Jòrgi Reboul, le libérateur ...
"Fier parmi les fiers" dira de lui son "frère" Charles Camproux… "Sois fier… on t’aime debout" m’écrira-t-il à la publication de mon premier recueil de poèmes dans les années 60 … Et de là naquit une amitié ininterrompue dont il me reste aujourd’hui des centaines de lettres… de souvenirs, des « brassées de chère » qui me tiennent chaud l’hiver.
L’amitié de Jòrgi, très affective, très virile, très exigeante m’est très chère… sa poésie aussi. J'ai de son écriture droite (souvent à l'encre rouge) les copies des poèmes anciens qu'il retravaillait sans cesse et l'original de ceux qu'il écrivait patiemment depuis notre rencontre. J'ai aussi aussi bien entendu toutes les versions des Proses géographiques que nous devions rassembler et traduire pour l'éditeur Vent Terral d'Albi.
J'aurai toujours une tendre reconnaissance pour Sully-André Peyre qui l'accueillit dans Marsyas et publia deux grands recueils : Senso Relambi (Sans répit) en 1932 et Terraire nòu (Terroir nouveau) en 1937 ... le cœur battant de la poésie de Jòrgi. Ma famille occitaniste (Camproux excepté) ne prit en compte cette poésie que fort tard en 1965 avec une chausida (anthologie) publiée dans la collection Messatges de l'I.E.O avec une préface d'Andrée-Paule Lafont ... Il était temps ...
C'est que Reboul était Marseillais, viscéralement, Marseillais de la rue, dans une provençalité venue du peuple, la même que celle de Gelu, d'Antoine Conio, d'Auguste Marin et de Camproux lui-même ... autant de créateurs incapables de se laisser enfermer dans une institution normative et des formules littéraires ; incapables de suivre "la ligne" d'un parti ... L'anarcho-fédéralisme de l'Araire et d'Occitania (avant-guerre) avait tout pour le séduire ... c'était finalement une affaire de famille où il trouvait à s'exprimer librement, en libre provençal. Plus près de lui, géographiquement, le Félibrige "sentinelle endormie de la Provence" le déçut très tôt ... et très tôt il ressentit l'urgence de s'engager ailleurs, sur place, littérairement et dans l'action régionaliste, en fourbissant ses propres armes.
L'intellectuel prolétaire, l'infatigable chroniqueur, l'orateur chaleureux devint en Provence maritime la voix des plus jeunes ... C'est avec les jeunes qu'il fonda en 1925 Lou Calen (La lampe du veilleur) qui se définit comme un foyer d'éducation populaire. Lou Calen forma des générations au théâtre provençal, à la pédagogie de la langue, à la littérature, à la danse ... au folklore vivant ...
Jòrgi s'engagea aussi dans l'aventure des Auberges de Jeunesse avec le même "afogament" la même flamme ... et ses choix sociaux-culturels accompagneront toujours ses choix poétiques. Parler de l'homme c'est encore parler du poète. "La poésie c'est la vie ..." dit-il sans cesse. Reboul délivrera, sans en dévier, un message libérateur "Tous les hommes ont droit au bonheur ..." une injonction à vivre en homme libre en dialogue avec la multitude, avec sa terre, avec la femme aimée, avec les amis qui viennent à lui et qu'il accueille à cœur ouvert. Son regard est de l'instant mais il porte loin, au delà de lui-même, au delà de la poésie, en recherche sereine de respiration universelle.
Toda vida es la via
que cavilha
la ròda que vira
pèr lo movement
d’un etèrne
que bolego
tant de plegas
e d’encadenaments
[Toute vie est la voie / où s'appuie / la roue qui tourne / pour le mouvement / d'une éternité / qui entraîne / tant de travaux / et d'enchaînements. ]
Le beau poème de l'Homme à la martelière souvent cité résume son art de vivre ... et d'écrire.
L’OME DE LA MARTELIERA
Jovènt davala vèrs la baissa
en cèrca de chabènça
L’uscle dau jorn corona ta cara
per un que va t’esperant
La tèsta aclina
au bruch que fa la saba
a si desenruscar
un òme es aqui en un ròde afiscant
D’un autre latz un jovènt autre
puei d’aquesta sombror
e puei dei quatre vents qu’oblidaviam
pereu d’àutrei se’n venon
L’òme es aqui amb lo còr dei causas
e pastant lei sasons
leis annadas e lei sègles benlèu
tèn la man d’un corrènt
que fa prensa la tèrra
Lei dralha’ an restontit
dei peadas dei pelegres
Para teis ussas ais avalancas
d’aquélei que ti venon tustar
rescaça sei rais prims
dins teis uelhs negre’ e fons
OME dona ai sèt barrutlaires
lo secret de ton plan
ont es marcada l’aiga e mai ont fau que vaga
Ensenha tu coma despintas
la semblança dau mond
la flor d’aquest mond
mai bèla que lo mond
e qu’istarà soleta en vertat
Alòr aigadier solitari
d’un còp de marteliera
alanda en plen l’aiga de vida
E lo jovènt t’ajudarà
per feneiratge e per reviure
per engranjar quand sarà lèst
e puei qu’es de gavòts ti crosant per còp d’astre
entre que tornaràn devèrs sei jaças
de crestenc en crestenc
rediràn ton pretzfach
e lei prats qu’avián set
e lei prats qu’an begut
L’HOMME A LA MARTELIÈRE
Jeune toi qui descends dans la plaine
pour apprendre science nouvelle
le jour colore ton visage
à ce signe te reconnaîtra celui qui t’attend
L’oreille attentive
au bruit que fait la sève
en soulevant l’écorce
un homme s’affaire à son travail
Mais par un autre chemin s’avance un compagnon
il émerge de l’ombre douce
et d’autres venus des quatre vents dispersés
s’approchent aussi
Un homme au centre de la création
pèse sur les saisons
les années et même les siècles
dans sa main il tient la source
qui doit féconder la terre
Les sentiers bruissent
sous les pas des voyageurs
Mets la main au-dessus de tes yeux quand s’avanceront
ceux qui viennent te questionner
reçois leurs jeunes rayons de lumière
dans tes yeux sombres et profonds
Homme donne à tous ces errants
le secret de ton œuvre
ce que signifie l’eau et quel est son destin
Donne-leur tel que tu le connais
le sens symbolique du monde
l’essence même de ce monde
l’essence plus belle que lui
et tout ce qui existe
Puis toi seigneur des eaux ô solitaire
d’un coup de martelière
rends la liberté à l’eau qui est la vie
Les jeunes t’aideront
Ils faneront le foin et le regain
engrangeront au bon moment
et puisque ce sont des montagnards que la chance a
conduit vers toi
lorsque chacun rentrera chez soi
de cime en cime
ils publieront ce que tu fis
et comment les terres avaient soif
et comment elles furent désaltérées
Tel est Jòrgi Reboul, passeur de vie ... assurément un grand poète.
Jean-Marie Petit
Compléments :
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