samedi 25 septembre 2010

Poètes de Corée - II

Parmi les poètes coréens d'aujourd'hui se détache LEE Ka-Rim qui a obtenu le Grand Prix JEONG Ji-Yong en 1994. Comme son illustre aîné, il a suivi un cursus universitaire de haut niveau. Celui-ci l'a même conduit jusqu'en France où il a obtenu son doctorat à l'Université de Rouen et enseigné comme maître de conférences associé à Paris VII. De retour en Corée, LEE Ka-Rim a repris ses cours comme Professeur dans le Département de littérature française de l'Université INHA. Parallèlement, il a continué son parcours de poète et il anime aujourd'hui une des plus importantes revues de littérature de Corée du sud en même temps qu'il participe activement à la vie poétique de son pays. Né en 1943 en Manchourie, LEE Ka-Rim porte en lui les déchirements qu'a connus la Corée au XXe siècle et sa voix porte bien au-delà de son expérience personnelle. "La séparation, la rupture existentielle, qu'en Occident l'on éprouve sur le mode d'un monologue purement subjectif, forme, pour LEE Ka-Rim, le point commun, et vivant, d'une choralité populaire, telle que chaque Coréen peut l'intérioriser. L'histoire de tous y tombe goutte à goutte, comme dans une grotte, dans les interstices du coeur et d'un coeur à l'autre" écrit à son propos Alain Jouffroy. On pourrait appeler cela aussi, le sens de l'universalité, gage de l'authentique poésie et l'opposer aux gesticulations du moi d'une certaine poésie française contemporaine qui expliquent son rétrécissement et sa perte d'audience. Une autre des qualités de LEE Ka-Rim est d'avoir su bien séparer son travail universitaire de sa création poétique afin que sa langue conserve tous ses pouvoirs. N'a-t-on pas assisté chez nous à trop de confusion des genres qui ont abouti à une intellectualisation néfaste de l'expression. "Le langage n'est ni simplement populaire, ni jeu de timbres ou d'images en structures artificielles. Sa maîtrise tient justement à la familiarité des évocations et des scènes dans une construction souple, inattendue de la langue, où le mot, l'image, donnent une tonalité de fraîcheur et de force qui portent un sens incisif et fécond" nous dit à ce sujet Elisabeth Andrès.

Les liens privilégiés que le poète a entretenus avec la France nous permettent d'avoir accès à une partie de son oeuvre dans notre langue avec un livre qui s'intitule Le Front contre la fenêtre. Les poèmes ont été traduits par Cho Byung-Joon, Blandine Contamin et Patrick Maurice. L'ouvrage s'ouvre par une introduction d'Alain Jouffroy et se clôt par une postface de Elisabeth Andrès. De ces textes, j'ai donné plus haut des extraits mais je voudrais ajouter encore ces lignes d'Elisabeth Andrès : " La poésie de LEE Ka-Rim est essentiellement coréenne. Elle a la saveur âpre de l'alcool de 'sojou', l'avidité de l'attente paysanne au rude labeur des rizières, la violence parfumée des piments, le sentiment lyrique des amours douloureuses".

Mais laissons pour terminer la parole à l'auteur avec un poème qui a pour tite Le piéton du ciel :


Toute sa vie
Eboueur
Il a balayé et nettoyé toutes les rues sales
Désormais dans le jardin des nuages
Cet homme

Marche à grands pas

Toi, vagabond du ciel
Toujours attaché au sol
Sous les lumières rouges
Une table de bidon crasseux
Tu bois
Debout comme un balai usé
De la main tu appelles
Le nom des malheureux
Qui surviennent en toi
Tel un essaim d’éphémères
Se jetant sur l’ampoule voilée au
crépuscule

Si on te demande de devenir le dos des
esclaves fouettés
Tu le deviens
Si on te demande de devenir les pieds des
cul-de-jatte
Tu le deviens
Tu deviens la plaie, la prison, la mort
Après avoir marché de-ci de-là
Tu deviens enfin le maître de l’univers
Parcourant tout à la fois le ciel et la terre

Dans les nuages noirs déchirés d’éclairs
Apparait furtivement
Son visage lumineux

LEE Ka-Rim

samedi 18 septembre 2010

Poètes de Corée - I

Au moment où l’on peut voir sur nos écrans de cinéma le film Poetry du réalisateur Lee Chang-Dong, allons à la rencontre de la poésie coréenne en parlant d’un de ses plus illustres représentants, le poète JEONG Ji-Yong. L’évoquer, c’est aussi se souvenir des drames dans lesquels la Corée a été plongée durant le XXe siècle. Né en 1903, JEONG Ji-Yong a connu l’occupation de son pays par les Japonais en 1910 et c’est à l’université de Kyoto qu’il devra faire ses études. Il sera professeur d’anglais et traducteur. Après la libération du pays en 1945, il enseignera à Séoul. Mais quand l’armée nord coréenne envahira le sud, il sera emmené de force au dessus du 38e parallèle. Les conditions de sa mort vers 1950 restent encore mystérieuses.
Son œuvre est constituée de cent trente poèmes auxquels s’ajoutent des traductions de William Blake et de Walt Whitman. Au premier des deux, JEONG Ji-Yong a consacré sa thèse. Une partie de sa poésie a été traduite en français par Lee Ka-rim et Georges Ziegelmeyer. Il s’agit de son recueil Nostalgie qui date de 1927 et rassemble des textes écrits durant son séjour au Japon. Plusieurs ont été mis en musique et sont souvent entendus sur les radios coréennes.
Au printemps dernier, j’ai eu l’opportunité de me rendre dans son village natal de Okch’on, dans la province du Chungchong du Nord, en Corée du sud. Chaque année, à cette période, des festivités sont organisées pour lui rendre hommage. Sa maison natale, habitation coréenne traditionnelle, a été restaurée et la jouxte un bâtiment moderne qui entretient sa mémoire. On y trouve tous les documents retraçant son itinéraire, les revues qu’il a animées ainsi que des exemplaires de ses œuvres. À l’occasion de ces festivités, qui rassemblent un public populaire, est décerné dans le théâtre de ce qui est devenu une grande ville, un prix littéraire. Celui-ci, un des plus prestigieux du pays, est remis à un grand poète coréen d’aujourd’hui. À quelques kilomètres de là, au bord d’un plan d’eau a été aménagée une promenade poétique jalonnée par des stèles sur lesquelles sont gravés des poèmes des différents lauréats de ce grand prix de poésie.

À propos de JEONG Ji-Yong, dans la présentation qu’il a faite de la traduction française de Nostalgie, Jean Biès a écrit : «Impressionnistes dans le détail, réalistes non sans humour, parfois précieux, ses textes sont d’une fraîcheur naïve et un peu féminine. Villageois et marins, ils se calquent aux images et au respect de la nature. Un sentiment mêlé de taoïsme et de christianisme chuchotés, diffuse une poésie qui ne cherche pas la sagesse. Dieu lui est concret, incarné dans un paradis campagnard d’une originelle fraternité. Au carrefour des deux Corées, de l'Orient et de l'Occident, JEONG Ji-Yong s'inscrit dans la lignée des pionniers de la poésie coréenne du XXe siècle, avec toute la discrétion qu'exigent le marcher simple et le sentir vrai ».

Voici pour finir un des poèmes extrait de Nostalgie :

Village natal

Je suis revenu au village natal,
ce n’était plus celui de ma nostalgie.

Le faisan couve dans la montagne,
le coucou chante le retour du printemps.

Mon cœur, nuage flottant vers un port lointain,
n’a pas retrouvé son village natal.

J’escalade le sommet de la montagne.
Des fleurs blanches tendrement me sourient.

Les fifres amers qui égayaient mon enfance
restent muets, collés à mes lèvres sèches.

Je suis revenu au village natal.
Seul le ciel de ma nostalgie est bleu.

JEONG Ji-Yong

samedi 11 septembre 2010

Reconnaissance à Cécile Odartchenko


La vitalité de l'activité poétique repose sur le dynamisme d'un certain nombre de personnes qui entourent le poète et lui permettent de trouver un certain écho à ses paroles. Au fil des chroniques de ce blog, j'ai essayé de rendre à chacun sa part. En cette période de rentrée littéraire, je voudrais plus particulièrement exprimer ma reconnaissance à Cécile Odartchenko pour le travail d'édition qu'elle mène, en dehors de toute mode, guidée par le seul souci de soutenir des textes forts et des auteurs ne faisant aucunes concessions à leur art. Pour cela, précédé de son portrait photographique réalisé par Gilbert Moreau, voici quelques lignes rassemblées sous le titre La Femme à la Martelière.

C’est à Lodève, en juillet 2007, que j’ai fait la connaissance de Cécile Odartchenko. Avec d’autres éditeurs de poésie, elle présentait les livres des éditions des Vanneaux à l’occasion de la dixième édition du festival international des Voix de la Méditerranée. L’un d’entre eux fonctionna comme un révélateur de nos affinités poétiques, c’était un livre qu’elle avait elle-même écrit et qui était consacré à Pierre Garnier. Pierre Garnier, un ami commun dont j’avais fait la connaissance à Lyon en 1986 alors que j’accompagnais Jean Bouhier pour deux journées d’hommage aux poètes de L’Ecole de Rochefort. Rochefort, l’amitié de Rochefort, l’esprit de Rochefort, comme ils continuent de suivre des chemins mystérieux pour nous aider à avancer en poésie. Dans un même élan de générosité Cécile me proposa de participer en janvier 2008 à Amiens à la soirée organisée par Jean-Paul Dekiss à la Maison de Jules Verne pour le quatre-vingtième anniversaire de Pierre Garnier et de m’accueillir dans sa collection des Vanneaux. Cette soirée autour de Pierre Garnier continue de briller dans ma mémoire parmi les grandes heures déjà vécues en poésie. Je l’associais à un autre anniversaire, dont on m’avait souvent parlé, fêté à Toulon en 1961, celui des quatre-vingts ans d’André Salmon qui fut un fervent supporter de L’Ecole de Rochefort. En Picardie, l’année 2008 a été décrétée : année Pierre Garnier. Cécile y est pour beaucoup dans cette initiative à laquelle elle a pris part de tout son cœur. À cette occasion, elle s’est lancée dans l’édition des œuvres complètes du poète. Pour un colloque qui lui a été dédié, elle a écrit un texte qu’elle a eu la gentillesse de m’envoyer. J’ai ressenti une émotion profonde en le lisant, là encore Pierre Garnier servait de révélateur de la sensibilité, de l’approche poétique, de l’impressionnante culture de Cécile. En quelques pages denses et fortes, elle disait l’attachement à la langue picarde de Pierre Garnier et sa participation au mouvement international de la poésie sonore et visuelle, elle disait un poète enraciné et cosmique à la fois, inscrit dans la grande aventure de la création de son siècle. Son intérêt pour les langues régionales et minoritaires nous avait déjà rapprochés à Lodève où je présentais chaque jour des poètes occitans. Cécile en avait même retenu l’idée d’une collection regroupant des écrits du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Il ne restait plus qu’à en trouver le titre. Lors de l’édition 2008 des Voix de la Méditerranée, elle me faisait part de son choix, ce serait : La Martelière . Quelle émotion de nouveau ! Sully-André Peyre, qui fut dans les années trente le découvreur et l’éditeur de toute une génération de poètes provençaux avait été appelé par le grand poète occitan Jòrgi Reboul, l’Homme à la Martelière. La Martelière en Camargue, c’est ce panneau de bois vertical, cette vanne qui permet de libérer l’eau qui s’accumule dans les roubines, de petits canaux. Cécile serait désormais pour moi la Femme à la Martelière, celle qui libère les eaux neuves de la poésie !

Compléments :

- le site des éditions des Vanneaux dirigées par Cécile Odartchenko

- Cécile Odartchenko présentant sur Youtube les livres qu'elle a édités de Pierre Garnier

samedi 4 septembre 2010

Robert Lafont & Robert Laffont

En moins d'une année, ces deux grandes figures de la culture de notre pays, ont disparu. Leur quasi homonymie a souvent créé la confusion, particulièrement dans le sud de la France, dont ils sont tous les deux originaires. C'est dans les années soixante-dix qu'ils s'étaient inscrits avec plus de force encore dans notre paysage culturel, lui donnant un autre visage et obligeant à le penser différemment. Il faudra certainement encore du temps pour en prendre la mesure mais je voudrais déjà à titre personnel porter témoignage de ce que je dois à l'un et à l'autre.

Commençons par Robert Lafont que j'ai rencontré pour la première fois en 1985 à Marseille à l'occasion d'un colloque consacré à Victor Gelu. Robert Lafont était né le 16 mars 1923, il est mort le 24 juin 2009. Sans lui, la représentation de ce que l'on appelle l'espace occitan ne serait pas ce qu'elle est. Par ses essais, ses romans, sa poésie, son théâtre, ses recherches concernant l'histoire de la littérature et la linguistique, Robert Lafont a contribué à en donner une image cohérente, vivante et argumentée. Et son oeuvre a rejoint dans les années soixante-dix ce courant de contre-culture qui a traversé la France après mai 68. Celui-ci remettait en cause un modèle centralisé qui niait les différences et les minorités. Grâce à Robert Lafont nous avons pu découvrir notamment toutes les richesses et les trésors de la littérature d'Oc. Sa Nouvelle histoire de la littérature occitane, écrite avec Christian Anatole, éditée par les Presses Universitaires de France, a été pour moi un livre déterminant pour entrer dans une création littéraire initiée par les troubadours et qui se poursuit toujours magistralement. Des chroniques précédentes de ce blog sont là pour le vérifier.

Robert Lafont a été un grand universitaire qui a formé de nombreux chercheurs et enseignants. Ces derniers ont commencé un travail pour apprécier l'importance de tous ses travaux. Robert Lafont était aussi un poète et c'est sous cet angle qu'il m'est plus facile de l'évoquer. Par deux fois, j'ai eu l'occasion de l'accueillir dans le cadre des rendez-vous occitans que j'animais l'été à Lodève pour le festival des Voix de la Méditerranée. Un grand moment à chaque fois et beaucoup d'émotion lors de sa venue en 2008, où il était déjà affaibli par la maladie.
Les poètes qu'il a encouragés à leurs débuts : Serge Bec dans les années cinquante, plus tard Joan-Luc Sauvaigo ou Jean-Paul Creissac, m'ont apporté le témoignage du rôle actif que peut jouer un aîné lorsqu'il est à l'écoute de la jeune poésie. Sans cette attention, à la fois exigeante et bienveillante, la poésie occitane n'aurait pu prendre ces chemins novateurs.


*

C'est à Marseille également que j'avais pu voir et écouter l'éditeur Robert Laffont. C'était au début des années quatre-vingt. Cela se passait à l'hôpital de la Timone qui invitait des personnalités, qui y avaient été soignées, à venir raconter leur itinéraire. Robert Laffont y était arrivé en enfant du pays puisqu'il était né à Marseille le 30 novembre 1916, y avait passé sa jeunesse et fondé en 1941 ses éditions avant de les transférer à Paris en 1945. C'est à l'hôpital américain de Neuilly qu'il est mort le 19 mai 2010.
Les débuts d'un éditeur sont toujours importants et Robert Laffont nous avait rappelé qu'il avait commencé par la poésie avec la collection "Sous le signe d'Arion". Arion, c'est ce poète grec qui fut sauvé par un dauphin et que l'on peut considérer comme un nouvel Orphée. Cette collection accueillera des poètes de l'Ecole de Rochefort, souvent présentés dans ce blog. La poésie restera toujours associée aux grandes aventures humaines.

On retrouvera dans son livre Une si longue quête paru en 2005, les propos tenus par Robert Laffont quelques vingt années auparavant. Son parcours est désormais entré dans l'Histoire. Ce qui me touche, c'est que dans presque toutes les familles de France, on pouvait dans les années soixante-dix, reconnaître les livres qu'il avait édités. Que ce soit dans la littérature, la psychologie, la santé, le témoignage, les éditions Robert Laffont participaient de ce changement qui modifiait en profondeur nos modes de vie. Et si l'éditeur était celui d'une société de consommation de masse, je n'ai pas le sentiment qu'il ait offert à ses lecteurs des livres qui ne les respectaient pas.

Je revois sur les rayons de la bibliothèque de mon grand-père ou de mes parents, des ouvrages signés Bernard Clavel, Martin Gray, Maurice Mességué, Carl Rogers ou encore Jean-Pierre Chabrol et Claude Marti. Et j'y associe un peu de nostalgie...


Compléments :






- Robert Laffont, une histoire marseillaise par Jean Contrucci


- Robert Laffont s'entretient avec Pierre Assouline