samedi 26 novembre 2011

Amitié à Colette Gibelin

J'aimerais aujourd'hui exprimer mon amitié à Colette Gibelin qui appartient à cette catégorie de poètes dont l'oeuvre se bâtit dans le silence, la patience et la discrétion. Pour eux, le temps est un allié. Ils le savent et c'est la raison pour laquelle, ils avancent dans la sérénité, ayant la certitude que la lumière de leur parole éclairera toujours au plus profond de la nuit. Voici un poème de Colette Gibelin extrait de son recueil Un si long parcours paru en 2007.

Et nous voici, encore une fois, jetés
dans les vendanges et bousculés d'azur. Menacés,
dissous, désarmés, ivres de soleils imparfaits.

Iles folles de la nuit, îles éclatées,
nous scintillons dans nos défaites, de toute l'insolence
de vivre.

Terre insensée, dévorée d'angoisse
et de joie de vivre, nous t'invoquons royale. Quelles
sources en marche, quel acharnement ?

Mains nues, abandonnées aux
drames, aux blessures, aux caresses, j'aime la vie
jusqu'au désespoir, jusqu'à l'extase. Une moisson de
visages, de solitudes. Horizons agrandis par l'oubli.

Nous voici investis, effrités,
clamant encore la joie d'être mortels.

Colette Gibelin


Complément :

- Colette Gibelin sur le site Esprits nomades


samedi 19 novembre 2011

La place du libraire

Bien que toutes les publications que nous présentons dans ce blog ne passent pas par le circuit des librairies, pour des raisons d’ailleurs qu’il serait intéressant de développer, celui-ci nous paraît être, malgré la vente en ligne, l’élément-clef pour la diffusion d’une littérature de qualité. Encore faut-il que les libraires y exercent leur métier avec cet objectif et n’y réduisent pas le livre à un simple objet de consommation. J’ai rencontré Camille Fénérol, de la librairie Charlemagne à Hyères, pour approfondir le sujet.


Camille Fénérol comment envisagez-vous le métier du libraire d’aujourd’hui ?

Le libraire est d’abord un relais de la production littéraire contemporaine. Il donne des conseils de lecture à ses clients dans sa librairie qui est aussi un lieu d’accueil pour des manifestations culturelles en lien avec le livre.

Qu’est-ce qu’il est important pour vous de relayer ?

D’abord les ouvrages qui profiteront d'une promotion media (tv, radio, presse) : « J’entends parler d’un livre, cela me donne envie, je veux me le procurer rapidement". À côté de cela, j’ai à cœur de positionner des titres de plus petits éditeurs qui donnent aussi une couleur plus singulière à l'offre de notre librairie.

Merci de donner leur chance aux petits éditeurs. Mais arrivez-vous à entraîner des lecteurs vers leur production ?

Il m’est parfois plus simple de proposer un ouvrage dont personne n’a entendu parler. Si le texte est bon, on peut très bien en vendre autant qu'un best seller, voir plus. Paraître chez un grand éditeur ne garantit en rien des ventes en quantité.

Voilà des paroles bien réconfortantes. Et qu’en est-il pour la poésie ?

Pour la poésie un fond "classique" type "poésie Gallimard" fonctionne très bien. Pour la poésie contemporaine, il est nécessaire de faire des mises en avant de l'éditeur (comme nous avons fait par exemple cet été avec les éditions Cheyne).

Ces quelques mots suffisent, je pense, pour mesurer et comprendre ce que les auteurs dont nous parlons dans ce blog, peuvent attendre d’une relation avec leur libraire, lorsqu’il est, comme vous, attentif à toute la création littéraire de son temps, même si elle ne passe pas par les grands éditeurs. En conclusion, auriez-vous quelques conseils ou recommandations à faire pour que les livres émanant de petits éditeurs, y compris de poésie, trouvent plus facilement leur place en librairie ?

Que les auteurs insistent auprès de leurs éditeurs pour qu'ils fassent un vrai travail de service commercial. Dans le cas d'une collection de poésie, que l'éditeur soit capable de proposer aux libraires une ligne éditoriale qui donne les arguments nécessaires pour la présentation que nous faisons des textes à nos lecteurs. Un titre isolé c'est toujours difficile. La "collection" fait la force. !

Camille Fénérol, merci !


Compléments :

- Camille Fénérol sur Web TV Culture

- Le site des librairies Charlemagne


samedi 12 novembre 2011

Poésie de la vigne et du vin

Alors que la période des vendanges est maintenant derrière nous, voici une publication à la gloire du vin, de la vigne, de la poésie et de l'art. Nicole et Georges Drano, dont j'ai déjà présenté l'activité exemplaire au service de la poésie, avaient fait les choses en grand pour la centième d'A la santé des poètes, le rendez-vous mensuel qu'ils organisent dans le cadre de leur association Humanisme et Culture. Au Domaine de la Plaine, à Frontignan, connu pour ses vins de Muscat, ils avaient convié le 10 juin 2010, poètes, photographes, musiciens et plasticiens, à venir faire partager leurs créations avec le public. L'essentiel de cette rencontre est aujourd'hui fixé sur le papier dans ce numéro spécial des Carnets des Lierles paru en avril dernier.
Celui-ci regroupe une présentation du Domaine de la Plaine par sa propriétaire Marie-Noëlle-Francis Sala, une petite histoire du cépage muscat par Jean Clavel, des poèmes de Stéphen Bertrand, Jean-Paul Creissac, Georges Drano, Jacquy Gil, James Sacré, Nicole Drano Stamberg, Pierre Tilman, Serge Velay, Marc Wetzel et Jean-Marie Petit. Tous les poèmes sont publiés en version bilingue occitan/français ou français/occitan, selon la langue dans laquelle écrit le poète. Ce sont Jean-Paul Creissac et Jean-Marie Petit qui se sont chargés des traductions en occitans.
Des photographies signées Laurent Delamotte et Georges Souche les accompagnent. Ce beau numéro montre aussi des oeuvres des plasticiens Jean-Paul Agosti, Joël Bast, Enan Burgos, Marie-Hélène Bikowa, Marie-Noëlle Git, Bérénice Goni et Jean-Pierre Rose. Une riche iconographie donc pour célébrer le divin brevage.

Parmi tous les poèmes présentés, en voici un de Jean-Paul Creissac, que j'ai choisi pour lui rendre hommage, afin de ne pas oublier que le poète occitan et le responsable des éditions Jorn, est aussi vigneron :

Vinhas e tròces

La vinha es un còs
Que l’òme n’es lo cap
E lo vin l’èime

Avetz desoblidats dins l’ivern de vòstras mans
Lo quichadis caud d’autras mans frairenalas

Setz anats per camins, per carreirons e per òrtas
Desvariats e estrangièrs a vosautres

La paraula clara que s’enauça
Es un cant que te pren e t’emmasca

La vinha es grand còs espandit
Vestit d’un lençòl de petasson al còr de l’estiu

Ta pèu rusca m’escarraunha las mans
Los dets ensagnosits sentisson pas mai lo freg

Contra vent e soberna
Aigat e tempesta
Sias aqui drech davant lo mas
La china te leca las mans

E de sègle en sègle
Se passa entre òmes
Aquel sentit prigond d’apartenença
A la tèrra

Acordança de dòl e de jòia

Aquel còs amanhagat
Te bailarà la frucha mai chucosa
La gruna mai madura
Lo most mai enchusclant

Dins la rasa, l’oliu
Sauvat de la manjança e dau fuòc
Per las mans de ton paire
La tèrra te parla
Las paraulas pasmens s’escantisson
Es que nos demòra la memòria ?


Vignes et morceaux

La vigne est un corps dont l’homme est la tête et
Le vin l’esprit

Vous avez oublié dans l’hiver de vos mains la poigne
D’autres mains fraternelles

Vous êtes allés par chemins et sentiers désorientés,
Etrangers à vous-mêmes

La parole claire qui s’élève est un chant qui te prend
Et t’ensorcelle

La vigne est un grand corps étendu, couvert d’un drap
Bigarré au cœur de l’été

Ta peau caleuse m’écorche les mains, les doigts ensanglantés
Ne sentent plus le froid

Contre vent et marée, inondation et tempête, tu es là
Debout devant le mas, la chienne lèche tes mains

De siècle en siècle se passe entre hommes
Ce sentiment profond d’appartenance à la terre

Accord de joie et de douleur

Ce corps caressé te donnera les fruits les plus beaux
Les grains les plus mûrs, le moût le plus fort

Dans la haie, l’olivier, sauvé des broussailles et du feu
Par les mains de ton père
La terre te parle
Les paroles cependant s’éteignent
Nous restera-t-il seulement la mémoire ?

Jean-Paul Creissac


Compléments :

- contact Humanisme & Culture : ngdrano@club-internet.fr
- Jean-Paul Creissac sur le site Cardabelle


samedi 5 novembre 2011

Victor Segalen, un rêveur d'écriture

Dans une précédente chronique, Michèle Serre nous avait expliqué sa manière de procéder pour rendre hommage à des poètes et des artistes qui lui tiennent à coeur. Après Ossip Mandelstam, c'est vers Victor Segalen qu'elle a dirigé son regard de poète.

Ce beau livre réalisé avec soin comme tous ceux des éditions du Bien-Vivre, imprimé sur papier vergé, contient 38 pages et 6 reproductions d'oeuvres de Pierre Sentenac. Il a été tiré à 100 exemplaires. Michèle Serre y laisse parler Victor Segalen qui trace son parcours commencé puis tragiquement interrompu dans sa Bretagne natale après des séjours marquants en Océanie et en Chine. Elle le fait en onze poèmes complétés par une postface et une citation de Segalen lui-même : "Le soleil monte : fuis-le en regardant comment vient la houle. Le soleil tombe : cours après lui : voilà pour te guider le jour."
Comme pour ses précédents ouvrages, l'auteur s'est longuement imprégnée au préalable de la vie et de l'oeuvre de celui qu'elle a choisi d'évoquer, pour nous livrer en quelques vers l'essentiel et la quintescence de son cheminement et de sa quête existentielle.
Voici un extrait du sixième poème où Michèle Serre fait parler Segalen s'interrogeant sur Arthur Rimbaud :

"Qu'a-t-il perçu dans les Hauts plateaux
du Harrar
et dans la somnolence du désert...

Se souvient-il encore de ses visions
des images somptueuses
qui le visitaient autrefois ?

Où est le chemin pressenti
qui devait combler ses désirs ?
Après avoir erré longtemps
dans sa légende

Peux-être retrouverai-je
ce diseur de grande aventure
l'adolescent aux cheveux blonds
qui m'a fait signe
à l'aube de ma vie."

Elle nous invite à poursuivre le voyage pour aller encore plus loin, par la poésie, et tenter de s'approcher encore plus près de ce qui anima en profondeur la vie et l'écriture de Victor Segalen.

Complément :

Victor Segalen, un rêveur d'écriture est vendu 20€ - (Editions Le Bien-Vivre : pierresentenac@orange.fr).