Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 5 juillet 2025

En souvenir de Denise Boucher

 Quand revient juillet, je repense à ces années heureuses où je me rendais à Lodève pour participer au festival international de poésie Les Voix de la Méditerranée. Le temps a passé et déjà quelques membres de l'équipe d'animation à laquelle j'appartenais nous ont quittés. Ainsi de Bernard Mazo en 2012, de Kolja  Micevic en 2020, et de Nicole Drano en 2023. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris au mois de mars dernier que Denise Boucher les avait rejoints.

Denise Boucher faisait un long voyage pour nous retrouver en terre languedocienne puisqu'elle arrivait du Québec. Sa joie de vivre, son humour, sa voix chaleureuse rendaient sa présence lumineuse et nous avions plaisir à compter parmi nous cette forte personnalité qui représentait sur nos rivages méditerranéens les Latins d'Amérique du nord. Les quelques livres que j'ai d'elle vont me permettre de la présenter.

Ce livre de poésie paru en 2002 dans lequel elle est associée à Andrée Appercelle, déjà présentée dans ce blog, a été publié dans la collection Vis-à-Vis dirigée par Claudine Bertrand. Cette collection se propose de rassembler deux voix poétiques dans un même ouvrage, l'une d'ici et l'autre d'ailleurs, invitant à un voyage intérieur dans lequel audace, passion et risque seront convoqués. J'ai choisi de reproduire le poème de Denise Boucher dont le titre est également celui de son recueil :

ACTES DE VIE


avec les oies revenues

qui figurent au ciel

les calligrammes d'Apollinaire


avec les bontés

qui mouillent dans vos yeux

et m'ancrent à vos côtés


avec le perce-neige phœnix

qui fend la contradiction blanche

pour se darder au soleil


avec le jour d'avril

qui s'allonge sur le divan

pour que l'on s'aime toujours


avec la porte enfin ouverte

d'où l'on voit le voisin

sortir son râteau


avec la débauche rappelée

qui découvre les herbes

et les corps fatigués


avec cette chaleur

qui grimpe déjà en nous

bien avant les pivoines


avec ces graines des fleurs

de l'an passé même si on me dit

qu'elle ne m'appartienne plus


je respire déjà les résurrections


    Les Fées ont soif est une pièce de théâtre qui fait date dans la vie de Denise Boucher tout autant que dans l'histoire culturelle du Québec. Lorsqu'elle fut jouée pour la première fois en 1978, elle créa une véritable révolution dans les esprits et échappa de peu à la censure. Voici ce qu'en dit Lise Gauvin dans sa préface de l'édition de 1989 : "Du manifeste, Les Fées ont soif a encore et surtout l'aspect iconoclaste. Au sens propre et fort du terme. [...] Les archétypes de la Vierge, de la mère et de la putain, plus qu'un système de représentation théâtrale efficace, sont les fondements mêmes sur lesquels on s'est appuyé pour évacuer la femme de sa propre histoire et de son corps. L'originalité de la pièce a été de lier les trois images, d'en faire une trinité opérante et parlante, capable de dénoncer ses peurs, ses manques et, par-dessus tout, son état de latence. [...] A la violence des actes et des modèles, Les Fées opposent la machine désirante du je se constituant comme sujet. Et ce, au risque de l'anarchie libertaire."



    Une Voyelle paru en 2007 est un récit autobiographique dans lequel Denise Boucher nous fait partager soixante-dix ans de sa riche existence. On la suit depuis son enfance à Victoriaville jusqu'à ces dernières années où elle est souvent venue en France. D'abord enseignante, elle est ensuite devenue journaliste avant de s'affirmer comme écrivaine, poétesse, dramaturge, romancière et auteure de chansons. Femme de nombreux combats, elle a toujours pris le parti de la liberté contre toutes les formes d'oppression, rencontrant en chemin de grandes figures de la poésie et de la littérature comme Gaston Miron par exemple. Comme le souligne son éditeur : "A travers elle, on lira le parcours d'un Québec qui a émergé de l'eau bénite pour s'enfoncer dans le maquis de la contre-culture avant de se retrouver à l'air libre. Mais c'est au soleil de la poésie que l'auteure s'échauffe encore et toujours, une poésie saine et belle, humaniste, qui imprègne d'une beauté courageuse les pages de cette autobiographie." 

    Donnons lui la parole pour terminer cet hommage :


Complément :

dimanche 1 juin 2025

Un poème d'Arta Seiti

Voici un poème qui trouve une résonnance particulière dans ce blog  puisqu'il fait référence au Garlaban qui a tant compté dans mon aventure poétique. Je suis heureux qu'Arta Seiti, qui se partage entre Paris et la Provence, ait pensé à me le proposer. Tout en célébrant ce sommet si cher à Marcel Pagnol, il va nous permettre de découvrir une nouvelle voix de la poésie d'aujourd'hui.

Arta Seiti

Née en Albanie, Arta Seiti est auteure et poétesse d’expression française. Après un parcours littéraire et des études en relations internationales, elle a publié dans plusieurs revues françaises des articles dédiés à l’Europe du Sud-Est accordant une place essentielle à la dimension anthropologique. Suivent, ensuite, les années en tant que chargée d’enseignement supérieur, à Lille, et quelques publications de poèmes. Arta Seiti se consacre désormais à l’écriture poétique. Elle publie son premier récit « Nimbes », Fauves éditions, en 2018, « Surface suivi de Case-ciel », éditions du Petit Véhicule, 2019 (prose et poèmes), « La cime ne me contredit pas », Fauves éditions, 2021 (prose poétique), « Mais dans le désir seuls demeurent les poètes », éditions du Petit Véhicule, 2022 (recueil de poèmes), « Ô rendez-moi la mémoire des ombres, l'autre bout du bleu », éditions du Petit Véhicule, 2024 (recueil de poèmes). Sa nouvelle « Quand midi sonnera » vient de paraître dans le numéro 10 de la Revue Daïmon.

Devant le Garlaban

Parmi le paysage de garrigue
Et les roches bleues de Pagnol
À travers l’émoi du thym odorant
Du chant des cigales
Du corps vert des vallons
Garlaban jette à la nature ingénue
L’excès d’une tour embaumée d’amour
De sacrifice et de grâce
Garlaban semble sourire à sa fête
Sous les pins d’Alep
Entouré de bourgeons rouges d’églantiers
Garlaban court sous les chênes pubescents
Garlaban forme des vœux tendres

Garlaban promène son œil jusqu’à 
la Méditerranée
Vole et vient
Garlaban étend sous mes pieds une terre
Caressée de fenouil et de menthe
Garlaban met sur ma tête
Un ciel d’astres
Garlaban verse à mes yeux
Un vent doux et fidèle
Garlaban !
Nous adonnons-nous
À un élan lavé de la rosée de ce matin ?

Arta Seiti

Complément :

- Le blog d'Arta Seiti.


samedi 3 mai 2025

Le nouveau recueil de Monique Marta

Nous avons déjà présenté dans ce blog l'itinéraire poétique et spirituel de Monique Marta et rendu compte de ses parutions. Le dernier ouvrage dont nous avions parlé concernait un essai sur le silence. Le recueil de poésie dont il est question aujourd'hui et qui s'intitule L'Opacité du ciel le prolonge en même temps qu'il l'englobe dans une quête plus large.


Dans sa préface Hoda Hili a bien noté que les interrogations mystiques auxquelles se livre l'auteure ont partie liée avec le silence. Elle écrit : "L'esprit ne se résout pas si simplement à croire ou ne pas croire aux questions sans réponses. L'absolu silence qui plonge dans la solitude suscite, au contraire, un flux continu d'agitation et de bavardage intérieurs. L'opacité se révèle être un magnétisme que le mystère exerce sur l'esprit, l'irrésistible attrait qui le condamne à désirer savoir le sens d'une vie et de sa fin, sans parvenir à combler cet outrageux désir d'infini" avant de reprendre les propres mots de Monique Marta : "Au cœur de la nuit, / le silence, pourtant, toujours, / comme une insulte."
Il s'agit dès lors de suivre l'auteure dans son parcours, d'en épouser le mouvement. Sur plus de quatre-vingts pages, par une suite de poèmes, parfois lyriques, parfois prenant la forme de notations brèves, Monique Marta partage avec nous ses émotions, ses réflexions, ses espérances, aiguillonnée par ce désir d'étancher sa soif d'un bonheur définitif.
Elle sait les souffrances du corps et du cœur, les limites de la satisfaction des désirs immédiats, elle en appelle à l'amour, à la mémoire de l'enfance, aux sources d'un renouvellement de l'être. Elle puise in fine sa force dans une fréquentation intime de la nature :

Après moult adversités,
Après le chagrin,
Le chaos,
La maladie,
Le don de joie me fut offert.
Mes larmes
Ne sont plus que d'émotion.
J'ai la paix des prairies
Et des bois.
Viennent le chant du rouge-queue,
Je m'accorde à son chant.
Passe, au ciel, un nuage blanc,
Je le suis dans sa course.
J'aime le vent, le papillon,
La violette.
Mon rire s'allie
Au rire des rus et des cascades.
Paix et joie dans mon cœur :
Est-ce ainsi qu'est le bonheur ?

Complément :


 

 

mercredi 2 avril 2025

Georges Pompidou et la poésie

En ce jour anniversaire de sa mort, le 2 avril 1974, je voudrais rendre hommage à Georges Pompidou au travers de sa passion pour la poésie. J'associe à cet hommage, son fils, le Professeur Alain Pompidou dont le décès en décembre dernier nous a plongé dans la peine. C'est grâce à lui que j'avais pu faire paraître en 2016, mon essai intitulé Georges Pompidou, un président passionné de poésie.

Je souhaiterais aujourd'hui l'accompagner de documents sonores qui permettront de saisir plus profondément encore la connaissance qu'avait Georges Pompidou des poètes et de leurs œuvres.

Le premier document concerne son intervention dans un colloque à Nice en mai 1967 pour le centième anniversaire de la mort de Charles Baudelaire. Georges Pompidou est alors Premier ministre de la France et a tenu à honorer de sa présence une manifestation consacrée à son poète de prédilection.

Intervention de Georges Pompidou

Le deuxième document nous donne à entendre une soirée organisée le 28 avril 1969 à la Comédie-Française sur le thème "Poésie et Politique". Georges Pompidou l'avait préparée avec Jacques Toja dans une période où il en avait toute la disponibilité. Il n'était en effet plus Premier ministre depuis le 10 juillet 1968 et pas encore Président de la République. Mais la veille de cette soirée, Charles de Gaulle, se sentant désavoué par les résultats du Référendum qu'il avait proposé aux Français sur "le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat" avait démissionné de ses fonctions. Si bien que la priorité était pour Georges Pompidou de se préparer sans attendre à prendre sa succession et de présenter sa candidature à l'élection présidentielle qui allait découler de cette vacance du pouvoir. Il ne put donc participer à cette soirée et livrer en introduction le fruit de ses réflexions sur les relations qui existent entre la poésie et la politique. C'est Jacques Toja qui lira son texte.

Ce texte est connu. Le Professeur Alain Pompidou m'avait même autorisé à le reproduire à la fin de mon essai. Ce qui est moins connu, car il n'y en avait pas à ma connaissance la trace écrite, c'est la sélection de poèmes qui suivit et que les comédiens du Théâtre-Français mirent remarquablement en valeur. Ce choix fait écho à l'Anthologie de la poésie française que Georges Pompidou publia en 1961. On y retrouve la même exigence de qualité, de donner à entendre ce que la langue française peut créer de meilleur, en y incluant cette fois un poète vivant, Louis Aragon en l'occurrence, ce que n'avait pas fait l'anthologie qui s'était fixée pour règle de ne parler que de poètes disparus.

Mais jugeons par nous-mêmes et prenons plaisir à revivre ce moment de poésie désormais historique :








samedi 1 mars 2025

En souvenir de Michèle Serre

 C'est avec une très grande tristesse que j'ai appris l'été dernier par son mari, le peintre Pierre Sentenac, la disparition de Michèle Serre. Une même conception de la poésie nous avait rapprochés et avait créé entre nous de solides liens d'amitié. Ils avaient débouché sur la participation de Michèle à ce blog que je vais rappeler aujourd'hui.


Ce blog a été ouvert en janvier 2010, dès février Michèle intervenait dans un article intitulé Poésie & Chanson. Elle y donnait ces réflexions d'une grande justesse sur l'une et l'autre : "La poésie, c’est le face à face avec nous-mêmes, avec la nature, avec les autres et ce face à face se poursuit inlassablement, sans brisures, à travers les pays et les siècles. Elle n’a nul besoin « des trompettes de la renommée » c’est pourquoi aujourd’hui, elle subit l’exil mais elle n’est point morte. La chanson est partage direct, communication facile et émotionnelle ; elle est la sœur la plus conviée de toutes nos fêtes. Pourtant, lorsque l’écho de celle-ci faiblit et s’éteint peu à peu et qu’il ne nous reste alors que la nostalgie, on a envie de se tourner vers la poésie, sœur plus étrange, moins facile à apprivoiser et dont le mystère est toujours aussi grand."
On se rapportera aussi à la fin de l'article pour y retrouver une présentation de l'itinéraire poétique de Michèle Serre.

Cette même année 2010, était proposée une exposition virtuelle des peintures de Pierre Sentenac durant tout le mois d'août sous le titre générique La tête dans les étoiles. C'est Michèle qui s'était chargée de la présentation générale des œuvres de son mari, les accompagnant également de ses poèmes ainsi que de courts textes d'une rare finesse d'analyse comme celui-ci : "Pourquoi ai-je besoin ou envie de recourir à des termes musicaux pour parler des peintures de Pierre Sentenac ? Ce qui me frappe au premier abord c’est la sonorité des couleurs, l’émergence des vibrations lumineuses qui semblent éclore d’un paysage intime où le rêveur puise les signes mêmes de la réalité. Réalité précaire dans la fugacité du souvenir. Mais aussi rêve profond d’un ailleurs dont la musique nous donne la nostalgie. Rapport secret à la nature et au temps."

En janvier 2011, Michèle répondait à mes questions pour nous présenter la collection Passeurs du temps qu'elle avait créée à l'intérieur de sa maison d'édition Le Bien-Vivre et qui réunissait tout à la fois ses qualités de critique d'art et de poésie, de pédagogue et en premier lieu de poète. Après en avoir expliqué la genèse, elle s'attardait plus précisément sur sa dernière parution consacrée à Ossip Mandelstam. Au mois de novembre de la même année, c'est un nouvel opus de la collection qui était présenté. Michèle signait cette fois un Victor Segalen, un rêveur d'écriture.

Au fil des ans, les parutions de Michèle se succèderont et nous nous en ferons l'écho. En 2012, ce sera Aux sources de l'éclair, une confrontation entre René Char et Hans Hartung. En 2013, La Tête dans les étoiles, prolongera en livre l'exposition virtuelle proposée dans ce blog trois ans plus tôt. Comme toujours, le livre sera un bijou, réalisé avec soin par Pierre sur du beau papier, avec un tirage limité.

La dernière parution dont j'avais rendu compte remonte à février 2021. Michèle avait ouvert avec Pierre en novembre 2011, un blog intitulé Poésie art de vie où elle publiait au fil du temps et de ses coups de cœur, ses chroniques sur l'art et la poésie. Dans la même dynamique que pour La Tête dans les étoiles, elle en avait édité certaines avec la complicité de Pierre. A son propos j'écrivais : "Ce livre est plus qu'une collection de textes et d'images, c'est un véritable manuel du bien vivre dès lors que l'on a choisi d'alimenter sa pensée, ses sens et ses émotions à la source de la création la plus authentique."

Compléments :
- L'hommage de Pierre à son épouse sur le blog Poésie art de vie.
- Le portrait de Michèle est de Jacques Basse qui l'a accueillie dans le tome 6 de ses Visages de poésie.

samedi 1 février 2025

Un poème d'Ann Cefola

  Il y a exactement cinq ans j'accueillais dans ce blog Ann Cefola qui nous faisait partager un peu de son parcours poétique du côté de New York. Ann Cefola a depuis continué son chemin et fait paraître When the Pilotless Plane Arrives (Trainwreck Press, 2021). Elle a de même traduit du français un livre d'Hélène Sanguinetti paru sous le titre Alparegho, like nothing else (Beautiful Days Press, 2025). D'autres encore de ses traductions ont été publiées dans CircumferenceExacting ClamHunger Mountain, et twotwoonenyc. On pourra par ailleurs trouver sa poésie la plus récente dans des revues comme Blood and Bourbon (Canada), Hawaii Pacific Review, et Women’s Studies Quarterly, ainsi que dans les anthologies Duo (Linen Press, 2024), All Shall Be Well (Amethyst Review, 2023), I Wanna Be Loved by You (Milk & Cake Press, 2022), Poets Echoes and Tributes (ArsOmnia Press, 2021), Brought to Sight and Swept Away (Vita Brevis Press, 2021), Verdant (Truth Serum Press, 2020), ou Mother Mary Comes to Me (Madville Publishing, 2020).

Ann Cefola devant un train d'époque à North Conway,
 dans le New Hampshire, automne 2024.

Je suis heureux aujourd'hui de présenter un de ses poèmes :

Wildlife


This morning wild turkeys like a string

of black pearls break across my ochre lawn,

a dozen, little, wise enough to lift in gobbles to low poplars

as a coyote pup—all inked face and tail—emerges from

a mulberry bush, stunned by the sight of the brown orange tribe

but spurred by easier rodent scents to sun-shadowed pine depths,

returning elders to peck, serenely gather their young

whom I’d love to follow single-file up the empty stream—

a last poult, belly full, eager to one day spread

my autumnal fan—but I am already with the awed coyote

racing the wood’s hungry heart.



Vie sauvage

Ce matin, des dindes sauvages, comme un chapelet
de perles brunes, traversent l'ocre de ma pelouse,
une douzaine, petites, assez sages pour se soulever en gloussant

                                                                                [ jusqu'aux peupliers
alors qu'un jeune coyote—le visage et la queue encrés de noir—émerge
du buisson d'un mûrier, abasourdi à la vue de la tribu marron-orange
mais stimulé par les odeurs de rongeurs plus faciles à sentir

jusqu'aux profondeurs des pins traversés par le soleil,
retour des aînées pour picorer et rassembler sereinement leurs petits
que j'aimerais suivre en file indienne dans le lit du ruisseau vide—
une dernière volaille, le ventre plein, j'ai hâte de déployer un jour
mon éventail d'automne—mais je fais déjà la course

avec le coyote étonné dans le coeur affamé de la forêt.


                                Ann Cefola

                  (Traduction de Jean-Luc Pouliquen)



mardi 7 janvier 2025

Les fantômes de Franz Kafka, Nâzim Hikmet et Samuel Beckett

Nous commençons l'année, comme nous avions terminé la précédente, en présentant un livre de la collection regards turcs. Et là encore, avec une pièce de théâtre, l'auteure étant la directrice de la collection elle-même, Sevgi Türker-Terlemez.


 Ce livre, fruit d'une longue maturation, a été précédé de travaux universitaires sur les trois auteurs évoqués, travaux qui constituent la matière dans laquelle Sevgi Türker-Terlemez est allée puiser pour écrire cette pièce en un acte et dix-neuf scènes.
On peut même dire que l'Université est le point de départ de la pièce puisque le personnage pivot est une jeune doctorante dont la thèse a pour intitulé Esthétique et métaphysique de l'attente avec Le Procès de Franz Kafka, Ferhat et Şirin de Nâzim Hikmet et En attendant Godot de Samuel Beckett.
Mais le théâtre va vite s'imposer car les fantômes des trois auteurs qui hantent l'imaginaire et les pensées de la jeune fille vont prendre possession de l'espace scénique pour se livrer à des échanges inattendus auxquels vont se mêler également leurs personnages. Ainsi interviendront par exemple pour Kafka, Joseph K., pour Nâzim Hikmet, Ferhat et Şirin, pour Beckett, Vladimir et Estragon.
Sevgi a su entremêler avec bonheur les personnages réels, la doctorante, son ami, son directeur de thèse avec la présence des trois fantômes et leurs créatures romanesques ou théâtrales. 
De leurs interférences va naître une invitation à la fois à mieux connaître ces géants de la littérature du XXe siècle mais aussi à mesurer l'actualité de leurs interrogations sur le sens et le non-sens de l'existence, d'une humanité souffrante aussi qui peine à trouver une sortie par le haut.
Comme l'écrit Philippe Tancelin dans sa préface : " Si Sevgi Türker-Terlemez parvient à nous faire rêver tout au long de la pièce, c'est bien parce que ce rêve est sans cesse maintenu en éveil et excite notre vigilance vis à vis de l'histoire de chacun des trois fantômes ; mieux encore, est énoncé de manière très concise, l'essentiel de chacune de leur démarche. Le sens profond et authentique de leur réflexion y compris philosophique, est évoqué à travers de larges citations de leurs écrits". Nous rajouterons que cette pièce nous donne l'occasion d'entendre quelques  poèmes de Nâzim Hikmet dans une traduction inédite de l'auteure.
Il y a quelques années un livre qui avait pour titre Petites scènes, grand théâtre rendait compte de toutes ces petites salles parisiennes qui avait porté le théâtre de création de 1944 à 1960, en particulier celui de Samuel Beckett. Lisant les didascalies qui accompagnent les répliques des comédiens de la pièce de Sevgi Türker-Terlemez, nous nous sommes dit que c'est dans ce genre de salle, située de préférence rive gauche, que devrait se jouer Mes trois fantômes... Ce qui ferait le bonheur des amateurs encore nombreux de ce théâtre de qualité.

Complément :