samedi 9 février 2013

Un bout de chemin avec Philippe Blondeau - II

Pour commencer notre voyage dans la poésie de Philippe Blondeau, voici des poèmes extraits de son recueil Décimales paru chez un éditeur et dans une collection que nous connaissons bien. L'éditeur, c'est Cécile Odartchenko que nous avons déjà présentée dans ce blog. Quant à la collection nous en avons précédemment parlé à travers deux de ses titres :  Fagulhas do tempo/Étincelles du temps et Les objets nous racontent.


                 DIX QUESTIONS

                  Mystère des bêtes

Qui              boit ce grand bol d’ombre
  sur la pierre cambrée de notre seuil ?
Quelle bête de la nuit                  arrête
ici sa trace sauvage ?              Quel œil
accentué d’un sourcil aigu
          anime le conseil noir du jardin ?
Quel ongle apostrophe
            l’épitaphe invisible du granit ?
Qui            par chance             toujours
rôde hors du cercle fade des hommes ?

                        À l’invisible

Qui va là ?
                                                  un fantôme ?
une enfance     qui s’est absentée d’un jardin ?
une réticence suspendue comme une caresse ?
                 Notre désir ne nous ressemble pas
pas plus que nous ressemblent
les roses fragiles de l’éphémère.
Ce qui va là                 est ce qui nous poursuit
rien qu’une attente figée
                              comme une étoile de pierre

        Incertitudes de la route

Des bêtes mortes
peuplent la terre d’indécidables regrets
Sommes-nous plus qu’elles
à même d’honorer le marché du temps
                      nous que la fatigue suffit
à plier sous le désir de la terre ?
Que nous reste-t-il      sinon la distance
à rejointoyer de mots
                                 face impénétrable
où s’épuise       le jeu affolé du regard ?

                     Quel signal ?

Quel feu flambant sur une ruine lointaine
       (un tas de siècles charbonneux)
effleure de ses doigts incandescents
le clavier complexe              d’un plafond
enduit de planètes bavardes ?
Jusqu’où porte ce signal
                         épié derrière les planches
par les jours du bois mangé
– et jusqu’à quand                      si bientôt
             nul n’a souci du sens ?

                  L’étranger

Qui donc                             a investi
l’asile       que les arbres veillaient ?
Qui a privé des menaces familières
l’étranger qui vient aux carrefours ?
Qui saura déchiffrer tout cet or
gâché dans les auges de l’automne ?
     Mais nul ne vient par seul hasard
et l’église reste oubliée là
comme un sabot dans une ornière
     par un dimanche de siècle ancien

                             L’autre

Qui est-il    cet étrange garçon à cheveux longs
occupant ma place       à certain point du temps
                   juste avant que le passé commence
– après l’enfance          qui n’est pas du passé ?
Ce n’est pas moi                        Ou est-ce moi
qui étais entré par erreur                dans une vie
                              qui ne m’était pas destinée ?
Parfois encore je le rencontre
             dans quelque sous-préfecture assoupie
– et c’est moi-même,    dans son regard surpris

                 Doute du solitaire

Quel homme – voyageur de soi simplement
sortant de la nuit         comme d’une femme
et tout ruisselant de solitude définitive
sursaute    au frisson pointu d’avant l’aube ?
Quel instant raté,   quel faux pli dans le jour
avait froissé son sommeil
pour l’amener ainsi
         à questionner le visage défait du réel ?
                       – Mât couché d’un mort désir
son corps même n’en revient pas
              
                   Secret concert

D’où vient dans un sommeil d’enfant
ce grand passant aux yeux clairs
            porté par les ailes de ses pas ?
D’où vient   dans le rectangle indirect
             de la porte chavirée
 ce grand frère maladroit et confiant ?
Une chanteuse l’accompagne
                 tordant son âme détrempée
sous une voûte agenouillée
                       théâtre de muets désirs

                   Métaphysique rurale

Suis-je autre chose que cette réussite de silence
hâtive                   dans la flamme des peupliers
que la nuit blanche n’éteint pas
et qui consume mon histoire
loin de mon corps étranger
              dans ce pays de talus étirés
où je vécus
            indifférent aux bruits épars des hommes
                         et de bonne foi
comme la feuille heurtant la balance de la terre ?

                    Fenaison

Pour autant qu’une œuvre dure
est-ce plus que le balancier de la faux
dont on ignore                   s’il n’a pas
plutôt que l’herbe              coupé l’air
qui trouvait là son assise
Serviles éteules      où le jardin survit
bégaiements de l’été
                            ordre des distances
                        tant de douces erreurs
nous donneront-elles bientôt raison ?

                                    Philippe Blondeau

Compléments : 
- le site de l'éditeur
- Une lecture de Décimales par Claude Vercey
              

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