samedi 22 octobre 2011

Yves Olry & les éditions Color Gang

Nous poursuivons avec cette chronique notre présentation de l'univers de la poésie et de l'écriture. Aujourd'hui nous donnons la parole à un éditeur à qui Enan Burgos, déjà accueilli dans ce blog, a posé quelques questions épineuses...


Salah Stétié, Enan Burgos et Yves Olry au festival Voix Vives de Sète en juillet 2011

CINQ QUESTIONS ÉPINEUSES POUR YVES OLRY

1 - Vos livres édités, par le choix des formats inusuels, le travail graphique souvent très, très noir, leurs paginations à contre-sens, l’impertinence des textes choisis, leurs titres dithyrambiques et ceux des collections qui les accueillent, témoignent d’une quête de rébellion contre la tyrannie du « beau », des rituels trop souvent gluants et ankylosants liés au monde de l’art et de l’édition ? Suite à ce portrait, la question que s’impose est la suivante : êtes-vous un éditeur révolutionnaire ?

« Un pays qui prend Bernard Tapie pour un entrepreneur, Bernard-Henri Lévy pour un philosophe, Jacques Attali pour un penseur, Claire Chazal pour une journaliste, Alain Minc pour un économiste, etc. ne peut s’étonner d’avoir Nicolas Sarkozy comme président de la République » (Philippe Meyer sur France Culture - septembre 2011). Dans ce pays d’opérette j’apparais quelquefois comme un éditeur révolutionnaire, j’entends souvent aussi « résistant ». / les résistants que j’admire sont morts ou en prison … / moi je n’habite pas dans ce pays là / j’habite ailleurs / dans mon pays les vrais héros n’ont pas vu la fin de la guerre… / je fais juste mon travail / celui d’éditeur / comme j’imagine qu’il doit se faire / sans plus / juste le mieux possible / avec les moyens dont je dispose / c’est tout / pas révolutionnaire / pas résistant / peut-être simplement libre…

2 - Il a circulé récemment par Internet une vidéo étonnante en espagnol, entre parenthèse, c’est vous-même qui me l’avait envoyée. Dans cette vidéo l’auteur avec ironie et humour détourne le code publicitaire utilisé par les promoteurs du livre électronique en faveur du bon vieux livre imprimé sur papier… J’ai comme l’impression que vous, en tant qu’éditeur, vous adhérez au parfum de nostalgie qui se dégage de cette vidéo ?

J’aime comprendre… / la typographie je comprends très bien comment ça marche / j’ai appris le métier pendant quatre ans avec un maître d’apprentissage / j’aime également l’informatique / j’ai possédé tous les modèles de Mac depuis leur mise sur le marché / j’adore me servir d’internet et je ne peux pas passer quatre jours sans consulter ma messagerie / mais j’utilise cet outil comme un singe : je tape sur la touche jaune et j’obtiens une banane / je tape pomme P et ça imprime / je sais m’en servir / mais je ne comprends pas comment ça marche / régulièrement je remplace mes machines par d’autres machines plus performantes / régulièrement je remplace mes imprimantes par d’autres imprimantes parce que la connectique a changé / régulièrement je suis obligé de remettre à jour mes logiciels / l’informatique représente pour moi un asservissement aux fournisseurs de matériel, aux fournisseurs d’accès, aux fournisseurs d’énergie et aux marchands d’encre (on dit que le prix d’un litre d’encre pour imprimante se situe entre 800 et 2500 €) / les contraintes sont les mêmes pour le livre numérique, liseuse et autre tablette / j’habite un monde où il y a trop de tout (y compris trop de livres) / trop de gaspillage / l’expression développement durable a sans aucun doute été inventée par une agence de communication / le recyclage est une foutaise qui ne fait que favoriser la rotation toujours plus effrénée des produits de consommation / je remplace mes ordinateurs tous les deux ans alors que la plus jeune de mes presses typo a 45 ans / elle tourne comme une montre et ne nécessite aucune mise à jour / juste de la graisse de temps en temps / la typographie est un procédé lent / artisanal et peu onéreux / prix du papier + temps / et c’est tout / mon ordinateur contient environ 2 000 polices de caractères et je sais que ma vie s’arrêtera bien avant que je les découvre toutes… / c’est déprimant… / en typo je possède peu de polices / peu de matériel / j’aime les contraintes de cette économie de moyens / ça pousse à l’invention / alors si je suis nostalgique c’est avant tout de cette indépendance là / et des livres bien fait… /.



3 - Cette troisième question va à la rencontre du médiateur culturel que vous êtes, puisque au passage, il s’avère important de signaler que vous avez plusieurs cordes à votre arc : peintre, graveur, sculpteur, création graphique, scénographe, Maître Compagnon dans l’art de la composition typographique et des techniques de l’impression. Vous travaillez également pour le secteur culturel institutionnel, puisque vous êtes responsable de la mission culture de la Ville de Grigny dans la Région Rhône-Alpes près de Lyon. Vous y menez une politique culturelle avec panache, dont un des soucis primordiaux est de démocratiser la culture. Après cette longue introduction, j’essayerai d’être bref : le monde tourne aujourd’hui d’une telle façon que même la culture n’échappe pas aux assauts pervers de la mondialisation, le citoyen est devenu un consommateur, l’art et la culture un produit de consommation. « Le client est roi », dit-on. Devant une telle débâcle, la vieille idée de révolution culturelle vous semble-t-elle d’actualité ? Et si oui comment vous y prenez-vous dans votre rôle de médiateur pour y parvenir ?

Plasticien depuis toujours l’occasion m’a été donnée d'occuper un poste de DAC / de passer de l’autre côté en quelque sorte / le côté du « pouvoir » / de simple artiste j'étais promu au rang de « décideur » / c’était aussi l’occasion de découvrir un autre monde / celui de la mairie et de son fonctionnement compliqué / et puis ensuite les tentatives de faire se rencontrer les deux mondes / celui de l’artistique que je connaissais bien et celui de la mairie que je découvrais petit à petit / grâce à la volonté politique et le soutien de l’équipe municipale en place, de nombreuses opérations ont été menées : symposium de sculpture, concerts de quartier, ateliers du livre, installation d’artistes sur une ancienne friche industrielle, expositions etc / je suis persuadé qu’avec une réelle volonté politique, l’action reste possible / les problèmes apparaîtront avec la mise en œuvre des réformes territoriales / la culture restera-t-elle compétence communale ? / j’en doute / dans les services communication on retrouve des professionnels de la com / alors qu’autrefois on pouvait y croiser des artistes / la technocratie n’épargnera pas le domaine culturel / en attendant la débâcle, comme vous dites, je fais ce qui reste encore possible de faire.

4 - Venons à votre maison d’éditons COLOR GANG, parlons de ses collections. Cinq en total : Chantier, Exercices, Luminaires, têtards, Urgences. Sont-elles reliées par un fils conducteur où chacune suit-elle son chemin propre ?

La collection URGENCES regroupe des textes dont la ligne éditoriale pourrait être d'engager le débat public (Jean-Yves Picq, Perrine Griselin, Claire Rengade, Patrick Dubost, Sébastien Joanniez… ) 
La collection EXERCICES regroupe des textes de pratique théâtrale à destination des établissements scolaires, des conservatoires… Petites Pièces à géométrie variable contient des extraits des pièces de Jean-Yves Picq ainsi qu'un texte intégral : Donc. Dans ces pièces le texte n'est pas toujours associé à des rôles précis. Leur géométrie est variable car ils peuvent être joués à 2, à 3 comme à 15… Petites Pièces à pupitre contient de courts textes à pratiquer de Jean-Yves Picq. Les deux titres de Sylvain Renard Allô et Haut Débit destinées aux adolescents font également partie de cette collection. Allô est recensée dans un manuel scolaire (français, livre unique, 4ème, éditions Nathan).La collection LUMINAIRES rassemble les textes poétiques (Samira Negrouche, Enan Burgos, Michel Thion, Brigitte Baumié, Pierre Soletti…), TETARDS les textes jeune public et enfin CHANTIER tout le reste, l’inclassable… Au regard de ces critères les textes d'un même auteur peuvent se retrouver dans l'une ou dans l'autre collection / on peut dire qu'elles fonctionnent comme des tiroirs / un système de classement.

5 - Votre maison d’édition COLOR GANG, depuis ses aurores, a été connue par son esprit de découverte, son engagement vis-à vis des auteurs jeunes ou peu connus du grand public, éloignés de chapelles et de tendances à la mode… Depuis, certains sont devenus célèbres sur la scène poétique en France, je pense en particulier à Patrick Dubost. J’ai pu constater également, la récente publication dans la collection "Luminaires", d’un poème du poète franco-libanais Salah Stétié : Eros gramophone, une des voix vives les plus connues du paysage hexagonal et international de la poésie… Une question me taraude, la présence d’un tel nom dans votre catalogue est-elle le signe d’une nouvelle ère qui s’ouvre pour COLOR GANG, ou bien le symptôme d’un certain assagissement ?

La fabrication d’Eros Gramophone m’a été proposée par Enan Burgos qui avait envisagé avec Salah Stétié la publication du texte accompagné de ses peintures originales / j’en ai tout simplement assuré l’édition et la réalisation en typographie / Color Gang se promène, fait des rencontres en chemin… / au hasard de ces rencontres un nouveau nom vient s'inscrire au catalogue / mais ça reste rare / avec une dizaine de textes de Jean-Yves Picq, six de Claire Rengade, un septième en cours de Perrine Griselin, cinq de Patrick Dubost, trois de Sylvain Renard, trois de Michel Thion etc, je pense accompagner avec fidélité quelques auteurs que j'aime bien / j'ai l'impression que la route de Color Gang reste droite / tout le reste n'a pas grande importance…


Compléments :

- le site personnel d'Yves Olry

- le site des éditions Color Gang


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