vendredi 24 décembre 2010

Les Noëls de Charles Thomas

De 1953 à 2002, le poète Charles Thomas a écrit chaque année un poème de Noël. Voici présenté aujourd'hui celui qu'il a écrit le 24 décembre 1964 et qui a été publié dans son recueil Couleurs du silence paru en 1983 dans la collection "Les poètes de Laudes" dirigée par Jean Vuaillat. Par la suite la plupart de ses poèmes seront regroupés dans le recueil Noël de mes années et édités par les éditions Traces de Michel-Français Lavaur qui avait déjà publié de Charles Thomas L'arbre gardien et Au fur et à mesure. Présenter ce poème est pour moi une occasion de rendre hommage à celui qui m'a encouragé à mes débuts et qui a participé à la création des Cahiers de Garlaban. Originaire du pays nantais, Charles Thomas avait fréquenté les poètes liés à René Guy Cadou et à l'Ecole de Rochefort, avait été proche aussi d'Hélène Cadou et c'est par lui, à la suite de son installation à Marseille, que cette poésie de l'Ouest avait été mieux connue sur nos terres du sud. Charles Thomas était né en 1915, il est mort le 31 décembre 2008. Si la poésie a toujours nourri son existence, c'est sa vie sacerdotale qui l'a guidé en premier lieu. Elle l'a même conduit jusqu'à l'Angelicum, l'université des Pères Dominicains à Rome, où il a préparé son doctorat de théologie de novembre 1947 à juin 1949, avec pour condisciple, le futur Jean-Paul II.

NOËL 64

Quand les forêts violettes de l'Avent
font le même silence que deux mains jointes
les voix apportées par le vent
sont toutes des voix de prophètes.

O le ventre sacré de la Femme parfaite
mûrissant le Pain éternel !

Emmenés par l'étrange étoile
sur des chemins peu fréquentés
voici que nous allons vers un pays
où la table de Dieu est la table des pauvres.

Si par les rouges terres de l'Esprit
tu crois que l'heure vient encore.
mon enfant, mon ami,
crie de toutes tes forces :
Noël ! Noël !
pour qu'à la mitan de la Nuit
naisse la plus belle aurore.

Charles Thomas

samedi 18 décembre 2010

Amitié à René Ferriot

Pour se faire une idée véritable de la poésie, il ne faut pas s'en tenir à ceux qui occupent dans le présent le devant de la scène, qui sont à l'affiche des festivals et des différents événements organisés dans le moment. Si ceux-ci ont leur importance et permettent un contact avec la poésie en train de s'écrire, ils ne doivent pas faire oublier tous ceux qui préfèrent se tenir à l'écart ou n'ont plus l'envie et l'énergie de participer à ce genre de rencontres. Pour se faire une idée véritable de la poésie, il est aussi nécessaire de suivre des chemins de traverse, de se laisser guider par la vie et les rencontres inédites qu'elle nous offre. J'ai eu, il y a peu, le plaisir de faire la connaissance de René Ferriot et de découvrir un poète dont le parcours mérite toute notre attention.
Né en 1920, René Ferriot a commencé à publier ses poèmes dans les années quarante, à Lyon, dans la revue Confluences dirigée par René Tavernier, père de Bertrand, le cinéaste. Plus tard ce fut Pierre Seghers qui lui donna l'occasion de s'exprimer dans sa collection Poésie 54. En 1976, il a soutenu en Sorbonne une thèse de Doctorat consacrée à Rilke et Mallarmé. Celle-ci était dirigée par Charles Dédéyan, éminent Professeur de littérature comparée, dont le frère Christian fut publié sous la bannière de l'École de Rochefort. L'itinéraire de René Ferriot embrasse plusieurs disciplines. De la philosophie, il est passé à l'allemand, puis aux Lettres, ce qui l'amena à enseigner la Littérature comparée dans plusieurs universités, dont celle de Dakar, où Léopold Sédar Senghor, qui avait apprécié sa thèse et sa poésie, l'avait appelé.
Raffinée et dépourvue d'emphase, intime et retenue, son expression a suscité des commentaires approbateurs parmi lesquels ceux de Max-Pol Fouchet et de Gaston Bachelard à qui nous avons rendu hommage dans notre dernière chronique.
De son recueil Désertiques paru en 1967, Max-Pol Fouchet dira : "Ce qui m'a frappé, d'abord, c'est un sentiment du gouffre, pour reprendre une expression de Baudelaire, qui trouve son symbole et son image dans le désert, certes, mais plus encore, à mes yeux, dans le sentiment des passages du 'sillage' laissé par les êtres, un tragique que j'entends dans des vers comme ceux-ci : "La courbe s'efface/Le moule s'effrite/la poussière aveugle le temps inerte/l'absence raye le cristal de l'été" ou mieux encore ici : "J'attends la chute des branches/J'écoute l'écho des paroles perdues". Votre lecteur, en vous suivant, s'il passe par l'absence et le silence, accueille comme vous le silence, voire la mort, comme des certitudes de vie, de palingénésie, de résurrection."
Quant à Gaston Bachelard, il répondit par ces lignes, après avoir reçu en 1961, La flamme et le givre : "J'ai lu vos poèmes avec un grand repos d'âme. Venant de nouveau des demeures agitées, j'avais besoin de la page d'un poète. Depuis deux jours, je quitte mes devoirs d'épistolier pour infuser doucement dans votre beau livre, La Flamme et le givre. Les poèmes mettent le souffle dans la paix des syllabes. Oui, vous m'avez été un bienfait."
Terminons avec ce poème qui complète les commentaires précédents, où René Ferriot nous indique l'orientation qu'il a donnée à sa poésie.

ART POETIQUE

Trouver le mot qui file son filet
Et vous embrouille comme une araignée de soie,
Ou bien le mot grappin, le mot qui croche
Au fond des racines chevelues.

Trouver la modulation, l’accord
Profond des aigus et des graves
Dans la vibration
De l’instant.

Trouver la main, la femme.
Trouver le rayon, le miel, l’audace,
Et puis l’épaisseur chaude des foins coupés.

Trouver la flèche de feu,
Morsure du matin sur la peau de l’œil
Purifié.

Trouver la syllabe, la noire
Qui ne sait plus ce qu’elle dit
Mais qui vous frappe
Au centre de l’astre
Retrouvé.

La caroube saigne inutile
Sève, saveur perdue.
Allons, arrêtez vos pianos mécaniques,
Messieurs, et vos mandolines,
LA POESIE DEMANDE QU’ON DISE
CE QUI NE PEUT SE DIRE AUTREMENT ?
La plaine des montagnes,
Et le sang des mains qui se lèvent.

Le recueillement de l’orage
A pas glacé les hameaux perdus
D’une buée d’haleine fraîche,
Les galets des torrents nus.

Ecaillez les schistes verdâtres,
Le gîte de l’amour se cache
Au ruissellement des jours d’orage.

René FERRIOT

samedi 11 décembre 2010

Lire ou relire Gaston Bachelard - II

En écho à ma chronique du 10 juillet dernier, Michel Capmal que j'ai présenté il y a peu au travers de son dernier livre Nous avons perdu les hautes terres..., m'a adressé le texte qui suit, que je suis heureux de publier dans ce blog.

QUELQUES NOTES SUR BACHELARD

Relisant La psychanalyse du feu, je me retrouve sur la même longueur d’onde que Jean-Luc Pouliquen. En effet, qui a découvert Bachelard dans sa jeunesse, ne peut que retourner vers ce fleuve et ses alluvions ; vers cette pensée créatrice. Sans lui, sans elle, l’épistémologie, la critique littéraire, la psychanalyse seraient restées clôturées, desséchées, propriétés de spécialistes au service d’une idéologie scientiste. Autrement dit, d’une pensée, séparée, coupée, mutilée. Peut-être est-ce un peu « exagéré » et pourtant… Il serait intéressant, je crois, de faire une mise en relation avec certaines intuitions de Nietzsche, notamment dans Le Gai Savoir, le livre de la « guérison » et de la joie. « Telle est réellement la « santé », pouvoir être en même temps poète et homme de science, exercer une science ni rébarbative, ni arrogante, ni même seulement sérieuse. » (Giorgio Colli) Rencontrer Bachelard, ou disons : « tomber sur » un livre de Bachelard, c’est se reconnecter avec son cosmos intérieur lequel n’a que peu à voir avec une intériorité névrotique mais est un fondement vivant et agissant qui nous relie directement avec l’inexprimable et incommensurable mouvement cosmique. Aussi bien chaos qu’univers, ou multivers. Le Dehors et le Dedans cessent dès lors d’être perçus contradictoirement. Feu, eau, terre, air. Il s’agit là de nous-mêmes puisque nous sommes aussi et surtout cela. De même que, par exemple, de l’apollinien et du dionysiaque. C’est « l’humain » réconcilié avec le« non-humain », ses fondations, sa matrice. Aujourd’hui, en notre époque présente, Bachelard me paraît être, parmi les auteurs majeurs du XX° siècle, l’un de ceux qui auront le mieux et le plus durablement contribué à l’enrichissement et au renouvellement de la pensée humaniste. L’homme dans sa globalité, et non pas limité à sa condition sociale, toujours réductrice, mais en tant qu’être sensible et vivant destiné à développer harmonieusement ses potentialités. « La conquête du superflu donne une excitation plus grande que la conquête du nécessaire. L’homme est une création du désir, non pas une création du besoin. » Il y a dans son œuvre une critique de l’utilitarisme et du rationalisme borné et prédateur sur laquelle il est plus que jamais nécessaire de revenir. Lire ou relire Bachelard c’est savourer la langue française animée par la pensée de l’imagination créatrice, rigoureuse et magique, porteuse d’une vraie et admirable culture en quête de l’unité profonde et véritable de l’humain. C’est passer une soirée silencieuse et méditative devant la flamme d’une chandelle et tout près d’un feu de cheminée avec un ami, un vieux sage (j’allais dire un vieux druide) qui, parlant de choses et d’autres avec une si féconde et chaleureuse simplicité, vous remet peu à peu sur le chemin nourricier. Ce chemin parcouru dans l’enfance et qu’on croyait perdu ou oublié, et qui pourtant se tient là, à deux pas de nous-mêmes.

Michel Capmal

Compléments :

- Même si ce blog est essentiellement tourné vers la poésie et la création artistique, je profite de l'occasion pour signaler l'excellent livre de Teresa Castelão, Gaston Bachelard et les études critiques de la science dont la clarté et le sens pédagogique permettront de mesurer le rôle joué par le philosophe dans la compréhension du phénomène scientifique contemporain.

samedi 4 décembre 2010

Le n° 5 de la revue Incognita

Si j'ai déjà parlé en début d'année de Luc Vidal, je n'avais pas encore eu l'occasion d'écrire sur sa revue Incognita dédiée à l'activité créatrice contemporaine. En résistance aux démons de notre époque, avec patience, obstination, et en complément de son activité d'éditeur, Luc Vidal affirme à travers cette publication un courant de l'expression d'aujourd'hui fondé sur la liberté, l'exigence et l'indépendance de l'esprit. Celle-ci s'inscrit dans une Histoire et se veut un prolongement actuel d'expériences plus anciennes où l'amitié, la générosité et l'ouverture étaient au rendez-vous. Je pense en particulier à ce qui s'est passé autour de L'École de Rochefort. Pour présenter ce dernier numéro d'Incognita qui vient de paraître et dont Roger Wallet est la tête d'affiche, j'en reproduis l'éditorial écrit par Luc Vidal lui-même.




« Si je vivais, je n’écrirais pas. » – JEAN SULIVAN

C’est par la chanson que la littérature est venue frapper à la porte de Roger Wallet. Son goût des autres et de l’humble posture face au monde est l’évidence même. Cette chanson française a fertilisé ses livres et même inspiré l’un des titres de son oeuvre : 33 Tours. Elle est la sauvegarde de tout. Regardez le film La Chanson de Saint-Max réalisé par Alain et Michel Le Thomas d’après les textes (1) de l’auteur et vous vous approcherez d’une certaine vérité. Une rencontre souhaitée avec son père qui n’a pas eu lieu est source d’une grande mélancolie dans l’écriture (et la vie) de Roger. Les paysages de Picardie semblent raconter un peu ses états d’âme. Cette chanson, pour lui est un art majeur qui rejoint aussi son amour pour l’art de la marionnette. L’écriture et le style de ses romans et nouvelles conjuguent rigueur et vigueur d’évocation. C’est l’art de l’ellipse et du court métrage que l’auteur sert avec bonheur. Au fond, ce qui préoccupe Roger c’est la recherche permanente de ce qui fabrique l’âme d’un peuple et d’une langue.
C’est pourquoi cet Incognita n°5 dresse le portrait d’un écrivain qui à chacun de ses pas et chacune de ses phrases sait engranger des réserves de joies et de printemps. Au fil de l’ouvrage Philippe Lacoche dit le Wallet multiple. Jean-Louis Rambour raconte sa poésie pleine de chair et ses talents d’observateur des balades littéraires. Philippe Crognier évoque son cœur comme celui d’un tambour. Ève Leleu-Galland fait son portrait d’automne. Jean-Pierre Cannet saisit l’homme de la fiction et des paysages. Dominique Cornet cite le pédagogue. Et l’auteur lui-même confirme ce goût des autres en présentant douze portraits d’écrivains picards qui sont bien sûr d’ici et d’ailleurs.
Pour les autres volets de cette revue, Guillaume Dando plonge dans l’esthétique de Paul Verlaine. Alain Besson lève sa phrase au camarade Lénine pour constater la tragédie communiste. Jean-Luc Pouliquen questionne Bruno Péquignot sur ce qu’est la véritable ouverture philosophique. Françoise Trémolières chante la beauté de l’amour. Jean-Charles Cozic et Daniel Garnier présentent la saga de la presse nantaise de 1757 à nos jours publiée en trois volumes aux éditions L’Atalante. Ève Roland livre un long poème dialogué pour inventer la femme. François Huglo écrit une belle lettre au poète Gaston Puel tandis que Julien Leydier argumente sur la poésie du cinéma d’animation, que Jean Foucault s’interroge sur la poésie de l’instantané et Tony Olivaud sur les mots écrire et vivre. Enfin Thierry Picquet présente le bestiaire de l’artiste peintre, « chasseur », « chaman », Hester Van Wijngaarden.
En lisant l’œuvre de Roger Wallet, j’ai pris conscience que les mots avaient des yeux et que nous devrions être attentifs à la leçon de leurs regards.

LUC VIDAL
(1). La Chanson de Saint-Max, « Une photo des années 50 », « Sous les tropiques ». Saint-Maximin : Histoires de vies.
Complément :