Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 1 février 2025

Un poème d'Ann Cefola

  Il y a exactement cinq ans j'accueillais dans ce blog Ann Cefola qui nous faisait partager un peu de son parcours poétique du côté de New York. Ann Cefola a depuis continué son chemin et fait paraître When the Pilotless Plane Arrives (Trainwreck Press, 2021). Elle a de même traduit du français un livre d'Hélène Sanguinetti paru sous le titre Alparegho, like nothing else (Beautiful Days Press, 2025). D'autres encore de ses traductions ont été publiées dans CircumferenceExacting ClamHunger Mountain, et twotwoonenyc. On pourra par ailleurs trouver sa poésie la plus récente dans des revues comme Blood and Bourbon (Canada), Hawaii Pacific Review, et Women’s Studies Quarterly, ainsi que dans les anthologies Duo (Linen Press, 2024), All Shall Be Well (Amethyst Review, 2023), I Wanna Be Loved by You (Milk & Cake Press, 2022), Poets Echoes and Tributes (ArsOmnia Press, 2021), Brought to Sight and Swept Away (Vita Brevis Press, 2021), Verdant (Truth Serum Press, 2020), ou Mother Mary Comes to Me (Madville Publishing, 2020).

Ann Cefola devant un train d'époque à North Conway,
 dans le New Hampshire, automne 2024.

Je suis heureux aujourd'hui de présenter un de ses poèmes :

Wildlife


This morning wild turkeys like a string

of black pearls break across my ochre lawn,

a dozen, little, wise enough to lift in gobbles to low poplars

as a coyote pup—all inked face and tail—emerges from

a mulberry bush, stunned by the sight of the brown orange tribe

but spurred by easier rodent scents to sun-shadowed pine depths,

returning elders to peck, serenely gather their young

whom I’d love to follow single-file up the empty stream—

a last poult, belly full, eager to one day spread

my autumnal fan—but I am already with the awed coyote

racing the wood’s hungry heart.



Vie sauvage

Ce matin, des dindes sauvages, comme un chapelet
de perles brunes, traversent l'ocre de ma pelouse,
une douzaine, petites, assez sages pour se soulever en gloussant

                                                                                [ jusqu'aux peupliers
alors qu'un jeune coyote—le visage et la queue encrés de noir—émerge
du buisson d'un mûrier, abasourdi à la vue de la tribu marron-orange
mais stimulé par les odeurs de rongeurs plus faciles à sentir

jusqu'aux profondeurs des pins traversés par le soleil,
retour des aînées pour picorer et rassembler sereinement leurs petits
que j'aimerais suivre en file indienne dans le lit du ruisseau vide—
une dernière volaille, le ventre plein, j'ai hâte de déployer un jour
mon éventail d'automne—mais je fais déjà la course

avec le coyote étonné dans le coeur affamé de la forêt.


                                Ann Cefola

                  (Traduction de Jean-Luc Pouliquen)



mardi 7 janvier 2025

Les fantômes de Franz Kafka, Nâzim Hikmet et Samuel Beckett

Nous commençons l'année, comme nous avions terminé la précédente, en présentant un livre de la collection regards turcs. Et là encore, avec une pièce de théâtre, l'auteure étant la directrice de la collection elle-même, Sevgi Türker-Terlemez.


 Ce livre, fruit d'une longue maturation, a été précédé de travaux universitaires sur les trois auteurs évoqués, travaux qui constituent la matière dans laquelle Sevgi Türker-Terlemez est allée puiser pour écrire cette pièce en un acte et dix-neuf scènes.
On peut même dire que l'Université est le point de départ de la pièce puisque le personnage pivot est une jeune doctorante dont la thèse a pour intitulé Esthétique et métaphysique de l'attente avec Le Procès de Franz Kafka, Ferhat et Şirin de Nâzim Hikmet et En attendant Godot de Samuel Beckett.
Mais le théâtre va vite s'imposer car les fantômes des trois auteurs qui hantent l'imaginaire et les pensées de la jeune fille vont prendre possession de l'espace scénique pour se livrer à des échanges inattendus auxquels vont se mêler également leurs personnages. Ainsi interviendront par exemple pour Kafka, Joseph K., pour Nâzim Hikmet, Ferhat et Şirin, pour Beckett, Vladimir et Estragon.
Sevgi a su entremêler avec bonheur les personnages réels, la doctorante, son ami, son directeur de thèse avec la présence des trois fantômes et leurs créatures romanesques ou théâtrales. 
De leurs interférences va naître une invitation à la fois à mieux connaître ces géants de la littérature du XXe siècle mais aussi à mesurer l'actualité de leurs interrogations sur le sens et le non-sens de l'existence, d'une humanité souffrante aussi qui peine à trouver une sortie par le haut.
Comme l'écrit Philippe Tancelin dans sa préface : " Si Sevgi Türker-Terlemez parvient à nous faire rêver tout au long de la pièce, c'est bien parce que ce rêve est sans cesse maintenu en éveil et excite notre vigilance vis à vis de l'histoire de chacun des trois fantômes ; mieux encore, est énoncé de manière très concise, l'essentiel de chacune de leur démarche. Le sens profond et authentique de leur réflexion y compris philosophique, est évoqué à travers de larges citations de leurs écrits". Nous rajouterons que cette pièce nous donne l'occasion d'entendre quelques  poèmes de Nâzim Hikmet dans une traduction inédite de l'auteure.
Il y a quelques années un livre qui avait pour titre Petites scènes, grand théâtre rendait compte de toutes ces petites salles parisiennes qui avait porté le théâtre de création de 1944 à 1960, en particulier celui de Samuel Beckett. Lisant les didascalies qui accompagnent les répliques des comédiens de la pièce de Sevgi Türker-Terlemez, nous nous sommes dit que c'est dans ce genre de salle, située de préférence rive gauche, que devrait se jouer Mes trois fantômes... Ce qui ferait le bonheur des amateurs encore nombreux de ce théâtre de qualité.

Complément :


samedi 14 décembre 2024

L'affaire journal Tan

Terminons l'année avec la présentation d'un nouveau livre de la collection regards turcs que nous suivons dans ce blog depuis sa création et dont nous découvrons au fil des années toute la richesse et la diversité. Notre dernière recension concernait un essai sur le poète Orhan Veli, il s'agit cette fois de théâtre.


C'est la deuxième pièce de l'auteur que publie la collection. Comme l'écrit dans sa présentation Sevgi Türker-Terlemez : "Les lecteurs francophones connaissent Erhan Gökgücü par "Giordano Bruno" pièce de théâtre musicale en deux actes, parue dans notre collection regards turcs (de L'Harmattan) en 2020. Erhan Gökgücü a mis en scène la condamnation de Giordano Bruno (moine dominicain, philosophe et théologien italien qui s'opposa frontalement à l'Eglise pour défendre la liberté de pensée face à la pensée unique, à l'intolérance et aux excès idéologiques) et sa fin sur le bûcher à Rome en 1600. Avec son nouvel ouvrage Mon pays mon pays/Memleketin Memleketin - dont le titre fait un clin d'œil à un poème de Nazim Hikmet -, il nous fait cette fois-ci la triste histoire de la destruction du journal Tan, le 4 décembre 1945 à Istanbul."

Nous l'aurons pressenti et la préface nous le confirme, Erhan Gökgücü (1939-2020), avec ses deux pièces de théâtre, "désire souligner qu'à chaque Âge - peu importe le pays, la langue, la conviction, le sexe - meurent, souffrent ceux et celles qui luttent pour la liberté de pensée et d'expression".

Dans L'affaire journal Tan, pièce en deux actes (soit 9 scènes dans le premier acte et 6 dans le deuxième) le personnage principal est Sabiha Sertel (1895-1968) dont va être revécu le tragique et héroïque combat pour la liberté d'expression. Elle ne le mènera pas seule et sera entourée de nombreux personnages dont son mari Zekeriya Sertel (1890-1980) et le poète Nazin Hikmet (1902-1963).

Dans sa postface Funda Gökgücü rappelle que Sabiha Sertel fut la première femme journaliste turque et la fondatrice de l'imprimerie et du journal Tal (L'aube en français). Elle subit une tentative de lynchage et fut condamnée à un exil durant lequel elle passa plusieurs années en France.

Et Funda Gökgücü de conclure : "Ce présent ouvrage parle de Sabiha Sertel, témoigne d'une période de ses contemporain(e)s qui partagent un destin similaire parmi lesquel(le)s se trouvent les noms les plus précieux du patrimoine intellectuel turc tels que Nazim Hikmet, Abidin Dino, Aziz Nesin, Va-Nü, Ruhi Su, Behice Boran..."

Complément :