samedi 4 juin 2011

Lire et relire Gaston Bachelard - III

Après Michel Capmal, c'est au tour de Marly Bulcão de nous proposer sa lecture de Gaston Bachelard. Si le précédent lecteur était poète, la lectrice d'aujourd'hui est philosophe. Elle est de plus une spécialiste de la pensée de Gaston Bachelard à qui elle a consacré plusieurs livres dans son pays qui est le Brésil. Il lui a permis une approche distanciée de la culture française et c'est ce qui donne toute son originalité à ses travaux. Grâce à la belle collection 'Ouverture philosophique' que dirige Bruno Péquignot à L'Harmattan, nous pouvons accéder à quelques uns d'entre eux en langue française, en particulier à ceux qui concernent la poétique de Gaston Bachelard. Voici de larges extraits de la préface écrite par François Dagognet pour les présenter.

Grâce à Marly Bulcão, philosophe brésilienne, l’œuvre de G. Bachelard a pu traverser l’océan et trouver au Brésil une terre d’accueil. Il nous semble que Bachelard le méritait bien, car sa philosophie effervescente s’accorde avec la vitalité brésilienne.

Les lecteurs pourraient cependant s’interroger : pourquoi un nouveau livre sur Bachelard ? N’a-t-il pas été exploré selon tous ses axes ?
Mais, nous nous proposons justement de montrer que Marly Bulcão a su renouveler le Bachelardisme, à tel point que, désormais, les futurs interprètes du philosophe ne pourront pas ignorer ce qui a été analysé et interprété.
Nous avancerons trois arguments qui devraient montrer la richesse de l’analyse ici proposée.
Première marque d’originalité : Marly Bulcão a précisé en quoi consiste l’image dans l’œuvre de G. Bachelard – Elle insistera, comme il se doit, sur l’écart entre une imagination matérielle et une imagination formelle, et surtout M. Bulcão nous montre comment et pourquoi le philosophe se détourne de la psychanalyse. Mais alors pourquoi avoir intitulé l’un de ses premiers livres La Psychanalyse du Feu. Bulcão ne s’en étonne pas, elle suit de très près l’évolution de la philosophie bachelardienne, avec ses pistes qui se succèdent ou s’entrecroisent (une présentation réticulée).
Quand la plupart des interprètes de Bachelard se situent avant le dernier texte du philosophe, Marly Bulcão s’y réfère et réussit à imposer la nouveauté de l’image « mythique » ; Bachelard s’est inspiré de Prométhée (la désobéissance) et d’Empédocle (l’anéantissement), - tous deux suscitent un complexe archaïque fécond qui libère le rêve véritable et nous engage dans une dialectique inerte.
L’autre dernier livre La flamme d’une chandelle s’est chargé d’un autre domaine, celui de la solitude et de la familiarité.
Nous voyons comment Bachelard a suivi un itinéraire sinueux ; il n’hésite pas à modifier sa marche ou sa méthode pour atteindre l’image terminale, celle que la mythologie grecque nous a léguée, celle qui nous a délivré de la reproduction ou de la simple psychologie.
Deuxième indice d’originalité : le texte qui suit devait nous expliquer les ressources et le dynamisme de « l’imagination matérielle » un terme étrange qui s’oppose à celle de « l’imagination formelle », celle qui s’arrête aux lignes et ne descend pas jusqu’à la primitivité.
Dans son Lautréamont, Bachelard table sur les actes explosifs, une sourde animalité parce qu’elle nous éloigne du visuel (l’ocularité, elle-aussi, prisonnière de la réalité sensible).
Mais Marly Bulcão va plus loin : d’abord elle nous montre comment le lautréamontisme bachelardien (à la manière du non-euclidisme de la géométrie) le conduit au non-lautréamontisme.
Elle ne recule devant aucunes difficultés, alors que bien des interprètes ne s’y arrêtent pas. Bachelard qui a récusé la causalité formelle traite des joies qu’on lui doit . Mais ce mot de formel, ici, signifie qu’on sera sensible à l’énergétique et à la violence – Seront louées les métamorphoses qui renouvellent justement la matérialité. Ainsi le philosophe n’hésite pas à prendre en compte les moindres expressions afin de les éclairer.
Tout ce qui relève de ce “ Général” nous égare. Il faut partout accepter les ruptures aussi bien celles de la poétique que celles de l’épistémologie.
Au passage, on sera sensible à l’analyse de Marly Bulcão de la “causalité formelle”. Ce dernier mot caractérise ce qui dépasse l’expérience, mais aussi tout dépassement du donné. Il convient à la fois de quitter le monde mais aussi retrouver la Matérialité profonde.
Les interprètes ne s’arrêtent pas toujours à ces explications qui éclairent le texte et ses innovations.
Troisième marque de l’originalité. Les philosophes sont bien embarrassés par un Bachelard double – à la fois théoricien de la science en mouvement mais aussi d’une œuvre poétique. Alors, faute mieux, les uns insistent sur l’unité, les autres sur la dualité, - deux réponses qui ne conviennent pas. L’unité uniformise pour définition, la dualité agrandit dangereusement ...
... Marly Bulcão s’est bien gardée d’aborder cette question – impasse, tout au plus ; lisons plutôt, ça et là, ce qui pourrait nous sauver avec originalité de cette aporie.
Bulcão accepte les deux. Pas de sectarisme ! Au contraire, elle reconnait la démarche sinueuse du philosophe qui peut passer de l’un à l’autre de ces deux pôles ; l’un peut à la fois se fondre avec l’autre et aussi s’en écarter. Nous nous demandons si le mot, utilisé ailleurs, de « pluralisme cohérent » ne conviendrait pas encore d’une possible jonction qui n’abolirait pas les différences ; elle les reconnaîtrait.
La richesse d’une philosophie veut qu’elle ne s’enferme pas dans une unité qui écrase ni n’accepte l’ éclatement qui le disperse. Ici, on a su retrouver ce qui rapproche et ce qui s’oppose.

Au total, il est clair que le livre sur Bachelard n’a pas repris la scolastique bachelardienne si alerte soit-elle, il a donné une nouvelle jeunesse à cette philosophie, et comme si le bachelardisme connu acceptait aussi – en vue de son rayonnement – quelques traces de non-bachelardisme. Ce livre de Marly Bulcão a donc travaillé, à sa manière, à l’extension des études sur Bachelard.


François Dagognet





Compléments :

- le livre sur le site de L'Harmattan

- Marly Bulcão sur Wikipédia


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