Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 25 mai 2013

Le n°21 de Chiendents

Les parutions de la revue Chiendents avancent plus vite que les annonces qui en sont faites dans ce blog. La revue a dépassé les trente numéros. Je voudrais aujourd'hui m'attarder sur celui qui a été consacré à Philippe Tancelin qui est intervenu plusieurs fois déjà dans nos colonnes et auquel j'ai participé.

 

En voici l'éditorial :

   Ce numéro de Chiendents est consacré à Philippe Tancelin, un poète-philosophe dont le parcours s’est voulu en dehors des cadres balisés de l’activité poétique.
    « J’ai toujours observé une distance respectable vis-à-vis des territoires claniques et la poésie n’en est pas exempte hélas… ce qui m’intéresse c’est la traversée du poème aux lieux d’émergence de l’être contre les réalités liberticides, ces moments et espaces de rassemblement des femmes des hommes dans un être ensemble de leur devenir qui relève alors du poétique. » explique-t-il dans l’entretien qu’il a accordé à Jean-Luc Pouliquen.   
   Cette attitude est pour nous le gage d’une singularité qui authentifie toute démarche créatrice. Elle ouvre sur de nouvelles approches de l’expérience poétique, en agrandit les horizons.
   Ceux vers lesquels Philippe Tancelin nous entraîne, sont à la croisée de l’histoire et du rêve, de l’engagement et de l’espérance. La distance qu’il a voulu prendre vis-à-vis de tout ce qui lui semblait fermeture, l’a rapproché du cœur même, du cœur brûlant, de l’humanité. Le choix de textes qui prolongent l’entretien nous permettra de mieux le saisir. Les mots s’abreuvent à l’événement, ils crient une urgence de l’être de réaliser un accomplissement qui est en marche.
   « La révolte est ce poème d’étonnement de chacun à lui-même/Quand il se reconnaît par l’enfance retrouvée/Sur son passage parmi les dieux » écrit le poète qui témoigne ainsi, au delà de ses propres dons d’expression et d’écriture, d’une expérience commune à tous les vivants.
  Et c’est pour cela que sa parole nous touche.

Complément :

samedi 18 mai 2013

La poésie de Paul Mari

Il y a quelques mois, Jean-Luc Sauvaigo m'a fait parvenir le dernier recueil de Paul Mari. C'est avec un grand plaisir que j'ai pu découvrir les poèmes du fondateur des Rencontres Poétiques de Provence à Coaraze en 1955, dont j'avais entendu parler par Daniel Biga et Pierre Caminade. Ces rencontres qui se sont tenues jusqu'en 1970, ont rassemblé les poètes parmi les plus importants de l'époque. Leur histoire reste d'ailleurs à écrire.
Autre bonheur lié à la réception de ce recueil, la découverte à la page 5 de la lettre qu'écrivit Gaston Bachelard à Paul Mari, le 20 juillet 1953. En voici le texte :

Cher Monsieur,

Je suis heureux de commencer ma journée avec vos poèmes et je vous remercie bien vivement de me les avoir envoyés. Avec le jour naissant, ils montent, vos poèmes. On y sent la vie saisie par son drame, avec tout ce qui oscille entre l'irréalité et une réalité à nier, à combattre. Et vous connaissez le combat des mots, toutes "les paroles se disent et se dédisent". Alors sur tous ces conflits, éclate la poésie, une poésie qui a la vie en elle, la vie devant elle. Et je songe à votre jeunesse, moi, vieux philosophe. Et j'aime votre impatience : Fais-moi grâce de la caverne, Platon. Oui, vous êtes face au soleil. Il vous faut la vérité toute droite. On sent cette ardeur de vos vers. Et c'est pourquoi je suis tout animé aujourd'hui de les avoir lus tandis que le soleil se lève. Sympathiquement,

Gaston Bachelard


Plus de cinquante ans après cette lettre voici ce qu' André Chenet écrit de la poésie de Paul Mari. C'est dans la préface du recueil dont je ne reproduis que le début :

La poésie de Paul Mari n'a rien à proprement parler d'une partie de plaisir bien qu'elle dispense de singulières jouissances : avec les simples mots des hommes de tous les jours, des mots simples comme bonjour, tristes comme l'adieu, le poète de Coaraze nous révèle l'absurdité d'une réalité élégante en laquelle il décèle une métaphysique des petits riens ou notre existence se défait, où nos jours et nos nuits se dissipent en poussières de particules grises. Et nul dieu vers qui crier le sentiment d'abandon et de solitude qui nous écrase fatalement si jamais nous nous écartons des communes mesures. L'amour ? N'est-il rien d'autre que cette quête illusoire faisant tourner le monde autour d'un axe imaginaire d'où nous hypnotise la mort ? Qui croit à la magie des voyages à venir, à l'étreinte qui renversait le temps dans un éclair d'éternité?

Il est temps maintenant de découvrir un poème de Paul Mari, celui-ci s'intitule Sur le mur invisible :

Sur le mur invisible
dont nous étions les pierres
un silence insolent
fit chanceler l'aurore

L'ami m'avait, autrefois, offert des refrains de capitaines
qui réchauffaient le sang
les soleils sur les sillons filaient alors avec les vents

Ce matin il accrochait ses gestes
au peu qu'il faisait de ses jours
pour ne pas tomber d'un arbre, de la falaise
ou des bras d'une femme

En des creux d'ombre et d'oubli
il avait perdu les clins d'œil
ne  savait plus ces histoires d'un jour qui durent une vie

Il redoutait
la moisson que le paysan abandonne
les pages du livre qu'il ne savait finir
les yeux vides des pauvres

Dans le bleu si intense du matin
si transparent, si lointain, si froid
il m'ouvrit la barrière

Contre l'horizon vide, son chien très longtemps aboya

Paul Mari


Compléments :
- Le livre sur le site de l'éditeur
- Coaraze sous le soleil de l'art

samedi 11 mai 2013

Amitié à Georges Drano

Georges Drano a été plusieurs fois l'hôte de ce blog. Nous sommes heureux d'annoncer qu'il recevra à Nantes le 21 mai prochain, le Grand Prix de Poésie de l'Académie littéraire de Bretagne et des Pays de Loire pour l'ensemble de son œuvre.
Voici donc une occasion d'aller à sa rencontre et de lire ou relire ses poèmes. En juin de l'année dernière la revue Chiendents qui a déjà été à l'honneur dans nos chroniques lui a consacré son n°16.


On y trouvera un entretien avec Enan Burgos, des contributions de Jean-Paul Chague, Michel Baglin, André Doms, Bernard Mazo, des poèmes inédits ainsi qu'une ouverture de Michel Dugué que voici :

Poète celui-là qui habite c'est un peu ce que nous livre Georges Drano en écho lointain d'Höderlin. Il habite, en effet, les terres qu'il foule, les paysages dont il se saisit. Sa voix est grave, j'allais dire rigoureuse. Il sait que le maniement de l'outil, la langue est des plus malaisés. Aussi ne hausse-t-il pas le ton, ne se déploie jamais «  plus haut que la parole ». S'il parle des maisons, des talus, des pierres, du marais, des arbres ce n'est ni pour se perdre dans l'éther, ni pour les célébrer mais d'une certaine façon pour les remercier de leur présence, de leur opiniâtreté à être là.
On le sent attentif à ce que le poème dise ou, à tout le moins, fasse ressentir chez son lecteur la nécessité intérieure qui le fonde. Et celle-ci s'articule à la jointure d'un être et de son   séjour ici. Elle est à la fois fragilité et force, éclaircie et menace.
Il convient de se tenir sur une ligne de crête, de connaître  le vertige sans y céder car le corps dans ces poèmes est ancré,  solidement posé là où il avance. Il a l'allure patiente de qui   découvre au travers des mots ces domaines qui bien qu'ils furent toujours les nôtres sont continûment à reconquérir afin de faire face c'est-à-dire de ne pas, précisément, se voiler la face devant l'inquiétude, 
«  la peureuse condition  » .
C'est la chance du poème que de permettre d'être tout à soi et simultanément absent car toujours sur « un versant autre » Ce que tu entends est de l'autre côté/ où tout est présent ». Cette contradiction n'est qu'apparente. Elle signe l'étroite connivence entre le silence et la parole. De cela le poète tire la force de durer. La terre, nous dit-il, est au bout du monde et il ajoute :
«  à chaque pas un mot avance à l'intérieur du corps » .
On devine la confiance accordée aux mots. Cependant il ne s'agit pas d'une confiance naïve. Certains mots échouent à  donner
«  le volume et le voix  » . Aussi convient-il souvent «  de déblayer les propos inutiles».
Habiter ce peut être
« crier jusqu'aux os de la terre déposés/ en soi ». Ce peut être également ouvrir tous les échanges possibles entre le monde et soi.

Au début de cette année Georges Drano a fait paraître un livre de poèmes, dont certains sont en prose, qui s'intitule Tant que Terre.


 Comme l'écrit Jean-François Mathé en quatrième de couverture : "Dans tous ses recueils Georges Drano interroge les ancrages, les appuis de notre présence au monde : en témoignent des titres tels La maison conduit à la terre ou Salut talus. Meuble ou solide, la terre est souvent le premier élément convoqué pour donner à l'homme debout dans son temps et son espace ses fortes racines; un homme immergé dans le monde concret pour trouver en lui son accomplissement. Et cette immersion, chez Drano, à la fois rugueuse et tendre, nous conduit aux cheminements intérieurs vers les plus profondes fondations de l'expérience. Cette poésie maintient en vie envers et contre tout."

Compléments :

samedi 4 mai 2013

Un film sur René Guy Cadou

Les films sur les poètes sont rares et méritent que nous nous y attardions. Après Cristina Moura qui nous avait présenté un documentaire consacré au poète brésilien Manoel de Barros, c'est au tour de Jacqueline Luthereau de nous parler de cette nouvelle création audiovisuelle concernant René Guy Cadou.


Après le visionnage du DVD, d’abord un film ; René Guy Cadou ou les visages de la solitude réalisé par Emilien Awada, sur un scénario de Luc Vidal avec les voix de M. Lonsdale et R. Martin, je donnerais volontiers une lecture butinante, gorgée comme l’abeille d’images d’eau, de mer noyée dans un ciel moiré, à peine bleuté, mandala lumineux, d’eau qui s'écoule dans le marais de la Brière, sans doute, mais qui reflète l’immobilité de l’arbre sur la berge ou le tremblement de l’herbe. Jeu des reflets qui fascinait le poète nous dit Hélène gardienne de sa voie(x). Sur ces images, on entend les textes de René Guy Cadou, on découvre les lignes écrites. En alternance, des souvenirs de poètes. C.Bulting, C. Moncelet, Bruno Doucey, passionnants, esquissent un portrait de Cadou ou plutôt une trajectoire fulgurante par sa brièveté.
Entré en poésie dans le village de Rochefort-sur-Loire, où il connaît l’effervescence de l’amitié, le partage de l’expérience poétique, l’amour d’Hélène, il se retire ensuite à Louisfert . « La poésie s’est mise à bouger dans le sens des feuilles ». Ode à son territoire : « Brière, mes limons de jeunesse ».
 Hélène nous le décrit « rieur  et railleur », « en plein dedans et dehors », « bouleversé et joyeux », « il avait le don de mettre de l’harmonie dans la destruction et le ravage ». Bruno Doucey  précise qu’il n’était d’aucune école, il avait pourtant inventé le terme de sur-romantisme qui prônait le retour du lyrique sans oublier la liberté des images impulsée par le surréalisme. Il dit aussi « le poète se fait corps creux pour accueillir la rumeur du monde » A Louisfert, Cadou accueille l’événement, prend des notes et le soir écrit des poèmes. Il est instituteur un homme parmi les hommes. Hélène le dit très laïc et très chrétien ; « il avait dans une poche la médaille de Saint Benoît offerte par Max Jacob et dans l’autre la carte du Parti communiste français. Dans le monde rural très clérical de l’avant guerre, il convertit les plus hostiles à l’école laïque par son humanisme, sa chaleur humaine. Il n’est pas un poète de la Résistance mais alors que les poètes étaient conspués par les pétainistes, écrire de la poésie était sa manière de résister.
Suivent ensuite des interviews qui éclairent sa formation, sa foi, les peintres et les poètes qui l’ont accompagné. Bruno Doucey évoque le rôle de Pierre Seghers qui accepte de publier son dernier ouvrage, le plus abouti, Hélène ou le règne végétal tandis que Gallimard ne cesse de lanterner.
Les témoignages sont intéressants, le montage réussi. A voir absolument… 
                                                                                                              Jacqueline Luthereau

Complément :