Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 20 novembre 2021

Marie-Madeleine et Hildegarde de Bingen

Nous avons déjà eu dans ce blog l'occasion de présenter Monique Marta à la fois au travers de sa revue Vocatif et de sa poésie. Aujourd'hui nous sommes heureux de parler de son dernier livre avec le beau texte que lui a consacré Michel Capmal.


Et Dieu créa la femme…

Monique Marta a publié cette année 2021 : Marie-Madeleine – Hildegarde de Bingen. Dans le miroir de Dieu aux éditions Unicité. Un livre de près de 180 pages avec une préface pleine d’empathie de Joëlle Guatelli-Tedeschi. Et aussi un avant-propos, une introduction et une postface de l’auteur qui, dans le vif du sujet, nous invite à aller à la rencontre de deux femmes d’exception. Entre deux époques de l’histoire du christianisme, à plus d’un millénaire de distance ; de la fin du monde antique et de la ferveur messianique et fondatrice en « terre sainte », et de la mystique rhénane au XII° siècle. Une rencontre sur un « chemin lumineux » que nous commencerons à suivre avec les mots mêmes de Monique Marta ; qui a souhaité que le lecteur entre dans son ouvrage « avec une certaine disposition poétique, une capacité d’émerveillement… »

« Mon chemin spirituel (…) m’avait surtout menée sur les traces de Marie-Madeleine, la femme aimée du Christ ; celle qui, la première, le découvrit au tombeau et qui, (…) alla porter la Bonne Nouvelle ; d’abord aux disciples du Maître, puis jusqu’en terre provençale, de l’autre côté de la Méditerranée. Marie-Madeleine nous met dans la proximité du Christ. Hildegarde nous met face à la Divinité. (…) Marie-Madeleine nous ramène aux origines du christianisme, quand celui-ci n’était constitué que d’un petit groupe de femmes et d’hommes, disciples d’un rebelle, Jésus, qui fut condamné et crucifié par Rome. Pour Marie-Madeleine - les documents historiques étant limités, juste quelques passages dans les Évangiles canoniques et des fragments dans l’Évangile apocryphe de Marie - nous avons pris le parti (…) de faire appel à la légende. (…) Légende de cette barque, sans rames, ni voile, ni gouvernail, qui, avec d’autres disciples, la porta jusqu’aux côtes de Provence. (…) Jusqu’au Plan d’Aups, dans le massif de la Sainte-Baume. Un site privilégié, un lieu où souffle l’esprit. Toute légende possède en soi une part de vérité. (…) Et d’imaginer un certain type de vie, correspondant au tempérament de cette disciple du Christ, au premier siècle de notre ère. (…) Marie-Madeleine est dans l’atemporalité de l’amour.

Hildegarde est femme du XII° siècle – le Palatinat du Rhin - lorsque le christianisme est devenu, depuis longtemps, religion d’État, qu’il est constitué en Église et que, selon les idées du temps, hors l’Église point de salut. Prophète, visionnaire, compositrice, architecte, orateure, brillante épistolière, naturopathe avant l’heure (sa culture médicale provenant d’un savoir ancestral) et mystique, elle courait toutefois le risque d’être taxée d’hérétique ou de folle ; soignant par les plantes, les pierres, les animaux, elle pouvait être taxée de sorcière… Les écrits d’Hildegarde, théologienne, nous plongent dans le mystère de la Création. Une véritable cosmogonie.

Marie-Madeleine-Hildegarde, deux femmes donc que tout oppose, en dehors de l’amour du Christ, au service du Christ et des hommes. (…) Deux femmes qui dérangèrent, parce que, d’une manière ou d’une autre, elles redisaient l’enseignement du Christ. (…) Deux femmes qui osèrent s’exprimer dans un contexte où la femme était en général dénigrée, comme inférieure et soumise à l’homme. »

A défaut d’une analyse critique suffisamment développée – ce sera pour plus tard et ailleurs – j’ajouterai quelques remarques (personnelles) qu’il me faudra laisser provisoirement en suspens.

Un tel ouvrage devrait d’abord intéresser ou interpeller nombre de chrétiens catholiques, surtout dans la conjoncture actuelle, et peut-être, pourquoi-pas ? le prochain synode prévu en 2023. Mais aussi, et tout autant, quelques-uns et quelques-unes de celles et ceux qui alternent, en quelque sorte, entre athéisme radical et agnosticisme ; celles et ceux en quête de sens, comme on dit aujourd’hui dans ce monde nous apparaissant toujours plus insensé. Et qui, celles et ceux-là ayant la folle prétention de penser par eux-mêmes, se seraient bricolé une sorte de métaphysique portative. Pour un sens du sacré à retrouver hors les murs dogmatiques de l’Église institution qui affronte, en ce moment, une nouvelle crise de crédibilité.

Mais aussi en quête, telle une nécessité vitale, du sens élémentaire – élémenterre - de toutes choses, du sens de l’existence et de la vie même. La vie, si terriblement bafouée, revenant vers nous comme ce qui a de plus sacré ; la vie en instance de reprendre tout son sens. Par « le spirituel charnel » pour parler comme Péguy, par « la tentation de sainteté » pour reprendre le titre d’un livre du regretté Frank Venaille. Par le retour de cette sentence de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Étant donné que «  renier la beauté du monde, c’est pécher contre la lumière. » Ainsi que le clamait avec ferveur le non moins regretté Xavier Grall. Et malgré l’ère de grande confusion et falsification dans laquelle nous voici comme emprisonnés ; nous qui aurons vu l’incendie de N.D. de Paris. Amour et Haine devenus énergies redoutables et erratiques, recyclées dans l’épouvantable barnum idéologique de la marchandisation totalitaire. Par la volonté de vivre au croisement de l’immanence et de la transcendance.

Et sans ignorer que Hildegarde de Bingen, la Sybille du Rhin, si elle a été contemporaine des deux premières croisades et de l’hérésie cathare qu’elle a combattue, a aussi été celle du « schismatique » Arnaud de Brescia, élève et défenseur d’Abélard, figure majeure du mouvement communal de Rome, proclamant que l’Église devait renoncer aux biens matériels et aux pouvoirs, et revenir au Message de l’Évangile ; et qui fut pendu et brûlé en 1155.

Une pensée reconnaissante, et affectueuse, pour Marie-Madeleine, qu’on a dit « prostituée », et qui a ainsi démontré que la pureté du cœur va bien au-delà de la pureté ou de l’impureté du corps. Mais qu’il importe, encore et toujours, pour nous autres animaux humains, d’accomplir la spiritualisation de la matière et la matérialisation de l’esprit, afin que l’âme retrouve présence dans notre vie de chaque jour.

Ainsi, on regardera avec bienveillance et affection ces quelques vierges folles qui courent avec les loups, certaines belles anorexiques, certaines « putes » qui en savent bien plus que beaucoup de bien-pensants sur « la nature humaine », et toutes celles qui ont le courage de se vouloir femmes libres et nous disent avec grande et sensible intelligence (et sans embrigadement dans un néo-féminisme surmédiatisé) que la chair (pour ne pas être « triste ») peut être aussi une voie du divin ; et que nous avons un devoir d’incarnation sur Terre. Et que le sens du sacré c’est aussi le sens de la Terre. Et que la Terre appelle ! Elle, la rêveuse étoile qui ne veut pas mourir. Et qui nous rappelle à l’entière plénitude du moment présent. 

Et si « Dieu créa la femme » avec sa « puissance à jamais invaincue » ce fut pour le don absolu ; non pas sacrifice mais sophia. Et parce qu’elle porte, dans l’ombre de Lilith, le secret des forêts profondes, détruites et pourtant toujours présentes dans la chair et l’âme humaine. Du soleil invaincu à Christos, une énergie cosmique en chacun de nous. Seule la haute poésie pourra dire la Parole. Parole terraquée, de feu et de vent. Afin de ranimer, en cette basse époque, une unité vivante et primordiale que l’on disait perdue.

                                                                Michel Capmal

                                                                  Octobre 2021. 

Complément :

- Le livre sur le site de l'éditeur. 



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