Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 31 juillet 2010

Jean-Marie Petit tel qu'en lui-même

Dans des précédentes chroniques, j'avais eu l'occasion de laisser la parole à Jean-Marie Petit pour nous présenter Jòrgi Reboul, j'avais également rendu compte du joli livre d'artiste qu'Aurélia Lassaque avait réalisé avec le peintre-graveur Robert Lobet. Aujourd'hui c'est Aurélia qui nous brosse un portrait chaleureux et plein de couleurs de Jean-Marie. Ainsi s'entrecroisent les parcours pour recréer ce climat de ferveur et d'amitié sans lequel la poésie ne pourrait s'épanouir.


UN SANGLIER DANS L’ÂTRE...
UNE SOIREE A FERRALS-LES-MONTAGNES
AVEC L’AMI JEAN-MARIE PETIT

« Je suis diacre par provocation » dit Jean-Marie, il poursuit « il faut que je prenne mes cachets, sinon je vais mourir ». Elle est pourtant loin ce soir la Faucheuse. Jean-Marie a chassé le sanglier dans la nuit, seul, dans les bois, non, pas seul mais plutôt en compagnie de la sauvagine qu’il connaît si bien et qu’il aime tant. Il m’a ramené en trophée un met d’une extrême finesse… Je sais que cet animal aura perdu la vie sans souffrir, c’est à cette condition et avec savoir-faire que Jean-Marie sacrifie de temps à autre lièvres ou sangliers en dépit de mes protestations malhonnêtes (je me régale).
Jean-Marie se dit « escambarlat » : un escambarlat…c’est un « écartelé » ou plutôt un arbre qui se nourrit de plusieurs eaux ou encore de ces hommes qui ont vécu les neuf vies du chat. Pilote de l’aéropostale, son père a cultivé la vigne et l’amitié auprès de Joseph Delteil. Escambarlat est Jean-Marie, le comédien, le Professeur des universités, le vigneron, le chasseur, le diacre, le poète. Il m’a appris que quand on aime on offre, tout, et ce qu’on a de plus beau. « Mon détachement est ma capacité de don, je ne suis pas attaché aux choses sauf aux êtres, au vivant, même pas à une belle peinture ».
Je suis mécontente parce qu’il vient – encore une fois – de verser de l’eau dans mon vin, mais il m’apprend qu’en occitan il y a un verbe pour cela « sermar » ou « batejar »… Alors, s’il y a un verbe, va pour couper le vin.
En plus de son infinie connaissance du lexique occitan, Jean-Marie est une figure de l’occitanisme contemporain. Né en 1941, ses amitiés furent nombreuses et il parle toujours avec affection et ironie de ses compagnons à la croix vidée pommetée d’or.
Son oncle Ernest Vieu lui a donné le goût du théâtre. Contrôleur des postes, amant des Belles Lettres, il conjugait à merveille Rostand, Hugo, Racine et Corneille. Georges Reboul l’aima d’une amitié fusionnelle. De Max Rouquette il me dit « il ne faisait pas le talon rouge avec moi », ensemble ils avaient coutume de déguster du lièvre. Quand l’IEO cessa de publier Max Rouquette après les premières éditions du sublime Verd Paradís (Vert Paradis), Jean-Marie pris le relais avec Occitania. Il avait précédemment publié les proses et les poèmes de Charles Camproux, poète de la résistance et de la captivité, homme du Solèu Roge (Soleil Rouge), récits des terres cévenoles d’une beauté et d’une violence inouïes. Camproux fut un pair pour Jean-Marie et aussi un père, celui d’Odette, la femme de sa vie. En 1965 l’étudiant Petit passa l’épreuve d’ « Etudes Languedociennes » sous la direction de Robert Lafont, son compagnon d’examen s’appelait Joan Bodon et la version portait sur La grava sul camin
Ensemble ils composèrent quelques poèmes dans les rues de Montpellier (de mémoire) :

« Se plora que sembla rire
Montpelhièr te vòli dire,
De vergonha n’avèm pron ».

(Si quand on pleure on semble rire/ Montpellier je veux te dire/ Nous en avons assez de la honte).


Le poème fait écho à une photographie du grand-père de Jean-Marie prise à Montpellier pendant les révoltes de 1907, dans ses mains le panneau des vignerons de Quarante : « De misèria n’avèm pron ! ».
Paraît en 1965, le premier recueil de Jean-Marie Petit Respondi de, il est alors âgé de 24 ans, « poète de l’amour jeune, de l’amitié sentimentale, sur des rythmes souples » (Robert Lafont). Puis paraissent Poèmas per carrièras (1970), Ni per vendre ni per crompar (1975) et Lo pan, la poma e lo cotèl (1972) dont nous avons un jour d’été entamé la réédition. Le texte attend toujours une improbable préface de ma main, ce qui fait dire à Jean-Marie que je suis une mule. Ce recueil et les suivants, Non-aver o èsser (1976), Bestiari, arbres, vinhas (1976, illustré par l’artiste sétois Pierre François) s’impose, selon Philippe Gardy, « comme un témoignage brut tour à tour émerveillé, désabusé ou attristé, sur la beauté et la laideur des choses. Tout y reste simplement dit, sans lyrisme ni outrance […] Solidité du monde extérieur, et solidité conjointe des mots et des phrases. Une écriture debout infiniment droite dans le temps ».
Puis Jean-Marie et les siens tutoyèrent le malheur. Un long silence en fut l’écho. Un silence d’apparence, Jean-Marie ne cessa jamais d’écrire.
Un jour de mai 2004 je me rendis chez celui qu’on m’avait décrit de manière laconique comme « un ours ». J’avais commis quelques poèmes sur lesquels Florian Vernet, alors professeur à l’Université Paul-Valéry, portait un regard bienveillant et chaleureux. Il m’avait conseillé la lecture de Petit, selon lui « un des plus grands poètes du siècle ». Trappeuse armée d’un microphone, je partis à la rencontre de l’ours justifiant mon expédition par l’enregistrement d’une émission de radio. Le drac s’en est mêlé et l’émission fut perdue sans jamais être diffusée. L’ours avait un cœur d’or et baignait dans l’auréole de fumée épaisse dégagée par son tabac caporal au parfum rude.
Je quittais sa maison paléolithique de Clapier tel un messie, la valise pleine de 30 ans de poèmes inédits… L’année suivante parurent Nòstra Dòna dels espotits chez Letras d’Oc et Petaçon chez Jorn.

Tot çò qu’es pas donat
Es perdut
Lo monge agachava la mar
E sos uèlhs
S’abandonavan a l’ersa
Fins a tombar
A l’orizont de Dieu.
Partissiàm lo silenci
Teunhe coma una messa
Fòra lo temps
E la nuèit nos trobèt
Que sens nos reconéisser
Passèt dins un sospir.
Lo monge me sarrèt la man
La seuna èra plena de sabla.

Tout ce qui n’est pas donné
Est perdu
Le moine regardait la mer
Et ses yeux
S’abandonnaient à la vague
Jusqu’à tomber
À l’horizon de Dieu.
Nous partagions un silence
Mince comme une messe
Hors du temps
Et la nuit nous trouva
Qui sans nous reconnaître
Passa comme un soupir.
Le moine me serra la main
La sienne était pleine de sable.

(Nòstra Dòna dels Espotits, Toulouse, Letras d’oc/Les lettres occitanes, 2005).

Depuis sont parus Patarinas (2007) et D’aquesta man del jorn (2008) chez Letras d’Oc, un nouveau recueil Treus est actuellement sous presse. Peut-être vous laisserez-vous bercer les soirs d’été par la beauté condensée de ces poèmes patinés par les vents du sud…


Aurélia Lassaque


Compléments

- Jean-Marie Petit sur le site Letras d'Oc

- Sur le site des éditions Jorn

- Le poète sur le site de Georges Souche

samedi 24 juillet 2010

La petite fille éternelle de Jeanine Salesse

Jeanine Salesse est une poétesse discrète qui bâtit son oeuvre sans tapage en suivant le propre cours de son inspiration. Depuis son premier recueil Les toits gris, paru en 1988, ce sont plus de quinze livres qu'elle propose au lecteur qui voudra l'accompagner sur ses chemins intimistes. Jeanine Salesse appartient à ce cercle de poètes qui ont toujours à coeur d'entretenir le souvenir de Louis Guillaume. Comme lui, elle a été enseignante et sait le prix qu'il faut attacher à l'enfance, cette période de la vie à laquelle reste accroché un sentiment d'éternité.
Avec Une petite fille d'Alexandrie, elle s'emploie à nous le redire d'une façon particulièrement originale.
Le point de départ du livre est une rencontre au Louvre avec une Tanagra réalisée à Alexandrie vers 200 avant J.C, représentant une petite fille assoupie. En une suite de vingt-sept poèmes, l'auteur s'attache à lui redonner vie, à évoquer son univers, à nous faire imaginer cette enfant qui nous reste proche : La nuit d'été/te plie les jambes/et n'est plus/qu'un peu de rosée/près des couffins d'orge. Et cette proximité va réanimer en elle ses propres souvenirs : Un secret de petite fille/réveille l'autre/l'enfouie/toujours en résurgence/et se transmet à la suivante/qui s'endort/dans ses genoux.
Dès lors elle va s'attacher à les transcrire nous ramenant au temps de son enfance, enveloppé par l'affection de ses parents, affection dont elle entourera à son tour ses enfants : Panier en main/ l'aîné grappille les oeufs brillants/tout frais jetés dans les pétales/Sa joie/c'est le vrai trésor/il n'en sait rien.
Avec son regard ample, Jeanine Salesse aura donc porté attention à toutes les enfances, montrant ainsi la charge d'émotion universelle qu'elles contiennent par delà le temps et l'Histoire. Elle s'associe en cela aux grands artistes qui ont su, avant elle, nous le montrer et nous renvoyer de l'art à la vie, qui doit toujours garder le dernier mot. C'est d'ailleurs en substance ce que nous signifie Jeanine Salesse dans son poème inspiré par La petite châtelaine de Camille Claudel :

Petite châtelaine
n'a vraiment pas sommeil
ses yeux suivent un nuage
s'attardent aux gestes de Camille

Elle ne voit pas le temps
qui lui défait sa natte

Invisible l'haleine
ses lèvres ouvertes

Le visage frémissant l'affirme
toutes deux
sont à jamais vivantes
dans la vigueur du marbre.

Compléments :

samedi 17 juillet 2010

Eau des origines

En cette période estivale qui nous rapproche des éléments et plus particulièrement de l'eau, voici découpé en trois séquences un film, ou plutôt une vidéodance, du réalisateur et chorégraphe brésilien André Meyer qui est une mise en images de mon poème Eau des origines.




samedi 10 juillet 2010

Lire ou relire Gaston Bachelard

Il y a quelques semaines, dans le cadre d'une résidence d'écrivain qu'elle effectuait au Parc culturel de Rentilly et du projet qu'elle menait autour de Gaston Bachelard, Françoise Ascal m'a demandé de dire pourquoi je lisais le philosophe. Avec l'arrivée de l'été et des vacances, où il va être possible d'accorder plus de temps à la lecture, j'ai pensé intéressant de proposer ce texte dans mon blog.

Lire Bachelard aujourd’hui

C’est dans les années soixante-dix que j’ai fait la « rencontre » de Gaston Bachelard, de l’homme qui m’a autant intéressé que l’œuvre. Son itinéraire depuis son village natal de Bar-sur-Aube en Champagne jusqu’à Paris où il fut un des phares intellectuels de la Sorbonne est fascinant. Il est jalonné par ses livres qui sont autant de réponses aux questionnements que l’on peut avoir tout au long d’une existence.
C’est en ce sens que je ne cesserai jamais de le lire, même si cette lecture n’est pas régulière. Bien sûr, pour un poète, ce sont ses ouvrages consacrés à l’imagination de la matière, à l’espace, à la rêverie, qui viennent en premier stimuler notre curiosité. Mais l’on aurait tort de mettre une cloison étanche entre le versant épistémologique de son œuvre et le versant poétique. Il arrive aussi que l’on trouve dans ses travaux sur la science des traces de sa passion pour la poésie et la littérature et celles-ci ont tout autant à nous apprendre.
La profondeur de réflexion d’un grand philosophe, d’un esprit universel est telle que ses textes ont toujours quelque chose de nouveau à nous révéler. Et c’est pour cela qu’il faut y revenir. Le temps qui agit sur nos vies change notre perception, parfois la rend plus aigüe, nous aidant ainsi à mieux comprendre ce qui est dissimulé dans les mots de Bachelard.
Ce qui pour moi apparaît au fil des années dans l’intérêt de Gaston Bachelard pour le feu, l’eau, l’air et la terre, ce sont ces liens inaltérables qui nous rattachent au cosmos. Déjà les philosophes présocratiques, Empédocle en particulier, avaient mis en évidence nos racines cosmiques. Bachelard nous le redit dans le langage de l’homme contemporain qui a intégré la psychanalyse et la vie de l’inconscient dans ses modes de pensée.
Sa philosophie du temps discontinu, de la verticalité de l’instant poétique, est une invitation constante à revitaliser ce lien avec l’origine. Sans lui nous restons à la dérive, ayant coupé les amarres avec le monde premier. Pourtant c’est là qu’y coule la source de l’émerveillement et de la rêverie sans lesquels aucune poésie ne serait possible.

Compléments :

Le Parc culturel de Rentilly

Françoise Ascal sur Wikipédia

samedi 3 juillet 2010

Les Voix Vives de Sète


A plusieurs reprises dans ce blog, j'ai évoqué la question de la place de la poésie dans la Cité. Les tentatives se sont multipliées ces dernières années pour permettre une rencontre directe avec les poètes et donner une image vivante de leur activité. Dès la création des Cahiers de Garlaban, notre groupe avait eu ce souci, et c'est dans le village de Lascours, qu'en 1982 nous commencions à faire entendre nos poèmes en les mêlant aux chansons de Jean-Jacques Boitard.
Au fil des années, mon expérience en ce domaine s'est élargie à d'autres lieux, a pris de nouveaux chemins. C'est ainsi qu'en 1998, j'ai été amené à participer à l'aventure de Lodève, festival international de poésie de la Méditerranée, et cela jusqu'en 2009. Cette expérience et ce savoir-faire se retrouveront cette année, à partir du 23 juillet, à Sète, puisque la quasi-totalité de l'équipe de Lodève, dont je fais partie, a suivi la directrice du festival dans ce port méditerranéen, chanté par Brassens et célébré par Valéry.
Il faut saluer à cette occasion le dynamisme de Maïthé Vallès-Bled et sa constance à défendre des événements de qualité qui offrent aux poètes et à la poésie les meilleures conditions pour se faire entendre et apprécier.
On trouvera dans le site du festival tous les détails de la programmation, la présentation des invités et des lieux où se dérouleront les rencontres, ainsi que la liste des éditeurs présents.
Il est assez exceptionnel de pouvoir découvrir sur un même endroit des poètes et des artistes issus de tout le pourtour méditerranéen, de se confronter à leurs préoccupations de créateur immergé dans un contexte particulier. La Méditerranée offre de multiples visages dont certains sont encore plein de larmes. Aller à leur rencontre ne peut que nous enrichir, nous faire participer un peu mieux au mouvement de ce monde.