organisée dans le cadre de leur association Humanisme & Culture. J'aurai pu encore les citer quand j'ai annoncé le festival Voix Vives de Sète car Nicole et Georges sont partie prenante de cette merveilleuse aventure où ils animent quotidiennement des rendez-vous très originaux. Nicole par exemple faisait tous les jours se rencontrer un poète avec un public composé d'enfants et d'adultes, exercice qui oblige à se replonger dans les sources même de la poésie. Quant à Georges, il permettait à un poète de dialoguer avec un pêcheur, tissant ainsi des liens entre deux passions traversées par le même souffle de liberté. Mais c'est surtout lorsque j'ai fait écho à la disparition de René Rougerie que j'aurai pu encore les mentionner car des liens très forts les rattachaient tous les deux à ce grand éditeur de poésie dont ils ont accompagné l'activité sur plusieurs décennies. C'est chez lui que se trouve le coeur de leur oeuvre dans lequel j'ai choisi pour leur rendre hommage de prendre un poème de chacun.

L'EMPLOYEE DE LA POESIE

L'habitude du service
courbe ses mains
sur les papiers.

Droite dans une beauté
désopilante la poésie tourne.
Vire. Agite le désordre des syllabes
Brillent des signes
Niveau sol.
Niveau feu. Niveau air.

L'employée dessine un mot
au bord d'un couvercle
qui flotte sur l'eau
et c'est un dessous de vie.

Nicole Drano


Depuis longtemps des chiens s'efforcent
d'entrer dans nos ruses.
Sans prendre garde aux proportions de leurs
crocs, ils réduisent nos contours et nous sentons
des regards dans nos regards quand la nuit
leur ordonne d'apparaître, là où nous sommes
seul, dispersés.
La lune se lève dans leur gueule, les rails
brillent, le convoi s'arrête.
Tournant sur eux-mêmes, ils veulent toute
la place,
ils avancent, reprennent du terrain contre
nous
qui laissons tomber les pierres dans nos
mains.

Georges Drano


Compléments :

-Nicole Drano présentée par Serge Meitinger

-Georges Drano présenté par Michel Baglin

samedi 9 octobre 2010

Les Cahiers de Garlaban - I

Voici une nouvelle rubrique de ce blog qui présentera au fil du temps les différentes publications des Cahiers de Garlaban, les auteurs qui y ont été édités, ainsi que différents événements qui ont rythmé cette aventure amicale, poétique et littéraire. Pour commencer, évoquons deux parutions, à gauche et Bisous d'amour écrites par Romaric, un jeune auteur d'une vingtaine d'années que nous avions voulu encourager, à la fois par l'originalité de son écriture et par le rapport particulier qu'il entretenait avec la lecture. Autant par les sujets qu'il abordait : le Sida et la guerre en ex-Yougoslavie que par la forme choisie pour ses récits : le roman scandé, il témoignait de l'incertitude de sa génération face à la vie et à la culture censée nous en donner le mode d'emploi. Le roman scandé était pour lui une réponse à la désaffection des jeunes pour la lecture. Pour soutenir le récit, il fallait le découper en courts chapitres et pour retenir l'attention, il fallait que chacun de ces chapitres contienne une histoire indépendante qui s'inscrive néanmoins dans la trame générale.
à gauche n'est pas un livre politique contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser. C'est l'histoire d'un jeune homme dont l'existence va être subitement bouleversée dès le jour où il apprendra qu'il est atteint d'une terrible maladie. La préface reproduite ici nous dit quelle relation l'auteur entretient avec son personnage mais aussi pourquoi et comment, il a été amené à le mettre en route : "Pourquoi en écrire une, alors que je n’en ai jamais lue. Les livres sont bien assez longs, et je ne tiens pas à m’ennuyer avec quelques pages supplémentaires. Il paraît que cela sert à présenter l’œuvre au lecteur. Souvent écrite par un auteur différent, elle donne les informations nécessaires à la compréhension du livre ; (où, quand, qui, comment, etc…).
Mais personnellement je pense que la meilleure façon de présenter mon livre, c’est d’abord de présenter son auteur. Pour cela je vais vous faire un aveu : il n’y a pas seulement les préfaces que je ne lis pas mais aussi l’œuvre qui les accompagne. Je déteste lire ; je trouve ça peu captivant, ennuyeux, fatiguant, je considère vraiment cela comme une perte de temps. Vous me direz alors ; pourquoi écrire un livre ? mais la réponse me semble évidente.
J’ai appris il y a peu de temps, que mon piètre goût pour la lecture était dû à une forte dyslexie. En effet, j’éprouve la plus grande difficulté à comprendre ce que je lis. Je confonds les sons, par exemple je peux prononcer un B à la place d’un P, j’inverse aussi certaines syllabes, et j’invente de nouveaux mots. Mais j’ai appris aussi, que la dyslexie se manifestait souvent par une imagination débordante, une capacité à rêver extraordinaire, une sorte de bulle que nous créons, dans laquelle nous sommes entièrement plongés. Et c’est dans ce monde que je vous invite :
Le monde de celui qui écrit, mais qui ne lit pas.
"

Cette confession loin de dérouter le public apporta à son auteur de nombreuses manifestations de sympathie car beaucoup se retrouvaient dans cette relation difficile avec la lecture. Aussi, durant les différents salons et fêtes du livres auxquels Romaric participa, entre 2003 et 2004, les échanges furent nourris et appréciés par la réponse personnelle qu'il avait apportée, n'ayant pas eu peur de surmonter tous les obstacles qui s'étaient dressés devant lui durant sa scolarité.

Avec Bisous d'amour/La fin d'une époque/Mon petit monstre à moi, il consolidait sa position tout en approfondissant ces chemins si mystérieux de l'écriture et de ses pouvoirs à la fois sur celui qui la produit et sur celui qui la reçoit. Ainsi écrivait-il sur la quatrième de couverture du livre : "Je n’allais pas bien. Je me sentais angoissé. J’ai pris un livre. C’était le mien. Oui l’auteur a le droit de lire son propre roman. Je commence à lire, et sans vouloir être prétentieux, je me régale dès les premières lignes.
Est-ce moi qui ai écrit cela ? C’est à peine si je m’en souviens ! Etrange ! L’écriture semble être dictée par quelqu’un d’autre.
Bref…, mes angoisses s’en vont. La lecture m’en éloigne et m’amène dans une fiction où le héros et sa petite amie sont peu tracassés par les événements qui leur arrivent.
J’ai fini de lire. Je me sens bien mieux. Ouvrez ! Lisez ! Evadez-vous !
"

Ces réflexions et remarques étaient spontanées et n'émanaient pas d'un auteur rompu à la critique littéraire ou à l'analyse savante de la littérature. Elles nous montrent que la création littéraire porte bien plus loin que le sujet dont elle a choisi de parler. Une raison pour les Cahiers de Garlaban d'être sensible à son mouvement, indépendamment de tout dogme et préjugé.

samedi 2 octobre 2010

Manoel de Barros au cinéma

Si la poésie est partie prenante de l’aventure cinématographique, les films exclusivement consacrés à des poètes sont plus rares. Depuis Rio de Janeiro, Cristina Moura nous fait partager son enthousiasme après avoir vu Só dez por cento é mentira (Seulement dix pour cent sont des mensonges) consacré au poète Manoel de Barros.


Ce film est un documentaire très poétique, une merveille, un vrai cadeau, comme pour nous encourager à reprendre la vie par le haut. Il nous fait découvrir l’œuvre et un peu l’existence - son quotidien et tout son temps dédié à la poésie - de Manoel de Barros, poète du Mato Grosso. Pour lui, l’inspiration n’existe pas. Il explique qu’il faut toujours travailler les mots afin de créer un sens nouveau. Il nous dit que les paroles doivent être brossées comme les archéologues brossent les os, que la poésie n’est pas faite pour être comprise mais pour être découverte. Si les mensonges sont le contraire de ce qui est vrai, les inventions verbales à l’inverse sont là pour donner de l’ampleur à l’esprit ou à la pensée. C'est le sens du titre. "Si dix pour cent est mensonge, cela ne signifie pas que quatre-vingt dix pour cent est vrai, non le reste est invention" nous explique dans le film Manoel de Barros, ce qui provoque le rire dans la salle. Des témoignages d’autres poètes, de gens du théâtre, de personnes qui l’ont découvert par l’image et qui ont été complètement séduites par ses poèmes, entourent les propres paroles du poète. Moi-même je me suis sentie ignorante de n’avoir jamais entendu parler de lui auparavant et j'ai eu le même sentiment que Adriana Falcão, cette actrice et écrivaine, qui a dit dans le film qu’elle avait l’impression de l’avoir découvert très tard. Elle aurait bien aimé le lire avant pour tout ce qu’il lui avait apporté depuis. Personnellement, je me suis sentie en correspondance avec Manoel de Barros lorsqu’il a parlé de son enfance à la ferme, en précisant que là était la source de ce qu’il avait développé plus tard dans son œuvre. Pour lui, les enfants sont les meilleurs poètes, à l’état naturel. Quand son fils était petit, il l’asseyait sur ses genoux et prenait des notes en lui parlant. Je pense que pour pouvoir écrire encore à l’âge adulte un vers comme : a borboleta é a cor que voa / le papillon c'est de la couleur qui vole, il faut avoir réussi ce prodige d’avoir conservé son esprit d’enfance.

Cristina Moura

Complément :

- Manoel de Barros sur Wikipédia en langue portugaise