Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 28 septembre 2013

Collage en pays d'Oc - IV

Courant juin, nous sommes passés à la dernière étape. Il s’agissait de mettre au point notre participation au journal de l’école, et nous voulions en profiter pour évoquer le projet plastique de la classe. Impossible pourtant d’y faire figurer tous nos collages ! Il a donc été décidé d’élire une seule œuvre parmi tous les productions des élèves, autour de laquelle nous broderions collectivement un conte.
Un vote a donc eu lieu et le choix s’est rapidement porté sur le collage de Julia. Comme il plaisait à toute la classe, des pistes se sont vite amorcées. Ces bribes d’histoires ont été écrites au tableau. Au moment de commencer la mise en forme, j’ai proposé aux enfants de partir de la légende de Julie pour son jardin. Ensuite, chacun a écrit au brouillon son ébauche de phrase, aussitôt proposée au groupe pour être amendée sur le vif. Évidemment, l’aller-retour entre les images du collage et celles du langage a été très productif. Pour finir, les enfants ont souhaité reprendre la phrase d’ouverture de leur camarade – ce qui, de leur part, est un juste hommage rendu au travail et à la discrétion souriante de Julia. Cet atelier d’écriture collective a été mené bien sûr en occitan ; une fois la traduction en français mise au point – toujours collectivement – certains enfants ont tout de même fait cette remarque : « ‘quò’s plan mai polit en occitan / c’est bien plus beau en occitan »…

Frédéric Figeac

Conte collectiu

L’escrivan escriu, lo casal creis e l’ausèl passa…

Assetat dins sa cramba, Pèire Asperti aviá dubèrt lo finestron dels images. Voliá dire las meravilhas del monde. Totas las meravilhas del monde empenat. Cada sera l’ausèl blanc li portava una pluma de luna. Après lo sera, un sera mai, après la paja, una autra paja… Jamai seriá pas acabat, lo Libre Bèl. Lo monde desbordava dels paures mots de Pèire. Lo monde s’escampava. Aquela nuèit d’aquí, passèt lo finestron dels images e se retirèt per totjorn al casal del silenci. Al matin, digun lo trobèt pas dins sa cramba. Mès lo sera, tot leugièr, Pèire portèt una de sas plumas blancas a l’escrivan assetat davant sa fuèlha.

L’escrivan escriu, lo casal creis e l’ausèl passa…

*

L’écrivain écrit, le jardin pousse et l’oiseau passe…

Assis dans sa chambre, Pierre Asperti avait ouvert la lucarne des images. Il voulait dire les merveilles du monde. Toutes les merveilles du monde entier. Chaque soir l’oiseau blanc lui portait une plume de lune. Après le soir, un soir de plus, après la page, une autre page… Il ne serait jamais achevé, le Grand Livre. Le monde débordait des pauvres mots de Pierre. Le monde se répandait. Cette nuit-là, il franchit la lucarne des images et se retira pour toujours au jardin du silence. Au matin, personne ne le trouva dans sa chambre. Mais le soir, tout léger, Pierre porta une de ses plumes blanches à l’écrivain assis devant sa feuille.


L’écrivain écrit, le jardin pousse et l’oiseau passe…

 Derniers collages

Collage de Julia


Collage de Samuèl


Collage de Tomàs


Collage d'Ugon


   Collage de Valentin

Légendes : les solutions

Qual s’amaga darrièr la pòrta del B ?/Qui se cache derrière la porte du B ? – Roman ;
L’òme que cluca dintra dins l’òrt sens cleda. /L’homme qui ferme les yeux entre dans le jardin sans porte. – Oceana ;
Lo monde desbòrda del Libre segret./ Le monde déborde du Livre secret. – Aèl ;
 La bestiassa a gisclat del corredor negre./ La sale bête a jailli du couloir noir. – Samuèl ;
 Las flors d’òr prenon la volada./ Les fleurs d’or s’envolent. – Ugon ;
 L’escrivan escriu, lo casal creis e l’ausèl passa./ L’écrivain écrit, le jardin pousse et l’oiseau passe. – Julia ;
 Lo garda se pausa dins un casal sens guèrras./ Le garde se repose dans un jardin sans guerres. – Cecília ; 
Ara lo caval gris sauta dins las colors./ Maintenant le cheval gris saute dans les couleurs. – Gabin ;
Ont mena lo camin dels òmes blancs ?/ Où mène le chemin des hommes blancs. – Loïs ;
Lo T vòl s’engulhar al Paradís./ Le T veut se faufiler au Paradis. – Laura ;
Pel mièg de las plantas creis un àngel./ Au milieu des plantes pousse un ange. – Tomàs ; 
La man geta d’istòrias als quatre cantons./ La main jette des histoires aux quatre vents. Anton ; L’uèlh plora de penas en fusion./ L’œil pleure des peines en fusion.Joan Batista ;
La femna cèrca los senhals dins lo cèl./ La femme cherche les signaux dans le ciel. – Lucàs P ;
La milgrana samena de caras./ La grenade sème des visages.Valentin ;
La Torifèl velha los chivalièrs que dintran de guèrra./ La Toureiffel surveille les chevaliers qui rentrent de guerre. – Ambra ;
L’uèlh-gat a pas paur de las fantaumas./ L’œil-chat n’a pas peur des fantômes. – Lisa ;
Lo chivalièr apara las tèrras estranhas./ Le chevalier défend les terres étranges. – Lucàs M

samedi 21 septembre 2013

Collages en pays d'Oc - III

Au fur et à mesure de l’avancement des collages, un travail individuel d’écriture est amorcé. L’imaginaire sollicité tout au long de l’élaboration de l’œuvre va se cristalliser dans le choix d’une légende. La commande est ainsi passée aux élèves : écrire une phrase qui donne envie au lecteur d’entrer dans votre collage comme dans une aventure… un titre qui soit une sorte de « sésame ouvre-toi » ! Dès que sa phrase lui semble au point, l’élève en fait la lecture à ses camarades. Certaines légendes sont ainsi retravaillées en fonction des remarques. Cet atelier d’écriture est mis en place en occitan.
Début juin, un petit échange de courrier avec Ghislaine est venu renforcer la motivation des enfants. Si bien que lorsque les 18 titres sont enfin rédigés, la classe envisage de proposer un jeu à son interlocutrice : à chacun sa légende. Il faut alors traduire en français les trouvailles individuelles, ce qui est fait collectivement. Artistiquement et linguistiquement, ce passage partagé d’une langue à l’autre est un exercice très enrichissant.
En proposant leur jeu aux camarades des autres classes (autour d’une petite exposition dans les murs de l’école), les enfants s’aperçoivent que l’écriture n’est pas un calque de l’oeuvre plastique : chaque regard apporte ses images et il y a bien des surprises ! A vous de jouer à présent… Mais attention : pour les 18 légendes proposées, vous ne disposez que de 13 collages ; les 5 derniers vous seront offerts la semaine prochaine, avec les solutions.

Frédéric Figeac

Les Légendes 

Qual s’amaga darrièr la pòrta del B ?/Qui se cache derrière la porte du B ?

L’òme que cluca dintra dins l’òrt sens cleda. /L’homme qui ferme les yeux entre dans le jardin sans porte.

Lo monde desbòrda del Libre segret./ Le monde déborde du Livre secret.

La bestiassa a gisclat del corredor negre./ La sale bête a jailli du couloir noir.

Las flors d’òr prenon la volada./ Les fleurs d’or s’envolent.

L’escrivan escriu, lo casal creis e l’ausèl passa./ L’écrivain écrit, le jardin pousse et l’oiseau passe.

Lo garda se pausa dins un casal sens guèrras./ Le garde se repose dans un jardin sans guerres.

Ara lo caval gris sauta dins las colors./ Maintenant le cheval gris saute dans les couleurs.

Ont mena lo camin dels òmes blancs ?/ Où mène le chemin des hommes blancs.

lo T vòl s’engulhar al Paradís./ Le T veut se faufiler au Paradis.

Pel mièg de las plantas creis un àngel./ Au milieu des plantes pousse un ange.

La man geta d’istòrias als quatre cantons./ La main jette des histoires aux quatre vents.

L’uèlh plora de penas en fusion./ L’œil pleure des peines en fusion.

La femna cèrca los senhals dins lo cèl./ La femme cherche les signaux dans le ciel.

La milgrana samena de caras./ La grenade sème des visages.

La Torifèl velha los chivalièrs que dintran de guèrra./ La Toureiffel surveille les chevaliers qui rentrent de guerre.

L’uèlh-gat a pas paur de las fantaumas./ L’œil-chat n’a pas peur des fantômes.

Lo chivalièr apara las tèrras estranhas./ Le chevalier défend les terres étranges.


La suite des collages  


Collage de Gabin

Collage de Lucàs

Collage de Lucàs

Collage d'Oceana

Collage de Roman





samedi 14 septembre 2013

Collages en pays d'Oc - II

C’est donc une visite impromptue du site de l’Oiseau de Feu qui a fait rebondir le projet plastique entamé avec mes élèves. D’emblée, les collages exposés ont éveillé l’envie de prolonger l’aventure ; il y avait longtemps que je n’avais pas expérimenté cette technique  avec des grands. Et puis, rapiécer le monde avec des « bouts de morceaux », voilà qui parle aux enfants. Un commentaire posté à chaud, une réponse de Ghislaine et je présente dans la foulée son travail à la classe. Les élèves sont très intéressés par ce qu’ils considèrent comme des paysages – et j’ai envie d’ajouter pour ma part : des paysages à la fois très structurés et en totale liberté.
Nous décidons alors de nous lancer dans des collages plus « réfléchis », au travers d’un tâtonnement individuel. 18 enfants, 18 œuvres, autour du thème de l’année : le jardin secret. Cette fois-ci, aucun recours à l’informatique, mais un travail qui sollicite « les yeux des doigts », qu’il s’agisse de feuilleter, de déchirer ou de coller, un travail manuel – c’est-à-dire une activité éminemment spirituelle.
Afin d’ouvrir des perspectives à l’inspiration, un petit musée des jardins est lancé dans la classe, que les recherches documentaires et picturales des élèves viennent étoffer. Puis nous revenons sur la toile, cette fois-ci pour découvrir le site de Ghislaine. C’est l’occasion, en observant la façon de l’artiste, de se fixer des contraintes. Ces règles élaborées collectivement constituent un authentique cahier des charges. A chacun de s’exprimer à partir des pistes esquissées :
  • Commencer par une pièce de taille « assez importante » par rapport au format de la feuille (c’est souvent le choix de cette accroche, soigneusement placée, qui a orienté la recherche des éléments suivants)
  • Compléter avec une dizaine de « pavés » (tout au plus)
  • Jouer sur les contrastes (couleurs, signes, textures…)
  • Assembler une charpente qui fasse apparaître des « échappées » (portes, fenêtres, escaliers…)
  • Intégrer des détails qui surprennent (personnages, mots, lettres…)
Une fois tout cela discuté et expliqué concrètement, c’est l’atelier qui se met en place : deux séances par semaine (certains profitant même de leurs moments « perdus » pour peaufiner leur œuvre). Les règles ont finalement été très productives et chacun s’est appliqué à les interpréter avec invention. Si une certaine unité esthétique semble se dégager d’une si grande diversité d’inspiration, cela est sans doute dû à la technique partagée, au travail en atelier ainsi qu’au matériel mis à profit (de nombreux exemplaires d’un magazine culturel !).

Frédéric Figeac

Collage d'Ambra

Collage de Joan Batista

Collage de Laura

Collage de Lisa

Collage de Lois

samedi 7 septembre 2013

Collages en pays d'Oc

Au mois d'avril 2012, nous avions présenté l'action particulièrement originale que mène le poète et enseignant Frédéric Figeac à la croisée des arts plastiques, de la poésie et de la langue d'Oc. Au mois d'avril de cette année, nous avons consacré plusieurs chroniques aux collages de Ghislaine Lejard. Une interaction entre ce blog et les préoccupations pédagogiques de Frédéric Figeac a conduit ce dernier à s'intéresser aux travaux de Ghislaine Lejard et à expérimenter avec ses élèves les techniques du collage. Nous nous réjouissons de la dynamique ainsi créée et nous sommes heureux d'en montrer le résultat.

Collage collectif

Cette année, les classes bilingues du Lot-et-Garonne se sont fédérées autour d’un projet départemental sur le jardin dans tous ses états : « al casal/au jardin » - proposé aux écoles volontaires du département, bilingues ou non. En marge de ce projet, les élèves du cours moyen de l’école Jean Moulin de Penne d’Agenais ont expérimenté un parcours artistique qui s’est révélé plein de surprises.
A partir de la découverte du jardin d’école tenu par les plus petits (grande section et cours préparatoire), l’idée de départ était de rassembler tout au long des visites de très nombreux éléments concrets témoignant des métamorphoses du lieu (cueillette de plantes, croquis, photos, récolte de « petits riens », notes manuscrites…).
Il est vite apparu qu’il fallait trouver un moyen de garder la trace de ces explorations. La forme choisie fut celle du carnet d’artiste, enrichi individuellement, au gré de l’inspiration de l’élève, mais également à l’occasion d’expérimentations collectives autour du cabinet de curiosités aménagé dans un coin de la classe. L’objet, rapidement investi par les enfants, est devenu un support de recherches plastiques ainsi qu’un registre des impressions, intimes ou partagées.
A mi-parcours (février/mars), la classe a opéré un choix parmi les motifs. Certains éléments ont alors été « déchirés » puis « rapiécés » à l’aide d’un logiciel informatique, afin de composer un collage qui soit une manière de jardin. Ce travail devait paraître dans la revue de l’École Occitane, qui accueille souvent les petits artistes de Penne. Le bricolage numérique de l’œuvre ayant donné lieu à de nombreux échanges (essentiellement autour des impressions éprouvées lors de la mise en pièce, puis de l’élaboration finale), j’ai alors proposé aux élèves de broder collectivement un poème à partir du collage pré-texte.
C’est fin avril, alors que poème et collage venaient juste de paraître, que j’ai découvert les recherches de Ghislaine Lejard sur le blog de Jean-Luc : nous allions nous engager sur une piste imprévue ! Les trois collages qui suivent le collage initial de cette livraison sont donc le résultat d’un long processus…

Frédéric Figeac

Le poème collectif des CM1 et 2 de l’école Jean Moulin

Pas per pas pel casal
Dins las brumas
De gris de gris de gris
Sonca brancas sonca bròcas
La grava crica
Las flors, ont son ?

Trabucar per las turras
Perdut
Dins un païsatge graufinhat al gredon
Per las cambas frejas
Monta l’imor
Las flors, ont son ?

Per la finèstra de fums
Pica pica l’ausèl
Per engulhar son rai
Dins lo silenci
De la passejada
E las flors, revolum de petaç !

Petals petals petals
Parpalhòls darrièr los uèlhs


Pas à pas dans le jardin
A travers la brume
Du gris du gris du gris
Des branches seulement et des brindilles
Le gravier crisse
Où sont les fleurs ?

Trébucher sur les mottes
Perdu
Dans un paysage griffonné au crayon
Le long des jambes froides
Monte l’humidité
Où sont les fleurs ?

A la fenêtre de brouillard
L’oiseau tambourine
Pour infiltrer son rayon
Dans le silence
De la promenade
Et les fleurs, tourbillon de chiffons !

Pétales pétales pétales
Papillons derrière les yeux


Les trois collages 

Collage d'Aèl
Collage d'Antòn
Collage de Cecília
 


lundi 2 septembre 2013

DES MOTS… DES BOMBES … DES MOTS ENCORE... ENCORE DES BOMBES...

Alors que monte et s'organise un mouvement d'opposition à l'intervention armée des États-Unis et de la France en Syrie, voici ce poème de Philippe Tancelin, ce cri dicté par l'urgence de dire non à l'horreur, la destruction et le néant.

DES MOTS …. DES BOMBES…. DES MOTS ENCORE... ENCORE DES BOMBES...

NOUS AVONS DES MOTS
VOUS AVEZ DES BOMBES

le long de vos rampes de lancement
II fait déjà si froid
sous les saules blancs...

mais on entend toujours
au concert des mésanges
ce grand avertissement :
monté du fond des âges :
« au faîte de la démocratie
pend l'enseigne de l'armurier »
et dans le sein des dieux
pèsent les larmes sur le soleil couchant

Qui croyait en ce monde
qu'à dépeindre vos libertés ensanglantées
les mots eux-mêmes seraient rougis

Contre le jeu de vos armes
nous avons celui des mots
jusqu'à la quintessence du poème
guetté par la descente
autant que par la danse du phénix

Nous avons sur la poutre l'hirondelle
et sous l'ondée de pailles
les peurs de vos héros
repentis d'inculture

VOUS AVEZ LES BOMBES
NOUS AVONS LES MOTS

Vous vous épuisez d'habileté
dans vos sciences du désespoir
Nous errons à l'aventure du verbe
comme un vaisseau libéré de ses haleurs

Vous recherchez des preuves
quand il en est
où elles ne se parlent plus
ne s'entendent plus
ne s'offrent plus au verbe
qu'il est enfin purifié d'elles

En ces temps maudits de vos encombres
vous usez de noms de jouets
pour enfanter la guerre
commettre dans les cours vos crimes d'école

mais nos enfants de leurs prunelles sages
ne demandent que le vert du jardin
sans abri

NOUS AVONS DES MOTS
d'un pouvoir transcendant
QUI DE VOS BOMBES
détruisent l'argutie

A la beauté qu'exhale leur envol
sans seconde
nos mots de plein ciel
s'épanouissent dans l'espace
de vos nids d'armes
détruits
sans que vous puissiez jamais suivre
leurs traces

Ils versent en secret
tout au long de vos fers
dans le mutisme de vos geôles
le souffle des mélanges
des croisées de sens
étrangers les uns les autres

Ils savent de vos terrorisantes certitudes
effacer les demeures

VOUS AVEZ DES BOMBES
NOUS AVONS DES MOTS
qui pour vous
plus rien ne signifieront
A vous plus rien
ne diront

Philippe Tancelin/Internationale des poètes