
Compléments :
« Bachelard avait "une confiance éperdue" dans les mots. Il dira de René Guy Cadou : "Je ne sais quelle tendresse mène ses images". Poète et philosophe, Bachelard fut et est toujours l'essentiel pour comprendre et mettre le phénomène poétique au plus haut dans les relations humaines.
Pour Bachelard, Rochefort fut cet ardent creuset de poésie française. J. -L. Pouliquen replace les oeuvres des Bouhier, Cadou, Bérimont, Manoll, Rousselot, Béalu fleurs et fruits de l'âme entre rêveries et espaces. Ils furent "une phalange de jeunes entre 18 et 25 ans autour d'une figure centrale : Max Jacob" selon Roger Toulouse, une présence concrète, épistolaire, fraternelle qu'on n'imagine plus aujourd'hui souligne avec éclat C. Pelletier. C'est d'ailleurs Max Jacob qui prévint Manoll du projet de Jean Bouhier et Pierre Penon.
A. Germain met en évidence le rôle de Reverdy dans l'écriture des poètes de Rochefort. O. Delettre évoque les origines, de Jean-Daniel Maublanc à Julien Lanoë. J. Lardoux présente un Cadou d'anthologie. J. -C. Coiffard et J. Taurand remontent aux sources de l'amitié Cadou/Manoll. J. -N. Guéno dévoile un Rousselot à vif.
De Rochefort à la Coupole, Serge Wellens raconte les nouvelles années de partage. Hélène Cadou dit le sens de l'éternité et de l'histoire, via René Guy qui habitait l'âme de ces frères en poésie. "A Rochefort, on était dans le coeur des coteaux de layon et du quart de chaume qui est un vin très appécié" disait Jean Bouhier. Ces poètes vécurent "une immense saison d'amitié" selon Luc Bérimont et surent faire vivre une haute poésie lyrique.
Et n'oublions jamais que la joie de la rencontre soulignée par Roger Toulouse est le fondement même de cette Ecole de Rochefort-sur-Loire.»
Compléments :
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- Franco Beltrametti présente Leçon du coeur Jeu de la mort de Jean Monod paru en 1995 :
Un recueil de vingt-huit ans de poésie, qui "bouge" d'un classicisme limpide ("tu es reine tu n'es rien je te regarde") à une philosophie provocante ("Il aurait, je crois, parlé de mouches") à un expérimentalisme déroutant ("Avant je creusais / maintenant j'avance") à une grâce zen ("Je regardais dans le jardin. / Sans doute un insecte. / C'était la nuit.") - juste pour signaler quatre directions.
Vous voyez comme elles sont interchangeables, et il y en a beaucoup d'autres. Leçons du cœur jeu de la mort de Jean Monod est un volume monolithique qui articule des expériences diversifiées, dont la caractéristique commune est le désir d'une prise directe et quotidienne sur le réel, prise à laquelle l'auteur a été d'une redoutable fidélité.
Les choses sont abordées, interrogées et poussées aux limites, «l'émotion dévastatrice», ni romantique ni antiromantique, est balancée par une pratique d'objectivation qu'on peut qualifier de classique au sens noble du terme. Il s'agit d'une attitude plutôt que d'une formalisation - et ceci est bien intrigant. Peut-on combiner Stendhal avec un chamane? Jean Monod, dans son écriture, semble prouver que oui.
Il est (ou a été, ou sera) anthropologue de pointe (voir son premier livre-enquête Les barjots, entrepris en 1966 à l'instigation de Claude Lévi-Strauss; et vingt ans plus tard Wora, la déesse cachée, sur les Indiens Piaroa de l'Amazonie vénézuélienne et sur les mutations du chercheur Jean Monod). Il a fait du cinéma comme réalisateur (Histoire de Wahari, 1975) et comme acteur (Dionysos de Jean Rouch, 1984); il a été romancier (Raid, 1990, une visite intense aux Indiens Lakota); il s'est occupé d'astronomie et de philosophie free-wheeling. Poète-voyageur au Japon (Distante écume, 1992), vidéaste (Qu'est-ce qui se passe? 1994), il est aussi éditeur: voir les livres AIOU et la revue internationale de poésie-image du même nom.
Un nouveau front est celui de la performance ou poésie-action, où il explore de nouvelles situations avec la danseuse japonaise Kagumi; un autre est la traduction de la poésie - de l'anglo-américain (Tom Raworth, Cid Corman, Duncan McNaughton, Scarecrow, James Koller), de l'italien (Dario Villa, Patrizia Vicinelli, Corrado Costa,Franco Beltrametti), de l'espagnol (Arystéides Turpana), du japonais (Nobu Wada), seul ou avec le groupe B.T.G.
Personnage aussi direct que complexe, Jean Monod, par son écriture aussi instantanée qu'élaborée, offre de manière frappante des parcours et des niveaux qui laissent au lecteur une liberté de lecture subtilement projectuelle. Disons que Jean Monod est un écrivain qui aime transmettre des choses simples de façon articulée et des choses articulées d'une façon très directe, ce qui fait la dynamique "savante" de ces textes qui se renvoient les uns aux autres avec une clarté cohérente, combinée avec un "laisser-faire" qui est une porte ouverte à la totalité toujours reculée. Et ceci semble correspondre à une confiance positive, vécue par l'auteur dans la vie et l'art, et désirée dans ce que j'appelle, faute d'un meilleur terme, l'utopie possible.
Expérience rare. Et livre nécessaire. Nécessaire pour l'auteur, qui a voulu marquer certains points de "tout" son travail, et nécessaire pour le lecteur, qui désormais peut se confronter à une pensée riche et composite projetée avec rigueur dans une continuité surprenante d'invention d'écriture-action.
Ceci est d'une profondeur significative, tant dans le contexte de l'avant-garde actuelle que, j'y insiste, dans le renouvellement d'un classicisme serein qu'on pourrait, parfois, dire traditionnel - si par tradition on entend aussi bien la "sauvage" que l'européenne, non moins sauvage.
Voulez-vous voir comment la pensée amazonienne se combine avec celle des philosophes pré-socratiques, celle-ci avec la "poésie-experiment", et, surprise permanente, avec le goût solide du jeu spontané et sophistiqué? Lisez Leçons du cœur jeu de la mort et vous m'en direz quelque chose. Après plusieurs lectures croisées de ce volume puissant et consistant de 275 pages choisies, on peut confirmer la justesse de l'observation d'Ezra Pound via Basil Buntig, que la poésie - Dichtung en Allemand - signifie "faire dicht", faire dense. Jean Monod écrit avec une légèreté admirable des choses d'une extrême densité. Ce livre va durer. En plus j'ai des raisons bien fondées de croire qu'il nous prépare d'autres renouvellements métamorphiques, d'autres surprises. Dans quelles directions, quels domaines? Jean Monod est sans aucun doute un des maîtres actuels du "nécessaire" dans l'art non-dualiste et transgressif du make it new.
«C'est un repaire de dragons, me dit-il.» (page 269) - et je m'arrête là.