samedi 24 avril 2010

Réminiscence de l'hiver

Plus d'un mois après la fin de l'hiver nous pouvons le regarder avec d'autres yeux en oubliant toutes les difficultés qu'il nous a fait traverser. Cette photo, prise en février dernier dans le Vitosha, qui m'a été envoyée de Bulgarie par Liuba Ilieva, va nous permettre de le vérifier. Jean Follain, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler à propos du ciel de Paris avait longuement médité sur les relations qui se tissent entre le temps et la poésie. Voici ce qu'il écrivait en introduction de Cérémonial bas-normand : "Si je viens évoquer ici des souvenirs d'un passé lointain, ce n'est pas en rêvant du retour de ce passé. La poésie qu'il dégage, il la dégage tout justement parce qu'il est le passé. Je souscris au plus profond à ce que dit à ce sujet José Ortega y Gasset dans ses essais espagnols. Il est loin de vouloir que le passé soit le présent et il nous précise : Aimer le passé, c'est se réjouir qu'il soit en effet le passé ; que les choses - perdue cette rudesse dont, dans le présent, elles égratignent nos yeux, nos oreilles et nos mains - s'élèvent à la vie pure et essentielle qu'elles acquièrent dans la réminiscence." Dans notre cas, ce passé hivernal est proche et nous savons qu'il reviendra, mais demeurent sa beauté pure et essentielle, sa poésie qu'il nous est plus facile d'atteindre par la photographie que dans l'instant présent des morsures du froid.

Compléments :

- Randonnée au mont Vitosha

- A la rencontre de José Ortega y Gasset

samedi 17 avril 2010

Jacques Audiberti à l'Université

Voilà maintenant plus d'une trentaine d'années que la littérature contemporaine a fait une entrée en force dans l'Université. C'est une bonne nouvelle pour les écrivains que le monde médiatique a tendance à négliger, lui qui préfère emboîter le pas à ce qui est dans l'air du temps et se vend bien. Grâce aux chercheurs qui ne cèdent pas aux sirènes de la mode, nous pouvons retrouver des auteurs dont l'œuvre a résisté à la durée et a même encore à nous parler si nous nous donnons les moyens de bien la comprendre. Pour cela des clefs sont souvent nécessaires et c'est dans les colloques et les publications universitaires que nous avons la chance de les trouver. L'initiative qu'avait prise Nelly Labère d'organiser en 2007 trois journées consacrées à Jacques Audiberti et à l'analyse de son imaginaire en est une belle illustration. Aujourd'hui, elle présente les différentes communications faites durant ce colloque dans une même publication éditée par les Presses Universitaires de Bordeaux et nous dit en introduction : "Le colloque L'imaginaire de l'éclectique : Audiberti (1899-1965) qui s'est tenu les 29-30 novembre et le 1er décembre 2007 à Bordeaux, a voulu rendre hommage à Jacques Audiberti en retraçant son travail sur les figures de l'imaginaire. L'originalité de cette rencontre (et celle d'Audiberti lui-même) a consisté à réunir, sous une même problématique, diverses disciplines et méthodologies associées aux études sur l'imaginaire." Nelly Labère ajoute plus loin : "Ce livre que nous écrivons aujourd'hui en l'honneur de celui qui fut, Jacques Audiberti, est porteur de cette rencontre de l'amitié."
"Qualifié "d'inspecteur Maigret métaphysique" par son ami Claude Nougaro, Audiberti est cet écrivain inclassable, à l'imaginaire fécond, "venu sur terre [selon sa propre définition] pour enquêter afin d'ajouter son reportage aux dossiers de Dieu". Pièces de théâtre, romans, poèmes, articles, préfaces et traductions (près de 750 références au total) en portent la trace dans une production foisonnante aux références multiples. Réuni autour de l'imaginaire, ce recueil d'articles interroge la poétique de Jacques Audiberti, "cavalier seul" d'une littérature dont il fonde, en le détournant, le genre - toujours et essentiellement humain" pourra-t-on lire encore en quatrième de couverture.
Dès lors, il ne nous reste plus qu'à le parcourir à la recherche d'une porte d'entrée qui nous fera pénétrer dans l'œuvre de la manière qui nous convient le mieux et le livre nous en propose de nombreuses. Pour commencer Jeanyves Guérin s'attache à présenter L'abhumaniste, une réponse d'Audiberti à l'humanisme engagé de l'après-guerre pour lequel Sartre a fait figure de chef de file. Dans L'abhumanisme, l'homme n'est plus le centre de la création, il n'est qu'un élément de la totalité. Jeanyves Guérin rappelle aussi les liens d'Audiberti avec la N.R.F des années trente, revue dans laquelle la littérature était vécue pour elle-même, en dehors de toute position politique. C'est ensuite Guy Latry qui reprend les rapports d'Audiberti avec la langue d'Oc. Natif d'Antibes, l'auteur a baigné dans le provençal durant toute son enfance. Son oeuvre en porte la trace. C'est ce que j'avais d'ailleurs déjà eu l'occasion de souligner en 1999 dans le n°54/55 de revue OC.
Une part importante de la publication est accordée au théâtre de Jacques Audiberti. Benoit Barut s'est intéressé aux didascalies, ces indications qui accompagnent les dialogues des personnages et dans lesquelles il perçoit le langage de l'auteur comme le lieu par excellence de l'équivoque. Yannick Hoffert de son côté nous parle des figures du temps dans ses pièces. Grand explorateur de l'Histoire, Audiberti y a puisé la matière de son théâtre comme par exemple dans Le Cavalier seul qui se situe à l'époque des croisades ou encore dans Coeur à cuir qui nous ramène au XVème siècle. L'Effet glapion se situe au contraire au XXème siècle et Hélène Laplace-Claverie traite de la domestication des chimères dans cette "parapsychocomédie" en deux actes. On ne pouvait laisser sous silence Le mal court, le pièce la plus connue d'Audiberti et c'est Michel Bertrand qui l'aborde sous l'angle de "la poétique des frontières". Deux autres communications complètent ce volet sur le théâtre. Michel Pruner a eu la chance de participer comme comédien en 1974 au spectacle monté par Marcel Maréchal lors de la reprise de La Poupée. Il raconte et analyse cette expérience en la complétant de nombreuses photos. Roman à l'origine, La Poupée a donné naissance à un film réalisé par Jacques Baratier avant de devenir une pièce de théâtre. Enfin Elisabeth Lecorre revient sur Quoat-Quoat et Pomme, pomme, pomme pour se pencher sur un sujet très cher à l'auteur de La nouvelle origine : le mythe de la Création.
Finalement, c'est le théâtre qui aura eu la part belle dans cet ensemble. Pourtant la littérature et la poésie n'y sont pas oubliées. Michel Braud s'interroge par exemple sur les relations entre la littérature et le réel à propos de Cent jours, un ouvrage dans lequel Audiberti tente de restranscrire une période de sa vie. Il faut rapprocher ce livre de Dimanche m'attend écrit quinze ans plus tard et dans lequel l'écrivain nous livrera cette fois la quintessence d'une existence entière. Audiberti n'a cessé d'interroger les grandes figures littéraires du passé. Caroline Trotot nous montre en quoi Le Tasse, l'auteur de la Jérusalem délivrée, a pu l'influencer. Agnès Spiquel nous explique comment l'entrée en poésie d'Audiberti s'est opérée par l'intercession de Victor Hugo.
Il restait pour conclure de refermer le livre sur une note plus légère. C'est Brigitte Buffart-Moret qui nous la donne en nous parlant d'Audiberti et la chanson. Nous savons quelle influence il eut sur Claude Nougaro. Cette question des rapports entre la poésie et la chanson a déjà été abordée dans ce blog. Jacques Audiberti y apporte sa contribution avec ces mots que Brigitte Buffart-Moret a été bien inspirée de citer : " Je daterai [...] la mort apparente et momentanée de la poésie de l'instant où le dernier sonnet fut écrit par le dernier poète formel ou formaliste ". Là ne s'arrête pas la citation, mais je renvoie le lecteur à la publication de Nelly Labère pour aller au fond des choses et puis ensuite je l'invite à en revenir aux livres d'Audiberti eux-mêmes.

Complément :

samedi 10 avril 2010

Les créations de Jaumes Privat

Après Joan-Luc Sauvaigo, Jaumes Privat vient nous montrer combien la création occitane contemporaine est un hymne à l'imagination et au renouvellement des formes. L' œuvre montrée ici appartient à un ensemble intitulé Sus un fial / Sur un fil. Jaumes Privat, à la fois plasticien et poète, m'a également adressé un poème à lire en correspondance avec l'image présentée. On trouvera en complément des éléments permettant de mieux connaître son parcours.

tenem
pas
que
pels fials
de
l’esquiçal

d’un enluòc

a l’escranc
de
l’a pro pena

enromegats
als
arams
de la
set

e
nos plegam
al buf
de las
sirenas

*

pels pòrts
l’espèra
empusa
la partença



nous
ne
tenons
que
par les fils
de
la déchirure

d’un nulle part

à la faille
de
l’à peine

accrochés
aux
barbelés
de
la soif

et
nous nous plions
au
souffle des
sirènes

*

dans les ports
l’attente
attise
les départs



(sirèna / sirène : klaxon … mais aussi l’idée des sirènes d’Ulysse (en occitan serenas)

Compléments :


samedi 3 avril 2010

Joan-Luc Sauvaigo, poète nissart

Pour prendre la mesure de la richesse de la création occitane contemporaine, il est nécessaire d'ajouter à l'intérêt pour la langue, une curiosité géographique. On découvrira ainsi, attaché à chaque lieu, des artistes qu'une simple fréquentation des livres nous aurait fait oublier ou minorer. C'est encore plus vrai pour les marges du territoire de la langue d'Oc, souvent perçues sous un angle qui nous en fait oublier son caractère premier. Nice est en cela un bon exemple car l'image que l'on en a relève d'avantage des représentations relatives à la Côte d'Azur que de son passé occitan. Pourtant la racine existe bien que des poètes s'emploient toujours à rappeler avec le génie propre qui lui correspond. On compte parmi eux Joan-Luc Sauvaigo dont les nombreux talents ont permis une expression neuve et originale en phase avec le bouillonnement culturel que nous avons connu à partir des années soixante. Poète, chanteur, musicien, dessinateur, il a décliné toutes ses possibilités de création au service d'une nissarditude indissoluble dans la modernité. Bien au contraire, il lui a donné ses lettres de noblesse en sachant reprendre pour son compte les rythmes et les images qui nous étaient adressés d'outre-atlantique. Là est bien le signe de la vitalité d'une culture qui sait faire son propre miel de ce que le monde nous envoie pour s'enrichir et se régénérer. Concernant sa poésie, on peut aujourd'hui en retrouver l'essentiel dans Compendi derisori dau desidèri / Compendium dérisoire du désir édité en 2007 par les éditions Jorn. On y retrouvera ce cri profond d'un homme en révolte qui ne peut accepter qu'une vie se réduise à ce qu'une société sans âme a décidé pour elle. Ce même message traverse ses chansons nourries de blues et de folk qu'il interprète seul ou accompagné de l'Ontàrio Blues Band. Ses derniers disques ont pour titre : Ràdio Babazouc, Palhasso universal, Esquasi ou encore Sola Sòla . Mais Joan-Luc Sauvaigo est aussi dessinateur et il fut parmi les premiers à introduire la BD dans la presse occitane. A partir de 1976, il a animé la revue nissarde La Ratapinhata dans laquelle on a pu suivre les péripéties de Gracchus Ontario, niçois immigré aux Etats-Unis, personnage fictif qui relève de la mythologie familiale de l'auteur. L'impact de cette revue populaire fut à l'époque significatif car elle toucha plusieurs milliers de lecteurs. N'allons pas croire que la période dans laquelle nous vivons ait éteint tous ces feux, toutes ces poussées de révoltes et d'utopies, même si c'est sous la forme d'un écho assourdi qu'elles nous parviennent aujourd'hui. La poésie, la musique et l'art sont toujours là pour nous transmettre cette part irréductible de l'être qui porte en elle son immortalité.