Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 27 septembre 2014

Revenir au pays

Nous présentons aujourd'hui un poème de Marc Georges Klein. L'auteur est né en 1949 à la frontière exacte entre les actuelles Allemagne et France, et fut professeur de lettres, éducateur populaire et expérimentateur de « théautre » ; il s’aventura en Afrique du Nord, en Espagne, un peu plus loin encore ; habita quelques années en Sud-Finistère, à peu de distance de la Pointe du Raz ; et vient de vivre une dizaine d’années dans l’état sud-mexicain du Chiapas. Il n’a jamais cessé d’écrire.
La rédaction de ce poème intitulé Heimkehr – et dont la facture ne laisse de l’étonner lui-même – accompagna son retour en France, entre mars et août 2014.


Marc Georges Klein - Juillet 2014


Heimkehr
Cancún-Rennes, mars-août 2014
Marc Georges Klein

_________________________________________

1.
Aurait-t-il donc pris fin, le temps où, des bonheurs
simples comme le jour que me donnait la vie,
je ne savais, toujours et du monde et de moi
comme par une vitre opaque séparé,
me contenter, restant comme vide, orphelin
de quels dieux inconnus qui ne m’auraient laissé
pour legs que ce tourment, l’obscure nostalgie
de quelle autre couleur toujours déjà perdue,
qui condamnait la terre à n’être d’elle-même
que le pâle reflet, l’ombre grise à jamais ?

Se soulève, en effet, la dalle d’un sommeil

qui est et n’est pas mien, et la lumière tourne,
en son essaim de foudre, et le monde avec elle,
et je ne sais encor ce qu’au vrai signifie
revenir au pays ; ni pourquoi il m’advient
sous un ciel étranger, en l’étape brûlée,
d’éprouver à nouveau cette légèreté,
cette grâce soudain, qui me saisit jadis
à m’embarquer, chantant, pour la première fois
sur le pont chamarré d’un bateau s’arrachant
pour Alger de Marseille ; et je ne sais encor
pourquoi, sous quel archet, immobile pourtant
du cœur la corde tremble.

2.
Or voici, tout regret

s’éloigne, et ce n’est plus la poignance des choses :
un cerisier en fleur, un sourire, un parfum,
aussitôt condamnées – mono no aware -
qu’elles nous sont données, à savourer, sinon
leur infinie promesse, leur pure éternité,
c’est cela qui m’étreint, comme à la proue dressé
le vigile guettant toute une longue nuit,
offrande étincelée, l’espérance d’un phare,
et qui, n’apercevant de tant d’iles, de tant
de points disséminés sur l’inutile carte,
et toujours menacés, à la moindre marée
d’hiver, de s’effacer, disparaître peut-être,
où trouver le refuge, éprouve cependant
qu’à l’heure la plus sombre et la plus désarmée,
en toute certitude lui sera consentie
la grâce d’y toucher.

Et ce nuage

même qui obscurcit le monde, et l’éclaire pourtant,
a pour moi les contours et presque le visage,
et presque l’infinie douceur qu’auraient les mains
d’une autre femme, aimée, perdue et retrouvée,
la même qui sans doute, en ses heures de fièvre,
a visité Verlaine, et toujours reviendrait
sur mes yeux égarés poser ses doigts de givre ;
et les mots que je trame en cette langue d’ombre,
abritant mon exil, y trouvent peu à peu
une forme plus juste.

3.
Et je me tiens debout,

et je dis à mon tour Me voici Imbécile
Ignorant comme dit Tête d’or, et tournant
ma face vers le jour, je crois me reconnaître
en cette homme nouveau, dressé devant les choses
inconnues, étrangères, habité d’un tourment
et d’un désir sans nom ; pourtant son impatience
aimante n’est plus mienne, et pas non plus son cri,
traversé, comme Job, d’une sourde rancœur ;
car c’est d’une confiance et d’une paix nouvelle
à présent, quoique insue, que je suis habité.

Aurai-je appris enfin, de l’énigme du monde,

à ne plus m’obstiner, y portant sans égard
ce pauvre fer rouillé qu’on nomme impudemment
le désir, ou la soif, ou la quête du sens,
à forcer la serrure ? Aurai-je consenti
à ne plus rien tenir, dans la seule faveur
de l’ombre, pour ma proie ? et reconnaître enfin,
dans la grotte enfumée, sur ses parois de sang,
du signe et du non-signe en leur commune nuit
la presque souveraine indifférence ?

Or 

c’est un autre sommeil qui déjà peu à peu
me gagne, dévorant les mots, comme le sable
qui croule sous le pied du pèlerin risquant
à la grâce d’errer sa sandale de corde ;
un sommeil de marin, quand par tout le bâti
qui l’enserre, aux grands coups de baratte salée
du jusant sur la coque, il n’est d’autre réponse
à l’effroi absolu qu’un pur consentement ;
un sommeil de gisant, qui loin de se roidir 
au glacis de la tombe, aurait pris la chaleur
des pierres longuement mûries dessus les braises,

et le parfum brutal du jasmin obstiné

des vieux jardins d’Albi, du chèvrefeuille cher
à la geste ancienne, et du divin lilas
d’après la promenade au mois de mai, croulant
sur la cruche ébréchée, et l’envergure même
des voiles déployées, en leur couleur de rouille,
sur la mer à jamais porteuse d’aubes : c’est
un sommeil d’équinoxe, un sommeil naufragé,
juteux, lourd et fruité comme un ventre de bête
en puissance de mère, un sommeil de la presque
enfance retrouvée, qui de la belle mort, 
de la fin accomplie, de l’issue désirable,
ne serait pas l’image, ou le seuil figuré,
mais l’écrin bienheureux, l’athanor tiède encore
et la matrice aimante, comme la chair de l’huître
l’est de la perle dure, cet accident pourtant,
où elle s’accomplit.

J’ouvre à nouveau la main,
et tout ce qui avait, tel jardin de cailloux,
pris forme singulière, éclat prodigieux,
se disperse à nouveau dans l’indifférencié,
comme sous la paupière unique soulevée
de l’iguane soudain se disperse le monde -

et la joie humblement, comme la vague sourde,

obscure, fourmilière, à la fin, se retire, 
et je reste muet.

4.
Pourtant.


Ce n’était pas

chez moi que je retourne :il n’est pas de chez moi,
il n’est pas de retour, sinon qu’en les méandres
innombrables du cœur, battant entre quelle une
et quelle autre frontière également rougie
d’un obscur trait de mort ; il n’est pas de pays,
sinon, depuis toujours, cette lande déserte
où quel je s’exaspère à retrouver des pas,
fussent-ils monstrueux, qu’y firent ses ancêtres,
une empreinte douteuse ; et sans doute est-il bon
qu’il n’y trouve plus rien que cendre dispersée,
parmi l’éparsement d’autres cendres encore,
sur la terre déserte et grise, cependant
féconde d’un matin qu’il ne sait discerner.

Et sans doute est-il juste aussi qu’il n’aperçoive,

occupant quelque temps, quelque autre, quelque chambre,
hospitalière certes, et d’où l’on peut saisir
parfois, par la fenêtre, à l’heure du silence,
en fin d’après-midi l’appel de quelque oiseau,
mais où toujours l’attend un sommeil de vipère
hanté d’horribles songes, et secoué de spasmes,
et puis le cri des loups démuselés du vent,
un réveil effaré, le froid et la sueur,
et qu’il ne sache encore où délier son sac,
où disposer ce peu de choses familières,
un canif, une montre, une blague à tabac,
quelques livres encor, sauvés de quel effroi,
car s’établir déjà serait trop tôt répondre 
à la question qui là, en ce temps de sa vie,
au plus secret de soi, exige ce terrible
et souverain retrait.

5.
Et sera-t-il passé,

l’Ange, comme un cerf gris, sur les chemins perdus
du très-ancien pays ; aura-t-il déposé,
sur leur manteau bourbeux, par le lichen suintant
sur la pierre, la cendre éparse du foyer,
la maigre peau de sel achevant de craquer
sur le palud à sec, par l’herbe qui croupit
comme une lèpre jaune et ronge jusqu’au cœur
de l’arbre foudroyé, par les gravats épars
des maisons bombardées, la margelle du puits
tari, par le charbon des livres calcinés,
par le sac de haillons moisis abandonnés
au fond de quelque cave, par les planches disjointes
du bateau éventré achevant de pourrir
en quelque cimetière oublié, sur l’amère
étendue où se perd sa vaine signature,
que nul ne s’en souvient, et le chiffre du monde
à chaque battement de l’horloge du vivre
encore s’obscurcit.

Que nous importe alors

qu’il continue, cet Ange, à l’insigne souffrir
de l’homme indifférent, sur le même pavé,
dans le même ruisseau, du sens et du non-sens
à jouer d’un seul dé, comme on jette un caillou,
l’également toujours très misérable chance ?
Qu’il joue sans nous, merci, nous avons bien assez
de notre cruauté aveugle, forcenée,
pour devoir soutenir, et chercher à comprendre,
et presque justifier la sienne de surcroît.

Sans doute, mon ami, mon frère, tes aïeux

facteurs d’orgue, luthiers, philosophes, lecteurs
des mots d’une autre langue, en ces glyphes tracés
sur les chemins d’exil de droite à gauche par
un plus ancien aïeul encore, et se faisant
polisseurs de lentilles, acheteurs et vendeurs
de cuivre et de carton, de morceaux de ficelle,
t’auront-ils enseigné, qu’à ton tour tu m’enseignes
une sagesse nomade.

Pourtant, par les remous

du fleuve limoneux, par la brume levant
sur les mangroves tièdes une nuée d’insectes,
par l’œil du serpent vert écrasé, sur la piste
avant nous que foula de ses neuf doigts de pied
un presque dieu ancien à profil de pur nombre
échevelé, parmi les visage souillés
de crachats anonymes, l’huile rance des nuits,
la poix des encoignures, et par l’écho des rires
à jamais dispersés, et par le grincement
que fait sur le pavé la charrette bancale
des condamnés pour rien, et par le clapotis
gluant de cette boue qui fut chemin jadis,
quelque chose, je sais, demande obstinément,
par les mots seulement, s’il n’est d’autre possible,
à être rédimé.

Et non, ce n’était

pas déchiffrer qu’il fallait : seulement accueillir.

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samedi 20 septembre 2014

Poésie, Littérature & Théâtre

Je profite de cette rentrée pour annoncer les prochains spectacles de Zygmunt Blazynsky qui sont une illustration des relations que continuent à entretenir encore la poésie et la littérature avec le théâtre malgré le pilonnage quotidien des médias visant à occuper nos cerveaux avec du vide, du superficiel, de l'inutile et de l'éphémère.



Rainer Maria RILKE
(1875-1926)


   Rainer Maria Rilke est incontestablement – avec Goethe – le plus illustre poète de langue allemande et l’un des rares poètes du XXème siècle a avoir atteint la célébrité universelle.
   Né à Prague, mort en Suisse, il vécut en exilé volontaire, sans adresse fixe, sans attache, sans emploi, sans biens matériels et fut peut-être l’un des derniers grands vagabonds d’une Europe qui brûlait des ultimes feux d’une civilisation aujourd’hui disparue.
   De la Russie d’avant la Révolution à la Vienne de la Sécession et au Paris du XXème siècle, de la communauté villageoise et artistique de Worpswede aux palais de Venise et à la solitude du Valais, ami de Rodin et de Valéry, il sera de chambres d’hôtels en châteaux, protégé par des égéries comme Lou Andreas-Salome et des mécènes comme Marie de la Tour et Taxis, ne recherchant au fond, dans le monde et en lui-même, que l’absolu de la poésie.

LES CAHIERS de MALTE LAURIDS BRIGGE.

   Les Cahiers de Malte Laurids Brigge annoncent un autre monde et une autre écriture « un livre inclassable ».
   Lorsqu’on cite les grandes œuvres romanesques qui ont marqué les XXème siècle, on omet généralement Rilke et les « Cahiers de Malte Laurids Brigge » cela tient sans doute à un titre inhabituel pour un roman, mais aussi à l’image de Rilke comme le poète lyrique par excellence, laquelle accrédite l’idée que ces « Cahiers » ne seraient qu’une confession personnelle à peine déguisée. Ils sont pourtant moins autobiographiques que « La Recherche du Temps Perdu ! » Enfin, leur auteur en a parlé comme d’un « tiroir de papiers en désordre », discréditant ainsi lui-même leur savante composition, qui lui a pris plusieurs années en dépit de sa célèbre « facilité ».

LE LIVRE de LA PAUVRETÉ et de LA MORT.

   « Le Livre de la Pauvreté et de la Mort » est la troisième partie d’une œuvre poétique : « Le Livre d’Heures ».
   Au début du siècle Rilke annonçait à ses correspondants des « prières ».
   C’était d’abord « Le Livre de la Vie Monastique », qui émanait du spectacle des Laures que la Russie lui avait offert. Dans « Le Livre du Pèlerinage » il évoque les longs cheminements aux pieuses haltes de «  ce pays qui s’arrête à Dieu »
   Après l’expérience de la ville, c’est-à-dire de Paris, le cycle du « Livre d’Heures » est enfin clos. Or Rilke avait vécu à Prague, sa ville natale, à Munich, à Vienne, à Berlin… mais c’est Paris qui lui a fait entendre la note terrible de la grande ville.
   Quant au « Livre de la Pauvreté et de la Mort » (1903) qui ne se comprend qu’en liaison avec l’expérience parisienne, il peut être considéré comme « LE LIVRE DE LA FRANCE ».


Du 27 septembre au 2 novembre 2014
Uniquement les samedis à 20h30 et les dimanches à 16h30
CRYPTE du MARTYRIUM saint DENIS
11 rue Yvonne Le Tac – 75018 Paris – Métro : Abbesses ou Pigalle
Participation aux frais : 10,00 €
Réservations : 01 42 23 48 94 
Mail : zygmunt.blazynsky@wanadoo.fr

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LE PAUVRE D’ASSISE
de
Nikos KAZANTZAKI


   En février 1924, Nikos Kazantzaki quitte Berlin, une ville en pleine crise économique et sociale, où règne la misère et le désarroi. Très influencé par ce contexte, ses recherches spirituelles et ses rencontres, il rédige « Ascèse, Salvatores Dei ». Il exprime toute sa philosophie, ses idées métaphysiques. On peut considérer cette période de la vie de Nikos Kazantzaki comme « révolutionnaire ».

     Imprégné de révolte, de recherches spirituelles et de justice sociale, il arrive en Italie. Au cours d’un voyage à Assise, il est bouleversé par sa «rencontre » avec Saint-François. D’autres voyages-rencontres auront lieu qui aboutiront à la rédaction d’un livre intitulé en grec, « Le Petit Pauvre de Dieu » ou en français, « Le Pauvre d’Assise ».

     Au cours de ce premier séjour à Assise, il fait la connaissance de Johannes Joergensen, écrivain danois et auteur d’un livre sur Saint-François. En 1951, Kazantzaki le traduira en grec. Ce livre aujourd’hui fait autorité dans les milieux chrétiens en Grèce.

     Le deuxième voyage à Assise a lieu en 1926. Kazantzaki était venu commémorer avec les Italiens le 700ème anniversaire de la mort de François. L’Italie de Mussolini avait fait de ce jour un grand jour de Fête Nationale. Kazantzaki est choqué, car il ne voit aucun rapport entre Saint-François et l’Italie fasciste.

     L’été 1952, il visite à nouveau l’Italie et s’arrête à Assise pour la 3ème fois.

     C’est à Assise que l’idée lui vient d’écrire un livre sur Saint-François.

     En septembre 1952, il écrit d’Antibes à son traducteur suédois Knös :

     " J’ai vu de très belles choses en Italie, je me suis beaucoup réjoui, et j’ai beaucoup réfléchi et à Assise j’ai vécu de nouveau avec le grand martyr et le héros que j’aime tant : « Saint-François » Maintenant je suis pris du désir d’écrire un livre sur lui. L’écrirai-je ? Je ne sais pas encore. J’attends un signe et alors je le commencerai."

     En juin 1953, hospitalisé à Paris, il pense à nouveau à Saint-François.

     " Dans le délire de la fièvre, je croyais voir Le Poverello se pencher sur moi. Pendant mes nuits d’insomnie il venait, s’asseyait à mon chevet et me racontait sa vie, comme une vieille nourrice…"

     Après sa maladie, il commence à écrire ce livre, terminé en 1954. il l’a dédié au docteur Albert Schweitzer, « Le Saint-François de notre époque » comme il l’appelle.


du samedi 15 novembre au dimanche 21 décembre 2014,
uniquement les samedis à 20h30 et les dimanches à 16h30
 Crypte du Martyrium saint Denis – 11 rue Yvonne Le Tac – 75018 Paris Métros : Abbesses ou Pigalle

RÉSERVATION : 01 42 23 48 94 
-  Participation aux frais : 10,00 €
E-mail : zygmunt.blazynsky@wanadoo.fr

samedi 13 septembre 2014

Maria do Sameiro Barroso, poète du Portugal

Ce n'est pas la première fois que nous accueillons un poète du Portugal dans ce blog. Déjà en juin 2010, je présentais Jaime Rocha dont le recueil Zone de Chasse a été récemment traduit en français. Au mois de juillet dernier, à l'occasion du festival des Voix Vives de Sète, j'ai eu le plaisir de faire la connaissance de Maria do Sameiro Barroso et de renforcer ainsi les liens avec une langue et une culture qui me sont chères.


Maria do Sameiro Barroso est née à Braga en 1951. Elle est poète mais aussi médecin, diplômée de Médecine et Chirurgie de l’Université de Lisbonne et chercheur dans les domaines de la médecine ancienne (histoire des femmes, histoire de la gynécologie et de l'obstétrique, lithothérapie ancienne). Elle est également diplômée en philologie allemande, ce qui l’a amenée à traduire La Flûte enchantée de Mozart en 2007 et des poètes comme Friedrich Schiller, Paul Celan, entre autres. Elle est par ailleurs vice-présidente du PEN Club Portugais et déléguée du Mouvement Mondial de la Poésie (World Poetry Movement) au Portugal.
Elle est l'auteure de trente recueils de poésie, traductions et essais publiés au Portugal et à l'étranger. On lui doit la coordination de plusieurs anthologies et événements culturels. Elle a remporté plusieurs prix de poésie, notamment le Prix International de Poésie "Parole Ibérique 2009", avec Une amphore à l´horizon. Son livre Poèmes de l’incomplétude de la nuit, publié par Editions Écritures (São Paulo, Brésil) en 2010, a fait partie des sept livres d'auteurs portugais sélectionnés pour le Prix Portugal Telecom 2011, au Brésil.

*

Voici trois poèmes extraits de O corpo, lugar de exílio / Le corps, lieu d'exil paru en 2013 aux éditions Castália qui a été traduit en français à l'occasion de la venue de Maria à Sète : 

 6.
O poema é inseparável do corpo,
exígua canção, poalha ancestral,
lugar de exílio,
em sua ignorância frágil, desmedida,
obstinada cicatriz,
vocábulo do ser, secreta medida,
diadema submerso, lua sedenta,
goivo de luz,
telúrica pulsão, chama incontrolada,
geminado ardor,

único porto a habitar a solidão interdita.

6.
Le poème est inséparable du corps,
petite chanson, poussière ancestrale,
lieu d'exil,
dans son ignorance fragile, démesurée,
cicatrice obstinée,
vocabulaire de l'être, mesure secrète,
diadème submergé, lune assoiffée,
giroflée de lumière,
pulsion tellurique,
flamme incontrôlée,
ardeur jumelée,

unique port pour abriter
la solitude interdite.


14.
Nada esqueço, nem o que fui,
nem o que sou.
Falta ainda uma rosa de luz,
quer seja concha, mimosa ou papoila,
boca, beijo ou coral.
Falta ainda uma canção para irradiar
a sombra.
Imensa é a escuridão dos frutos.

E o teu rosto que tomba, radioso,
no caudal azul das minhas mãos.

14.
Je n’oublie rien, ni ce que j'ai été,
ni ce que je suis.
Il manque encore une rose de lumière,
qu'elle soit coquille, mimosa
ou coquelicot,
bouche, baiser ou corail.
Il manque encore une chanson
pour irradier l'ombre.
Immense est l'obscurité des fruits.

Et ton visage qui tombe, radieux,
dans le flux bleu de mes mains.


22.
O meu corpo aguarda as aguarelas
dos teus olhos,
sobre telhados, chaminés.
Conto as horas, os dias, os minutos,
a recitar as harmonias improváveis,
pulsando nas estrelas.
Existe relva nas cidades,
existe algum verde nos teus olhos.
Existem pombos.
O teu olhar atravessa-me.

Tudo é sublime
no terno coração do asfalto.

22.
Mon corps attend les aquarelles
de tes yeux,
sur les toits, les cheminées.
Je passe les heures, les jours,
les minutes à réciter les harmonies
improbables,
pouls battant des étoiles.
Il existe du gazon dans les villes,
il existe un peu de vert dans tes yeux.
Les pigeons existent.
Ton regard me transperce.

Tout est sublime
dans le cœur tendre de l'asphalte.


(Traduction Julie-Cerise Gay)


Complément : 
- Maria do Sameiro Barroso sur le site Triplov


samedi 6 septembre 2014

Amitié et Fraternité en poésie

L'amitié est un thème qui est cher à ce blog. C'est même sous son signe qu'il s'est ouvert. L’École de Rochefort occupe aussi une place importante dans nos rubriques, tout comme Luc Vidal et ses éditions du Petit Véhicule qui en perpétuent l'esprit. Olivier Delettre participe aux côtés de Luc Vidal aux destinées des éditions du Petit véhicule où il a fait paraître en septembre 2012 un essai en deux tomes intitulé De l'amitié et de la fraternité à l’École de Rochefort. A l'origine travail universitaire, cette recherche s'en est affranchie pour nous proposer en cinq temps une analyse des plus fines et des plus fouillées de ce qui constitua le fondement même de la relation entre les poètes de Rochefort.


Le premier tome présente les trois premiers temps intitulés respectivement : Au début de l’École de Rochefort, La correspondance et L'amitié et la fraternité en poésie. Après avoir présenté le contexte politique et socio-culturel des années trente et quarante, Olivier Delettre s'intéresse aux initiateurs de cette aventure et se demande si Walt Whitman n'en serait pas le père fondateur. Il n'oublie pas bien sûr de rappeler les rôles joués par Max Jacob et Pierre Reverdy auprès des jeunes poètes de Rochefort. La partie concernant la correspondance la présente comme l'expression même de la fraternité à travers les échanges épistolaires de Cadou-Bouhier, Béalu-Cadou, Béalu-Bouhier, Bérimont-Bouhier-Cadou. Révélateur est le chapitre portant sur les disputes et réconciliations. Parmi les causes des disputes on trouve l'argent et les éditions, la susceptibilité des artistes ou encore l'engagement politique. Le troisième temps consacré à L'amitié et la fraternité en poésie s'attarde sur la place occupée par celles-ci dans l’œuvre et l'itinéraire des principaux protagonistes de Rochefort, à savoir : Marcel Béalu, Jean Bouhier le fondateur de l’École, Luc Bérimont, René Guy Cadou, Michel Manoll et Jean Rousselot. Elles sont ensuite envisagées par rapport à l'ensemble du groupe.


Le deuxième tome contient le quatrième temps intitulé Les illustrateurs ainsi que le cinquième Les proses des écoliers. La partie sur les illustrateurs permet de parler du peintre Roger Toulouse à qui l'on doit les portraits des poètes de l’École, celui de René Guy Cadou reste le plus popularisé. Sont aussi évoqués Yves Boré-Mahé et Guy Bigot. Enfin dans le cinquième temps, Olivier Delettre se penche sur les romans de Jean Rousselot, Luc Bérimont, René Guy Cadou, sur leur tentation pour le roman social ainsi que sur leurs écrits autobiographiques et montre en quoi ils prolongent leurs positions poétiques.
Dans son avant-dire Luc Vidal a ces mots qui nous serviront de conclusion : "Être en fraternité, c'est vivre les épreuves de la vie en sachant que l'épaule de l'autre est prête à nous accueillir. La fraternité et son corollaire l'amitié demandent que l'on s'arrête à un rendez-vous non prévu (offrande de paix) pour prendre le temps de l'écoute réciproque. Cet essai De l'amitié et de la fraternité à l’École de Rochefort raconte avec brio comment cette histoire fut réellement vécue par ces poètes. C'est pour cela que cette aventure poétique est si vive dans notre présent".

Complément :
- Le livre sur le site de l'éditeur.