samedi 26 octobre 2013

Poésie de Turquie - IV

Nous terminons cette première série consacrée à la poésie turque, avec une présentation de Serpilekin Adeline Terlemez qui vit actuellement en France et écrit directement en français. Comme Hasan Erkek, elle se situe à la croisée des préoccupations théâtrales et poétiques.


L'auteure est aussi écrivain-traductrice. Elle est docteur en esthétique, science et technologie des arts, spécialité théâtre de Samuel Beckett et membre du Centre International de Créations d'Espaces Poétiques de l'Université Paris 8. C'est dans le département théâtre de l'Université d'Ankara qu'elle a préparé sa maîtrise qui portait sur le théâtre de marionnettes (relation marionnettes / marionnettiste). Ses activités se concentrent actuellement autour de la rencontre des langues et des cultures au sein de la poésie et du théâtre. Deux livres publiés à L'Harmattan attestent de sa présence dans les deux domaines. C'est ainsi qu'elle a écrit Théâtre innommable de Samuel et pour la poésie le recueil mon ombre et moi sur lequel nous allons maintenant nous pencher.


Ce livre d'une grande profondeur permet d'assister comme l'écrit Serpilekin Adeline elle-même à : "la renaissance d'une langue dans une autre langue". Il est traversé par un appel général à l'envol que confirment les deux dessins de Vedia Yeșim Bayanoğlu, en début et en fin d'ouvrage, représentant des colombes aux ailes déployées. L'auteure écrira encore : "Moi / que je suis moi maintenant / j'aime être moi / avec toutes celles / et / tous ceux / qui / prennent part / à la poussée / de mes ailes / vers le bonheur."
Dans ce dialogue entre l'ombre et la lumière, le corps et l'âme, le visible et l'invisible, il s'agit  d' "imprimer un but / imprimer un sens". Comme nous l'indique le texte de la quatrième de couverture : "Ce dialogue avec l'ombre est à la fois une méditation sur la lumière tamisée par nos peurs, nos incapacités à l'accueillir dans sa force renversante et une exhortation à l'écoute du souffle d'espoir inachevable qui veille chaque aube, chaque heure venues d'ici comme d'ailleurs" et cette invite à la lecture du beau recueil de Serpelikin Adeline Terlemez se termine ainsi : "La poésie court au long de l'ensemble de l'ironie à la gravité en passant par le grand rire d'une sagesse qui se cherche à travers ces premiers grands pas dans l'écriture en travail".

Complément :
- Le livre sur le site de l'éditeur

samedi 19 octobre 2013

Poésie de Turquie - III

Cette troisième rubrique concernant la poésie turque est consacrée à Hasan Erkek. Elle nous permet comme nous l'avions fait précédemment avec Charles Galtier de montrer que la poésie et le théâtre se fécondent souvent mutuellement.


Né en 1970, Hasan Erkek est en effet poète et dramaturge. Il est prof. dr. de l'Université Anadolu-Conservatoire d’État d'Eskisehir. Il a écrit des pièces pour le théâtre et la radio, des scénarios de films et des poésies pour les enfants les jeunes et aussi les adultes. En voici deux qui ont été traduites en français par Sevgi Türker Terlemez :

DİLENCİ

Ne olur sahici bir gülüş
Vereceğiniz çiçekten geçtim
Vuracağınız bıçak bıçak olsun

MENDIANT

de grâce, un vrai sourire
de vos fleurs, je m'en dispense
votre poignard,  pourvu qu'il soit le vrai.


ŞİİR

şiir sevgilimdir benim
alımlı, nazlı
ayartır beni durmadan
aldatırım hayatı
birkaç güzel dizeyle

POÉSIE


poésie est  mon amante
fragile et charmante
qui n'arrête pas de me séduire
je déjoue la vie
par  quelques beaux vers.


*

Les créations d'Hasan Erkek lui ont valu quatorze prix au niveau national et international. Ses pièces ont été jouées par plus de trente troupes professionnelles à la fois dans son pays (Théâtres d’État, Théâtres de la ville d'Istanbul, Théâtres de la Ville d'Eskisehir, théâtres privés) ainsi qu'à l'étranger (Algérie, Cameroun, Kosovo, Liban, Chypre). Une vingtaine de ses pièces écrites pour la radio ont été mises en ondes sur la Radio-Télévision de Turquie (TRT). A ce jour vingt de ses livres ont été publiés en Turquie, en Allemagne, en Géorgie, en Croatie, en Arménie, en Azerbaïdjan et en France. Sa pièce Le Seuil a paru en mai dernier à L'Harmattan.


L'auteur l'a conçue dans le cadre d'une trilogie qui nous permet d'approcher à travers les personnages bien réels et en même temps porteurs de poésie qu'il met en scène, les tourments qui ont secoué la société turque. Dans La Contrepartie il étudiait le passage d'une société féodale à une société moderne et les contradictions qui en résultaient. Dans Le Seuil il nous fait partager la situation d'une famille qui cherche à s'adapter à la vie d'une petite ville en abandonnant ses coutumes et habitudes rurales. Dans L'Engrenage il explorera l'aliénation des gens de la campagne résultant de leur confrontation dans les grandes villes à l'esprit petit-bourgeois. Dans chaque pièce, une famille différente est étudiée. mais les drames qui y sont évoqués peuvent être en fait étendus à de nombreuses familles de l'ensemble du pays.
En quatrième de couverture nous pouvons lire en conclusion : "Le Seuil plutôt que de donner des solutions toutes prêtes est une pièce qui cherche des réponses aux questions et qui montre aussi combien cette recherche est difficile..."
Ainsi va le poète dans son rôle d'éveilleur des consciences.

Complément :
- La pièce sur le site de l'éditeur

samedi 12 octobre 2013

Poésie de Turquie - II

Continuons notre présentation de la vie poétique turque en faisant aujourd'hui quelques pas avec Mesut Şenol dont j'ai montré précédemment le rôle actif qu'il a joué dans la réussite du festival Poetistanbul de mai/juin dernier.


Mesut Şenol à travers ses nombreuses activités est un passeur.  Il est à la fois : journaliste, écrivain, poète, traducteur, animateur de télévision et formateur à la parole en public. Il est aussi directeur de publication de la revue Rosetta Literatura. A travers elle, Mesut Şenol veut promouvoir une littérature mondiale. Des auteurs de tous les continents y sont publiés, chacun dans sa langue avec une traduction commune en anglais. La revue tire son nom de la célèbre pierre de Rosette qui permit de déchiffrer les hiéroglyphes.


Les poèmes de Mesut Şenol ont déjà été traduits en plusieurs langues et publiés dans de nombreuses revues. Il est à ce jour l'auteur de trois recueils. Le dernier s'intitule AŞK ÖLMEZ / LOVE SURVIVES
 

Il commence par le poème qui suit, celui qui a donné son titre au livre :

AŞK ÖLMEZ

Duygular hüküm sürer dünyasında insanların
Ejderhalar ve yıldızlar göklerde uçar zorlanmadan
Zamanı gelmişse etkili sözler yumuşatır yürekleri
Cennetimsi köşelerde güzelleşir müziğin dili

Dostluk hiç bu kadar gerekli değildi bizim için
Şefkatli eller sihirli değnekleri sallasın
Hoşgörü için kıvranan dünya değişmeli
Sevgi koroları ölümsüz şarkılarını söylemeli

 Sevgi limandır en tutkulu arzular için
Karşısında hazırdır savaşa uğursuzun 
Adem ile Havva’nın yazgısı belli değil mi
Yine de her şeye karşın sevgi yarışın galibi

L'AMOUR SURVIT

Des nuées d'émotions règnent au pays de l'Homme
Dragons et étoiles volant sans efforts dans le ciel
Les mots qui portent assouplissent les cœurs
                                                 quand le temps est juste
La langue de la musique embellit sous les voûtes célestes

Jamais nous n'avons été autant en demande d'amitié
Que des mains bienveillantes agitent des baguettes magiques
Le monde qui s'efforce de devenir tolérant peut changer
Des chœurs d'amour doivent entonner leurs chansons éternelles

L'amour est le havre des désirs les plus passionnés
Il est prêt à affronter les présages les plus sombres
Même le destin d'Adam et Eve est scellé
Et pourtant c'est l'amour qui reste gagnant 

(Traduction Sevgi Türker Terlemez / adaptation Jean-Luc Pouliquen)

Compléments :
- Le site de Rosetta Literatura
- Le site de Mesut Şenol




samedi 5 octobre 2013

Poésie de Turquie



A la fin du mois de mai dernier, je me suis rendu à Istanbul pour participer à un festival de poésie. A plus d'un titre ma participation à cet événement restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Le moment tout d'abord était historique. Tout un peuple se dressait dans les rues pour réclamer plus de liberté. Cette marche authentiquement progressiste pour rompre avec tous les archaïsmes était à la fois impressionnante et émouvante. Une énergie, une sève montante, irriguaient toute une société résolument tournée vers l'avenir.
Il y avait ensuite ce cadre exceptionnel que représente la ville d'Istanbul point de rencontre entre l'Occident et l'Orient. La croisière sur le Bosphore qui clôtura le festival nous en donna une vision purement poétique transcendant les vicissitudes de l'Histoire.
Il y eut enfin le festival lui-même organisé par une équipe chaleureuse et ouverte, totalement dévouée à la cause poétique. Je saisis l'occasion pour remercier son président Salih Zeki Tombak ainsi que Mesut Şenol qui assura le bon déroulement de ces journées dans un contexte qui ne lui facilitait vraiment pas la tâche. Je voudrais aussi exprimer ma gratitude envers Sevgi Türker Terlemez qui prépara depuis la France ma participation à ces journées et envers le poète et dramaturge Hasan Erkek à qui je dois une visite inoubliable du centre historique d'Istanbul.
La qualité d'une rencontre tient autant à ses organisateurs qu'à ses participants. Ces derniers étaient venus de Colombie, des Balkans, de Syrie, de Palestine, d’Égypte, du Maroc et  bien sûr de Turquie, des différentes parties de la Turquie. Ce qui me frappe encore c'est la communion réelle qui s'est opérée entre tous, personne n'ayant pris la posture individuelle, n'ayant flatté son ego. Le nous l'a emporté sur le je, c'est ce qui a fait la réussite de ce festival.
Une anthologie a été éditée pour l'occasion.


Elle contenait en ouverture ce manifeste :

LA POÉSIE L'EMPORTERA TOUJOURS !

Notre époque nous soumet à des attaques permanentes. Pour nous humains, cela signifie une nouvelle manière de vivre.

C'est une vie définie par le capitalisme mondialisé.


C'est une vie de consommation et de réseaux mondiaux de communication. C'est une vie où les entreprises transnationales s'emparent et dominent tous les médias et avec : l'eau, l'air, le territoire, l'humanité elle-même.

C'est une vie qui attaque sans remords l'expérience humaine fondamentale.

L'humanité possède un pouvoir, une arme ancienne contre cet assaut global : La Poésie.

La Poésie est notre plus grande alliée pour nous réapproprier le sens de l'existence, et pour nous aider à retrouver nos qualités humaines. Choisir la poésie plutôt que la pernicieuse culture de consommation dans laquelle la masse et les objets règnent sur les individus réduits à l'état de troupeaux.

La Poésie et les mots ne peuvent être écartés de nous. C'est pourquoi nous avons encore nos poètes.

La Poésie l'emportera sur la vie encombrée d'objets qui nous encercle !

Elle l'a emporté malgré les dénigrements et les grimaces annonçant sa défaite.

C'en est assez ! La Poésie est vivante ! Et la Poésie l'emportera toujours ! 

Complément :
- le site du festival