En juin dernier, Jean-Albert Guénégan était intervenu dans ce blog avec un Billet d'été. Nous le retrouvons en ce début d'année avec ce texte poignant inspiré par la guerre en Syrie et ses terribles conséquences sur la vie des habitants du pays.
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Alep - Photographie de Karl Foster sous licence CC0 |
Suis de ces terres prophétiques venues de loin,
au-delà des montagnes, des ponts
et des dieux dans les poussières du sable.
Des d’années dans l’enfer des armes. Les rivières lassées de couler sont rouges du sang de mes frères, le mien aussi. Ici est mon pays mais les têtes sont folles, trop de malheur à n’en plus pouvoir.
Cette nuit là, je n’ai pas pris la mer mais la route et me suis enfui, arraché mon fils de l’horreur. Impossible de revenir en arrière et pourtant…
Pas de bagages, seulement la peau, les os, la guitare poussiéreuse, désaccordée sur le dos qui pendait, muette et dans le cœur, la peur. La pâle étoile que je suivais semblait aussi en perdition. Béni de larmes, je marchais sans arrêt, dans le noir, sans oublier mon chant d’espoir alors que le ciel me ramenait chez moi. J’égrenais trois ou quatre notes de musique lancinante et deux mots d’amour repris comme un refrain. Mon fils s’épuisait à me suivre. Main chaude dans sa main glacée, je lui ai dit : chantons pour rester humains.
La route nomade et sans retour m’attristait.
Elle me donnait du courage aussi pour avancer vers une terre où je ne suis pas né.
Je ne savais pas vraiment si je passais la frontière, j’étais quelque part et peu importait où.
Cela n’avait rien d’un voyage d’agrément ni d’un abandon des miens. Déchiré, endeuillé, mon cher pays qui n’enfantait plus que la mort, m’échappait. En sa terre, il a retenu ses roses.
Oui, je chantais mais fallait-il que je chante ! Sans arrêt avec mes mots vieux, dans l’espoir qu’ils peignent ma vie d’un peu d’espoir. A tout jamais, s’éteignait le malheureux soleil de là-bas mais je fixais l’horizon sans été, bédouin vagabond égaré, apatride en souffrance zébré de foudre priant le jour de se lever enfin. Absent, muet et le cœur ailleurs chargé de peine infinie, les yeux plus que la voix criaient ma peine, j’oubliais mes rêves les plus déments, perdais les clés de mon âme, Alep, Palmyre, mon pays, ces martyrs. Je marchais sans fin, encore, toujours mais mon fils main dans la main, sous le bras, avec au cœur le chaos, mes peurs et le souvenir des cris d’enfants brûlés de la terreur des hommes, guidé par le bleu du ciel mais ne sachant plus par où s’était évadée la belle et noble humanité.
Aujourd’hui, je n’ai rien au-dessus de la tête.
Un toit, est-ce trop demander ? La vie d’hier m’est d’un poids… Comment oublier ça ?
Elle ne s’éloigne pas et ne s’effacera jamais, celle de demain m’est encore inconnue.
Dans les yeux que je sèche, la mort vit partout, des cimetières veillent les cierges des étoiles,
je reviendrai au soleil plus tard
vivre dans la maison du monde,
je ne rentrerai pas ce soir.
Jean-Albert Guénégan