Ce blog aime parler des initiatives visant à donner à la poésie toute sa place dans la société. Il y a peu nous présentions les
. Aujourd'hui nous allons évoquer avec Brigitte Maillard sa tentative de mêler la poésie à la vie quotidienne en participant à des événements qui la rythment comme les marchés.
Brigitte, il y a chaque année à Paris, le marché de la poésie qui réunit Place Saint-Sulpice tous les éditeurs de poésie. Vous, vous avez choisi une démarche différente, la poésie au marché...
L’une n’exclut pas l’autre. Mais il est vrai que je privilégie depuis deux ans ce mode de relation avec les lecteurs. C’est en région Bretagne que j’ai découvert cette pratique. Sur des marchés à thème d’abord (avec les poètes de Cornouailles et
Les Éditions Sauvages) où se croisent auteurs, créateurs, artisans… puis sur les marchés locaux où se mêlent produits du terroir, fruits et légumes, vêtements, livres etc.
Cette pratique se développe dans nos régions, en lien aussi avec les nouvelles tendances de notre société, inventer des modes de vie alternatifs, chercher de nouveaux appuis en accord avec des valeurs plus essentielles.
Des poètes comme Jean Bouhier ou Jean Rousselot voulaient que le poète soit au milieu du monde.
Le poète a fort à faire pour se remettre au milieu du monde, changer ses habitudes, "sortir du vase clos d'une oeuvre". Je pense à cette pensée de Joë Bousquet dans
Le meneur de lune "On n'a pas à cristalliser la beauté dans le vase clos d'une œuvre, nous portons en nous la poésie de tout ce qui est manifesté, nous devons aider la beauté des choses à nous former une conscience poétique." Mais je m'éloigne du sujet !
Oui, tenir les deux bouts de l’histoire, de la richesse et de la pauvreté, de la vie et de la mort, c’est être vraiment « au milieu du monde. » Comment faire œuvre de poésie sans cette attention ? Ma formation et ma pratique d’assistante sociale en protection de l’enfance m’ont transmis cette nécessité, impérieuse. Je découvre depuis peu, grâce à vous, ces poètes de l’École de Rochefort dont Jean Bouhier est le fondateur.
Il est réconfortant de constater qu'une manière de vivre en poésie se poursuit à travers les années. Serge Wellens, de la deuxième génération de Rochefort, animait avec son groupe l'Orphéon des soirées poétiques dans les années cinquante sous des préaux d'école en banlieue parisienne. Mais revenons à notre marché, quel type de rencontres vous a-t-il permis ?
Des rencontres heureuses et difficiles. Des rencontres, ces jours de marché, avec un public bien loin de la poésie. Certains s’arrêtent au mot poésie, à nos sourires, pour évoquer le souvenir de l’école, feuilleter le recueil. Beaucoup passent leur chemin. Ces mots de poésie, poème font souvent fuir (ainsi certains poètes préfèrent dans cette situation parler de textes) mais quand ils rapprochent, un dialogue inattendu et à rebondissement (dans la durée) peut s’instaurer. C’est la vertu des marchés, ils ont leur jour. Ils reviennent.
On parle et on écoute beaucoup, sans déclencher la vente du recueil. Pour que les liens se créent, il faut presque l’oublier et se dire qu’on est là, juste pour partager. Sur le marché, j’ai souvent l’impression de perdre mon temps. Et de vivre surtout le déni de poésie.
J’ai tant vécu ces difficultés d’accès à poésie/poème lors de ces marchés ou autres rencontres que je suis intimement convaincue aujourd’hui qu’il est nécessaire de prendre le temps de parler, en poète,
l’acte poétique, l’acte qui conduit à l’écriture. C’est ce que je tente de faire avec mon dernier livre
À l’éveil du jour.
Votre expérience finalement est un bon indicateur de la place qu'occupe aujourd'hui la poésie dans la société et dans les préoccupations de l'ensemble de la population. Dans le même temps elle renvoie le poète à sa condition ce qui peut être douloureux. Restent j'imagine des moments de grâce pour vous dire que l'expérience n'était pas vaine.
Oui grâce à elle … L’expérience est un merveilleux guide ! Rien de tel pour sortir du connu ! Je crois, si je devais la poursuivre, que je créerais une grande banderole pour attirer l’attention du passant :
N’abandonnez pas la poésie aux poètes. Nous sommes tous poètes dans l’âme (J’ai souvent entendu cette dernière pensée sur le marché.) Mais demeure essentiel de transmettre par la voix (de poésie), la force du poème. Et je me sens définitivement plus à l’aise lors d’un concert/lecture. Mais c’est un autre sujet. Merci à vous Jean-Luc.
Compléments :
- Monde en poésie, le blog de Brigitte Maillard.
- Présentation de À l'éveil du jour, Monde en poésie éditions, son dernier livre.