Voilà une parution qui fait plaisir à lire. Pour une fois, il ne s'agit pas d'une démarche solitaire, c'est une aventure collective qui est présentée. "Tout cela en ces temps de nausée et d'individualisme où être un poète qui ne parle pas seulement de lui, mais aussi de l'autre, de la vie des arbres, semble un délit" peut-on lire en ouverture.
Cette aventure collective, racontée par Christian Bulting, est une contribution à l'Histoire de la poésie contemporaine. Elle me touche particulièrement car elle s'inscrit dans le courant auquel je me rattache et dans lequel L’École de Rochefort apparaît comme la figure tutélaire.
Je me souviens d'un colloque à Agen, organisé en 1991 pour les cinquante ans de L’École de Rochefort, où ma communication avait pour titre : En aval de Rochefort. Celle-ci s'arrêtait aux années soixante/soixante-dix et montrait comment la génération qui avait suivi celle de Jean Bouhier et de ses amis avait repris à son compte l'héritage tout en le renouvelant.
Christian Bulting va plus loin encore dans le temps en nous présentant un groupe de poètes nés pour la plupart dans les années cinquante. Ils ont pour nom Gilles Pajot, Philippe Gicquel, Christian Bulting, Jean-François Dubois, Jean-Noël Guéno, Françoise Moreau, Patrice Angibaud et Marie Massiot. Certains d'entre eux ne sont hélas plus de ce monde.
Entre Rochefort et eux, s'intercalent des aînés dont ils sont redevables comme Miche-François Lavaur et sa revue Traces ou Louis Dubost et sa maison d'édition Le Dé bleu. Leur aventure procède de l'amitié et de la solidarité entre poètes. Quand Gilles Pajot disparaîtra prématurément en 1992, ils s'emploieront à continuer de faire paraître ses poèmes.
Comme le dit le texte d'ouverture : "Ce groupe de poètes a réussi merveilleusement le mariage de l'action et du rêve". Leur écriture se fait connaître par des revues qui sont aussi des maisons d'édition et ont pour nom Info/Poésie ou A Contre-Silence.
Ce qui me frappe dans le groupe, c'est son fonctionnement que j'appellerai organique et qui n'a pas encore était contaminé par une prise en charge de la vie poétique par les institutions culturelles. Certes Christian Bulting a été président de La Demeure de René Guy Cadou et secrétaire de la Maison de la poésie de Nantes mais cela n'a pas modifié, me semble-t-il, son rapport à la poésie.
Une anthologie des poètes cités, réalisée avec Jean-Noël Guéno, complète sa présentation du groupe. Elle illustre bien ces années de création où l'attention à la poésie du quotidien était forte tout comme l'influence de la poésie anglo-saxonne.
Une dernière partie est consacrée aux groupes et aux écoles dans la poésie française avec cette référence à René Guy Cadou qui voyait avant tout Rochefort comme une cour de récréation. Ainsi sont évoqués : La Pléiade, Le Romantisme, Le Parnasse, Le Symbolisme, Le Surréalisme, L’École de Rochefort, L’École de Brive.
Il est toujours difficile de faire des classifications et rattacher tel ou tel poète à une école peut être réducteur. C'est ainsi que personnellement je ne réduirai pas Apollinaire au symbolisme. D'autre part, j'aurais ajouté aux poètes de Rochefort, Michel Manoll, Marcel Béalu et Jean Follain. Quant à Lucien Becker, s'il a participé à la fameuse rencontre du Gué du Loir avec René Guy Cadou, Michel Manoll et Jean Rousselot, il n'a jamais été édité dans les Cahiers de Rochefort.
Mais l'essentiel n'est pas dans ces détails. Il faut remercier les éditeurs de cette revue de nous montrer à travers ce n°42 de Délits d'encre que vivre en poésie est une belle aventure et qu'elle est toujours possible.
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