samedi 26 mars 2011

Rêves égyptiens


Nous savons avec Gaston Bachelard que le rêve est aussi important que la pensée pour faire avancer ce monde. Nul doute que la nouvelle ère qui s'annonce actuellement dans le monde arabe puise ses racines dans les vieux rêves que font les humains, de sociétés toujours plus justes et toujours plus respectueuses des libertés. Il y a un an, Fabienne Forel se rendait en Egypte à la recherche d'ambiances, de sensations qui n'étaient pas sans lui rappeler son enfance sur l'autre rive de la Méditerranée. Elle errait dans les différents quartiers du Caire pour en ramener des photographies qu'elle présentait en mai dernier sous le titre :

A QUOI RÊVENT LES FEMMES ET LES HOMMES DU CAIRE ?

Rien dans ses images ne laissait prévoir la révolte qui allait gronder place Tharir et en différents endroits de la ville et du pays. Ces mouvements de contestation ont d'ailleurs pris tout le monde au dépourvu, les politiques au premier plan. L'objet de ce blog est avant tout poétique et artistique, aussi j'invite à adopter cette approche pour les photographies que m'a transmises Fabienne Forel ainsi que pour son texte qui les accompagne. Elle nous permettra d'essayer de saisir ce dont une culture et une civilisation sont porteuses dans la durée, au delà des convulsions qui peuvent les traverser. Et puis, dans la quête méditerranéenne de Fabienne, on touchera de près à ce qui nous unit, nous peuples qui vivons sur les rivages d'une même mer. En cherchant tout ce qui nous rassemble, nous parviendrons peut-être à porter la civilisation méditerranéenne à des niveaux jamais atteints, en prolongement des grandes heures de son Histoire, comme le furent par exemple la période de la démocratie athénienne ou encore celle d'Al-Andalous.


Je passe 8 jours à photographier les différents quartiers du Caire.
J’y retrouve des odeurs de mon enfance, du hall d’entrée de l’appartement de mon arrière-grand-mère, calle Vistalegre, 17, à Barcelone.
La même odeur de renfermé, de sucré et de saleté.
Ce mélange odorant me ramène à l’image de ce hall et d’un rêve,
le rêve de mes grands-parents immigrés en France
de revenir dans leur pays d’origine.
Je retrouve ici la même effervescence d’une ville en plein développement
et de la pauvreté aussi. J’aime le centre ville Down town, Talab Harb street. Cette rue me rappelle Calle Hospital à Barcelone.
J’ai passé 8 jours à rencontrer des Cairotes dans la rue
et à me laisser aller à l’intérieur de quartiers populaires.
Je sonde la ville par une suite de fragments épars, par des détours,
pour une visite en discontinu, comme dans un rêve...
Partout la cohue, la chaleur, la promiscuité, la nonchalance,
des hommes et des femmes...
Dans mon journal de voyage, j’écris “ A quoi rêvent-ils ici ?”.

Fabienne Forel

Complément :

Le site de Fabienne Forel

samedi 19 mars 2011

Les "Visages de Poésie" de Jacques Basse

J'avais l'an dernier parlé dans ce blog du premier tome de l'anthologie de Jacques Basse. Celle-ci en est aujourd'hui à son quatrième opus. A cette occasion je reproduis la préface que l'auteur m'a demandée pour présenter ce nouveau livre.


Avec ce quatrième tome de son anthologie Visages de poésie Jacques Basse accroît encore les dimensions de ce que l’on peut considérer comme un véritable phénomène dans la vie poétique française de ce début de XXIe siècle.
Penser que chaque volume contient cent portraits de poètes, que chacun de ces portraits a été dédicacé par le poète lui-même, et que celui-ci est complété par un poème souvent écrit à la main par son auteur, auquel s’ajoute une note biobibliographique, nous fait mesurer le caractère inédit de l’ouvrage.
Il fallait vraiment aimer les poètes pour se lancer dans une telle entreprise et la mener sur une distance aussi longue. Elle témoigne d’une constance qui est révélatrice des liens profonds qui relient Jacques Basse à la poésie. Il est d’ailleurs intéressant de se rappeler qu’à l’origine celui-ci s’était intéressé à des personnalités du monde politique, scientifique, médical ou culturel sans préférence particulière. Ce n’est qu’au fil des portraits qu’il s’est rapproché de la communauté des poètes, s’y sentant en bonne compagnie, peut-être même parmi les siens, ut pictura poesis
La nature même de ce projet d’anthologie, renforcée par l’approche graphique de l’auteur, a permis à ce dernier d’occuper une position particulièrement intéressante dans le paysage poétique français. Il est parti sans a priori passant d’un poète à l’autre en suivant le mystérieux réseau des amitiés et des affinités. Ainsi, son voyage dans l’écriture s’est doublé d’une découverte des territoires où celle-ci avait pris corps. C’est le gage pour nous d’une restitution complète de l’activité poétique actuelle dans notre pays.
Pour réaliser une telle restitution, en plus des qualités artistiques, des qualités humaines étaient nécessaires. Il fallait beaucoup de générosité et une exceptionnelle capacité d’accueil. C’est une évidence de dire qu’aujourd’hui tout cela aurait tendance à manquer.
Sur un autre registre, celui de la critique littéraire, Gaston Bachelard exerça ses talents dans un esprit similaire. Ses livres de poétique fourmillent de citations empruntées aux recueils que lui adressaient les poètes de son temps. Et beaucoup doivent leur postérité à ce choix que fit un philosophe peu soucieux des hiérarchisations et plus sensible à la qualité d’un vers ou d’une image qu’à la renommée de son auteur.
Si nous n’avons pas encore le recul du temps sur l’anthologie de Jacques Basse, nous pouvons déjà dire que lui aussi s’est laissé guider par l’influx poétique qu’il ressentait au contact de son interlocuteur. À notre tour nous devons le rechercher pour atteindre cette restitution complète de la création poétique qui ne peut à l’évidence être contenue dans l’écriture d’un seul poète, si prestigieux soit-il.
Aussi, à travers tous ces visages, c’est le visage de la poésie qu’a dessiné Jacques Basse, un visage qui change au gré des heures, de la lumière qui l’éclaire, de l’univers qui l’entoure. Et c’est en prenant le temps d’y poser notre regard, de nous en approcher, de nous en éloigner puis d’y revenir, avec la même bienveillance enveloppante de l’artiste, que nous aurons quelques chances d’en capter les mystères.

Jean-Luc Pouliquen


Compléments :

- le site de Jacques Basse

- L'ouvrage est vendu 25€ à commander aux éditions Rafael de Surtis, 7 rue Saint-Michel, 81170 Cordes sur ciel.

- Jacques Basse a également fait paraître chez le même éditeur dans la collection "Pour Une Terre Interdite" un émouvant recueil de poésie intitulé La Courbe d'un Souffle.


samedi 12 mars 2011

Mémoire & Poésie

Laure Dino dont on a pu lire un poème inédit en ce début d'année, m'a fait l'amitié d'une lecture de mon livre Mémoire sans tain paru en décembre 2009.




Mémoire sans tain, qui retrace le parcours poétique de Jean-Luc Pouliquen, des années 1982 à 2002, est un titre qui d’emblée réveille notre imaginaire.

Il nous faut écailler ce tain, pour contempler la beauté cachée du monde. Il nous faut rappeler les mots, pour écrire l’amour enfoui dans la mémoire. Alors du miroir de l’ego brisé, apparaît la mémoire du monde, l’identité collective de l’être, la création originelle. Et du cristal retrouvé, transparaît un diamant qui capte et reflète la lumière, sans barrières.

Jean-Luc Pouliquen est un poète fortement enraciné dans sa terre avec laquelle il entretient un lien charnel et magique. La nature parle un langage secret, à travers les oiseaux, les pierres, les fleurs, que le poète déchiffre et retranscrit. Il parle au pays avec des mots doux : "Vieux pays/ exilé de toi-même/ tu as pris le maquis/...il faut pour t’approcher/ bruire comme une fontaine/ et plonger ses deux mains/ dans un buisson de thym..." (Cœur Absolu, Vieux Pays, p. 61,). Il arpente les chemins comme un simple berger, pour retrouver son cœur d’enfant, et plus profondément, purifier l’âme : "Tenir dans sa main/ taillé comme un bijou antique/ le cristal de son histoire/ puis refermer ses doigts/ pour en préserver l’éclat/ aussi pur/ que son enfance"(Mémoire sans tain, Tenir dans sa main, p. 62).

À travers l’écriture, il transmet la source de l’encre, qui jaillit du ruisseau. Plus qu’un écrivain, Jean-Luc Pouliquen est un ethnologue des mots, qui incruste les phrases sur la page comme des racines entre les êtres.

Un rapport particulier le lie avec la Provence. Une Provence entre ombres et lumières, anges et démons, vivante et vibrante comme un être de chair. Il saisit la lumière du mimosa et le mimosa devient l’image même du soleil de la Provence (En attendant la grâce, Mimosa, p. 125), et "la ville se couvre/ d’un crépi de lavande" (Mémoire sans tain, Il faut laisser l’enfance, p. 31). Mais le poète joue aussi avec les ombres, "le goudron fumant", le mazout, la fumée, "les jardinières de béton", comme avec des pierres noires, qu’il frotte à ses pierres blanches, tels deux silex, pour allumer le feu des poèmes.

Cette Provence que représente le "vieux pays" est peut-être pour l’auteur le pays perdu, ou plus encore, l’origine même, le paradis perdu. Mais comme "l’oiseau de feu du Garlaban", elle peut renaître de ses cendres et devenir alors l’Eve de l’Eden, la terre si parfaite qu’elle reflète le ciel et s’unit à lui. Reportons-nous à ces phrases : "Rien sur vos itinéraires/ pour conduire/ à la sourde vibration des pierres/ au mariage avec l’univers/ dans sa nudité originelle" (Être là, Itinéraires, p. 93).

Le poète cherche l’or des origines, à travers les éléments, le feu, l’eau, la terre et l’air. Et l’origine qu’il trouve est une matière fécondante, "une matrice brûlante" (Oh ! pesanteurs terrestres/ matrice brûlante/ de l’éternel - Être là, p. 111,) dans le berceau de laquelle l’homme pourrait renaître. Renaître en s’enfonçant dans l’univers, s’immergeant dans l’infini, comme on plonge dans l’océan. En réalisant cette fusion, ce retour, le poète devient la terre : "Je ne suis plus de chair/ mais d’écorce et de cistes/ d’eucalyptus et d’écume" (Être là, Un bain de nature, p. 114).

Ce faisant il réalise un mélange, un alliage, une alchimie secrète avec les éléments, qui au fil du temps, le transforme. Comme si la terre avait le pouvoir de modeler encore l’homme. Alors, il se laisse sculpter, brûler par les pouvoirs secrets de la magie blanche, de "l’incandescence de la terre" (Cœur absolu, p. 57, Compagnonnage : "Demeure la louange/ pour le Dieu qui le comble/ et donne à ses paroles/ l’incandescence de la terre").

Nous remarquons également dans les poésies de Jean-Luc Pouliquen, une qualité essentielle - au-delà de la diversité des thèmes - qui est l’humilité. Les mots brillent de l’éclat de la simplicité. Il semble que le poète les dépose doucement, sans les brusquer, sur une nappe en papier, et nous les offre, tels des présents. Dans ce geste, il y a comme un pouvoir guérisseur de la poésie, et le désir de ne pas briser un enchantement secret.

Une façon d’appréhender le monde, de trouver le mot juste, d'être là comme un des territoires de la terre immense, qui rallie, réunit, fédère les hommes, car désunis, ils sont un "soleil déchiré" (Peuples du monde, p. 126,).

D’être là encore, comme une "particule de l’humanité vivante… séparé, tendu, vers l’ultime fusion" (p. 119).

Laure Dino



Complément :

- le livre sur le site de l'éditeur

samedi 5 mars 2011

Jean Bercy, il y a 25 ans déjà

Le 28 février 1986, un accident de voiture coûtait la vie à Jean Bercy et à son épouse Jacqueline. Voilà déjà vingt-cinq ans que notre ami a disparu mais son souvenir demeure toujours aussi vif et des initiatives doivent être prises pour que son parcours et son oeuvre continuent à être connus.

Jean Bercy a déployé sa vie sur les terrains de l'éducation et de l'art, il les a même mêlés pour permettre à tous ceux dont les itinéraires étaient noués de trouver grâce à la création une porte de sortie.
C'est à Marseille qu'il a terminé en 1980 sa carrière professionnelle comme directeur-adjoint d'un Institut de formation d'éducateurs spécialisés. Âgé de seulement soixante ans, il pouvait se consacrer alors entièrement à son art.

C'est à cette période que je l'ai rencontré à Aubagne, avec tous les amis poètes avec qui nous allions créer les Cahiers de Garlaban. Par la suite, par son intermédiaire, le chanteur Jean-Jacques Boitard devait nous rejoindre et travailler avec nous à faire revivre le poète marseillais Victor Gelu. Nous nous rencontrions assez souvent, soit à Marseille chez le poète Charles Thomas, soit à Aubagne dans sa maison entourée de pins, soit encore à Lascours chez Pierre Asca, le berger des arbres, ou à Roquevaire, chez Claude Cauqui. La vie de groupe était intense et l'amitié très forte. Elle se voulait un écho à ce qu'avaient vécu les poètes de l'Ecole de Rochefort.



Si son apport à notre groupe a été si fort, c'est qu'il prenait sa source dans une trajectoire humaine et artistique des plus exigeantes. Jean Bercy avait connu la guerre, la souffrance physique et morale. Il avait passé plusieurs années au Brésil et avait été confronté à la misère d'un pays alors en voie de développement. Fort de toutes ces expériences, il s'était lancé dans une oeuvre à laquelle il avait donné le titre générique Le droit des hommes à vivre.

Celle-ci se divisait en deux versants. Le premier était très sombre et voulait exprimer toutes les tragédies humaines en même temps qu'il témoignait d'une solidarité envers tous ceux qui dans le monde en sont les victimes. C'est par la sculpture que Jean Bercy l'exprimait et celles-ci avaient pour nom Le Supplicié, Le Résistant, Holocauste, Virginie la handicapée, Orphelins guatémaltèques...

Le deuxième versant voulait célébrer les magnificences de la vie afin de ne pas enfermer le message dans la tristesse et le désespoir. Des sculptures comme Femme fleur, Arbre de vie, Jeunes danseurs... sonnaient comme un appel à aller chercher sur cette terre toutes les forces qui peuvent nous tenir debout et nous donner envie d'avancer encore le sourire aux lèvres
L'artiste accompagnait sa recherche existentielle d'une exploration des différentes formes et matières qui pouvaient la porter. Certaines de ses sculptures étaient en plâtre en attendant de pouvoir être coulées dans le bronze, d'autres étaient en terre cuite. Dans sa dernière période Jean Bercy avait réalisé des sculptures-marionnettes en polystyrène et tissus peint pour un spectacle (on parlerait aujourd'hui d'intervention) dont l'objet était de dénoncer toutes les dictatures et tyrannies.
Lors de ses expositions, il était présent parmi les visiteurs pour les accueillir, commenter ses oeuvres et répondre aux questions. Des groupes organisés, particulièrement des enfants des écoles, venaient en nombre partager un rare moment d'art et de pédagogie.


Jean Bercy savait tout le poids de l'éducation dans l'équilibre, l'harmonie et le développement des sociétés. C'était pour lui une priorité. Y porter atteinte, équivalait à préparer le retour de la barbarie !
Jean-Luc Pouliquen