Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

mardi 12 septembre 2023

En souvenir d'Andrée Appercelle

Il y a tout juste un an, Andrée Appercelle nous quittait. Elle était dans sa 97ème année. Je voudrais aujourd'hui lui rendre hommage en évoquant la séquence où je l'ai fréquentée et dire le souvenir merveilleux que j'en ai gardé.

J'ai rencontré Andrée Appercelle à Lodève lors du Festival Voix de la Méditerranée qui s'y est tenu de 1998 à 2009. À l'époque, je demandais systématiquement aux poètes qui avaient été en âge de le connaître lorsqu'il écrivait ses livres de poétique, si ils avaient été en contact avec Gaston Bachelard et ce fut le cas pour Andrée Appercelle.

Elle avait correspondu avec le philosophe entre 1953 et 1960, était allée lui rendre visite à son domicile parisien situé au pied de la Montagne Sainte-Geneviève et avait noué avec lui une relation tout autant poétique qu'affectueuse.

Avec le soutien de l'Association des Amis de Gaston Bachelard, nous avons pu alors envisager la parution des lettres qu'elle avait reçues de lui, complétée par une évocation  d'Andrée Appercelle de ce qu'elle appelait des "Rencontres-Bonheur".

Elle concluait ainsi : "Je me souviens : Gaston Bachelard et son foulard rouge, sa barbe de neige, son sourire indulgent ; modeste artisan devant son bureau, luttant pour arriver au terme de tout ce que son esprit désirait transcrire. Cinquante ans en arrière, avec tout ce qui a défilé dans ma vie, je mesure la chance de l'avoir rencontré. J'essaye de me souvenir de sa voix, de son accent. Gaston Bachelard était un être de soleil, de flamme douce. Ce mot soleil, je l'écris souvent dans mes poèmes, il me révèle la passion que je mets en lui, ma flamme aussi. Merci, Monsieur Bachelard, de m'avoir enrichie, éveillée, vous que j'appelais avec élan "le Grand-Père des Poètes".

Une des lettres était accompagnée du poème qu'André Appercelle avait dédié au philosophe. Il sera par la suite repris dans son recueil Mousse et Chèvrefeuille, le voici:

L'Oiseau Bulle

Une goutte de soleil

chante, vibre, veille

dans la chambre,

Une goutte de soleil se cambre

et se pose sur mes cheveux.

Un chrysanthème d'or

secoue ses pétales joyeux

au creux de ma main,

Un chrysanthème d'or

au parfum de thym.

Une feuille de chair cueillie

à l'arbre de la vie

palpite sous la voix de la pluie,

s'endort sur les doigts de la nuit.

Et je suis le sillon chaud et gourmand

où tombent, graines sous le vent,

les notes claires et gaies du chant

de la fleur de soleil,

Et je suis le sillon chaud creusé

où se blottissent deux gouttes noires

luisantes comme peau de poire

sous lèvres de rosée,

Et je suis le pollen

de la fleur de soleil

si de ma gorge d'homme tombe un fruit

juteux et doux au cœur du petit canari.

 

Andrée Appercelle restera par la suite toujours fidèle à son souvenir. Quand, en 2007, a été publié mon livre Gaston Bachelard ou le rêve des origines  qui faisait la part belle à la relation du philosophe avec les poètes, elle a organisé dans une librairie de Grenoble une rencontre pour que je puisse le présenter. À plus de quatre-vingts ans elle poursuivait cette activité généreuse au service de la poésie qu'elle avait commencée dès les années cinquante.

À cette période également elle préparait un livre qui témoignait d'une autre fidélité qu'elle avait toujours manifestée, cette fois envers les animaux.

Dans cet ouvrage, elle faisait parler en poèmes Judith, un macaque d'Asie qu'elle avait adoptée en 1974 dans un refuge de la S.P.A.D. de Grenoble où l'animal avait été recueilli dans un état pitoyable à la suite de mauvais traitements. Son compagnonnage avec celle qu'elle considérait comme "une petite sœur" durera 23 ans. 

Venue d'Asie

je m'appelle

Judith

rutilante

d'une beauté

à quatre mains

en un temps

de coco-sucré

où je sautais

entre les branches

sans me casser

le nez

Complément :

- Andrée Appercelle sur le site du Printemps des Poètes.