Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

mercredi 30 octobre 2024

Le groupe des poètes de Nantes

 Voilà une parution qui fait plaisir à lire. Pour une fois, il ne s'agit pas d'une démarche solitaire, c'est une aventure collective qui est présentée. "Tout cela en ces temps de nausée et d'individualisme où être un poète qui ne parle pas seulement de lui, mais aussi de l'autre, de la vie des arbres, semble un délit" peut-on lire en ouverture.

Cette aventure collective, racontée par Christian Bulting, est une contribution à l'Histoire de la poésie contemporaine. Elle me touche particulièrement car elle s'inscrit dans le courant auquel je me rattache et dans lequel L’École de Rochefort apparaît comme la figure tutélaire.

Je me souviens d'un colloque à Agen, organisé en 1991 pour les cinquante ans de L’École de Rochefort, où ma communication avait pour titre : En aval de Rochefort. Celle-ci s'arrêtait aux années soixante/soixante-dix et montrait comment la génération qui avait suivi celle de Jean Bouhier et de ses amis avait repris à son compte l'héritage tout en le renouvelant.

Christian Bulting va plus loin encore dans le temps en nous présentant un groupe de poètes nés pour la plupart dans les années cinquante. Ils ont pour nom Gilles Pajot, Philippe Gicquel, Christian Bulting, Jean-François Dubois, Jean-Noël Guéno, Françoise Moreau, Patrice Angibaud et Marie Massiot. Certains d'entre eux ne sont hélas plus de ce monde.

Entre Rochefort et eux, s'intercalent des aînés  dont ils sont redevables comme Miche-François Lavaur et sa revue Traces ou Louis Dubost et sa maison d'édition Le Dé bleu. Leur aventure procède de l'amitié et de la solidarité entre poètes. Quand Gilles Pajot disparaîtra prématurément en 1992, ils s'emploieront à continuer de faire paraître ses poèmes.

Comme le dit le texte d'ouverture : "Ce groupe de poètes a réussi merveilleusement le mariage de l'action et du rêve". Leur écriture se fait connaître par des revues qui sont aussi des maisons d'édition et ont pour nom Info/Poésie ou A Contre-Silence.

Ce qui me frappe dans le groupe, c'est son fonctionnement que j'appellerai organique et qui n'a pas encore était contaminé par une prise en charge de la vie poétique par les institutions culturelles. Certes Christian Bulting a été président de La Demeure de René Guy Cadou et secrétaire de la Maison de la poésie de Nantes mais cela n'a pas modifié, me semble-t-il, son rapport à la poésie. 

Une anthologie des poètes cités, réalisée avec Jean-Noël Guéno, complète sa présentation du groupe. Elle illustre bien ces années de création où l'attention à la poésie du quotidien était forte tout comme l'influence de la poésie anglo-saxonne.

Une dernière partie est consacrée aux groupes et aux écoles dans la poésie française avec cette référence à René Guy Cadou qui voyait avant tout Rochefort comme une cour de récréation. Ainsi sont évoqués : La Pléiade, Le Romantisme, Le Parnasse, Le Symbolisme, Le Surréalisme, L’École de Rochefort, L’École de Brive.

Il est toujours difficile de faire des classifications et rattacher tel ou tel poète à une école peut être réducteur. C'est ainsi que personnellement je ne réduirai pas Apollinaire au symbolisme. D'autre part, j'aurais ajouté aux poètes de Rochefort, Michel Manoll, Marcel Béalu et Jean Follain. Quant à Lucien Becker, s'il a participé à la fameuse rencontre du Gué du Loir avec René Guy Cadou, Michel Manoll et Jean Rousselot, il n'a jamais été édité dans les Cahiers de Rochefort.

Mais l'essentiel n'est pas dans ces détails. Il faut remercier les éditeurs de cette revue de nous montrer à travers ce n°42 de Délits d'encre que vivre en poésie est une belle aventure et qu'elle est toujours possible.

Complément :

- Le site de l'éditeur.




 


jeudi 17 octobre 2024

En souvenir de Jean Rousselot

 Il y a peu j'ai rendu hommage à Marcel Béalu. Comme lui, Jean Rousselot fait partie du premier cercle de L'École de Rochefort. C'est par Jean Bouhier, dont il était le frère en poésie, que j'ai fait sa connaissance.

La première fois que j'ai vu Jean Rousselot, c'était à Lyon en 1986 où l'association Poésie-Rencontres avait organisé des manifestations autour de L'École de Rochefort. Je l'ai retrouvé ensuite à Agen en 1991 pour un des nombreux événements qui accompagnèrent le cinquantenaire de L'École de Rochefort. Quelques années après je conduisais Jean Bouhier dans le Luberon pour qu'il revoit son compagnon de la première heure sur son lieu de vacances. Le poète provençal Serge Bec comptait aussi parmi les invités et les échanges furent chaleureux et nourris durant le déjeuner qu'Yvonne Rousselot avait préparé avec amour.

Une autre fois encore je profitais d'un séjour à Paris pour rendre visite à Jean Rousselot dans sa demeure de L'Étang-la-ville en bordure de la forêt de Marly. J'en rendrai compte dans mon livre sur La Goutte d'Or, évoquant son amitié avec Max Jacob qui habita un temps Boulevard Barbès.

Une correspondance et l'envoi de ses livres dédicacés complèteront ces rencontres. Jean Rousselot restera jusqu'au bout cet homme fraternel, attentif à l'autre et à la souffrance humaine.

Dans un volume de la collection Poètes d'aujourd'hui, André Marissel a brossé de lui un portrait fidèle, complété par un choix de ses poèmes.

On retrouvera les éléments qui composent ce portrait racontés par Jean Rousselot lui-même dans une émission de radio. Il y sera question entre autres de son enfance et de sa jeunesse à Poitiers, de sa rencontre avec Louis Parrot, de son action dans la Résistance, de son amitié avec Max Jacob qu'il essaiera de soustraire aux griffes des Nazis, de ses compagnons de Rochefort, en particulier de René Guy Cadou, mort pratiquement dans ses bras, d'une vie entière d'engagements et de poésie.


En 1976, Pierre Seghers publiera un important volume préfacé par Alain Bosquet rassemblant quarante années de poésie de l'auteur. On y trouvera notamment son grand poème Juin écrit en novembre 1942 dans la nuit de l'Occupation.


Compléments :
- La jeune génération lui a manifesté sa reconnaissance, en particulier Jean-Noël Guéno avec son livre Jean Rousselot, un poète à l'écoute des hommes et du monde (éd. Info-Poésie, 1985), François Huglo avec Jean Rousselot ou la volonté de mémoire (Le Dé bleu, 1995) et Christophe Dauphin avec Jean Rousselot, le poète qui n’a pas oublié d’être (Le livre du centenaire, éditions Rafael de Surtis, 2013).

mercredi 11 septembre 2024

Un poème de Maria do Sameiro Barroso

Il y a tout juste dix ans, je présentais dans ce blog Maria do Sameiro Barroso. poète su Portugal. Je suis heureux aujourd'hui de donner à lire un de ses poèmes inédits. Dans l'intervalle, Maria n'a cessé d'écrire et de suivre un parcours en poésie particulièrement riche qui a trouvé un écho dans de nombreux pays. Ainsi en 2020, elle a reçu le Prix du Concours International de poésie de l'Académie Européenne des Sciences, des Arts et Lettres (AESAL).

Maria do Sameiro Barroso lors de la remise du Prix décerné par l'Académie Européenne des Sciences, des Arts et Lettres, à Paris, au Palais du Luxembourg en 2020.

Rappelons encore que Maria do Sameiro Barroso est médecin, germaniste et poète multilingue, traductrice, essayiste et chercheuse en littérature portugaise et allemande, en traductologie et en histoire de la médecine. Elle est membre d'honneur de l'association Alia Mundi de Serbie et ambassadrice pour l'alphabétisation et la culture de l'Asim Sasami Indonesia Global Writers d'Indonésie, Présidente intercontinentale des pays de langue portugaise de l'Unión Hispanomundial de Escritores (E.H.E). Elle est devenue Docteur Honoris Causa par la Prodigy Life Academy (États-Unis). Elle est enfin l'auteure de plus de 40 livres de poésie, publiés au Portugal, Brésil, en Espagne, France, Serbie, en Turquie, Belgique, Albanie, aux États-Unis, et auteure également de traductions et de livres d'essais. Ses poèmes sont présents dans plus d'une centaine de revues et anthologies nationales et internationales, publiées dans plus de trente langues, résultant de sa participation à des festivals de poésie et à ses activités internationales


Mais place au poème :

OBSCURAMENTE

                                O mundo não é verdadeiro, mas é real.

                                                              Fernando Pessoa

A tua vida é um longo poema, um romance com muitos capítulos, um livro que nunca se fecha. Habitas nas lendas para além do tempo. És fiel ao teu corpo, às tuas entranhas, és fiel às manhãs de veludo, aos figos doces, às maçãs de Abril.

És um poema, intenso e longo como um vinho, habitas entre trevos selvagens, lapidários enigmáticos, colecções de borboletas exóticas. És o cinzel da noite, livre e fiel aos teus calendários de sonho e brisas serenas.

Oiço os teus passos e sei que o pesadelo é acreditar que os insectos não existem, que as pombas não voam, que as rosas são minúsculas como mãos, mas que não morrem nunca em jarrinhos de vidro.

Oiço os teus passos. Não sei se és um pássaro de papel, uma ária musical, um soneto que escuto quando as tílias florescem. Não sei se existes ou se és real. O teu rosto é obscuro e longo na noite de ébano. O teu nome é um poema de longos silêncios. Não sei se és verdadeiro.

Escrevo-te. E, nas minhas cartas de amor, és real como a vida. 

                                  Maria do Sameiro Barroso


OBSCURÉMENT

                            Le monde n'est pas véridique, mais il est réel.

                                                                       Fernando Pessoa

Ta vie est un long poème, un roman aux multiples chapitres, un livre qui ne se referme jamais. Tu habites des légendes hors du temps. Tu es fidèle à ton corps, à tes entrailles, tu es fidèle aux matins de velours, aux figues sucrées, aux pommes d'avril.

Tu es un poème, intense et long comme un vin, tu habites parmi les trèfles sauvages, les lapidaires énigmatiques, les collections de papillons exotiques. Tu es le ciseau de la nuit, libre et fidèle à tes calendriers de rêves et à tes brises sereines.

J'entends tes pas et je sais que le cauchemar est de croire que les insectes n'existent pas, que les colombes ne volent pas, que les roses sont minuscules comme des mains mais qu'elles ne meurent jamais dans des bocaux de verre.

J'entends tes pas. Je ne sais pas si tu es un oiseau de papier, un air de musique, un sonnet que j'entends quand les tilleuls fleurissent. Je ne sais pas si tu existes ou si tu es réel. Ton visage est sombre et long dans la nuit d'ébène. Ton nom est un poème de longs silences. Je ne sais pas si tu es réel.

Je t'écris. Et dans mes lettres d'amour, tu es aussi réel que la vie.

                                 Maria do Sameiro Barroso                  (Traduction de Jean-Luc Pouliquen révisée par Ivan Frias)