Pour faire suite au compte-rendu de
Christiane Golési sur le livre que j'ai écrit avec
Wernfried Koeffler,
Le poète et le diplomate, voici l'analyse qu'en a faite le poète
Michel Capmal déjà présenté dans ce blog et que je remercie pour sa lecture attentive.
Dès sa parution, j’ai lu avec attention et plaisir ce livre d’entretiens qui nous permet de découvrir certains aspects du monde de la diplomatie. Ce livre est une vivante contribution à une réflexion sur l’état du monde contemporain.
Dialogue à hauteur d’homme entre un poète et un diplomate. Le poète, averti de la politique et de l’histoire de l’époque moderne, pose ses questions au diplomate dont on perçoit très vite, avec le sérieux du professionnel des échanges internationaux, la sensibilité d’un authentique écrivain.
Ce livre est une invitation au voyage (avant les avions obligatoires et les ordinateurs omniprésents) à une méditation sur l’éloignement, sur l’identité, la diversité des langues et de peuples, sur l’envers du décor de l’Histoire, les péripéties parfois tragiques ou amusantes qui surviennent au cours de la carrière de diplomate. Et aussi à prendre conscience de l’importance du regard et de l’écoute. Comme l’écrit très justement dans sa préface
Adolfo Perez Esquivel (Prix
Nobel de la Paix) : « … car voir est une chose, regarder en est une autre, comme entendre est différent d’écouter…La sagesse des peuples est de donner force aux mots, de savoir faire passer le message à la communauté ».
Et la littérature dans tout ça ? Elle est présente à chaque page, sous-jacente ou explicite. La démarche poétique n’est pas non plus absente.
Jean-Luc Pouliquen revient plusieurs fois sur la recherche d’un certain point d’intersection qui serait non seulement un point d’équilibre entre le travail d’écrivain et la Carrière mais aussi le point de fusion entre le rêve et la réalité.
Wernfried Koeffler nous rappelle que le diplomate « d’autrefois », c’est-à-dire avant les ordinateurs, savait écrire. Et que ce qui a longtemps prévalu c’est l’esprit de finesse désormais remplacé par le réductionnisme électronique, la vitesse et l’efficacité à tel point que certains considèrent
qu’Internet a rendu le diplomate superflu ! Pour
W.K. un diplomate doit avoir le goût de l’impossible inséparable de l’acte créateur ; la négociation devenant, dans certaines conditions, un art ou un plaisir.
Et pour notre plaisir quelques grands noms d’écrivains diplomates et aussi de grands écrivains non diplomates sont évoqués au fil de ces 145 pages. Chateaubriand,
Lamartine,
Claudel,
Saint-John-Perse,
Stendhal, Paul
Morand,
Dag Hammarskjöld, Romain
Gary. Mais aussi
Neruda,
Asturias,
Fuentes qui, nous dit
W.K, apportaient à Paris plus de prestige à leur pays
qu’un ambassadeur de carrière n’aurait pu le faire. Sans oublier
Ruben Dario,
Alejo Carpentier,
Joào Guimaràes Rosa et
Vinicius de
Moraes. De même pour
Octavio Paz ambassadeur du
Mexique en Inde. Et aussi ceux qui aux yeux de
W.K. auraient pu être de bons ambassadeurs comme
Thomas Mann,
Stefan Sweig ou Robert
Musil dont le personnage
L’homme sans qualités représente si bien l’esprit de finesse. Mais certainement pas
Hemingway qui est venu vivre à Paris comme d’autres écrivains anglo-saxons.
W.K nous fait remarquer que pour ces derniers c’est le génie du lieu
qu’ils avaient choisi, pour les écrivains diplomates c’est le contraire, c’est le lieu qui les choisit. Selon
J-L P le destin d’un écrivain peut transcender un destin diplomatique
Tout vrai poète ne pourra
qu’apprécier ces deux phrases page 66 de W. K. que je cite entièrement : « J’ai toujours essayé de faire durer ces voyages le plus longtemps possible. Prolonger cette légèreté d’être entre deux mondes le vécu et l’inespéré ». Il précise que c’était avant l’obligation de prendre l’avion. Et surviennent tout naturellement les écrivains voyageurs comme Loti. Mais le navigateur solitaire exceptionnel et auteur de
La longue route que fut Bernard
Moitessier n’aurait-il pas pu être cité à son tour ? Il est aussi question des maisons que les diplomates habitent. « Les maisons d’une vie ! ». Et
J-L P saisit l’occasion pour dire quelques mots sur Gaston
Bachelard, voyageur immobile, et
Bertrand D’
Astorg, auteur de Les Noces orientales. Parmi les hommes remarquables rencontrés par
W.K il y a eu le
Dalaï Lama qui, à la question « quel est l’essentiel dans la vie ? » répondit : « autrui ». À la très juste remarque de
J-L P : « Rien ne remplacera une expérience vécue »
W.K. raconte sobrement comment il a réussi à sauver la vie des trois jeunes enfants d’un opposant du régime de la junte militaire en Argentine,
Adolfo Pérez Esquivel qui lui exprime ses remerciements dans sa préface. Autre personnalité singulière rencontrée :
Ivan Illich faisant cette belle réponse à
W.K qui lui demandait
qu’elle serait la meilleure école pour ses enfants : « une ferme à la campagne avec une grande bibliothèque ».
La figure de Romain
Gary revient avec insistance tout au long de ce livre. Romain
Gary dont on connaît l’œuvre et la trajectoire choisie et assumée. Pour qui est soucieux de maintenir éthique et esthétique à niveau égal, je crois que les précisions que nous donne
J-L P dès la première page de ces entretiens ne sont pas seulement anecdotiques. Romain
Gary revêtu d’une robe de chambre rouge « afin que le sang qui allait se répandre après
qu’il se fut tiré une balle dans la tête, se confonde avec la couleur… Sa mort est une illustration tragique des relations qui peuvent se tramer entre l’écriture, la diplomatie et la vie ». Romain
Gary défendant dans
Pour Sganarelle sa conception du roman total (et non pas totalitaire) contre les petits maîtres du parisianisme ambiant. Il a choisi son heure, tout en voulant tenir à distance l’horrible vision de la mort violente, comme il s’est lui-même toujours tenu à distance de la médiocrité politicienne afin de préserver l’idéal humain qui vivait en lui.
Pour terminer ce trop bref exposé, voici l’une des dernières remarques de
W.K. européen lucide : « Car on ne peut laisser la diplomatie uniquement aux diplomates, comme la politique aux politiciens. Il serait judicieux de continuer à y inclure les poètes et les écrivains, pour arriver opportunément à une objectivation et une concrétisation de l’esprit : elles donneraient de la vérité aux mots et de la justesse aux actes »
Quant à l’épilogue :
La Fable du coq et de l’inspecteur général chacun fera son profit de la conclusion « Mais le coq n’avait rien fait d’autre que de rappeler au poète et au diplomate l’extrême vigilance
qu’il faut appliquer envers le monde et surtout envers soi-même ».
Une invitation au voyage et peut-être aussi, dans le meilleur sens du terme, un livre de sagesse Une pierre vive pour un humanisme planétaire à construire.
Michel Capmal 10 juillet 2011
- le livre sur le site de L'Harmattan