Dans des précédentes chroniques, j'avais eu l'occasion de laisser la parole à Jean-Marie Petit pour nous présenter Jòrgi Reboul, j'avais également rendu compte du joli livre d'artiste qu'Aurélia Lassaque avait réalisé avec le peintre-graveur Robert Lobet. Aujourd'hui c'est Aurélia qui nous brosse un portrait chaleureux et plein de couleurs de Jean-Marie. Ainsi s'entrecroisent les parcours pour recréer ce climat de ferveur et d'amitié sans lequel la poésie ne pourrait s'épanouir.
UN SANGLIER DANS L’ÂTRE...
UNE SOIREE A FERRALS-LES-MONTAGNES
UNE SOIREE A FERRALS-LES-MONTAGNES
AVEC L’AMI JEAN-MARIE PETIT
« Je suis diacre par provocation » dit Jean-Marie, il poursuit « il faut que je prenne mes cachets, sinon je vais mourir ». Elle est pourtant loin ce soir la Faucheuse. Jean-Marie a chassé le sanglier dans la nuit, seul, dans les bois, non, pas seul mais plutôt en compagnie de la sauvagine qu’il connaît si bien et qu’il aime tant. Il m’a ramené en trophée un met d’une extrême finesse… Je sais que cet animal aura perdu la vie sans souffrir, c’est à cette condition et avec savoir-faire que Jean-Marie sacrifie de temps à autre lièvres ou sangliers en dépit de mes protestations malhonnêtes (je me régale).
Jean-Marie se dit « escambarlat » : un escambarlat…c’est un « écartelé » ou plutôt un arbre qui se nourrit de plusieurs eaux ou encore de ces hommes qui ont vécu les neuf vies du chat. Pilote de l’aéropostale, son père a cultivé la vigne et l’amitié auprès de Joseph Delteil. Escambarlat est Jean-Marie, le comédien, le Professeur des universités, le vigneron, le chasseur, le diacre, le poète. Il m’a appris que quand on aime on offre, tout, et ce qu’on a de plus beau. « Mon détachement est ma capacité de don, je ne suis pas attaché aux choses sauf aux êtres, au vivant, même pas à une belle peinture ».
Je suis mécontente parce qu’il vient – encore une fois – de verser de l’eau dans mon vin, mais il m’apprend qu’en occitan il y a un verbe pour cela « sermar » ou « batejar »… Alors, s’il y a un verbe, va pour couper le vin.
En plus de son infinie connaissance du lexique occitan, Jean-Marie est une figure de l’occitanisme contemporain. Né en 1941, ses amitiés furent nombreuses et il parle toujours avec affection et ironie de ses compagnons à la croix vidée pommetée d’or.
Son oncle Ernest Vieu lui a donné le goût du théâtre. Contrôleur des postes, amant des Belles Lettres, il conjugait à merveille Rostand, Hugo, Racine et Corneille. Georges Reboul l’aima d’une amitié fusionnelle. De Max Rouquette il me dit « il ne faisait pas le talon rouge avec moi », ensemble ils avaient coutume de déguster du lièvre. Quand l’IEO cessa de publier Max Rouquette après les premières éditions du sublime Verd Paradís (Vert Paradis), Jean-Marie pris le relais avec Occitania. Il avait précédemment publié les proses et les poèmes de Charles Camproux, poète de la résistance et de la captivité, homme du Solèu Roge (Soleil Rouge), récits des terres cévenoles d’une beauté et d’une violence inouïes. Camproux fut un pair pour Jean-Marie et aussi un père, celui d’Odette, la femme de sa vie. En 1965 l’étudiant Petit passa l’épreuve d’ « Etudes Languedociennes » sous la direction de Robert Lafont, son compagnon d’examen s’appelait Joan Bodon et la version portait sur La grava sul camin…
Ensemble ils composèrent quelques poèmes dans les rues de Montpellier (de mémoire) :
« Se plora que sembla rire
Montpelhièr te vòli dire,
De vergonha n’avèm pron ».
(Si quand on pleure on semble rire/ Montpellier je veux te dire/ Nous en avons assez de la honte).
« Je suis diacre par provocation » dit Jean-Marie, il poursuit « il faut que je prenne mes cachets, sinon je vais mourir ». Elle est pourtant loin ce soir la Faucheuse. Jean-Marie a chassé le sanglier dans la nuit, seul, dans les bois, non, pas seul mais plutôt en compagnie de la sauvagine qu’il connaît si bien et qu’il aime tant. Il m’a ramené en trophée un met d’une extrême finesse… Je sais que cet animal aura perdu la vie sans souffrir, c’est à cette condition et avec savoir-faire que Jean-Marie sacrifie de temps à autre lièvres ou sangliers en dépit de mes protestations malhonnêtes (je me régale).
Jean-Marie se dit « escambarlat » : un escambarlat…c’est un « écartelé » ou plutôt un arbre qui se nourrit de plusieurs eaux ou encore de ces hommes qui ont vécu les neuf vies du chat. Pilote de l’aéropostale, son père a cultivé la vigne et l’amitié auprès de Joseph Delteil. Escambarlat est Jean-Marie, le comédien, le Professeur des universités, le vigneron, le chasseur, le diacre, le poète. Il m’a appris que quand on aime on offre, tout, et ce qu’on a de plus beau. « Mon détachement est ma capacité de don, je ne suis pas attaché aux choses sauf aux êtres, au vivant, même pas à une belle peinture ».
Je suis mécontente parce qu’il vient – encore une fois – de verser de l’eau dans mon vin, mais il m’apprend qu’en occitan il y a un verbe pour cela « sermar » ou « batejar »… Alors, s’il y a un verbe, va pour couper le vin.
En plus de son infinie connaissance du lexique occitan, Jean-Marie est une figure de l’occitanisme contemporain. Né en 1941, ses amitiés furent nombreuses et il parle toujours avec affection et ironie de ses compagnons à la croix vidée pommetée d’or.
Son oncle Ernest Vieu lui a donné le goût du théâtre. Contrôleur des postes, amant des Belles Lettres, il conjugait à merveille Rostand, Hugo, Racine et Corneille. Georges Reboul l’aima d’une amitié fusionnelle. De Max Rouquette il me dit « il ne faisait pas le talon rouge avec moi », ensemble ils avaient coutume de déguster du lièvre. Quand l’IEO cessa de publier Max Rouquette après les premières éditions du sublime Verd Paradís (Vert Paradis), Jean-Marie pris le relais avec Occitania. Il avait précédemment publié les proses et les poèmes de Charles Camproux, poète de la résistance et de la captivité, homme du Solèu Roge (Soleil Rouge), récits des terres cévenoles d’une beauté et d’une violence inouïes. Camproux fut un pair pour Jean-Marie et aussi un père, celui d’Odette, la femme de sa vie. En 1965 l’étudiant Petit passa l’épreuve d’ « Etudes Languedociennes » sous la direction de Robert Lafont, son compagnon d’examen s’appelait Joan Bodon et la version portait sur La grava sul camin…
Ensemble ils composèrent quelques poèmes dans les rues de Montpellier (de mémoire) :
« Se plora que sembla rire
Montpelhièr te vòli dire,
De vergonha n’avèm pron ».
(Si quand on pleure on semble rire/ Montpellier je veux te dire/ Nous en avons assez de la honte).
Le poème fait écho à une photographie du grand-père de Jean-Marie prise à Montpellier pendant les révoltes de 1907, dans ses mains le panneau des vignerons de Quarante : « De misèria n’avèm pron ! ».
Paraît en 1965, le premier recueil de Jean-Marie Petit Respondi de, il est alors âgé de 24 ans, « poète de l’amour jeune, de l’amitié sentimentale, sur des rythmes souples » (Robert Lafont). Puis paraissent Poèmas per carrièras (1970), Ni per vendre ni per crompar (1975) et Lo pan, la poma e lo cotèl (1972) dont nous avons un jour d’été entamé la réédition. Le texte attend toujours une improbable préface de ma main, ce qui fait dire à Jean-Marie que je suis une mule. Ce recueil et les suivants, Non-aver o èsser (1976), Bestiari, arbres, vinhas (1976, illustré par l’artiste sétois Pierre François) s’impose, selon Philippe Gardy, « comme un témoignage brut tour à tour émerveillé, désabusé ou attristé, sur la beauté et la laideur des choses. Tout y reste simplement dit, sans lyrisme ni outrance […] Solidité du monde extérieur, et solidité conjointe des mots et des phrases. Une écriture debout infiniment droite dans le temps ».
Puis Jean-Marie et les siens tutoyèrent le malheur. Un long silence en fut l’écho. Un silence d’apparence, Jean-Marie ne cessa jamais d’écrire.
Un jour de mai 2004 je me rendis chez celui qu’on m’avait décrit de manière laconique comme « un ours ». J’avais commis quelques poèmes sur lesquels Florian Vernet, alors professeur à l’Université Paul-Valéry, portait un regard bienveillant et chaleureux. Il m’avait conseillé la lecture de Petit, selon lui « un des plus grands poètes du siècle ». Trappeuse armée d’un microphone, je partis à la rencontre de l’ours justifiant mon expédition par l’enregistrement d’une émission de radio. Le drac s’en est mêlé et l’émission fut perdue sans jamais être diffusée. L’ours avait un cœur d’or et baignait dans l’auréole de fumée épaisse dégagée par son tabac caporal au parfum rude.
Je quittais sa maison paléolithique de Clapier tel un messie, la valise pleine de 30 ans de poèmes inédits… L’année suivante parurent Nòstra Dòna dels espotits chez Letras d’Oc et Petaçon chez Jorn.
Tot çò qu’es pas donat
Es perdut
Lo monge agachava la mar
E sos uèlhs
S’abandonavan a l’ersa
Fins a tombar
A l’orizont de Dieu.
Partissiàm lo silenci
Teunhe coma una messa
Fòra lo temps
E la nuèit nos trobèt
Que sens nos reconéisser
Passèt dins un sospir.
Lo monge me sarrèt la man
La seuna èra plena de sabla.
Tout ce qui n’est pas donné
Est perdu
Le moine regardait la mer
Et ses yeux
S’abandonnaient à la vague
Jusqu’à tomber
À l’horizon de Dieu.
Nous partagions un silence
Mince comme une messe
Hors du temps
Et la nuit nous trouva
Qui sans nous reconnaître
Passa comme un soupir.
Le moine me serra la main
La sienne était pleine de sable.
(Nòstra Dòna dels Espotits, Toulouse, Letras d’oc/Les lettres occitanes, 2005).
Depuis sont parus Patarinas (2007) et D’aquesta man del jorn (2008) chez Letras d’Oc, un nouveau recueil Treus est actuellement sous presse. Peut-être vous laisserez-vous bercer les soirs d’été par la beauté condensée de ces poèmes patinés par les vents du sud…
Aurélia Lassaque
Compléments
- Jean-Marie Petit sur le site Letras d'Oc
- Sur le site des éditions Jorn
- Le poète sur le site de Georges Souche