Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 17 décembre 2011

Lire et relire Bachelard - IV

Voici aujourd'hui une présentation du livre qui est à l'origine de cette série de chroniques. C'est en effet lorsqu'elle était en résidence à Rentilly que Françoise Ascal m'avait amené à parler de Gaston Bachelard dont elle avait fait l'axe de lecture autour duquel s'était organisé son séjour. Durant celui-ci, elle a elle-même consigné ce que l'oeuvre du philosophe champenois lui avait inspiré. Il en a résulté un journal mêlant méditation et poésie. De cette confrontation entre son expérience et une oeuvre rattachée à une époque que le monde contemporain tente de balayer - à laquelle se sont rajoutés des éléments apportés par des auteurs et des artistes qui ont nourris et nourrissent encore le parcours de Françoise Ascal (comme par exemple Albert camus, Pierre Bergougnioux, Charles Juliet ou Christian Boltanski) - est né un ouvrage riche et dense qui nous plonge au coeur des interrogations d'aujourd'hui.


Il est intéressant - et nous pouvons le faire au travers de cette série de chroniques - de voir ce qui différencie un poète d'un philosophe dans sa lecture de Bachelard. La lecture de Michel Capmal ou de Françoise Ascal, tous les deux poètes, sera différente de celle de Marly Bulcão qui est philosophe. Pour cette dernière, elle sera opératoire, elle sera attentive aux concepts forgés par Gaston Bachelard pour poursuivre la réflexion sur la science ou l'imagination. Pour les deux premiers, elle sera plus liée aux intuitions qui s'en dégagent afin de mieux orienter la rêverie et l'écriture.
Profondément attachée à la terre, à la relation forte avec le monde qui en découle, Françoise Ascal ressent comme une perte, cette montée du virtuel qui envahit peu à peu des pans entiers de nos existences. Elle a et aura des conséquences sur la poésie elle-même car elle risque de la mettre en danger, si nous ne gardons pas en nous l'attitude bachelardienne qui nous relie à des énergies primordiales dont nous ne pouvons nous passer pour donner de la force aux mots et aux images.
Pour conclure, je propose cet extrait du livre qui nous en donnera l'orientation et je l'espère l'envie de le lire tout entier : "En France, aujourd'hui, nombreux sont les poètes qui cultivent une langue volontairement neutre, se défient des adjectifs et des images. Ce n'est pas ma voie, non par souci de résistance, mais par nécessité intime. Ce vocabulaire que je m'efforce de rendre aussi précis que possible est celui d'une conquête. Appropriation d'une langue manquante, trouée dès l'origine par la pauvreté et le silence des miens.
Chaque mot gagné sur l'ordinaire de l'enfance ouvrait une fenêtre, accroissait l'espace et la conscience. Ainsi, leçon merveilleuse furent les mots de métiers utilisés par mes parents, échappant à l'étroitesse ambiante : le vocabulaire de la couture, des tissus, des modes de façonnage, celui du jardinage, des techniques et outils, celui des variétés de fruits et légumes. C'est par là que la poésie est entrée en moi, à mon insu, et au leur."


Complément :

- le livre sur le site de l'éditeur avec une vidéo sur l'auteur

3 commentaires:

  1. Hier, quelqu’un m’a dit que vous avez fait référence à mon nom dans votre blog le 17 décembre 2011. Alors j’ai décidé l'ouvrier afin de le lire. Peut-être, vous avez raison quand vous avez dit que les poètes lisent Bachelard d’une manière différente de celle des philosophes. Mais votre affirmation m’a apporté des souvenirs de tes paroles écrites dans un entretien que vous avez fait avec moi dans mon livre «Bachelard : un regard brésilien" et que je répète dessous:

    Jean-Luc Pouliquen : Pourtant, il y a bien une manière de philosopher proprement brésilienne?

    Marly Bulcão : Est-ce que notre façon d’aborder le quotidien avec joie et optimisme, fruit de notre métissage entre indien, africain et européen, y serait pour quelque chose? C’est à vous de me le dire.

    Jean-Luc Pouliquen: C’est ainsi que je le ressens en tous cas en lisant vos textes. Il circule une énergie, une allégresse entre les mots, dont nous sommes privés ici. Les sujets sont les mêmes et les concepts pour les étudier aussi. Mais un autre souffle les traverse, un souffle baroque et tropical, qui oblige à repenser la question, à l’envisager sous un angle qui nous avait totalement échappé.

    Marly Bulcão: Ce souffle baroque et tropical qui donne aux mots une allégresse et une perspective optimiste est certes propre aux Brésiliens mais plus spécifique aux “Cariocas”, c’est-à-dire à ceux qui sont nés à Rio de Janeiro. Les “Cariocas” gardent leur humour même lorsqu’ils ont des problèmes graves. Ça ne se passe pas ainsi avec les gens de São Paulo ou du sud du pays. Mais je perçois aussi une énergie positive, une joie de philosopher, un optimisme en relation avec la vie et l’homme, chez Gaston Bachelard. Peut-être est-ce mon regard de “Carioca”?

    Jean-Luc Pouliquen: Marly Bulcão, obrigado!

    J’aimerais aussi vous donner un exemple afin de montrer que les écritures des philosophes ne sont pas toujours opératoires et conceptuelles, mais au contraire il y a beaucoup de fois des intuitions imagétiques. Je reprends, alors, deux paragraphes d’un texte de mon livre sur “Philosophie et Cinéma”qui sera publié en 2012 :
    « Le film Le Ballon Rouge réveille les profondeurs de l'âme, il provoque en celui qui le contemple un flux d'images poétiques provenant d'une conscience ingénue qui réside au sein de l'être. Le temps de la narrative importe peu; il ne nous intéresse pas de savoir si le film se déroule sur plusieurs jours, plusieurs semaines ou quelques mois. Les images doivent être vécues dans l'instant, au moment où elles émergent dans la conscience du spectateur.
    « En contemplant Le Ballon Rouge nous sommes pris par les belles images du film, nous sommes fascinés par la dynamologie poétique qui s’en dégage, nous oublions la vie qutidienne qui se déroule au-dehors. Le film nous amène à vivre avec intensité le phénomène du retentissement et de la transubjectivité car il conduit le spectateur à un approfondissement de l'âme, faisant en sorte que chacun sente revivre intensément l'enfant qui habite en lui. L'adhésion au symbolisme imagétique construit par Lamorisse provoque une inversion dans notre être, nous nous sentons comme si nous étions les créateurs de ces images qui deviennent les nôtres, car nous réussissons à établir avec le cinéaste une communication transubjective» – Marly Bulcão

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  2. De tout coeur avec Françoise Ascal !
    Bien d'accord aussi avec Marly Bulcao: l'écriture des philosophes n'est pas
    systématiquement enfermée dans le concept. Ce terme est
    souvent pris dans le sens d'abstraction anti-humaniste. Et Jean-Luc sera, je suppose, d'accord pour considérer que les poètes n'ont pas le monopole de la sensibilté; surtout quand on voit le comportement de certains d'entre eux !
    À l'occasion, je regarderai le film Le Ballon Rouge. Je suis intrigué par cette
    "communication transubjective. Une telle lecture de ce film ( intuition et
    symbolisme imagétique, dynamologie poètique)
    serait-elle en opposition ou bien en complémentarité avec le travail
    conceptuel de G. Deleuze sur le Cinéma ?
    Lui qui disait : "Tout concept est au moins double
    ou triple". (Qu'est-ce que la philosophie ?)
    Attendons donc la parution de "philosophie et Cinéma".
    De toutes façons, nous ne cesserons jamais de lire et relire l'immense et
    inépuisable Gaston Bachelard !
    Pas le temps d'en dire plus.
    Très bonne année à toutes et à tous !

    Michel Capmal

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    1. Cher Miche Capmal
      Je ne vous connais pas, mais nous sommes déjà d'accord avec la manière de comprendre le philosophe. De l'autre côté je peux sentir vos poèmes montrés dans le blog. Dans mon livre qui sortira bientôt il y a aussi Deleuze et le cinema, mais je prefère la transubjectivité imagetique de Bachelard pour expresser les images du cinema. Merci pour votre commentaire. Marly Bulcão

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