Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 18 novembre 2023

Un poème d'Anne Bihoreau

                           A l'horizon

 

Là où finit la terre

Là où commence le ciel

une trouée d’air

 

« Il habite ses glacis

jusqu’à cette cassure

où le ciel s’interrompt »

                     Jean Laude

 

Là où finit la terre

Là où commence le ciel

j’habite ce peut-être

cette faille de l’être

 

l’horizon

la frontière du jour

au-devant de soi-même

 

L’horizon

l’onde de matière

la chambre du poète

 

Un pas en avant

Un pas en arrière

Il n’y a de frontières

qu’en moi-même

 

les mots tombent dans l’escarcelle

 

Seule m’appartient

l’avancée que je fais

à la lisière du réel.

 

Anne Bihoreau

St Malo, le 07/02/23

 

*                                           


Anne Bihoreau est une femme immergée dans le tissu du monde au pied du littoral breton qui tente de capter le réel pour écrire dans l’intervalle.

Poétique des éléments, tel est son ancrage en poésie…

L’attrait solaire, la lumière, l’impact de la mer, du rivage dans les sphères de l’imaginaire, les cimetières de bateaux, le bruit du vent, la trouée de l’air, l’envol migratoire, mais aussi les étendues boréales, le vent du désir, l’éros sont autant d’éléments d’exploration et le thème des recueils : « Tournesols », « Eaux-Fortes » dont certains sont inédits : « Boréales », « A fleur de mer », « Alphabet amoureux du poète ».

Amie de « la Tour du vent » à St Malo (35) depuis 1990 elle fut publiée dans la revue « Avel IX » de 1991 à 2013 autour de Théophile Briand ainsi que dans la revue « Bulles du Cercle poétique du Ternois » (62), et la rubrique « En musardant » de l’Abeille du Ternois de 1993 à 2009. Elle fut reçue en 1995 à la Maison des poètes et des écrivains à St Malo.

En lien régulier avec les « Amis de Gaston Bachelard », elle fut invitée comme poète au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle (50) en 2012 au Colloque « Bachelard : Science, Poésie, une nouvelle éthique » et est publiée couramment dans leur Bulletin annuel depuis 2006 sur les thèmes suivants : la mer, le désir, du féminin, les fragments du réel.


 

samedi 14 octobre 2023

Un film de Patrick La Vau sur Bernard Manciet

Il y a un peu plus de dix ans, en janvier 2013, je présentais dans ce blog le livre d'entretiens que j'avais réalisé avec Serge Bec et Bernard Manciet. Les années ont passé. Après Bernard Manciet disparu en 2005, Serge Bec nous a quittés en 2021. Tous les deux nous manquent beaucoup. Ceux qui les ont connus continuent au fil des ans à entretenir leur souvenir et faire découvrir aux générations plus jeunes leur œuvre forte et marquante. Certains moments s'y prêtent plus particulièrement, ainsi du centenaire de la naissance de Bernard Manciet.

À cette occasion Patrick La Vau vient de réaliser un très beau film sur le poète gascon. Il n'en est pas à son premier puisqu'il a déjà à son actif une quarantaine de réalisations toutes dédiées à des figures de la culture occitane représentatives d'un monde qu'il a à cœur de faire connaître et de défendre. C'est ainsi qu'il a déjà filmé par exemple un métayer gemmeur des Landes, des joueurs de vieille, le rugbyman François Moncla ou encore le poète Max Lafargue.

Pour Bernard Manciet, le défi était d'être à la hauteur du personnage, de mettre en valeur ce "monstre d'originalité" comme disait de lui René Nelli. Et le défi a été magistralement relevé.

Par une réalisation soignée, de très belles images, un montage qui nous tient en haleine, Patrick La Vau nous entraîne en 52 minutes, dans l'univers baroque de Bernard Manciet. Il donne des éléments biographiques sans être didactique et ennuyeux. Il fait entrer dans l'œuvre par petites touches et de différentes manières : lectures de poèmes, commentaires de l'auteur, extrait de récital, illustrations graphiques, complétées par une analyse à la fois fine et chaleureuse de Jean-Pierre Tardif. Rappelons que ce dernier dont nous avons parlé récemment a été le collaborateur le plus proche de Bernard Manciet au sein de la revue OC avant d'en devenir lui-même le rédacteur en chef. Il en avait d'ailleurs raconté l'histoire dans ce blog.

Ce que j'ai ressenti comme poète, c'est que Bernard Manciet et son œuvre continuent de nous questionner, de nous stimuler dans notre propre recherche et particulièrement sur l'usage que nous faisons de la langue. Le titre donné au film est d'ailleurs explicite à ce sujet : Un díder de huec / Un dire de feu. C'est un documentaire qui ouvre sur le présent, le bouscule, il n'embaume pas un auteur pour le faire bien sagement entrer dans le panthéon des grands hommes de l'Occitanie.

La bande-annonce devrait suffire à nous en convaincre : 


Compléments :

- Pour contacter le réalisateur : lavaupatric@gmail.com

- Le site de Patrick La Vau.


  

mardi 12 septembre 2023

En souvenir d'Andrée Appercelle

Il y a tout juste un an, Andrée Appercelle nous quittait. Elle était dans sa 97ème année. Je voudrais aujourd'hui lui rendre hommage en évoquant la séquence où je l'ai fréquentée et dire le souvenir merveilleux que j'en ai gardé.

J'ai rencontré Andrée Appercelle à Lodève lors du Festival Voix de la Méditerranée qui s'y est tenu de 1998 à 2009. À l'époque, je demandais systématiquement aux poètes qui avaient été en âge de le connaître lorsqu'il écrivait ses livres de poétique, si ils avaient été en contact avec Gaston Bachelard et ce fut le cas pour Andrée Appercelle.

Elle avait correspondu avec le philosophe entre 1953 et 1960, était allée lui rendre visite à son domicile parisien situé au pied de la Montagne Sainte-Geneviève et avait noué avec lui une relation tout autant poétique qu'affectueuse.

Avec le soutien de l'Association des Amis de Gaston Bachelard, nous avons pu alors envisager la parution des lettres qu'elle avait reçues de lui, complétée par une évocation  d'Andrée Appercelle de ce qu'elle appelait des "Rencontres-Bonheur".

Elle concluait ainsi : "Je me souviens : Gaston Bachelard et son foulard rouge, sa barbe de neige, son sourire indulgent ; modeste artisan devant son bureau, luttant pour arriver au terme de tout ce que son esprit désirait transcrire. Cinquante ans en arrière, avec tout ce qui a défilé dans ma vie, je mesure la chance de l'avoir rencontré. J'essaye de me souvenir de sa voix, de son accent. Gaston Bachelard était un être de soleil, de flamme douce. Ce mot soleil, je l'écris souvent dans mes poèmes, il me révèle la passion que je mets en lui, ma flamme aussi. Merci, Monsieur Bachelard, de m'avoir enrichie, éveillée, vous que j'appelais avec élan "le Grand-Père des Poètes".

Une des lettres était accompagnée du poème qu'André Appercelle avait dédié au philosophe. Il sera par la suite repris dans son recueil Mousse et Chèvrefeuille, le voici:

L'Oiseau Bulle

Une goutte de soleil

chante, vibre, veille

dans la chambre,

Une goutte de soleil se cambre

et se pose sur mes cheveux.

Un chrysanthème d'or

secoue ses pétales joyeux

au creux de ma main,

Un chrysanthème d'or

au parfum de thym.

Une feuille de chair cueillie

à l'arbre de la vie

palpite sous la voix de la pluie,

s'endort sur les doigts de la nuit.

Et je suis le sillon chaud et gourmand

où tombent, graines sous le vent,

les notes claires et gaies du chant

de la fleur de soleil,

Et je suis le sillon chaud creusé

où se blottissent deux gouttes noires

luisantes comme peau de poire

sous lèvres de rosée,

Et je suis le pollen

de la fleur de soleil

si de ma gorge d'homme tombe un fruit

juteux et doux au cœur du petit canari.

 

Andrée Appercelle restera par la suite toujours fidèle à son souvenir. Quand, en 2007, a été publié mon livre Gaston Bachelard ou le rêve des origines  qui faisait la part belle à la relation du philosophe avec les poètes, elle a organisé dans une librairie de Grenoble une rencontre pour que je puisse le présenter. À plus de quatre-vingts ans elle poursuivait cette activité généreuse au service de la poésie qu'elle avait commencée dès les années cinquante.

À cette période également elle préparait un livre qui témoignait d'une autre fidélité qu'elle avait toujours manifestée, cette fois envers les animaux.

Dans cet ouvrage, elle faisait parler en poèmes Judith, un macaque d'Asie qu'elle avait adoptée en 1974 dans un refuge de la S.P.A.D. de Grenoble où l'animal avait été recueilli dans un état pitoyable à la suite de mauvais traitements. Son compagnonnage avec celle qu'elle considérait comme "une petite sœur" durera 23 ans. 

Venue d'Asie

je m'appelle

Judith

rutilante

d'une beauté

à quatre mains

en un temps

de coco-sucré

où je sautais

entre les branches

sans me casser

le nez

Complément :

- Andrée Appercelle sur le site du Printemps des Poètes.