Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 28 avril 2012

Zodiaque en pays d'Oc - II

Pour résumer les pistes explorées par ces enfants aux côtés de leur instituteur, on pourrait dire que dès l'origine nous cherchons dans cette classe bilingue à partager des moments forts de création. Il s'agit de pétrir une pâte langagière qui permette à la fois de rendre compte d'une expérience concrète de la matière et du geste et de jouer sur le registre abstrait (semble-t-il !) des émotions et des sentiments.

C'est pourquoi nous nous sommes lancés avec les 6èmes dans un projet artistique. Dans le cadre du cours d'occitan hebdomadaire (la parité horaire n'est pas transposable au collège !), il s'agissait de garder l'esprit de la classe bilingue : progresser dans la langue en faisant avec la langue. Le projet est donc également dès le début un projet linguistique. A partir d'une technique minimale et de moyens limités (matériaux de récupération et produits très courants), les élèves ont créé une série de panneaux sur le thème du zodiaque.

Chaque œuvre est le fruit des tâtonnements de son créateur. Mais le projet ne prend son sens qu'au travers de l'aller-retour incessant entre la recherche individuelle et la création collective. La classe est une coopérative : chacun met la main à la pâte pour aider un camarade. Seconde livraison de tableaux : « Lo cranc », de Quentin, « Lo lion », de Lèa et « La vèrge », de Júlia ; les poèmes sont collectifs, à l'exception du cancer (à la demande des enfants, c'est le maître qui a dû se mouiller !).

Frédéric Figeac
Lo cranc

Quicòm ranqueja per la plaja
Quicòm encoirassat

E ‘quò patrolha dins l’escruma
E ‘quò s’arrapa pels rocàs

Quicòm ranqueja

Un cur encoirassat
En cèrca d’un còs a trevar

Un cranc


Le cancer

Quelque chose clopine sur la plage
Quelque chose dans sa cuirasse

Et ça patrouille dans l’écume
Et ça s’accroche aux rochers

Quelque chose clopine

Un cœur dans sa cuirasse
En quête d’un corps à hanter

Un crabe

Lo lion

Lo lion
Bèstia dels sables
Es fièr
De portar la corona
De son pair lo solelh
Es fièr
E sol dins aquel reiaume de rais

Alavetz donariá
Tot l’aur de la savana
Per trobar una liona
Una liona de luna
Una liona de nèu
Per apasimar lo fuèc negre que lo crama


Le lion

Le lion
Bête des sables
Est fier
De porter la couronne
De son père le soleil
Il est fier
Et seul dans ce royaume de rayons

Alors il donnerait
Tout l’or de la savane
Pour trouver une lionne
Une lionne de lune
Une lionne de neige
Pour apaiser le feu noir qui le consume


La Vèrge

La Vèrge
Del calabrun
Es filha nusa de l’escur

D’una penche d’estelas
Pacientament
Sa mair
Alisa la nuèit de sos pièls


La Vierge

La Vierge
Du crépuscule
Est fille nue de l’obscurité

D’un peigne d’étoiles
Patiemment
Sa mère
Caresse la nuit de sa chevelure

samedi 21 avril 2012

Zodiaque en pays d'Oc

La chronique qui s'ouvre appartient à un ensemble qui nous conduira jusqu'au 12 mai. Celui-ci se situe à la croisée de trois axes qui sont ici régulièrement suivis. Le premier concerne la poésie de langue d'Oc encore tout récemment à l'honneur samedi dernier avec Michel Destieu. Le second porte sur cette possibilité de transformer un blog en galerie virtuelle afin d'y présenter des œuvres visuelles. Notre dernière exposition était consacrée à un jeune photographe bulgare : Dimitar Iliev. Le troisième axe enfin traduit un souci pédagogique pour montrer que la poésie a un rôle à jouer chez les plus jeunes. Il s'est déjà concrétisé par la série Poésie au collège. Frédéric Figeac était déjà intervenu pour sa part dans ce blog comme poète. C'est comme éducateur et professeur de langue occitane qu'il est aujourd'hui présent parmi nous. Je lui laisse la parole pour nous éclairer sur ce qui va suivre, en le remerciant auparavant d'avoir permis la mise en place de cette nouvelle exposition.

J-L. P.
*

Les œuvres et les poèmes que nous vous proposons sont les créations d'une classe du collège Damira Asperti de Penne d'Agenais. Les élèves de 5ème impliqués ont suivi dès la maternelle un cursus bilingue à parité horaire dans le cadre de l'éducation nationale. Depuis leur plus jeune âge, cela signifie pour eux que l'occitan est au jour le jour langue d'apprentissages, à égalité de dignité avec le français. Leur imaginaire s’est ainsi nourri de neuf années de bilinguisme. A ce groupe très soudé sont venus se greffer en 6ème quelques débutants. La plus vaillante a persévéré : l'amitié et la motivation ont fait le reste...
A l'école élémentaire, ces jeunes ont à plusieurs reprises fréquenté avec leur maître ces « lisières » où les arts plastiques dialoguent avec la création poétique (illustration de poèmes pour « Ombres et lumières » de Paul Froment, création, avec « Famines », de statues pré-textes à des poèmes d'Yves Rouquette). Cette fois-ci, le projet s'est articulé autour du bricolage de tableaux (papier marouflé sur bois et brou de noix), chaque signe servant ensuite de matériau à l'écriture d'une légende.
Avec cette exposition virtuelle nous voudrions vous faire partager le plaisir des enfants engagés dans un authentique processus de création à l'école. Première livraison : « L'aret », de Mathilde, « Lo taure », de Lúcia, et enfin « Los bessons », tableau de Yohan et poème collectif.
Frédéric Figeac

L'aret

Banas enrotladas
Coma duás sèrps de còrna
Fai paur l'aret
Fai paur

Uèlhs prigonds
Coma dus potz verds
Fai paur l'aret
Fai paur

Lana doça e mofleta
Coma mofa del bòsc
Fai enveja l'aret
Fai envegetas

Mès del se'n trufa ben
L’aret
De far enveja o paur
E aquò li sufís d'estar rei dins la jaça


Le bélier


Cornes enroulées
Comme deux serpents de corne
Il fait peur le bélier
Il fait peur

Yeux profonds
Comme deux puits verts
Il fait peur le bélier
Il fait peur

Laine douce et moelleuse
Comme mousse du bois
Il fait envie le bélier
Il fait vraiment envie

Mais lui s’en moque bien
Le bélier
De faire envie ou peur
Et il lui suffit de rester roi dans la bergerie


Lo taure

Brama d'amor lo taure blanc
Brama d'amor
Qu'aima çò roge

Mesfisa-te drolleta
E mai rescond tos pòts
Que tot çò qu'aima zo trepeja

Del morre
Frostiriá la rosèla de ta rauba

Ambe las batas
Estripariá lo casal de tos sòmis

E de las banas
Escotelariá lo papachrós de ton cur

Qu'aima çò roge
Lo taure blanc
Çò roge roge roge


Le taureau

Il mugit d’amour le taureau blanc
Il mugit d’amour
Car il aime le rouge

Méfie-toi fillette
Et même cache tes lèvres
Car tout ce qu’il aime il le piétine

De son mufle
Il flétrirait le coquelicot de ta robe

Avec ses sabots
Il étriperait le jardin de tes rêves

Et de ses cornes
Il transpercerait le rouge-gorge de ton coeur

Car il aime le rouge
Le taureau blanc
Ce qui est rouge rouge rouge

Los Bessons

Cadun a son besson
Cadun a son resson de l’autre bòrd

Lo mainatge de lutz
Sap son frair dins la nuèit

Lo mainatge de nuèit
Sap son frair dins la lutz

Cadun a palpas cèrca l’autre
Per l’abraçar


Les Gémeaux

Chacun a son jumeau
Chacun a son écho de l’autre côté

Et l’enfant de lumière
Sait son frère dans la nuit

Et l’enfant de la nuit
Sait son frère dans la lumière

Chacun à tâtons cherche l’autre
Pour l’embrasser

samedi 14 avril 2012

"La chose" de Miquèl Destieu

Nous continuons aujourd'hui sur les chemins de la poésie occitane avec Miquèl Destieu que j'ai eu le plaisir de rencontrer en juillet 2011 à l'occasion du festival Voix Vives de Sète. En novembre dernier, il a reçu le prix Paul Froment décerné chaque année à Pennes-d'Agenais, en mémoire du grand poète originaire du Lot, contemporain de Frédéric Mistral, pour son recueil L'èstre / La chose. En voici une présentation par Jean-Pierre Tardif, suivie de quelques extraits.

L’èstre / La chose

L’èstre, en langue d'oc, c’est l'être, et aussi ce que l'on ne peut nommer : la chose, le machin, le truc, et « Chose » s'il s'agit d'une personne. Le parcours de Michel Destieu s'inscrit sous le signe de cette ontologie particulière. L'univers nord-agenais de l'enfance où la langue et l'élan des tertres ne font qu'un, est en même temps celui où rien, déjà, ne coïncide, où tout s'illumine et se perd dès l'origine. Et « Chose » là-haut, d'appel en absence en appel en absence, est prié de venir voir comment ça se passe. Il y a encore toutes ces voix, en patois, de ceux qui n'ont même plus de nom, mais qui mènent sans doute au plus loin la quête à partir du désastre. Dans la résonance à la fois familière et lointaine de la langue. C'est dans cette langue, dans sa langue, que Michel Destieu, entre âpreté et tendresse, « ferraille » sur l'enclume des jours, pour y tordre l'èstre.

Jean-Pierre Tardif


Extraits

Nous sommes quelques-uns à vivre à côté d’une chose pittoresque. Elle nous rassasie depuis le berceau et nous trouve incapables de lui rendre quoi que ce soit. Nous n’avons aucune langue entre nous. Quitte à rester en bordure de sa musique, nous crions, sifflons en mimant les yeux et les oreilles des chouettes avec la nuit pour voisine.
Nous marchons ainsi, quasi muets, joyeux au milieu des gens et des bêtes. Sans personne ni réponse.

Sèm quauques-uns de nos sentir a costat d’un èstre pintoresque. Nos sadola dumpuèi lo breç e ne podèm pas i tornar res. N’avèm cap de mòts entre nosaus e ne sèm quite de damorar a l’aurièra de sa musica. Gisclèm amai piulèm. Semblèm en-aquèlas chòcas qu’an sonca d’uèlhs e d’aurelhas amb la nuèit coma vesina.
Atal marchèm quasi muts, còrs joiós pel mièg de la gens e de las bèstias. Sens digun ni responsa.

*

Sont-elles les mêmes les maisons des poètes ?
Le dedans déserté sans cloison
décombres et culs de bouteilles pour s'asseoir
la cheminée au plafond
où lit une femme
à voix basse.

Qual sap se son parelhs los ostals dels poêtas ?
L’endedins desertat sens paret
gravas e cuols de botelhas per s’assetar
la cheminèia al plafon
ont legís una femna
a votz bassa.

*

En visite à l’asile.
Pavillons/rues/rond-points/panneaux/parking : Un village d’espace tondu, aucun animal ni personne ne traîne.
Rien d’anormal.
Je sonne et j’entends un trousseau de clés. Immédiatement saisi par des odeurs régressives et des yeux fixes qui m’agrippent.
Le psychiatre est un gourou à cheveux longs, à la langue technique et qui nous régale avec son intelligence sportive. Il sait tout du mécanisme interne de notre sujet qui, lui, n’en pipe rien.


Una vistalha al repaire pels destimborlats.
Pavilhons/carrièras/rond-punts/panèus/parking. Un vilatge d'espandi pelat, ni animal ni digun que se trigòsse.
Res d'anormal.
Campani e ausissi de claus. Còp-sec m'arriban d'odors regresssivas amai d'uèlhs que punton e m'arrapan.
Lo psiquìatre es un goró de pièl long que parla una lenga technica e nos regala damb son intelligéncia esportiva. Zo sap tot de la mecanica intèrna de nòstre sujet que, del, n'en pipa pas res.

*

Entre les pierres, sur faille
eaux d’orages face aux platanes
vers les pentes noyées en combe,
en surplomb
au côté d’aboyeurs
basses-cours dans les rues parmi la terre, partout la terre
chemin blanc, talus
avec l’oiseau - l’alouette d’automne- sur le plateau
j’adorerai le serpent, la couleuvre pleine de grâces
chaume et bois
et encore l’espace à travers champs
jusqu’au tunnel de broussailles où court l’Artigue
les yeux, les mains à fond de fontaine,
abreuvoirs de roche.

Entre pèiras, sus falha
aigas d'auratges cap als platanes
entà las pendas en combas negadas,
en susplomb
a costat de japaires
cortadas per las ruas e la tèrra, pertot de tèrra
peirada blanca, talveras
damb l'ausèl - lauseta d'automne- sul planòl
badarèi la sèrp, la colòbra plena de gràcia
rastolh e bòsc
e un còp de mai l'espandi a travèrs pèças
dunca la tona de romècs ont cor l’Artigua
los uèlhs, las mans a fons de fontana,
bevedor pel ròc.

Miquèl Destieu



Suppléments :

- L'èstre/La chose, 136 pages au format 14 x 21, 11 € (+ 2 € de port), à commander à Gros textes, Fontfourane, 05380 Châteauroux-les-Alpes (chèque à l'ordre de Gros Textes).

- L'illustration est une huile sur toile de Miquèl Destieu.

- La remise du prix Paul Froment à l'auteur
.

samedi 7 avril 2012

Des arbres parmi nous

En avril 2010, j'avais publié une photo qui m'avait été adressée par Liuba Ilieva, représentant un arbre couvert de neige en Bulgarie. Nous changeons de continent et de climat aujourd'hui avec cette photo et ce texte concernant un baobab. Il m'a été adressé par Yvonne Ouattara dont je n'ai pas eu encore l'occasion de parler. Pourtant nous avons fait paraître tous les deux en 2009 un livre intitulé En souvenir de l'Arbre à palabres qui avait pour sous-titre Lettres de France et du Burkina Faso. Notre dialogue entre l'Europe et l'Afrique quitte la forme de la correspondance pour s'installer avec cette chronique sur le blog.


LE BAOBAB

Le taxi brousse filait à toute allure à travers les hautes herbes. Nous étions en fin de saison des pluies, la visibilité n’était pas très bonne et les flaques d’eau nous éclaboussaient. On entendait les grognements du vieux tassé au fond de la rangée de droite. Une jeune mère tenait tant bien que mal son bébé dans les bras et tentait de garder sa place. Chacun priait secrètement le ciel pour arriver à bon port et quelque peu présentable.
Le village de Tita était à une dizaine de kilomètres, je me suis finalement endormie malgré les secousses. Puis brusquement, mon voisin de droite a plongé son coude dans mes côtes. Le réveil a été brutal et je lui en voulais à cet individu. Dès que j’ai ouvert les yeux, je me suis rappelée du lieu où je me trouvais. J’avais les jambes engourdies et une bonne dose de mauvaise humeur.
Nous venions d’arriver et j’essayais de m’extraire du véhicule. Dès mon atterrissage dans une flaque de boue, je me suis étirée en évitant de penser à cette longue route. Mon regard s’est tout à coup arrêté, et, stupéfaite, j’ai constaté que se tenait en face, majestueux, noueux et tellement beau, un immense baobab. Il semblait là depuis la nuit des temps et se moquait gentiment de notre fragilité.
Toute ma lassitude s’est envolée, je me suis alors avancée vers lui, le roi de la brousse, couronné de ces feuilles qui nous donne de si succulentes sauces, de ces fruits qui nous désaltèrent et de son ombre qui nous réconforte en avril quand la chaleur nous cloue au sol. Il était là présent, avec ses odeurs, ses goûts, tout à fait charnel, terrestre et aussi tellement lointain, majestueux et éternel.

Yvonne Ouattara

Compléments :

- La photographie du baobab vient du site openimagebank

-Le livre En souvenir de l'Arbre à palabres sur le site de L'HarmattanLien