Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 26 décembre 2015

Les Editions Corps Puce

Terminons l'année avec la présentation d'un éditeur de poésie. C'est par Pierre Garnier que j'ai fait la connaissance des Éditions Corps Puce. Elles avaient publié les trois tomes de son autobiographie poétique Une mort toujours enceinte entre 1994 et 1996. Ces éditions ont été créées en 1988 en Picardie sous forme associative, Pierre Garnier a d'ailleurs participé à leur fondation et en a été le vice-président. Cet ancrage en Picardie est présent bien sûr dans les choix éditoriaux. Les grandes voix d'aujourd'hui de la création poétique en terre picarde se retrouvent dans leurs collections mais elles ne représentent pas tous les auteurs édités. J'ai reçu il y a peu, par l'intermédiaire de Jean Foucault, en service de presse quatre livres des Éditions Corps Puce, en parler va me permettre de faire découvrir leur catalogue et de donner envie, je l'espère, de poursuivre avec lui.


Ce premier livre est signé Jean-Louis Rambour. Il s'agit d'un long poème proposé en version bilingue anglais/français à la mémoire de Théo mort à Verdun à l'âge de 33 ans. "Il fait partie de tous ces morts qui sont nos enfants, sans visage et sans paix. Sauf que depuis le livre de Jean-Louis Rambour, ces millions de morts portent son nom : Théo." écrit Guy Ferdinande à son propos. Le livre avait déjà été publié il y a vingt ans. Sa réédition est une manière d'honorer le centenaire de 14-18.


Ce deuxième livre appartient à la collection "Liberté sur parole". Nous connaissons son auteur puisqu'il s'agit de Philippe Blondeau déjà présenté dans ce blog. Des dessins de Viso Coatmorvan accompagnent chaque texte. Tristan Félix en a écrit la préface qui commence ainsi : "Ci-gisent dix-huit reliefs d'un festin observé à la loupe : liège, pomme, tubercule, agrume, pin, pavot, loupe, ail, orme, pigne, noix, ail en cheveux, vigne vierge, trois oignons, grenade, sureau. Autant d'ingrédients inespérés et indispensables..."


Le troisième livre appartient à la collection "petits arrangements" (une collection qui prend à rebrousse-poil les visions habituelles du monde). Il s'agit d'une anthologie réalisée par Jean-Louis Jacquier-Roux & Claude Vercey. Tous les deux avaient à la fin des années soixante-dix créé avec quelques autres le "Collectif Impulsions".  Ils regroupent ici en un seul volume les textes publiés dans la collection Falsavero dont ils expliquent au début du livre l'histoire et les intentions. Cette collection, la plus confidentielle des publications sur vergé ivoire, se proposait à partir de 2002 de publier des chefs d’œuvres minuscules. Leurs auteurs appartiennent  à des siècles siècles différents, entre le IXe et le XXIe. Les écrits présentés ne dépassent pas les six pages.


Enfin le quatrième livre est un nouvel opus de la collection "Liberté sur parole". C'est un recueil de poèmes en prose signé Sébastien Kwiek et préfacé par Jean-Louis Rambour. A vrai dire le découpage des textes se présente comme des poèmes en vers auxquels s'ajoutent des calligrammes et d'autres mises en page qui s'apparentent au spatialisme si cher à Pierre Ganier. Quant au contenu, Jean-Louis Rambour nous en donne la clef : "En matière d'amour, on sait que tout a été dit depuis des siècles, des millénaires même; l'intérêt de ce recueil c'est que Sébastien Kwiek se propose de dire autrement".

Complément :

samedi 19 décembre 2015

Nouveau recueil de poésie

Voici quelques lignes de présentation de mon dernier recueil de poésie dont l'illustration de couverture a été confiée à Martine Lemoine.


Les poèmes et chansons proposés dans ce recueil rassemblent trois séquences d'écriture différentes.
La première concerne Paris, plus particulièrement la rive droite de la Seine. Elle est un prolongement de mon livre À la Goutte d'Or – Paris XVIIIe.
La deuxième séquence commence par une chanson sur le Pont Neuf. C'est une manière de faire le lien avec la précédente. Mais le franchissement de la Seine m'a conduit bien plus loin que la rive gauche. Il m'a conduit jusqu'au Brésil, plus précisément à Rio de Janeiro. C'est là que j'ai rencontré le compositeur Gaspar Paz et que nous est venue l'idée de faire ensemble des chansons. Dans ce pays qui exacerbe les sentiments et la sensualité, le thème de l'amour s'est imposé à nous.
Après avoir célébré la ville, l'amour, la femme, la nature est venue de nouveau me solliciter comme elle l'avait fait pour mes premiers poèmes. Elle est l'objet de la troisième et dernière séquence.
Parti de la célébration de la ville j'en suis donc revenu au chant premier, à la source que le poète ne doit jamais oublier. Celle qui lui permet de retremper et de laver sans cesse ses mots dans le grand bain originel. 


Complément :
- Le livre sur le site d'Amazon.

samedi 12 décembre 2015

L'Andalousie de Christian Saint-Paul

Nous sommes nombreux à connaître Christian Saint-Paul par son émission Les Poètes qu'il anime depuis 1983 à Toulouse sur Radio Occitania. Le rendez-vous est hebdomadaire et a lieu tous les jeudis de 20h à 21h. Grâce à Internet, il est possible aujourd'hui de l'écouter où que l'on soit dans le monde. Cette activité  généreuse au service de la poésie ne doit pas nous faire oublier que Christian Saint-Paul est lui-même poète et a publié à ce jour plus d'une vingtaine de recueils. Parmi eux a paru en avril dernier à l'enseigne des éditions Encres Vives Indalo qui fait suite à un séjour de l'auteur en Andalousie. Je remercie Cathy Garcia, directrice de la revue Nouveaux Délits, de m'avoir permis de reproduire le compte-rendu de lecture qu'elle en a fait et qui traduit en tous points ce que j'ai moi-même ressenti.


C’est à une très belle flânerie andalouse que nous convie Christian Saint-Paul dans ce 441ème Encres Vives, placé sous le signe de l’indalo, la figure préhistorique qui est devenu le symbole de la ville et de la province d’Almeria, et qu’on pouvait déjà voir peint sur les maisons en guise de protection contre les orages et le mauvais œil. Christian Saint-Paul a le don de nous faire vivre les paysages, les lieux et leur histoire au travers de son regard de poète doublé d’un talent de conteur, et il ne fait pas que raconter ce qu’il a vu, il nous le fait voir, littéralement, c'est-à-dire ressentir aussi.

« La nuit encore/le soleil étouffant/mutile la fermentation du sommeil/Nous vivons désormais/lovés dans ce désert/où la terre n’est que/poussière montant au ciel/ »

Christian Saint-Paul a le regard d’un poète convaincu, tel Machado, de l’absolu nécessité d’être homme, en toute humilité, un homme à qui rien n’échappe, ni la beauté des lieux ni « des îlots d’immeubles/parsemés le long d’avenues/vides – sans utilité-/témoignent de la chute folle de la finance. »

Le poète ne fuit pas le malaise, il l’affronte, le dénonce et ainsi « Nous apprenons à apprivoiser le vide/créé par l’appétence de l’homme. »

Pas d’Andalousie sans l’ombre de Lorca, pas d’Espagne sans le souffle fiévreux d’un Don Quichotte, les eaux fortes de Goya et les « yeux noirs de feu névrotique » d’un Cordobès. Christian Saint-Paul nous emporte à la rencontre de l’âme andalouse, du duende tapi dans ses tréfonds. Une âme trempée « dans le souffre du soleil ». Ombre et lumière, voilà l’Andalousie et « la Bible infinie des étoiles ».

Des pierres, des fantômes et des Vierges tristes, des enfants vifs sous des peaux brunes, de la ferveur et des brasiers lumineux. Des plaies de guerre, le sang des fusillés et des religions qui se côtoient dans de grands jardins, où coulent des fontaines, des forteresses et « les indénombrables châteaux en Espagne ! », des prières et « des rancœurs d’un autre âge qui agitent les cargos aux amarres. »

Indalo est un beau périple, oui, qui ne peut laisser indifférent, car pourrait-il y avoir meilleur guide qu’un poète amoureux de la terre qu’il foule, et dont il sait voir, tous temps confondus, l’endroit et l’envers, le visible et l’invisible, le bonheur comme les larmes ?

                                                                          Cathy Garcia 


Compléments :

- Indalo de Christian Saint-Paul – Encres Vives n°441, avril 2015. Format A4, 16 pages, 6,10 €, à commander à Michel Cosem, Encres Vives, 2 allée des Allobroges 31770 Colomiers.
- Le site de l'émission Les Poètes
- Délit de poésie, le blog de Cathy Garcia.

samedi 5 décembre 2015

Hommage à Pessoa

Le travail théâtral mené par Zygmunt Blazynsky en faveur de la poésie a déjà été présenté dans ce blog. Son prochain récital concernera Fernando Pessoa. C'est l'occasion pour nous de rappeler que la poésie et l'art au Portugal ont déjà été à l'honneur ici. C'est tout d'abord le poète Jame Rocha qui avait été présenté, puis son recueil Zone de chasse que j'ai traduit en français. Ce fut ensuite à Maria do Sameiro Barroso de nous accompagner avec ses poèmes. Enfin tout le mois d'Octobre 2014 fut consacré au grand sculpteur Martins Correia. C'est aujourd'hui le plus connu des poètes portugais de la modernité qui est à l'honneur. Mais l'initiative de Zygmunt Blazynsky propose en même temps une réflexion sur les chemins qui mènent à la véritable renommée, celle qui n'est pas voulue, qui vient avec le temps et qui repose avant tout sur l’œuvre.


Fernando PESSOA
(13 juin 1888 – 20 novembre 1935)

« Je ne suis personne» 
Quel roman que cette vie où il ne se passe rien ! Pendant 30 ans, de son adolescence à sa mort, Pessoa ne quitte pas sa ville de Lisbonne, où il mène l’existence obscure d’un employé de bureau. Mais le 8 mars 1914 le poète de vingt-cinq ans, introverti, idéaliste, anxieux, voit surgir en lui son double antithétique, le maître « païen » Alberto Caeiro, suivi de deux disciples : Ricardo Reis, stoïcien épicurien, et Alvaro de Campos, qui se dit « sensationniste ». Un modeste gratte-papier, Bernardo Soarès, dans une prose somptueuse, tient le journal de son « intranquillité », tandis que Fernando Pessoa lui-même, utilisant le portugais où l’anglais, explore toutes sortes d’autres voies, de l’érotisme à l’ésotérisme, du lyrisme critique au nationalisme mystique.
Imaginons qu’à la même époque Valéry, Claudel, Cocteau, Gide et Apollinaire aient été un seul et même auteur, caché sous des « masques » différents : on aura une idée du mystère de cette aventure mentale dont il n’y a pas d’autre exemple dans la littérature.
Pessoa, incompris de son vivant, entassait ses manuscrits dans une malle où l’on n’a pas cessé de puiser, depuis sa mort en 1935, les fragments d’une œuvre informe, inachevée, mais d’une incomparable beauté. Enfin reconnu dans son pays et, de plus en plus, dans le monde, il repose aujourd’hui au monastère de Jeronimos près des tombeaux des deux autres héros de l’histoire portugaise, Camoes et Vasco de Gama.

Au souvenir de qui je fus, je vois un autre,
Et le passé n’est le présent qu’en la mémoire.
Qui je fus est un inconnu que j’aime,
Et qui plus est, en rêve seulement.
De nostalgie blessée mon âme se languit
Non pas de moi-même, ou du passé que je vois,
Mais de celui que j’habite
Derrière mes yeux aveugles.
Rien hormis l’instant, ne sait rien de moi.
Même mon souvenir n’est rien, et je sens bien
Que celui que je suis et ceux-là que je fus
 Sont rêves différents.

*
 
Récital à L’ENTREPÔT le 8 décembre 2015 à 19h15
7/9 rue Francis Présencé – 75014 PARIS – M° PERNETY
Réservation : 01.42.23.48.94

samedi 28 novembre 2015

Jack Kerouac parle de Céline

Voici un document rare. Jack Kerouac (1922-1969), figure de proue de la Beat Generation, nous parle de Louis-Ferdinand Céline. Il s'exprime en français, nous rappelant ainsi ses origines bretonnes. Céline fait pour lui figure de maître car il a écrit "les grandes épopées de la vie moderne mieux que tous les autres". D'autres noms sont cités parmi les écrivains et poètes qui comptent pour Kerouac, celui de Jean Genet, de William Burroughs dont le grand-père fut l'inventeur des célèbres machines à calculer et le fondateur de la compagnie qui les commercialisa. Sont évoqués aussi ses amis de la Beat Generation, Allen Ginsberg, Gregory Corso, Peter Orlowsky et quelques autres dont Marcel Dubé. On voit que Jack Kerouac n'ignorait rien de la littérature française puisqu'il mentionne Blaise Cendrars, Sartre, Camus, Michaux, Malraux, Mauriac, Maurois, Gide. Selon lui, les grands écrivains que sont Céline, Genet, Burroughs ne gagneront jamais les grands prix. L'entretien a lieu en 1959 et lorsque le journaliste évoque la possibilité d'un prix pour Kerouac lui-même, ce dernier n'en exclut pas la possibilité car il se sait populaire. Mais si on lui décerne le prix Nobel de littérature et que Céline est encore vivant à ce moment-là, il l'affirme, il se désistera en sa faveur.


Complément : 

samedi 21 novembre 2015

Une anthologie inédite de la poésie persane

Il y a peu j'ai commencé à parler du travail original et inédit que mène Reza Afchar Nadéri pour faire connaître la poésie persane moderne. Avec ce numéro 54 de la revue Bacchanales  il vient de frapper un grand coup puisque il nous présente sept poètes libertaires d'Iran dont il a traduit et commenté pour l'occasion les textes. Ne nous y trompons pas cette parution est plus qu'une anthologie. Son maître d’œuvre qui en a soigné chaque détail et guidé l'illustration nous propose en fait un outil pour nous interroger sur la poésie en général, la poésie française en particulier en y associant l'art tel qu'il est devenu et qu'il pourrait être. Il ne s'agit pas d'un livre d'érudition, c'est quelque part un manifeste pour la poésie quand elle a retrouvé toute sa force et sa vérité.


Voici quelques éléments pour en prendre la mesure. Cet extrait du prélude de Reza tout d'abord :

La résistance culturelle, une tradition millénaire en terre de Perse

En Iran, la poésie libertaire existe depuis toujours si l’on considère que Ferdowsi, auteur d’un « Livre des rois » (Chahnameh), au 10e siècle après Jésus Christ, a œuvré durant une trentaine d’années pour libérer la langue persane du joug de l’envahisseur arabe. Il l’affirmera en ces termes :

« J’ai tant œuvré durant cette trentaine d’années
Ressuscitant la Perse par le parler persan »

Une résistance autant culturelle que formelle qui vaut à l’Iran d’aujourd’hui de parler encore la langue héritée des ancêtres achéménides ou sassanides alors que des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient se sont vus dépossédés de leur patrimoine linguistique auquel s’est substitué le parler de l’occupant venu de Péninsule arabique.
Viennent ensuite d’autres générations de poètes réfractaires, marquant leurs préférences et leurs oppositions face à toute sorte de totalitarisme : idéologique, religieux, social…
La liste est longue des tyrannies qui se succèdent sur le plateau iranien engendrant autant d’anticorps poétiques dont le plus fameux, le plus illustre, le plus populaire, celui traduit en une multitude de langues, Khayyam de Nichapour. Ses quatrains traduisent l’obsession d’une immanence radicale face aux promesses d’un arrière monde aléatoire :

« On maintient que l’Eden est peuplé de houris
Moi je dis préférer le bon jus de la treille
Tiens bon ce comptant, oublie les vaines traites
Ce n’est que de fort loin que le tambour séduit »

En écho à cette voix libertaire majeure viendra, dans l’ordre de la notoriété mondiale, Hafez de Chiraz dont le « Divan », recueil de poèmes lyriques, constitue l’œuvre maîtresse chère au cœur de tous les Iraniens. Et que des  « modernes » tels que Chamlou ont étudié, édité, avec une approche nouvelle suscitant parfois la polémique.
Qu’importe. Ils sont toujours là, aujourd’hui encore, ces monuments, habitant les cœurs et les pensées de voix contemporaines, phares en quête permanente de vitalité nouvelle.

Et celui-ci encore :
  
Les poètes d’hier au cœur de la modernité

Qu’en est-il, aujourd’hui, de la poésie persane, cet art considéré comme « l’expression la plus brillante et la plus riche du génie iranien » ? Certes il y a l’architecture, avec ces témoins fabuleux que sont, à travers les âges, les palais de Persépolis ou les mosquées d’Ispahan. Certes il y a les arts de la calligraphie, de la miniature, et des tapis dont l’excellence est reconnue aux quatre coins de la planète. Mais aucun art n’a jamais surpassé celui de la poésie, partie intégrante de l’ADN perse.

Aujourd’hui, plus que jamais, elle accompagne le citoyen iranien durant toutes les étapes de sa vie, du berceau jusqu’à la tombe. La poésie, genre artistique majeur de l’Iran, poursuit comme un long fleuve nourricier sa trajectoire en empruntant aux époques et aux mondes qui l’entourent les formes et les idées nouvelles tout en demeurant ancrée dans un patrimoine multiséculaire.

Tout le secret de sa vitalité réside dans cette fidélité aux origines. De Ferdowsi, le chantre de l’épopée nationale, à Nima Youchidj, le père de la « Poésie nouvelle », le lien n’est jamais rompu et c’est tout naturellement que le poète d’avant-garde intègre dans ses compositions des tournures empruntées au barde de Tous ou à Saadi de Chiraz, qu’il s’emploiera à imiter ou à prolonger avec sa propre verve. Ici, il est de notoriété publique qu’il faut un talent certain pour être à même d’imiter les plus grands.

Passage obligé par ailleurs avant d’entreprendre toute création personnelle. Autant d’hommages rendus par poètes et poétesses d’aujourd’hui aux illustres prédécesseurs qui ont bâti la maison Poésie d’Iran. Avec à la clé, toujours, cette capacité qu’ont les Iraniens de réciter par cœur une somme de poèmes parmi lesquels Ferdowsi, Khayyam de Nichapour, Hafez et Saadi tiennent le haut du pavé.

« Nul n’est poète s’il ne connaît mille vers ». Incontournable donnée qui veut que la « mémorisation » du patrimoine poétique soit un gage de réelle connaissance, libre à tout auteur de sacrifier par la suite, dans sa propre production, au vers irrégulier et à s’affranchir des moules classiques de versification. S’affranchir de contraintes formelles est en effet admis, en terre de Perse, pourvu que cette liberté ne s’accompagne pas d’un reniement de l’héritage poétique, valeur sacro-sainte qui fait partout l’unanimité.

Poursuivons avec  quelques indications sur les poètes choisis :

Portrait de Mohammad Reza Chafii Kadkani par Phil Donny


Nima Youchidj
(extrait)

Ali Esfandiari de son vrai nom, Nima Youchidj vient au monde dans le village de Youch, niché dans la province verdoyante du Mazandaran. C’est le père de la « poésie nouvelle » en Iran et son oeuvre laissera son empreinte sur toute une génération de poètes contemporains. Les images de son enfance, imprégnées de la vie des rudes bergers et d’une nature luxuriante bordant la mer Caspienne, marqueront à jamais sa poésie.
Nima se familiarise avec la langue française en entrant dans l’école Saint-Louis de Téhéran, un établissement catholique centenaire. La maîtrise du français lui permettra de découvrir le style d’un autre poète novateur, Stéphane Mallarmé. Sa poésie brise le carcan de plusieurs siècles de poésie persane où les contraintes de régularité dans le mètre et la rime règnent sans partage. /.../

Forough Farrokhzad
(extrait)

Forough est une poétesse majeure de l’histoire littéraire de l’Iran. Astre flamboyant d’un jour, sa carrière fulgurante tranchera avec la brièveté de son parcours. Elle passera tel un météore éclairant un instant le dôme obscur de la poésie traditionnelle. Elle disparaît tragiquement, à 32 ans, lors d’un accident de voiture. À l’âge de dix-huit ans, elle publie son premier recueil, «La Captive». Son talent, sa soif de vivre, s’accommodent mal d’une société où tout n’est que contrainte. Surtout à l’endroit d’une femme extravertie, avide de vie et d’ouverture sur le monde. Sa prison terrestre, il lui faudra la conjurer par la grâce de la poésie. Suivront deux autres recueils fameux, « Mur » et « Rébellion ».
Puis vient, avec « Une autre naissance », le grand basculement vers un nouvel univers formel portant l’empreinte de Nima Youchidj, le grand défricheur des nouvelles terres poétiques. /.../

Mehdi Akhavan Sales
(extrait)

Akhavan Sales ouvre les yeux sur le monde dans la province du Khorasan, berceau du pur parler persan. C’est là que fut né, au 10e siècle, Ferdowsi de Tous, le barde de l’Iranité, laissant derrière lui une œuvre poétique colossale, patrimoine culturel par excellence de la saga perse à travers les âges. Dans sa ville de Machhad, il se destine initialement au métier de forgeron. Un apprentissage au terme duquel « l’homo faber » se destinera à forger, cette fois, un monument littéraire et patriotique qui fera date.
Son premier recueil de poèmes, « L’orgue », sera publié en 1951. Mais c’est en 1955 qu’un deuxième recueil, « L’Hiver », viendra propulser sa carrière au sommet des milieux littéraires du pays. Il y raconte dans une langue toute personnelle la période de glaciation survenue au lendemain du coup d’État de la CIA provoquant l’effondrement du gouvernement de Mohammad
Mossadegh, démocratiquement élu par le peuple iranien. /.../

Ahmad Chamlou
(extrait)

Né à Téhéran, le jeune Chamlou connaît très tôt une vie faite de déracinements occasionnés par les mutations de son père, officier de l’armée, dans différentes villes de province. Le contact avec une réalité souvent rude devient le lot du futur poète qui expérimente, en premier, engagement politique et prises de positions contre la Grande-Bretagne, colonisateur historique du Moyen-Orient.
Sous Reza Chah Pahlavi, le nouveau maître de l’Iran ayant insufflé au pays un élan moderniste aux couleurs occidentales, Chamlou se réclame de l’idéologie nationale socialiste, celle du camp opposé à l’Angleterre conquérante. Or, durant la seconde guerre mondiale, les Alliés prennent pied en Iran et le pays se retrouve sous la férule conjuguée des Russes, des Britanniques et des Américains. /.../

Simine Behbahani
(extrait)

Il y a un peu plus d’un an, alors que notre projet de recueil prenait forme, disparaissait la poétesse nationale de l’Iran. On peut dire de cette icône littéraire progressiste qu’elle fut témoin des bouleversements qu’a connu la Perse moderne sur près d’un siècle : l’arrivée d’un nouveau roi en 1953, la « Révolution blanche » du Chah faisant suite à sa prise de pouvoir, la révolution de 1978 et la fin de 25 siècles de monarchie iranienne, l’avènement de la République islamique, les huit années de guerre contre le régime irakien, les différentes formes de répression et de tyrannie. Son parcours est sans précédent.
Elle a atteint un niveau inégalé de reconnaissance au niveau national et international. Elle incarne également le rôle pivot de la femme dans l’Iran d’aujourd’hui. /.../

Houchang Ebtehadj
(extrait)

Dès les années de lycée, dans sa ville natale de Racht, capitale de la province caspienne du Guilan, se manifeste le talent poétique de celui connu surtout par son surnom éminemment populaire : « Ombre ». Un talent que vient consacrer la publication du recueil « Premiers airs ». Cette oeuvre de jeunesse – il a 21 ans – est constituée de compositions réalisées dans un moule classique. Années de jeunesse, années des premières amours aussi dont sortiront des poèmes inspirés par Galia, une Arménienne rencontrée dans sa ville de Racht, devenue aussitôt sa muse. Le lyrisme amoureux sera renié plus tard, avec les bouleversements politiques que connaît l’Iran. La priorité est à l’engagement social et politique illustré par le fameux poème «La Caravane». Les retrouvailles du coeur attendront donc les lendemains qui chantent.
Entre-temps, le poète a fait la connaissance de Nima Youchidj, l’extraterrestre de la versification nouvelle vague. Il s’est lié d’amitié aussi avec des figures progressistes, membres du parti communiste, le Toudeh. /.../

Mohammad Reza Chafii Kadkani
(extrait)

L’auteur est né dans la ville de Kadkan, située dans la province du Khorassan, berceau du « beau parler » perse et du poète national Ferdowsi. Province également abritant le mausolée de l’Imam Reza faisant l’objet du plus grand pèlerinage religieux de l’Iran.
L’enfance de M.-R. Chafii Kadkani est placée sous le signe de laborieuses études, à l’écart de toute institution scolaire, sous le contrôle direct de son père qui était un religieux érudit.
Il s’applique à l’apprentissage de la langue et de la littérature arabes et se révèle brillant élève. C’est au cours de ses années d’études parmi les clercs et les autorités chiites qu’il se trouve comme camarade de cours celui qui deviendra un jour le guide de la République Islamique, l’Imam Ali Khaménéï.
Le jeune Mohammad Reza s’inscrit au concours d’entrée à l’université Ferdowsi de Machhad, capitale de la province. Il en sortira premier au classement des admissions. L’étudiant surdoué obtiendra plus tard son doctorat de littérature persane à la Faculté des lettres de l’université de Téhéran où il s’installera définitivement pour occuper une chaire d’enseignement. /.../

Il me reste pour terminer à présenter Reza et Phil Donny qui a magnifiquement illustré l'ouvrage :

Phil Donny et Reza Afchar Nadéri réunis autour d'une chicha

À propos du traducteur

Docteur en littérature iranienne, Reza Afchar Nadéri est poète, traducteur de poésie persane et journaliste. Né à Machhad, capitale de la province orientale du Khorasan iranien, Il vient avec sa famille en France à l’âge de 5 ans. Il y apprend le français comme sa seconde langue maternelle.

De retour en Iran, il fréquente le collège franco-iranien Saint-Louis de Téhéran. Puis le lycée Razi où il passera le baccalauréat français. Après quatre années d’études supérieures à Téhéran, il retourne en France pour des études littéraires à l’Université des Sciences Humaines de Strasbourg. Il y soutient une maîtrise de lettres modernes puis un DEA de littérature comparée.

Il s’installe ensuite à Paris pour préparer un doctorat de troisième cycle de littérature persane. Le thème portera sur le Livre des Rois («Chahnameh») de Ferdowsi, poète national iranien du 10e siècle. Il consacre également deux années de recherche à une thèse d’État, sous la direction de Charles-Henri de Fouchécour, sur Vaez Kachefi, auteur mystique iranien du 16 e siècle.

Il abandonne ensuite le cursus universitaire pour se consacrer au journalisme et réalise des reportages dans une quarantaine de pays. Depuis une quinzaine d’années, il se rend tous les ans en Iran pour constituer des archives en vue de publications. Parallèlement à son activité de journaliste Reza Afchar Nadéri collabore régulièrement avec des revues qui publient ses poèmes, participe à des festivals internationaux de poésie et donne des conférences afin de créer des passerelles entres les cultures iranienne et française.

Site internet : www.rezablog.com

À propos de l’illustrateur

Peintre, dessinateur, Phil Donny est inspiré par les grands peintres classiques (Rubens, Breughel, Ingres) et par la culture populaire rock. Il est né en 1955 à Athienville (Meurthe-et-Moselle). Il entre à l’École Normale d’Instituteurs de Nancy en 1970. Après un voyage en Afghanistan en 1974, il rejoint l’École Nationale des Beaux-Arts de Nancy. Il se consacrera par la suite à la peinture et au dessin en autodidacte et travaillera comme illustrateur dans la publicité et l’édition.

C’est un peintre de l’incarnation qui va vers les hommes, qui observe, échange, éprouve, raconte. Le « concept » tant cher aux spéculateurs ayant coupé le lien d’une connaissance directe avec les êtres et les choses n’a pas de prise sur son œuvre. Il a voyagé en Iran, en Afghanistan, s’est imprégné de ces pays, en a ramené des paysages et des portraits.

À la lecture des poèmes de ce recueil, il retrouve les vieux démons dont ses rêves sont bâtis. Il est plus touché par certains : « La fin du Chahnameh », « Épigraphe », « Le démon de la nuit »… Il voit affleurer, à ces lectures picturales, plus d’une connotation partagée et prolongée : métaphores et paysages deviennent des sources extérieures dévoilant des formes qu’il n’a jamais dessinées auparavant. Et le style demeure narratif, comme il l’a toujours pratiqué.

Site internet : www.galerieduloup.eu

Complément : 
- L'ouvrage est coédité par la Maison de la poésie Rhône-Alpes et Le Temps des Cerises. Il est vendu 20 € l'exemplaire.




samedi 14 novembre 2015

La revue Souffles

Après Vocatif nous continuons notre présentation des revues de poésie. La revue Souffles est aussi une revue du sud de la France puisqu'elle est dirigée depuis Montpellier. C'est une revue ancienne qui a été fondée en 1942, mais c'est aussi une revue d'aujourd'hui car une équipe renouvelée a su lui redonner une impulsion toute novatrice. C'est au cours du festival des Voix Vives de Sète que j'avais eu le plaisir de rencontrer son directeur Christophe Corp ainsi que Marc Wetzel, un des principaux collaborateurs de la publication.


Chaque numéro de la revue est une copieuse livraison consacrée à un thème précis. Le dernier s'intitule Pays Paysage et compte 500 pages. Une importante illustration s’intercale entre les textes et les poèmes. Le thème du pays résonne fort dans les terres du sud où la revendication occitane reste toujours en arrière-plan. Quelques vers d'Yves Rouquette à côté de la croix d'Occitanie concluent d'ailleurs ce numéro en quatrième de couverture. Pourtant cet opus est loin de s'enfermer dans un territoire déterminé. "Paysage qui sans cesse se dérobe sous le pied friable du devenir" écrit Christophe Corp en ouverture. Et Marc Wetzel de préciser plus loin : "Le pays ouvertement imaginaire qu'est le trompe-l’œil nous aide, hors de lui, à mieux discerner notre pays réel !". Dès lors une suite de chapitres va nous faire voyager entre ces deux approches. Ils ont pour titre : Figures de proue - Occitania, Païs nostre - Pays, génie du lieu - Pais catala - Paysage, devenir du temps - Ce toit tranquille où marche des colombes - Approche de la Gardiole - Pays de Montpellier - Paysage, territoire de la sensation - Paysage, lignes de fuite - Paysage, articulation du visible ou encore La fabrique du trompe-l’œil. A chacun d'eux est associé un groupe de poètes et d'écrivains nous confiant tous à leur manière la relation privilégiée qu'ils entretiennent avec le  pays et ses paysages. Ils sont plus de cent à le faire.
Mais le numéro ne s'arrête pas là, il poursuit par une présentation de nouvelles voix de la poésie italienne, par quelques notes de lecture et informations sur la vie de la revue. Plus qu'une publication, Souffles est le miroir de la communauté des poètes qui continue en ces temps troublés  à vouloir se faire entendre.

Complément :



samedi 7 novembre 2015

Poésie persane

La poésie persane reste mal connue en France. Généralement ce sont les noms de Omar Khayyam ou de Hafez que citeront les plus érudits mais ils concernent la Perse ancienne. Pour combler ce manque et nous faire rentrer dans la période moderne, le poète Reza Afchar Naderi qui possède une double culture, iranienne et française, a entrepris un important travail de traduction et d'édition. Il vient de faire paraître une anthologie de la poésie persane contemporaine dont nous reparlerons. Mais avant, il était important de présenter sa traduction du poème fleuve d'Iraj Mirza (1874-1926) qui s'intitule Aref Nameh / Le livre d'Aref.


Voici comment Reza Afchar Naderi nous présente sa traduction du Livre d'Aref : "Cet ensemble de plus de 500 vers, tissé de piques sans concession, de moqueries et de satires contre la société iranienne du début du 20e siècle et ses archaïsmes, constitue une œuvre poétique réfractaire par excellence de l’Iran moderne.
Son auteur, Iraj Mirza, prince de sang royal, érudit libertin et libertaire, calligraphe réputé et polyglotte, maniant avec aisance la langue de Molière, demeure immensément populaire auprès des Iraniens.
J’ai relevé il y a quelques années le pari de traduire un extrait de cette œuvre, sous forme rimée et rythmée, de manière à restituer pour la première fois en français le style flamboyant de ce poète inclassable, à ce jour inégalé pour sa verve à la fois savante et populaire, raffinée et crue, qui fait s’esclaffer les Iraniens de toute condition sociale. Une contribution à une meilleure découverte de la poésie moderne persane, si peu connue en France - où la perception de la littérature iranienne demeure cantonnée à une Perse intemporelle, mystique, ésotérique et orientalisante - alors que ce pays a su opérer plus d’une révolution formelle à travers un millénaire de patrimoine poétique, resté populaire au sens le plus noble du terme."

Complément :

samedi 31 octobre 2015

Un poème de Jacques Taurand

Il y a presque un an, nous évoquions dans ce blog le souvenir de Jacques Taurand. Voici aujourd'hui un poème de son dernier recueil Une voix plus lointaine. Dans sa préface, Jean Chatard écrit : "Jacques Taurand apprivoise les mots de tous les jours pour élargir l'espace et dénouer la nuit qui attend chacun de nous à la croisée des matins pâles." Plus loin à propos de quelques vers qu'il a choisis du poète, il a ce commentaire: "Confidence bouleversante que ce "beau voyage" d'un homme prisonnier de la maladie, faisant le compte des êtres qui lui sont chers et leur offrant les pépites d'une œuvre pathétique." Voici pour continuer celle que nous avons retenue.


RIEN

Rien à l'horizon
qu'un vague parfum d'automne
ce fouillis de feuilles sèches
On passe étranger à soi-même
dans la nouvelle vêture
que démaillent les heures

Rien à l'horizon
les images d'un passé
que décompose le temps
Le chemin de l'habitude
où le cœur bat sa mesure
La corniche d'un nuage
où s'appuie le regard

Rien à l'horizon
Le vide est joyeux
où s'engouffre la vie
Cette journée de Terre
n'a nul besoin d'espoir
Ici est l'au-delà
tangible jouissance

Rien à l'horizon
qu'une silhouette démâtée
qui va l'amble
la lumière d'une autre saison
et le secret voyage des choses
Prendre place à bord de l'oubli
laissant se déliter
cet éboulis de mots

Tout est à l'horizon
enfin
l'espace où l'on se noie.

Jacques Taurand




samedi 24 octobre 2015

Le souvenir de René Char

L'audiovisuel vient de temps à autre illustrer notre propos sur la poésie. C'est ainsi que des films et documentaires ont été déjà présentés cette année sur Stéphane Mallarmé et Jacques Audiberti. Aujourd'hui voici deux documents sur René Char dont la figure ne cesse de s'élever au dessus de la poésie contemporaine. Nous avons changé de siècle mais ses écrits continuent de travailler en profondeur dans notre conscience et notre imaginaire.


Pour compléter ce portrait voici une lecture des poèmes de René Char par Laurent Terzieff qui demeure lui-aussi la figure du comédien exigeant, refusant les concessions, pour servir au plus haut son art.


samedi 17 octobre 2015

Hommage à François Dagognet

C'est avec beaucoup d'émotion que j'ai appris la mort début octobre de François Dagognet. C'est en suivant le chemin de Gaston Bachelard que j'avais été amené à le rencontrer. Plus précisément c'est grâce à la philosophe brésilienne Marly Bulcão que j'avais pu faire sa connaissance. François Dagognet m'a fait l'amitié de préfacer mon livre de poèmes Mémoire sans tain. Il a aussi aimablement répondu à mes questions pour l'entretien qui figure dans le livre que lui a consacré au Brésil Marly Bulcão : O gozo do conhecimento e da imaginação / François Dagognet diante da ciência e da arte contemprânea. Pour l'occasion Jacques Basse avait même fait le portrait du philosophe.


L'entretien a été publié en langue portugaise, en voici un extrait dans sa version française qui permettra une première approche de cette grande figure de la philosophie française :

Jean-Luc POULIQUEN : François Dagognet, vous avez vous-même eu l’occasion de le souligner, ce que les philosophes peuvent nous dire de leur vie, est un  précieux accompagnement de leur œuvre. C’est sur ce terrain personnel que je souhaiterais vous conduire au travers de ces quelques questions et je vous remercie par avance de vous prêter au jeu. Accepteriez-vous pour commencer d’évoquer votre enfance et votre milieu familial ?

François DAGOGNET :
S’il faut parler du passé, je m’accorderai à votre souhait, encore que j’attache peu d’importance à ce rappel. J’appartenais à une famille modeste (le mot est faible). L’essentiel consistait à obtenir le CEP (le Certificat d’Études Primaires). Comme on ne pouvait pas entrer dans le Monde du travail, à cette époque, avant 14 ans, le Maître de cette école (dite libre)1 vous occupait, plus qu’il n’enseignait. Après quoi, on apprenait un métier, il suffisait de trouver un artisan local qui vous embauchait comme stagiaire.

J-L P : Un parcours qui ne devait pas être le vôtre. Quand et de quelle manière la philosophie a fait son entrée dans votre existence ?


F D : A 14 ans, sauvé par une personne de ma parenté, j’ai essayé de rattraper mon retard (scolaire) sans y parvenir. N’ayant jamais été dans un Collège ou un Lycée, j’ai pu cependant entrer dans une École, de la troisième finissante à la terminale. Cette École (St François) m’avait admis, malgré mes débuts difficiles.
J’ai échoué nettement au Baccalauréat (dite 1ère partie). Je n’ai pu l’obtenir qu’à la session de septembre. Pourquoi – en vue du Baccalauréat deuxième partie ( à l’époque, deux Baccalauréats) – avoir choisi la philosophie ? C’était la première fois que j’entrais dans une discipline sans retard, à l’égal de mes camarades d’école.

J-L P : Quelle forme a pris ce premier contact avec la discipline ?


F D : La philosophie enseignée puisait dans le fond de la Chrétienté. Celui qui nous initiait à la philosophie était un prêtre : il célébrait le devoir, la justice, la responsabilité, la faute, etc. Il reste encore des traces de ce programme. On ignorait tout, là où je me trouvais, des Mouvements théoriques majeurs (ni Marx, ni Freud).

J-L P : Comment représenteriez-vous le paysage philosophique français au moment où vous-même avez commencé à l’approcher ?


F D : Il s’est divisé en plusieurs territoires : la philosophie analytique (le Monde anglo-saxon) – les héritiers d’Heidegger – en France, l’École Bachelardienne ou encore le « personnalisme ». Je triche un peu car ces tendances se sont surtout développées après la Seconde guerre mondiale. Inutile d’ajouter qu’en France le Bachelardisme l’a emporté, encore que, de nos jours il soit probablement en régression. Il faut encore noter que la philosophie, en France, a été vouée à l’Histoire de la Philosophie, indispensable comme propédeutique.

J-L P : De tous ces territoires, c’est le Bachelardisme qui a eu votre préférence.


F D : L’irremplaçable – avec le Bachelardisme – vient, pour l’essentiel, de ce que la philosophie travaille sur un territoire ou un fragment du réel (le droit, le langage, la vie, la physique, la technique, l’art, le Politique, etc.). Une part de l’attrait pour la philosophie vient de ce que – d’un côté, s’exerce la réflexion, de l’autre côté, elle porte sur un « objet » défini. On récolte à la fois la chose et les idées qu’elle suscite. Le Bachelardisme a illustré cette attitude. Il ne s’est pas perdu dans les spéculations déracinées, il a joint les deux – aussi bien la physicochimie que l’inspiration poétique – avec la théorie qui les éclairait. Il s’est gardé, dans ce que l’on nomme l’épistémologie, de suivre l’histoire ou l’évolution, mais il devait soutenir la conception de la « rupture ». Le nouveau ne dépend pas de l’ancien, il rompt avec lui.

J-L P : Ce nouveau a eu aussi ses préférences pour se manifester.


F D :  Le Bachelardisme a évidemment illustré et surtout renouvelé tant le courant épistémologique que le poétique. D’abord, - pour tous les deux – il a usé de l’outil psychanalytique qu’il aménagea. Ainsi, dans La Formation de l’Esprit Scientifique, le philosophe nous plonge dans les forces vives de l’inconscient qui inspirent des conclusions psychologisées. En ce qui concerne les images, il ne s’est pas contenté de les évoquer, il a cherché à les éclairer (grâce à un dynamisme qui nous éloigne du statisme académique). Mais surtout le Bachelardisme a brillé par ses réussites de la systématique : touchant les images, il a essayé d’en reconstituer l’ensemble. Il ne les retient pas « une à une » mais il s’aide de règles opérationnelles grâce auxquelles il peut les saisir toutes. Dans le domaine scientifique, il en va de même : Le Pluralisme cohérent de la chimie moderne en fournit un bel exemple. Le souci de l’extrême synthèse donne à sa philosophie un tour particulièrement enlevé et toujours, - la joie et le bonheur de la totalité.

J-L P : Vos affinités avec le Bachelardisme ne sont pas seulement intellectuelles. Vous avez été aussi un proche de Gaston Bachelard. Auriez-vous un souvenir particulier à nous raconter à son sujet ?


F D : Un souvenir particulier ou plutôt une situation singulière. Ce n’est donc pas sur un souvenir que je m’arrête mais j’évoque une situation passablement triste. Comme vous le savez, je possède plus d’une centaine de lettres car nous correspondions assez régulièrement (une lettre tous les quinze jours). A la fin, G. Bachelard était malade mais il continua à répondre à mes lettres et toujours à écrire. Dans les derniers mois, son écriture était tellement déformée qu’on ne pouvait plus apercevoir la moindre lettre. Message étrange : le philosophe qui écrit encore ne peut pas observer qu’il tombe dans un non-langage. C’est un document sur son courage, son énergie. Il résiste. Un tel document ne peut laisser indifférent ou froid. C’est un naufrage mais, en même temps, celui qui s’en va se crispe et s’accroche à des mots méconnaissables.

J-L P : Comme celle de Bachelard votre réflexion couvre à la fois les domaines de l’activité scientifique et de la création littéraire et artistique.


F D : Vous m’amenez – sur la fameuse dualité (Science, Art) à des remarques sans doute fort discutables. Bachelard n’a pas creusé le fossé entre les deux directions de son œuvre, au contraire. L’Art se rapproche de la Science en ce que, comme celle-ci, il est attaché à la Matérialité. Cette dernière est méconnue, tant nous sommes envahis par ce que nous voyons. L’art va remonter à la surface le fond inaccessible ; il nous proposera aussi (les Installations) un ensemble plus ou moins catégoriel, - (insolite, original) de lignes, de plans, de couleurs. L’Art parvient ainsi à capter quelques effets d’énergies invisibles – (la capillarité, le mou, l’équivocité de l’entre-deux, etc.) Si la science prime le quantitatif – l’Art s’en tient au qualitatif. Dans le Bachelardisme, la Matérialité a servi de guide, de synthèse. Nous la retrouverons justement aussi bien dans un des territoires que dans l’autre. Cristo, pour donner un exemple, a caché le pont, il l’a enrobé – mais il a ensuite réveillé. Il voulait par là, nous déshabituer : nous verrons autrement ce qu’il nous a donné à voir désormais. Après la perte ou le retrait, la résurrection.

(Avallon, 2008)

Compléments : 
- Le livre de Marly Bulcão sur le site de l'éditeur.
- Le portrait de François Dagognet par Jacques Basse. 
- François Dagognet dans l'émission "Des mots de minuit".

samedi 10 octobre 2015

Guy Bellay / Daniel Biga

Il y a quelques jours nous apprenions la mort de Guy Bellay qui était un poète discret et dont les apparitions étaient très rares sur la scène littéraire. Une longue amitié le liait à Daniel Biga et c'est par lui que j'ai été amené à lire ses poèmes. La revue Chorus animé par Franck Venaille entre 1962 et 1965 leur avait permis de se connaître. Dans Sur la page chaque jour Daniel Biga écrit à propos des poètes de Chorus : "Il y avait une sorte d'analogie entre ce que je pouvais écrire, ce qu'écrivaient Pierre Tilman, Franck Venaille, Guy Bellay, Pierre Della Faille en poésie, les romans de Claude Delmas alors et le travail d'abord pictural de Jacques Monory, de Peter Klasen ou de Jean-Pierre Le Boul'ch. Nos collages littéraires avaient leurs correspondances dans leurs collages d'images".


En 2013, Daniel Biga a fait paraître aux éditions Gros Textes sous le titre La Séparation un ensemble en prose écrit entre 1970 et 2000. La quatrième de couverture reprend les lignes suivantes de Guy Bellay : "Octobre 1966. Les poèmes de Daniel Biga entrent dans la poésie comme des frères mendiants insolents dans un Négresco ; désordonnés, écorchés, violents, désespérés, enfantins, jouisseurs, impudiques, tendres - avec déjà, ce plaisir de l'étreinte énumérative que je leur emprunte.
Juillet 1967. J'attends leur auteur dans une ferme abandonnée des Alpes. Je vois grimper, à travers la prairie en pente, un homme ni plus large ni plus hardi ni autrement vêtu qu'un autre. Un coin de table suffit à son sac. Trois mètres carrés pour sa canadienne. Et la crainte de gêner.
Juin 1999. Je contresigne : frère Daniel inchangé."

Compléments :
- Guy Bellay sur le site Mobilis.
- La Séparation sur le site de l'éditeur.

samedi 3 octobre 2015

Un poème d'Andrea Genovese

Andrea Genovese avait été accueilli dans ce blog tout au long du mois de novembre 2013. Pour continuer à cheminer avec lui, voici un poème extrait de son livre Idylles de Messine paru en 1986 aux éditions Traitements de Textes à Lyon. Le titre est emprunté à Nietzsche, au seul recueil de poèmes qu'il écrivit en dehors de ses aphorismes. Le philosophe avait séjourné à Messine de la fin mars au 20 avril 1882. "Qui, sinon un Messinais véritable, pouvait se croire autorisé à un pareil plagiat" nous dit le texte de quatrième de couverture en poursuivant : "Messine, ville du détroit, portus et porta Siciliae pour les Romains, Zanclès (faucille) pour les grecs à cause de la singulière conformation de son port naturel, Messine, mère et marraine, n'est qu'une lame tranchante, énigme et rendez-vous".


Des mots ont migré vers moi
du fond des âges
en gardant leurs mirages
et leur violence

Ils ont déferlé
conquis des terres
fondé des colonies

Ma langue
n'est qu'un métissage
de sales gueules

Mon écriture étalée
sur les tablettes d'argile
des ordinateurs
est grossièrement barbare

Andrea Genovese 

 Régulièrement l'auteur propose un journal de poésie et d'humeur qui s'intitule Belvedere où il rend compte de sa perception de la marche du monde ainsi que de l'actualité culturelle.

samedi 26 septembre 2015

Les premiers recueils de Serge Bec

Serge Bec a été souvent l'hôte de ce blog. En juillet 2014 nous avons rendu compte de ses récits fantastiques qui prennent leur source dans son Luberon natal. Mais Serge Bec est avant tout poète et c'est par la poésie qu'il a fait une entrée remarquée dans les Lettres d'Oc.


En juillet 2012 - j'ai tardé à en parler - les éditions Jorn ont eu la bonne idée de réunir en un seul volume ses premiers recueils. Il s'agit de Li Graio negro / Les Corneilles noires (1954), Cants de l'estre fòu / Chants de l'être fou (1957), Miegterrana / Méditerranée (1957), Memòria de la carn, seguit de Auba / Mémoire de la chaire suivi de Aube (1959-1960).
La grande originalité de Serge Bec est d'avoir introduit le surréalisme dans la poésie provençale  ce qui lui valut les incompréhensions des  Félibres et le poussa à s'éloigner de la graphie mistralienne pour adopter la graphie classique. Ce sera pour lui un déchirement dont il ne trouvera jamais l'issue définitive. Il règlera provisoirement la question en adoptant alternativement les deux graphies.
La période 1954-1960 couvre la rencontre de la femme aimée, le service militaire en Algérie en pleine guerre, tout cela étant vécu depuis ou loin de la terre natale. Ce socle d'inspiration qui a alimenté le lyrisme de l'auteur, traverse de part en part cette première partie de son œuvre. Il ne cessera par la suite de travailler en lui. La guerre du Viet Nam ou la guerre du Golfe qui ont fait suite à la guerre d'Algérie seront de puissants déclencheurs pour continuer à écrire son appel à vivre l'amour universel entre les hommes.
Complément :

samedi 19 septembre 2015

À L'ÉVEIL DU JOUR

Il y a peu nous avons accueilli dans ce blog Brigitte Maillard pour qu'elle nous fasse partager son expérience de "poésie au marché". A la fin de l'entretien, elle nous annonçait la sortie prochaine de sa dernière publication que j'ai reçue depuis.


Voici un livre d'une grande force à la fois humaine, poétique et spirituelle. Il s'agit d'un témoignage poignant qui relie la parole poétique et la réflexion à une expérience particulièrement difficile, celle de la maladie qui vient mettre la vie en jeu. Par trois fois celle-ci a livré ses assauts, l'auteure en a triomphé ce qui a libéré en elle : "Un appel à laisser tomber les masques, les histoires figées de nos vies humaines. Un appel à vivre la beauté". L'épreuve est approchée par tout ce qu'elle a permis de positif. Brigitte Maillard écrit : "Il y a quelque chose de mieux que la guérison, c'est découvrir la vie en profondeur." Au fil des pages, on lira des citations de poèmes qui sont venus éclairer et donner de la justesse à ce qui était perçu. Ainsi la poésie retrouve une dimension que les petits jeux sans conséquences de beaucoup de poètes contemporains avaient fait oublier. "Une langue est venue à ma rencontre. Elle m'a tirée vers l'inconnu, m'a tenue en haleine des nuits durant, avec le désir, l'amour, la mort, la souffrance jusqu'à ce que je rencontre "Le principe fondamental de ma vie" dirait Tagore". Un long poème termine ce livre d'espérance par ces vers : "Chanter sans faire d'histoires/ Fille au vent/ Chanter sans repos". 


samedi 12 septembre 2015

La revue Vocatif

Au mois de juin dernier j'ai parlé de la revue Vents & Marées. C'est dans les années quatre-vingt que j'étais en contact avec elle et dans cette même période, plus précisément en 1984 à La Garde, j'ai rencontré Monique Marta qui portait déjà son projet Vocatif. Il y a quelques semaines, elle a eu la gentillesse de me faire parvenir ce qui était alors sa dernière parution.


J'ai eu le plaisir de retrouver dans ce numéro l'esprit qui soufflait dans les pages de Vents & Marées. La poésie y est première sur le discours. Il s'agit de faire aimer des poètes à travers une présentation conséquente de leur œuvre. Cette fois-ci, c'est Brigitte Broc qui fait l'objet d'un copieux dossier introduit par Olympia Alberti. S'y ajoutent des poèmes de Patrick Devaux, Jean Lavoue, Ivan de Monbrison, Roland Nadaus, Bernard Perroy déjà accueilli dans ce blog, Etienne Poiarez et Evelyne Vijava. Quelques illustrations du peintre Annick Manbon-Lesimple les accompagnent. Monique Marta a tenu aussi à rendre hommage dans ce numéro à Jacques Kober récemment disparu.
"Un jour entier/ entre les lignes/ transmettre/ la blancheur, s'ébrouer/ dans les signes" écrit Brigitte Broc. Ses vers sonnent comme une invitation à parcourir les pages de ce numéro et à s'y sentir bien. Le suivant qui vient de paraître invite à un autre voyage puisqu'il est consacré à la poésie bulgare.

Complément :

samedi 5 septembre 2015

Poésie au marché

Ce blog aime parler des initiatives visant à donner à la poésie toute sa place dans la société. Il y a peu nous présentions les Parvis Poétiques de Marc Delouze. Aujourd'hui nous allons évoquer avec Brigitte Maillard sa tentative de mêler la poésie à la vie quotidienne en participant à des événements qui la rythment comme les marchés.

Brigitte Maillard au marché de Pont-l'Abbé en Bretagne - été 2015
Photographie de Sophie Denis

Brigitte, il y a chaque année à Paris, le marché de la poésie qui réunit Place Saint-Sulpice tous les éditeurs de poésie. Vous, vous avez choisi une démarche différente, la poésie au marché...

 L’une n’exclut pas l’autre. Mais il est vrai que je privilégie depuis deux ans ce mode de relation avec les lecteurs. C’est en région Bretagne que j’ai découvert cette pratique. Sur des marchés à thème d’abord (avec les poètes de Cornouailles et Les Éditions Sauvages) où se croisent auteurs, créateurs, artisans… puis sur les marchés locaux où se mêlent produits du terroir, fruits et légumes, vêtements, livres etc.

Cette pratique se développe dans nos régions, en lien aussi avec les nouvelles tendances de notre société, inventer des modes de vie alternatifs, chercher de nouveaux appuis en accord avec des valeurs plus essentielles.
 
Des poètes comme Jean Bouhier ou Jean Rousselot  voulaient que le poète soit au milieu du monde.

Le poète a fort à faire pour se remettre au milieu du monde, changer ses habitudes, "sortir du vase clos d'une oeuvre". Je pense à cette pensée de Joë Bousquet dans Le meneur de lune "On n'a pas à cristalliser la beauté dans le vase clos d'une œuvre, nous portons en nous la poésie de tout ce qui est manifesté, nous devons aider la beauté des choses à nous former une conscience poétique." Mais je m'éloigne du sujet !

Oui, tenir les deux bouts de l’histoire, de la richesse et de la pauvreté, de la vie et de la mort, c’est être vraiment « au milieu du monde. »  Comment faire œuvre de poésie sans cette attention ? Ma formation et ma pratique d’assistante sociale en protection de l’enfance m’ont transmis cette nécessité, impérieuse. Je découvre depuis peu, grâce à vous, ces poètes de l’École de Rochefort dont Jean Bouhier est le fondateur.
 

Il est réconfortant de constater qu'une manière de vivre en poésie se poursuit à travers les années. Serge Wellens, de la deuxième génération de Rochefort, animait avec son groupe l'Orphéon des soirées poétiques dans les années cinquante sous des préaux d'école en banlieue parisienne. Mais revenons à notre marché, quel type de rencontres vous a-t-il permis ?
 

Des rencontres heureuses et difficiles. Des rencontres, ces jours de marché, avec un public bien loin de la poésie. Certains s’arrêtent au mot poésie, à nos sourires, pour évoquer le souvenir de l’école, feuilleter le recueil. Beaucoup passent leur chemin. Ces mots de poésie, poème font souvent fuir (ainsi certains poètes préfèrent dans cette situation parler de textes) mais quand ils rapprochent, un dialogue inattendu et à rebondissement (dans la durée) peut s’instaurer. C’est la vertu des marchés, ils ont leur jour. Ils reviennent.

On parle et on écoute beaucoup, sans déclencher la vente du recueil. Pour que les liens se créent, il faut presque l’oublier et se dire qu’on est là, juste pour partager. Sur le marché, j’ai souvent l’impression de perdre mon temps. Et de vivre surtout le déni de poésie.

J’ai tant vécu ces difficultés d’accès à poésie/poème lors de ces marchés ou autres rencontres que je suis intimement convaincue aujourd’hui qu’il est nécessaire de prendre le temps de parler, en poète, l’acte poétique, l’acte qui conduit à l’écriture. C’est ce que je tente de faire avec mon dernier livre À l’éveil du jour.
 
Votre expérience finalement est un bon indicateur de la place qu'occupe aujourd'hui la poésie dans la société et dans les préoccupations de l'ensemble de la population. Dans le même temps elle renvoie le poète à sa condition ce qui peut être douloureux. Restent j'imagine des moments de grâce pour vous dire que l'expérience n'était pas vaine.
 

Oui grâce à elle …  L’expérience est un merveilleux guide ! Rien de tel pour sortir du connu ! Je crois, si je devais la poursuivre,  que je créerais une grande banderole pour attirer l’attention du passant : N’abandonnez pas la poésie aux poètes.  Nous sommes tous poètes dans l’âme (J’ai souvent entendu cette dernière pensée sur le marché.) Mais demeure essentiel de transmettre par la voix (de poésie), la force du poème. Et je me sens définitivement plus à l’aise lors d’un concert/lecture. Mais c’est un autre sujet. Merci à vous Jean-Luc.

Compléments :
- Monde en poésie, le blog de Brigitte Maillard.
- Présentation de À l'éveil du jour, Monde en poésie éditions, son dernier livre.





samedi 29 août 2015

Les Cahiers de Garlaban - XXII

Comme Eric Tremellat, Guy Knerr fait partie des jeunes poètes que les Cahiers de Garlaban ont été heureux sinon de découvrir du moins d'encourager. C'est à La Goutte d'Or qu'a germé l'idée de ce recueil pour lequel le dessinateur Jean-Louis Guitard a apporté sa contribution graphique. Il a été publié le 29 août 1995.


Voici la préface que m'avait demandée l'auteur :

Celui que nous accueillons dans les pages de ce recueil s'est laissé guider par la poésie pour vivre une expérience qui se renouvelle mystérieusement à chaque génération.
C'est une grâce de pouvoir travailler en soi un art qui remue profondément les sens, le cœur,  la mémoire, tout ce qui donne une épaisseur et une densité à notre présence en ce monde.
J'ai connu Guy Knerr dans une école de la Goutte d'Or. je l'ai vu partager avec bonheur sa passion de l'écriture avec de jeunes élèves, la plupart originaires d'Afrique noire et du Maghreb.
Dans un Paris en proie aux contradictions de nos choix de civilisation, dans un quartier qui les mettait à jour avec violence, le jeune homme qui me lisait ses poèmes après la classe m'émerveillait par la pureté de ses images, la noblesse de sa langue.
Ses mots brillaient d'une lumière particulière, que les bruits et turbulences qui nous environnaient, n'avaient pas réussi à ternir.
La source intérieure était restée intacte. L'époque ne l'avait pas étouffée. Elle en avait au contraire provoqué le jaillissement plus vif et plus resserré.
A chaque lecteur, aujourd'hui, d'en apprécier la saveur.

Ajoutons un poème extrait de Sentinelles :

C'est vers les sept heures du soir
en novembre
que je meurs d'habitude
quand le jour a fini sa semaine
Je tourne longtemps sur moi-même
Je deviens pluie ou neige
Un enfant s'amuse de mon manège :
"Tu es magicien ?" Du foulard
de mon chagrin s'envolent
les couleurs les plus tendres

Mon ombre se glace dans une foule
J'ai faim Je dévore les visages
J'ai soif et viens boire aux fenêtres
la lumière d'une vie simple
c'est vers les sept heures du soir
en novembre
que je meurs d'habitude
Mes regrets finiront la semaine

      Guy Knerr

Complément :

samedi 22 août 2015

Les Cahiers de Garlaban - XXI

Après Jòrgi Reboul, André Resplandin, Charles Galtier, Serge Bec, Fernand Moutet et Yves Rouquette, nous avions été heureux de publier Robert Allan (1927-1998). Il forme avec les précédents le groupe des sept grandes voix occitanes qui ont été accueillies aux Cahiers de Garlaban. Ce n'était nullement voulu mais ce chiffre sept fait écho aux sept poètes qui fondèrent le Félibrige en 1854. Les Lettres d'Oc ont leurs correspondances secrètes. C'est par Serge Bec que nous étions rentrés en contact avec Robert Allan. Il nous proposa un recueil intitulé Quatre Pouèmo Chausi dont il se chargea lui-même de l'illustration de couverture et d'un dessin en page intérieure. Le cahier fut publié le 30 juin 1995.



Voici ce que nous écrivions en quatrième de couverture :

Les quatre grands poèmes de Robert ALLAN (né en 1927, à Montpellier, de famille comtadine) avaient été publiés entre 1956 et 1963 dans différentes revues, dont les prestigieux "Cahiers du Sud" pour "Lou Cantico dóu Brau".

Ils étaient devenus introuvables. Les voici réunis et proposés en version bilingue, française et provençale. Pour cette dernière l'auteur a tenu à retranscrire entièrement ses textes en graphie mistralienne par fidélité à sa terre avignonnaise.

En une période où le minimalisme envahit l'expression littéraire et picturale, on appréciera d'autant mieux ces longues compositions qui ont puisé dans la culture d'oc les forces de renouvellement du lyrisme en même temps que les éléments pour illustrer les grands thèmes universels.

Parti de l'animal, du végétal et de l'humain méditerranéens, Robert Allan a réussi à élever son chant au dessus de la vie ordinaire pour dire l'amour et la mort en des termes sur lesquels le temps a perdu prise.

Compléments : 
- Robert Allan sur Wikipédia.
- Une étude de Marie-Jeanne Verny sur l’œuvre de Robert Allan.

samedi 15 août 2015

Les Cahiers de Garlaban - XX

Le 7 août 1994 les Cahiers de Garlaban publiaient Solaire solitude de Michel Manoll. Ce recueil faisait suite pour nous à celui de Une fenêtre sur le monde que nous avions publié en 1990 et qui a déjà été présenté dans ce blog. L'illustration de couverture ainsi qu'un dessin en page intérieure étaient confiés à Aurélia Manoll.


On pouvait en lire en quatrième de couverture :

 "Si l'existence n'est qu'une suite de prévisions qui se vérifient, la somme d'une détermination, une série de faits et d'événements infimes qui s'engrènent tous l'un dans l'autre, il n'est point nécessaire d'exister."

Dix ans après sa disparition, ces paroles de Michel Manoll (1911-1984) éclairent avec plus de force sa propre destinée.

"Les êtres de quiétude, déjà cloisonnés par certaines habitudes et conditionnés par leur milieu, n'éprouvent point le goût de se dépayser ou de changer d'axe", écrivait-il encore. Cela pour mieux préciser : "Le poète n'a donc pas d'autre assignation que d'éprouver lui-même ce qu'il ne peut éprouver en autrui."

"A l'origine était la vie, le germe, le souffle et tout ce qui, en cet univers, se meut sans cesse et s'accouple, se désagrège et se reforme, se livre et se cache, disparaît et émerge, sous la forme de l'astre, du minéral, de la vague ou de la semence qui nous contient", ajoutait encore Michel MANOLL.

C'est ce mouvement premier, cet élan sans tache, que nous voulons aujourd'hui prolonger en publiant ces poèmes inédits d'un grand poète toujours vivant parmi nous.