samedi 22 décembre 2018

Les "Cités d'Oc" de Michel Miniussi

Nous terminons cette année 2018, comme nous avions commencé l'année 2017, c'est à dire en nous souvenant de Michel Miniussi, ce jeune écrivain occitan trop tôt disparu. Il s'agit cette fois de présenter  son dernier livre Ciutats d'Oc dont l'édition bilingue, illustrée par Véronique Champollion, a été préparée par Stéphane Lombardo, Jean-Pierre Tardif et Frédéric Voilley. Pour cela nous en reproduisons la préface avec l'aimable autorisation des "Amis de Michel Miniussi". Elle a été écrite en français par Frédéric Voilley et traduite en occitan par Véronique Champollion.


Cités révélatrices

Le premier fil conducteur, d’apparence anodine, qui relie les textes de ce petit volume, c’est la capacité de l’écrivain à se mettre au diapason d’un lieu, d’en deviner le visage secret. Ainsi, dans son œuvre majeure Lei Passatemps, les passages évoquant Cannes, Beaulieu, Grasse… « Grasse es vila de montanha… » sont autant de joyaux trop brefs pour être inclus ici. Mais ils entrecoupent d’un riche contrepoint les péripéties proustiennes de la société moribonde dont il nous conte l’agonie, lent « de profundis », consacrant une fin inéluctable.

Quelques quinze années auparavant, Michel avait déjà donné ce titre à un retour nostalgique au Festival de sa jeunesse. Il y voyait une vaste chorégraphie impliquant toute la Croisette, dans laquelle ses amis et lui-même jouaient un rôle parfaitement répété. C’est ici que le second leitmotiv, moins innocent celui-ci, qui sous-tend ces textes nous est proposé : « Les films ne sont qu’un prétexte au rite. » Pour Michel, l’important semble résider dans la beauté, la rigueur, la cruauté du rite lui-même, outre sa fonction. 

Ville rose, ville rouge-sang, Toulouse est soumise à une patiente archéologie, qui ne semble dégager que des signes mortifères. Deux exceptions toutefois, les Vierges du Taur et de la Daurade, empreintes de paganisme populaire. La clé de ce long pèlerinage dans les rues de la ville-sanctuaire n’est livrée qu’à la fin : les mystères de Toulouse sont ceux d’Éleusine-Déméter et de sa fille Perséphone-Korê qui, épouse d’Hadès, passe la moitié de l’année aux enfers. Cruelle absence qui pousse Déméter éplorée à errer par les chemins à sa recherche. Peut-être que le texte tout entier repose sur cette ambiguïté, errance funèbre, mais qui à l’insu de tous recèle la promesse de la refloraison.

La répétition d’un rite le confirme en tant que tel. Dans le troisième drame de la série finale, retour à Toulouse et à ses quais où a chuté un jeune homme. Autour de la victime, les médecins s’affairent en un « ballet hiératique », devenant ainsi autant d’officiants à un rite sacrificiel –  ce qu’atteste la citation du Poème du Rhône qui clôt le recueil. 

Au fil des pages, les deux thèmes –  la ville, le rite – se répondent, s’entremêlent, le premier servant de cadre au second qui en retour lui donne sa véritable identité : ville-théâtre, ville-sanctuaire, ville-arène.

Chemin faisant, nous avons compris que la posture d’esthète que Michel Miniussi revendique volontiers, n’est qu’un leurre de plus ; nous sentons à chaque pas l’emprise immanente du tragique. Les antiques malédictions écrasent les prévisions humaines, bouleversent les destins. Soudainement, c’est « cet arrêt brutal du temps », « un silence étrange et vide »  : la « bouche d’ombre » s’est ouverte. Nous nous doutions que la moue un peu dédaigneuse n’était qu’un masque, les Cités d’Oc l’ont arraché.

Frédéric Voilley

Ciutats desparpelaires

Lo primièr fil roge, un pauc superficiau, que liga li tèxtes d’aqueu libre, es la capacitat de l’escrivan de si metre au diapason amb un luec, de ne sentir la fàcia secreta. Ansin, dins son òbra màger
Lei Passatemps, li descripcions de Canas, Beuluec, Grassa… « Grasse es vila de montanha… » son de vèrs joièus, mas tròp brèus per figurar aquí. Pura fasián de contraponch saborós ai peripecias « à la Proust » d’aquel mond anequelit que ne’n conta l’agonia, lent « de profundis », simptòma d’una fin ineluctabla.

Un quinzenau d’annadas aperavans, Miqueu aviá ja titolat ansin un remembre dau Festival de la sieu jovença. Li vesiá una ampla coregrafia qu’estirassava la Croisette tota, e mai èu amb li amics, que jogavan cadun lo sieu ròtle, a la perfeccion. Aquí apareis lo segond leitmotiv que pòrta aqueli tèxtes, mens innocent esto còp : « […] lei films son ren qu’un pretèxte au rite. » Per Miqueu, l’important sembla s’escòndre dins la beutat, la rigor, la crudelitat dau rite, en mai de sa quite foncion.

Vila ròsa, vila roge-sang, Tolosa es somesa a una pacienta arqueologia, que ne’n sòrton solament de signes mortifères, amb pasmens doi excepcions : li Vierges dau Taur e de la Daurada, clafidas de paganism populari. La clau d’aqueu long romiatge en li carrièras de la vila-sanctuari nos es balhada a la fin : li mistèris de Tolosa son aqueli de Eleusina-Demeter e de sa filha Persefòne-Koré, esposa d’Hadés que passa la mitat de l’annada dins lo sieu reiaume dei mòrts. Abséncia crudèla que mena Demeter desconsolada a barutlar per li camins en cèrca de sa filha. Bensai que lo tèxte entièr es sostengut per aquela ambigüitat, una errància funèbra, mai que sensa que lo saupèssiam, tèn una promessa d’espelison
.
Es la repeticion d’un rite que lo conferma coma mite. Dins lo tresen drame de la tièra finala, tornam a Tolosa, sus li cais dont cabussèt un joine. A l’entorn de la victima, li mètges trafegavan en un « balet ieratic ». Son vists aicí verament coma d’oficiants d’un rite sacrificiau − a pròva : la citacion dau
Pouèmo dòu Ròse que clava lo recuelh.

E mai legissèm, veèm li doi tèmas − la vila, lo rite − si mesclar e si respòndre, lo primièr coma luèc dau segond que, a l'inverse, nos la desvèla. En meme temps, li bastís la sieu vera identitat : vila-teatre, vila-sanctuari, vila-arènas. 

Comprenèm tanben qu’aquesta postura d’estèta, vòuguda e revendicada per Miqueu Miniussi, es solament una engana de mai ; descubrissèm plan planin l’immanenta empresa dau tragic. Li anticas malediccions espotisson li previsions umanas, treviran li destins. Arriba subran « un arrèst dau temps tan druds » (Repeticion), « aquest silenci estranh, vuège » (Repeticion) : la « boca de l’ombra » (Canas) s’es duberta. S’en dobtaviam, qu’aqueu morre un pauc lefinhós èra just una masqueta. L’an arrancada, li
Ciutats d’Òc.

Frederic Voilley

Compléments :
- Le livre qui est vendu 16 € peut être commandé aux "Amis de Michel Miniussi", 210 chemin de la Cerisaie" F-06250 Mougins, Tél : 04 92 92 21 58.

vendredi 9 novembre 2018

Le souvenir de Guillaume Apollinaire

Ce 9 novembre 2018, voilà cent ans jour pour jour que disparaissait Guillaume Apollinaire. Pour nous associer à cette commémoration, voici deux documents audiovisuels. Le premier a été réalisé par Jean-Marie Drot pour la série "L'art des hommes" et proposé en 1968 à l'occasion du cinquantième anniversaire. Il permet d'entendre le témoignage de plusieurs de ceux qui ont connu le poète. Parmi eux, André Salmon autour duquel s'était organisé mon dernier livre.


Le deuxième, réalisé par Jean-Claude Bringuier, appartient à la belle collection "Un siècle d'écrivains" dirigée par Bernard Rapp. Il nous donne une vue d'ensemble de la vie et de l’œuvre du grand poète et sonne comme une invitation à le relire. Il permet aussi de se livrer à une méditation sur la condition du poète et de s'interroger sur les raisons profondes qui ont permis à Guillaume Apollinaire de trouver un tel écho auprès du public. 


Complément :
- Le site officiel consacré à Guillaume Apollinaire.

mardi 16 octobre 2018

Les paysages de Véro Barbot

Durant le mois de septembre Véro Barbot est venue du Limousin pour exposer ses toiles à la galerie LM Studio qu'anime à Hyères dans le Var Laurence Neron-Bancel.


Afin de prolonger la rencontre avec les œuvres de l'artiste, voici les photographies de quelques unes d'entre elles. Elles sont accompagnées d'extraits d'un article écrit par le critique d'art Didier Paternoster à l'occasion d'une précédente exposition qui s'est tenue à Bruxelles en 2016.

Après (130 cm X 81 cm)

"Au départ, il y a la nature. Une nature omniprésente, saisie dans son sens le plus large et dans ses formes les plus élémentaires."

Orange boum (130 cm x 97 cm)


"Au rythme des saisons, au grès de l'intensité de la lumière, le paysage s'épanouit dans une sorte de vision idéalisée, presque naïve, au sein de laquelle les éléments de la réalité prennent valeur de symboles."

Le petit chemin (130 cm x 89 cm)

"De chaque composition émane un sentiment de plénitude, de sérénité, où l'harmonie chromatique s'allie à la pureté des lignes."

Rond jaune (130 cm x 89 cm)

"Certains éléments de composition rappellent Miró et dans le ciel se dessine parfois comme un mobile de Calder."

Compléments :

samedi 8 septembre 2018

Le nouveau roman d'Andrea Genovese

En novembre 2013, nous avions proposé de faire un bout de chemin avec Andrea Genovese. En cinq étapes nous avions présenté le poète, le romancier, l'auteur de théâtre, sans oublier le critique littéraire et l'essayiste que l'on retrouve régulièrement dans la revue électronique Belvedere qu'il rédige de bout en bout. Andrea Genovese est un écrivain exigeant qui ne fait pas de concessions à son époque qu'il ne cesse de soumettre à son regard critique. Nous le retrouvons tel qu'en lui-même dans son nouveau roman Dans l'utérus du volcan qui a trouvé chez Maurice Nadeau un éditeur à même de convenir à la ligne littéraire dont il n'a jamais dévié.


Voici le résumé du livre qui a reçu déjà de belles critiques que nous présentons en complément et qui a fait l'objet de rencontres de l'auteur avec ses lecteurs, en particulier à Paris et à Toulouse :

Vanni, écrivain italien résident en France, revient dans sa Sicile natale avec sa femme lyonnaise pour recevoir un Prix de poésie chrétienne richement doté et décerné par un ponte de la Mafia. Sous l’influence de l’Etna toujours prêt à s’enflammer, l’apparition de la pulpeuse Lilina va provoquer l’éruption des sens du poète et mettre à mal l’équilibre du couple. Dans une ambiance de polar, qui peut faire penser à l’écrivain sicilien Leonardo Sciascia, l’auteur nous entraîne, sous la violence d’un été torride, des Îles Éoliennes à l’Etna, dans l’agonie d’un monde refermé sur lui-même. Nostalgie, sensualité effrénée, mythologie, l’écriture éclate comme une éruption volcanique.

Compléments : 

lundi 16 juillet 2018

Le souvenir de Bernard Mazo

Je suis reconnaissant à Jean Poncet de m'avoir fait parvenir le beau volume des œuvres poétiques complètes de Bernard Mazo (1939-2012). C'est émouvant de recevoir la publication posthume d'un poète que l'on a connu et avec qui on a partagé des moments intenses de vie en poésie. De 1998 à 2009 nous avons fait le voyage ensemble depuis Hyères jusqu'à Lodève où Marc Delouze nous avait tous les deux conviés à participer au festival des Voix de la Méditerranée. Là nous sommes intervenus d'abord comme poètes puis comme animateurs de rendez-vous poétiques. Après huit jours d'activité intense où chacun s'occupait des poètes qu'il était chargé de présenter, nous étions heureux de nous retrouver côte à côte dans le train pour revivre ensemble cette expérience d'exception qu'était ce festival. Le trajet Lodève-Montpellier se faisant en voiture, le café pris au buffet de la gare venait comme un rituel marquer la fin des réjouissances. Arrivés à Hyères nous avions du mal à nous séparer. Mais son épouse Muriel était là pour l'accueillir et l'amener chez le poète Jean-Max Tixier et son épouse Monique.


Je reproduis le texte de quatrième de couverture en ajoutant que le livre présente plusieurs photos retraçant l'itinéraire de Bernard Mazo depuis le lycée Chaptal en 1951 jusqu'à la remise du Prix Max Jacob en 2010. Les encres de Hamid Tibouchi accompagnent son parcours poétique depuis son premier recueil Passage du silence paru en 1964 jusqu'au dernier Dans l'insomnie de la mémoire paru en 2011 :

Bernard Mazo s’en est allé pour des vacances sans retour le 7 juillet 2012, sur une plage de la Méditerranée. Cette mer qu’il avait franchie une première fois, à l’âge de vingt ans, avec tant d’autres de sa génération, pour un séjour forcé dans les Aurès. À cet exil en une contrée qui n’était pas la sienne, il survécut grâce à la poésie et à la lecture des poètes, mais il en revint à jamais marqué par la dimension tragique et absurde de l’existence. Dès lors, il éleva sa désespérance à la hauteur d’une morale. 

La poésie avait sauvé Mazo. Elle ne pouvait donc être que fraternelle. Et il se fit passeur de poètes, collaborant à nombre de revues dans lesquelles il rédigea des centaines de chroniques sur ses grands aînés comme sur ses contemporains. Le tout couronné par une magistrale biographie de Jean Sénac – l’Algérie encore – parue au lendemain de son départ.

Ce qui n’empêcha pas Mazo de construire une œuvre poétique personnelle profonde et d’une grande cohérence dans laquelle, usant d’une langue toujours plus dépouillée, il ne cessa de questionner l’énigme essentielle. S’il n’approcha que tangentiellement – car elle demeure à jamais inatteignable – de l’obscure vérité, du moins fit-il la démonstration que l’homme, par essence foudroyé, par l’écriture se maintient debout.

 Avec l’amicale collaboration des poètes Jean Orizet, Max Alhau, Jean Poncet et Hamid Tibouchi, c’est toute l’œuvre poétique de Mazo, dont la rédaction s’étala sur près d’un demi-siècle, qui est rassemblée et présentée ici. Afin qu’elle poursuive sa vie féconde, comme une promesse d’éternité.

Complément :
- Le livre sur le site de l'éditeur.

mercredi 27 juin 2018

Le n° 28 de la revue "Reflets"

Il est rare qu'une publication généraliste vendue dans les kiosques s'intéresse à la poésie. C'est pourtant ce que vient de faire la revue Reflets en proposant dans son dernier numéro un important dossier consacré à cette forme d'expression si chère à ce blog. Les belles pages que nous allons présenter doivent beaucoup à Brigitte Maillard dont nous avions déjà eu l'occasion de montrer les initiatives originales pour que la poésie continue de vivre dans la Cité.


Ce dossier de plus de trente pages richement illustrées est divisé en quatre parties.
La première s'intitule "S'émerveiller". Christian Bobin y rappelle que "la poésie est contemplation". Suivent des haïkus de Pierre Tanguy, des poèmes de Nathalie Riera, de Marie-Josée Christien et de Didier Du Blé.
La deuxième a pour titre "Renaître à la vie". Brigitte Maillard y raconte sa venue à la poésie après un accident de la vie. Nous avions rendu compte ici de son livre A l'éveil du jour qui en détaillait les circonstances. Après un poème de Jean Lavoué, nous découvrons ensuite l'itinéraire hors du commun de Jacques Lusseyran, aveugle à l'âge de huit ans, Résistant, interné à vingt ans dans un camp de concentration. C'est au cœur de l'horreur qu'il découvrira l'expérience vitale de la poésie. Après un poème d'Apollinaire, Stéphane Hessel nous dira le caractère libérateur de la poésie. Puis ce sera la "Chanson pour oublier Dachau" d'Aragon et pour finir une évocation de Robert Desnos.
La troisième partie intitulée "Les enfants sont des poètes" me permet de présenter ma méthode pour amener les enfants à l'écriture poétique. J'avais eu l'occasion d'en faire part dans ce blog. C'est aux élèves d'une classe de CM1 de Pont-l'Abbé qui ont travaillé à partir du livre Les vents m'ont dit de Xavier Grall que "Reflets" a ensuite donné la parole. Ils nous confirment une fois de plus cette complicité entre l'enfance et la poésie. Pour approfondir encore la question suivent deux pages extraites du livre de Jean-Marie Henry et Alain Serres Pff ! ça sert à quoi la poésie ?!.
La quatrième partie titrée "L'invisible devient visible" vient terminer ce dossier. Un texte de Laurent Terzieff : "La poésie expression de la foi" la commence. C'est au tour du moine-poète Gilles Baudry de la poursuivre par une interview. "C'est dans l'attente pure qu'affleure le royaume et la secrète vibration de l'éternel" nous confie-t-il. De superbes photographies d'Aïcha Dupoy de Guitard accompagnent ses paroles. Nous poursuivons avec des poèmes de François Cheng et des propos du poète américain Joe Zarantello qui conclue ce dossier par ces mots à méditer longuement par les temps que nous traversons : "L'ego veut des mots, mais l'âme a besoin de silence !".

Compléments :
- Le site de la revue "Reflets".
- Christian Roesch, directeur de la publication, présente sur Youtube ce numéro 28.

jeudi 17 mai 2018

La poésie pour tisser des liens

À l'initiative de Nicole Barrière, deux anthologies viennent de paraître sur le thème du tissage. La première s'intitule Tisserands du monde et contient des textes anciens de Homère à Philippe Jaccottet, auxquels s'en ajoutent d'autres qui traitent vraiment du tissage au sens artisanal et concret du terme. Le livre est publié sous l'égide de la Maison de la poésie et des lyrismes du Velay-Forez.


En voici la présentation par Nicole Barrière :

 "Dans l’avant-propos de son livre « Les tisserands », Abdennour Bidar écrit : 

« Un peu partout dans le monde, commencent à se produire « un million de révolutions tranquilles », dans tous les domaines de la vie humaine : travail, argent, santé, habitat, environnement ». J’appelle Tisserands les acteurs de ces révolutions. Leur objectif commun, en effet, est très simple : réparer ensemble le tissu déchiré du monde. »

Installée depuis peu dans la région stéphanoise, celle-ci a une tradition ancienne de tissage, passementerie, rubans et liens, au sens artisanal du métier mais aussi au sens de ces tissages, tressages et liens sociaux très puissants de solidarité.


De la parole du philosophe à la pratique sociale de ma région, j’ai pensé qu’il fallait, comme poète soutenir, renforcer ces liens et ces luttes tisserandes d’aujourd’hui, en étayant avec des textes d’auteurs anciens et en consolidant avec des textes de créateurs contemporains pour constituer un recueil de références autour de ces révolutions tranquilles. 


Si les mots des tisserands font défaut aujourd’hui dans la langue française, quelques-uns subsistent dans le tissage des textes, le florilège des textes anciens vient rappeler le dur labeur des tisserands et autres passementiers, mais surtout témoigne de la parole vivante qu’il faut élargir.


Les textes de nos contemporains ont su « filer » la métaphore pour, ainsi que l’écrit Antonin Artaud « travailler dans la durée »


N’est-ce pas là le devenir souhaitable pour soi, pour l’humanité et pour l’universalité ?


Déjà Paul Eluard écrivait à Philippe Soupault
« Quelques poètes sont sortis

Dix, cent, mille crient

Que la bouche remonte vers sa vérité
Souffle rare sourire comme une chaîne brisée
Que l'homme délivré de son passé absurde
Dresse devant son frère un visage semblable
Et donne à la raison des ailes vagabondes. »

Que ces ailes vagabondes remontent jusqu’aux consciences humaines pour édifier des univers vivables."


*

La deuxième anthologie a pour titre Liens et entrelacs. Elle émane d'un collectif de poètes du monde et complète la précédente de manière plus libre. 


Nicole Barrière l'introduit ainsi:

 « Il est beau... comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie ! »
 
Comte de Lautréamont,
Les chants de Maldoror( Chant VI-§1)


La poésie renouvelle les forces vives du langage, en cela elle est révolutionnaire car elle modifie les nouages du lien social. Ce recueil de textes est un espace ouvert aux multiples croisements de fils de la poésie vivante.

Ainsi nous allons, porteurs des héritages et féconds des œuvres de l’avenir, mais nous assistons aujourd’hui à une reformulation des valeurs universelles qui s’illustre par des mouvements de solidarité et de désobéissance civile et avec le partage de biens immatériels, la poésie en est un, elle se multiplie en se partageant.

En mettant en avant l’importance du lien social dans le processus de création, l’on tend à la fois à abolir les frontières et à replacer l’individu dans une perspective plus humaine qui lui permet d’être réceptif à l’autre, aux autres, au plus éloigné de l’autre.

Par ses passions et ses rêves, le poète dissout l’image solitaire et isolée associée au poète, et faire advenir un individu éclatant, animé et vif et répondant à la définition de l’artiste par Camus : «  Tout artiste aujourd’hui est embarqué dans la galère de son temps. », qui en souligne la difficulté de la tâche,  il écrit : « Peut-être touchons nous ici la grandeur de l’art, dans cette perpétuelle tension entre la beauté et la douleur, l’amour des hommes et la folie de la création, la solitude insupportable et la foule harassante, le refus et le consentement. Il chemine entre deux abimes qui sont la frivolité et la propagande. »

Car il ne faut pas nier l’importance des systèmes dans lesquels nous sommes insérés, mais dit encore Camus « pour cela il nous faut prendre les risques et les travaux de la liberté ».

Dans un contexte de perte de la mémoire collective, la transmission de la langue est plus que jamais nécessaire, les poètes portent l’inquiétude de leur époque, leur mission est d’être témoins et actants de la parole, de sa mise en mouvement pour façonner et réparer les liens sociaux et humains.

Ce recueil « Liens et entrelacs » témoignent de la liberté des créateurs et leur souhait d’œuvrer ensemble des « quatre coins de l’horizon » de l’Europe centrale à l’Amérique latine ; en portant la parole de leur témoignage, pour sortir de l’isolement et faire advenir une parole commune sur les inquiétudes de notre temps.

Compléments :

mardi 10 avril 2018

Conversation transatlantique

J'ai déjà eu dans ce blog l'occasion de rendre compte des livres d'entretiens que j'ai réalisés avec de grands poètes contemporains. Le premier fut Fortune du poète écrit avec Jean Bouhier le fondateur de l’École de Rochefort. Le deuxième Sur la page chaque jour écrit avec Daniel Biga  donnait la parole à un des principaux représentants de la nouvelle poésie qui avait émergé dans les années soixante. Avec le troisième Entre Gascogne et Provence c'était la richesse de la poésie de langue d'Oc d'aujourd'hui qui était explorée au travers des témoignages de Serge Bec et Bernard Manciet. Un quatrième ouvrage complète ce cycle, il s'agit de La diagonale des poètes écrit avec Marc Delouze et Danièle Fournier qui portait sur les moyens que l'on pouvait inventer pour rendre la poésie présente dans la société contemporaine.
À ce premier cycle est venu s'en ajouter un second de conversations. Il est différent du premier car un entretien se veut au service de ce que l'interlocuteur a à nous transmettre. Il s'agit de lui permettre de faire partager au lecteur toute la richesse dont il est porteur. Une conversation ne contient pas la même exhaustivité. Dans le cas présent, le lecteur est témoin d'une interaction dont on ne connaît pas le résultat final. Celui-ci va dépendre d'une certaine alchimie de la parole et de la manière dont chaque réponse va résonner dans l'imaginaire de l'autre .
C'est ce qui s'est produit au cours de l'échange que j'ai eu avec l'historienne et critique d'art new-yorkaise Beth Gersh-Nešić, échange que l'on peut inscrire à la suite des conversations que j'ai eues avec Wernfried Koeffler dans Le poète et le diplomate ou encore avec Philippe Tancelin dans Paroles de poètes, poètes sur parole.


Voici comment nous avons résumé cette conversation en quatrième de couverture :

Beth Gersh-Nešić est une historienne et critique d'art new-yorkaise, Jean-Luc Pouliquen est un poète et critique littéraire vivant dans le sud de la France. Ils partagent une même ferveur pour André Salmon qui fut l'ami intime de Guillaume Apollinaire et de Pablo Picasso. Depuis les deux rives de l'océan Atlantique, ils vont se souvenir de ce début du XXe siècle où il participa en poète et critique d'art à l'aventure du Cubisme. Portés par la conversation, tous les deux vont être amenés à cheminer jusqu'aux créations les plus contemporaines. Dans l'intervalle, ils se seront interrogés sur la place actuelle de la poésie et de l'art en Europe comme aux États-Unis, sur les nouveaux moyens de les diffuser, de les faire passer d'une culture à l'autre. C'est sur le constat d'un art mondialisé, envisagé comme appel à « faire le bien » - comme ce fut le cas dans le passé - qu'ils termineront leur échange.

 André Salmon ayant été un des premiers soutiens de Jean Bouhier lors de la création de L’École de Rochefort, notre échange s'inscrit donc dans une continuité. Il montre même que des deux côtés de l'Atlantique un même esprit peu souffler. Pour y correspondre nous avons décidé de faire paraître également le livre en anglais.


Trait d'union entre les deux éditions, la couverture avec une même illustration du peintre Paul Vilalta.

Compléments :
- Pour se procurer le livre en français et en anglais.
- Le blog de  Beth Gersh-Nešić.
- Le site de Paul Vilalta.


samedi 17 février 2018

Poésie au bord de l'étang de Thau

Nous essayons avec ce blog de rendre compte des initiatives qui sont prises pour rendre la poésie vivante et toujours présente dans la vie moderne. Il y a déjà quatre ans, Michel Bernier nous parlait des lectures qu'il organisait dans une brasserie de Pau. En septembre 2015, c'est Brigitte Maillard qui nous racontait sa présence sur les marchés de Bretagne pour diffuser les parutions les plus récentes des poètes. Nous voici aujourd'hui avec Roselyne Camelio, dont nous avons déjà évoqué l'activité de peintre, pour nous entretenir avec elle des rendez-vous poétiques qu'elle anime au bord de l'étang de Thau.

Roselyne Camelio

Bonjour Roselyne, à quelle nécessité a répondu pour vous l'envie d'organiser ces rencontres poétiques ?

 L'organisation des rencontres poétiques m'a permis de rompre l'isolement dans lequel je m'enfermais inconsciemment depuis la retraite. Elles m'ont permis de renouer avec une vie sociale, et de répondre à une attente : Partager un projet artistique qui rassemble et qui évoque le beau et le rêve. La poésie à laquelle je suis attachée depuis l'enfance, a répondu à ce souhait.

Quels chemins avez-vous suivis pour les mettre en place ? 

 J'ai parlé des rencontres poétiques à quelques amis et lancé un appel par voie de presse pour former un groupe de passeurs de poèmes à Bouzigues (Hérault). Cinq personnes bénévoles ont répondu : Chantal Bayer, Annie Caporiccio, Monique Cazes, Corinne Hardouin, Alain Benet le guitariste et moi-même. Le groupe a adhéré aux objectifs proposés : découvrir ou redécouvrir des poètes connus ou peu connus dans un esprit d'échange et de convivialité, investir différents lieux pour toucher des publics divers (café, salle municipale, bibliothèque.....), s'associer à d'autres manifestations culturelles (vernissage expos, journée des musées, MJC...), choisir une structure d'accueil (foyer rural), pour une aide à la logistique (affichage photocopies micro.....) et une couverture assurance.

Le groupe de passeurs de poèmes

 Quel a été le contenu donné jusqu'à présent à ces rencontres ?

 Chaque rencontre dure environ une heure. La première demie-heure est consacrée à la présentation d'un poète : sa vie, ses écrits, ses poèmes et la seconde est réservée aux œuvres choisies par les passeurs de poèmes (coups de cœur). Depuis mars 2016, nous avons lu la poésie de Jean-Luc Pouliquen, Alain Borne, Juliette Couderc Vercueil, Andrea Genovese, des poètes du Sud de la revue Souffles, des incontournables (Baudelaire,Verlaine, Rimbaud, Aragon, Garcia Lorca...), des poètes de l’École de Rochefort dont René Guy Cadou, ainsi qu'Yves Rouquette, Max Rouquette, Max-Philippe Delavouët... en occitan et en français et de beaucoup d'autres.

Parlez-nous un peu des lieux choisis et du retour que vous avez eu du public. 

En général nous investissons 2 lieux principaux. A la bibliothèque le samedi après-midi, ce sont les séniors qui assistent à la rencontre. L'accueil est chaleureux. Les gens trouvent un réel plaisir à se rencontrer, à échanger des poèmes. La séance se termine par un goûter apporté par chacun. Au bar, en soirée, il a fallu que chacun trouve sa place. Les habitués accoudés au zinc ne participaient pas vraiment. Petit à petit, ils ont tourné leurs chaises vers le coin poésie. Le public, une quarantaine, reprend les chansons du guitariste dont les textes sont en rapport avec les poèmes. La majorité reste en fin de soirée pour échanger autour d'une soupe à l'oignon ou un autre plat préparé par la patronne. Ces moments-là ne sont possibles que grâce au travail des passeurs de poèmes, choisissant dans la palette de leurs émotions, le ton juste pour dire la parole du poète.

Rencontre estivale

Que préparez-vous pour les prochaines rencontres ? 

Les deux prochaines rencontres auront lieu au mois de mars, le 10 à la bibliothèque de Bouzigues, le 17 au Bar du Globe. Elles seront toutes les deux consacrées au poète Jean-Marie Petit qui est, je crois, un familier de votre blog.

Tout à fait, nous avons eu plaisir à l'accueillir ici plusieurs fois. Merci à votre tour de faire partager sa poésie à votre public et bonne continuation dans vos rencontres.

Complément :
Pour être informé des rencontres poétiques de Bouzigues, contacter Roselyne Camelio : roselyne.camelio.varlet@gmail.com






samedi 27 janvier 2018

Une nouvelle revue pour le nouvel an

Commencé en janvier 2010 L'oiseau de feu du Garlaban entame sa neuvième année. Les statistiques du blog indiquent à ce jour plus de 150 000 pages vues. Voilà un encouragement à continuer à faire vivre cet espace au service de la poésie. "Espace" est un mot repris par Maria do Sameiro Barroso pour le titre de la revue qu'elle a créée en 2017 et qui s'intitule en portugais Espaço do ser. Celle-ci se veut internationale et le n°2 auquel j'ai été associé est largement consacré à la poésie de langue française.


La revue voudrait répondre à "un besoin de croissance et de dialogue". Elle est née "d'une pulsation organique, comme celle de la poésie elle-même, invitant à la réflexion et au partage. C'est un espace ouvert sur le monde, un point de convergence qui ajoute des visages et des silences, décodés dans des voix multiples, registres et tendances poétiques". Elle se divise en quatre parties, la première consacrée à un poète invité, la deuxième proposant une anthologie des poètes écrivant dans la langue choisie pour le numéro, la troisième dédiée à la traduction et la quatrième rassemblant des essais sur l'art, la poésie et la littérature. Au final c'est un riche numéro de 130 pages dans lequel les habitués de ce blog retrouveront bien des voix qui y ont été accueillies, de langue française mais aussi, avec traduction en français, occitane, turque ou portugaise du Brésil.

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