Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 30 juillet 2011

Les étincelles du temps de Pablo Barros

Au mois de mai dernier, Pablo Barros, qui est Brésilien et habite Rio de Janeiro, est venu à Paris pour le lancement de son livre Fagulhas do tempo/Étincelles du temps que j'ai eu le plaisir de traduire en français. Ce lancement avait lieu dans la belle librairie-galerie Le Monte-en-l'air qui mène, au cœur de Ménilmontant, une action originale et dynamique pour promouvoir la création littéraire et artistique. L'éditrice du livre, Cécile Odartchencko, déjà présentée dans ce blog, avait organisé cette rencontre au cours de laquelle le poète a lu dans sa langue quelques-uns des poèmes contenus dans l'ouvrage. Cécile Odartchencko avait tenu au préalable à raconter comment, il y a trois ans, elle avait eu bonheur à découvrir la poésie de Pablo Barros alors qu'il séjournait pour plusieurs mois dans notre pays. De là, était née son envie de l'accueillir dans sa collection "Les Vanneaux" où, en 2008 elle avait déjà publié mon recueil Les objets nous racontent. Voici un des poèmes extrait de Fagulhas do tempo/Étincelles du temps que Pablo Barros avait choisi de lire lors de ce lancement.



Náufragos

Somos todos náufragos
sem exceção
e sabemos, e lembramos
embora graciosamente esqueçamos

Somos todos náufragos
e tentamos todos
alcançar o alto do mastro
onde ainda sempre a bandeira vai ventar

Somos todos náufragos
e pouco a pouco subimos
tateando, sedentos
por vezes tantas caindo dois palmos
desse empenho
Somos todos náufragos
de uma subida íngreme
que por tempo se faz tão tola quanto doce
e nem mesmo vimos que montamos

Somos todos náufragos
Entre gentis que em trechos se margeiam
e pés
que querem baixar-nos a mirada

Somos todos náufragos
com paragens de belas vistas
quando a mão se firma
e o olhar se solta

Somos todos náufragos
embora esqueçamos e voltemos a lembrar
(doendo a lembrança quase tanto
quanto os pés que te empurram)

Somos todos náufragos
sem exceção
abençoados
por poder estar no mar....




Naufragés

Nous sommes tous des naufragés
sans exception
et nous le savons, et nous nous en souvenons
bien qu’avec grâce nous oublions

Nous sommes tous des naufragés
et nous essayons tous
d’atteindre le sommet du mât
où flottera encore et toujours le pavillon

Nous sommes tous des naufragés
et peu à peu nous montons
à tâtons, assoiffés
parfois même en retombant
Nous sommes tous des naufragés
d'une montée raide
qui se fait par moment aussi âpre que douce
et nous ne voyons plus que nous l’avons montée

Nous sommes tous des naufragés
entre des bienveillants qui par intervalles
nous accompagnent

et des pieds
dont le seul désir est d’abaisser notre regard

Nous sommes tous des naufragés
avec des vues sublimes sur le paysage
quand la main s’affermit
et le regard se dénoue

Nous sommes tous des naufragés
bien que nous l’oublions
nous le rappelons de nouveau

(écorchant les souvenirs comme
les pieds nous poussent)

Nous sommes tous des naufragés
sans exception
bénis
pour pouvoir prendre la mer….


Pablo Barros

- le site des Editions des Vanneaux

-
le site de la librairie-galerie Le Monte-en-l'air

samedi 23 juillet 2011

Estiva/Estive de Jean-Marie Petit

Nous sommes à la bonne saison pour parler de ce livre d'artiste de Jean-Marie Petit, déjà présenté dans ce blog. Il en est de même pour Robert Lobet, son éditeur et illustrateur, dont nous avions eu l'occasion de louer le travail au moment de la parution du recueil qu'il avait réalisé pour et avec Aurélia Lassaque. Voici un poème, sur les sept qu'il contient, tous présentés en occitan et en français, qui s'intitule Lo cant del mond/Le chant du monde.
Lo cant del mond

Lo papeta Prunhà
Espilhava los arbres
Mai naut que las estèlas...
Lo vent d'en naut
Èra sa demorança
Una barca de lum
Nadant sul cant del mond...
Sus terra solament
Coneissiá lo vertigi
E ma mameta n'aviá paur

Le chant du monde

Mon grand père Prémian
Élaguait les arbres
Plus haut que les étoiles...
Le vent d'en haut
Etait sa demeure
Une barque de lumière
Qui voguait sur le chant du monde...
Seulement sur la terre
Il avait le vertige
Et ma grand mère en avait peur

Jean-Marie Petit


- le site de Robert Lobet

samedi 16 juillet 2011

Le lac de Georges Drano

Il y a peu nous avons parlé, avec Marly Bulcão, de la poétique de Gaston Bachelard. Dans ce versant de son œuvre, un livre se détache particulièrement, il s'agit de L'eau et les rêves. L'auteur y consacre un chapitre aux eaux profondes, aux eaux dormantes. Sans doute eut-il trouvé dans le dernier recueil de Georges Drano À jamais le lac, quelques images à même de nourrir son propos. Avec son épouse Nicole, Georges Drano a déjà été l'invité de ce blog. Voici aujourd'hui un poème de lui qui va nous permettre de poursuivre nos rêveries sur l'eau.


Lac où la lune s'éclaire
Où l'hiver se rassemble

Il ne poursuit pas le vent
Et n'abaisse pas la poussière

À la rive il donne
la courbe de son eau
La terre il l'entoure de fraîcheur

Lac au dormant de la lune
Entre les grands arbres
aux dons paisibles

Lac et lune
au goût de sable
Revenez-nous sur la brise
qui soulève la lumière
de la terre.

Georges Drano


Complément :

- le livre sur le site de l'éditeur

lundi 11 juillet 2011

Poésie & Diplomatie - II

Pour faire suite au compte-rendu de Christiane Golési sur le livre que j'ai écrit avec Wernfried Koeffler, Le poète et le diplomate, voici l'analyse qu'en a faite le poète Michel Capmal déjà présenté dans ce blog et que je remercie pour sa lecture attentive.


Dès sa parution, j’ai lu avec attention et plaisir ce livre d’entretiens qui nous permet de découvrir certains aspects du monde de la diplomatie. Ce livre est une vivante contribution à une réflexion sur l’état du monde contemporain.

Dialogue à hauteur d’homme entre un poète et un diplomate. Le poète, averti de la politique et de l’histoire de l’époque moderne, pose ses questions au diplomate dont on perçoit très vite, avec le sérieux du professionnel des échanges internationaux, la sensibilité d’un authentique écrivain.

Ce livre est une invitation au voyage (avant les avions obligatoires et les ordinateurs omniprésents) à une méditation sur l’éloignement, sur l’identité, la diversité des langues et de peuples, sur l’envers du décor de l’Histoire, les péripéties parfois tragiques ou amusantes qui surviennent au cours de la carrière de diplomate. Et aussi à prendre conscience de l’importance du regard et de l’écoute. Comme l’écrit très justement dans sa préface Adolfo Perez Esquivel (Prix Nobel de la Paix) : « … car voir est une chose, regarder en est une autre, comme entendre est différent d’écouter…La sagesse des peuples est de donner force aux mots, de savoir faire passer le message à la communauté ».

Et la littérature dans tout ça ? Elle est présente à chaque page, sous-jacente ou explicite. La démarche poétique n’est pas non plus absente. Jean-Luc Pouliquen revient plusieurs fois sur la recherche d’un certain point d’intersection qui serait non seulement un point d’équilibre entre le travail d’écrivain et la Carrière mais aussi le point de fusion entre le rêve et la réalité. Wernfried Koeffler nous rappelle que le diplomate « d’autrefois », c’est-à-dire avant les ordinateurs, savait écrire. Et que ce qui a longtemps prévalu c’est l’esprit de finesse désormais remplacé par le réductionnisme électronique, la vitesse et l’efficacité à tel point que certains considèrent qu’Internet a rendu le diplomate superflu ! Pour W.K. un diplomate doit avoir le goût de l’impossible inséparable de l’acte créateur ; la négociation devenant, dans certaines conditions, un art ou un plaisir.

Et pour notre plaisir quelques grands noms d’écrivains diplomates et aussi de grands écrivains non diplomates sont évoqués au fil de ces 145 pages. Chateaubriand, Lamartine, Claudel, Saint-John-Perse, Stendhal, Paul Morand, Dag Hammarskjöld, Romain Gary. Mais aussi Neruda, Asturias, Fuentes qui, nous dit W.K, apportaient à Paris plus de prestige à leur pays qu’un ambassadeur de carrière n’aurait pu le faire. Sans oublier Ruben Dario, Alejo Carpentier, Joào Guimaràes Rosa et Vinicius de Moraes. De même pour Octavio Paz ambassadeur du Mexique en Inde. Et aussi ceux qui aux yeux de W.K. auraient pu être de bons ambassadeurs comme Thomas Mann, Stefan Sweig ou Robert Musil dont le personnage L’homme sans qualités représente si bien l’esprit de finesse. Mais certainement pas Hemingway qui est venu vivre à Paris comme d’autres écrivains anglo-saxons. W.K nous fait remarquer que pour ces derniers c’est le génie du lieu qu’ils avaient choisi, pour les écrivains diplomates c’est le contraire, c’est le lieu qui les choisit. Selon J-L P le destin d’un écrivain peut transcender un destin diplomatique

Tout vrai poète ne pourra qu’apprécier ces deux phrases page 66 de W. K. que je cite entièrement : « J’ai toujours essayé de faire durer ces voyages le plus longtemps possible. Prolonger cette légèreté d’être entre deux mondes le vécu et l’inespéré ». Il précise que c’était avant l’obligation de prendre l’avion. Et surviennent tout naturellement les écrivains voyageurs comme Loti. Mais le navigateur solitaire exceptionnel et auteur de La longue route que fut Bernard Moitessier n’aurait-il pas pu être cité à son tour ? Il est aussi question des maisons que les diplomates habitent. « Les maisons d’une vie ! ». Et J-L P saisit l’occasion pour dire quelques mots sur Gaston Bachelard, voyageur immobile, et Bertrand D’Astorg, auteur de Les Noces orientales. Parmi les hommes remarquables rencontrés par W.K il y a eu le Dalaï Lama qui, à la question « quel est l’essentiel dans la vie ? » répondit : « autrui ». À la très juste remarque de J-L P : « Rien ne remplacera une expérience vécue » W.K. raconte sobrement comment il a réussi à sauver la vie des trois jeunes enfants d’un opposant du régime de la junte militaire en Argentine, Adolfo Pérez Esquivel qui lui exprime ses remerciements dans sa préface. Autre personnalité singulière rencontrée : Ivan Illich faisant cette belle réponse à W.K qui lui demandait qu’elle serait la meilleure école pour ses enfants : « une ferme à la campagne avec une grande bibliothèque ».

La figure de Romain Gary revient avec insistance tout au long de ce livre. Romain Gary dont on connaît l’œuvre et la trajectoire choisie et assumée. Pour qui est soucieux de maintenir éthique et esthétique à niveau égal, je crois que les précisions que nous donne J-L P dès la première page de ces entretiens ne sont pas seulement anecdotiques. Romain Gary revêtu d’une robe de chambre rouge « afin que le sang qui allait se répandre après qu’il se fut tiré une balle dans la tête, se confonde avec la couleur… Sa mort est une illustration tragique des relations qui peuvent se tramer entre l’écriture, la diplomatie et la vie ». Romain Gary défendant dans Pour Sganarelle sa conception du roman total (et non pas totalitaire) contre les petits maîtres du parisianisme ambiant. Il a choisi son heure, tout en voulant tenir à distance l’horrible vision de la mort violente, comme il s’est lui-même toujours tenu à distance de la médiocrité politicienne afin de préserver l’idéal humain qui vivait en lui.

Pour terminer ce trop bref exposé, voici l’une des dernières remarques de W.K. européen lucide : « Car on ne peut laisser la diplomatie uniquement aux diplomates, comme la politique aux politiciens. Il serait judicieux de continuer à y inclure les poètes et les écrivains, pour arriver opportunément à une objectivation et une concrétisation de l’esprit : elles donneraient de la vérité aux mots et de la justesse aux actes »

Quant à l’épilogue : La Fable du coq et de l’inspecteur général chacun fera son profit de la conclusion « Mais le coq n’avait rien fait d’autre que de rappeler au poète et au diplomate l’extrême vigilance qu’il faut appliquer envers le monde et surtout envers soi-même ».

Une invitation au voyage et peut-être aussi, dans le meilleur sens du terme, un livre de sagesse Une pierre vive pour un humanisme planétaire à construire.


Michel Capmal
10 juillet 2011


- le livre sur le site de L'Harmattan

samedi 9 juillet 2011

Michel Manoll ou les Moissons de la nuit

Ce blog a déjà fait honneur à Luc Vidal et à ses efforts pour continuer à faire connaître ou redécouvrir les poètes de l’École de Rochefort. Avec ce numéro 2 des Cahiers Cadou doté d'une riche iconographie, qui est dédié à son épouse Thérèse, nous entrerons dans l'univers de Michel Manoll. Je laisse Olivier Delettre et Luc Vidal qui en ont été les architectes nous le présenter.


Ces Cahiers d’étude René Guy et Hélène Cadou et de l’École de Rochefort avaient affirmé, dans le premier numéro, ne pas vouloir faire l’éloge aveugle des poètes et grâce à votre soutien, le pari est en passe d’être gagné avec ce second numéro. En choisissant de placer dans la lumière Michel Manoll, nous revenons à la source d’un des choix esthétiques de Cadou et de l’École de Rochefort. Tous, nous connaissons la rencontre décisive entre le jeune poète de seize ans et le libraire-poète de la place Bretagne, elle fut maintes fois racontée… mais lorsque Jean Bouhier recherche les poètes qui formeront l’École de Rochefort, c’est à Manoll qu’il s’adresse parmi les premiers.
Poète trop souvent oublié par les anthologies, Michel Manoll – de son vrai nom Michel Laumonier – était aussi un découvreur de talents dans ses revues, notamment dans Le Pain Blanc, un homme de radio attentif à ses contemporains au tournant des années 50, un romancier, un essayiste… Ce cahier se propose de faire redécouvrir ce poète de la nuit transfigurée qui a tant donné aux autres et qui n’en a pas toujours été payé de retour. Ainsi écrit-il deux livres dans la collection « Poète d’aujourd’hui » de l’éditeur Seghers quand pas un ne lui est consacré… ce sera quasiment chose faite avec le livre de Jacques Taurand, Michel Manoll ou l’Envol de la lumière duquel nous avons extraits quelques passages éclairants sur l’homme et l’œuvre. Et, pour exorciser ce don de soi et célébrer cette clairvoyance, nous avons choisi quelques préfaces et documents inédits qui montrent combien sa vision de ce qu’allait devenir la poésie dite « moderne » est précise dès les années 40. Ajoutons une lettre inédite d’Hélène Cadou demandant à Manoll l’écriture d’un texte présentant l’œuvre de R. G. Cadou pour la collection « Poète d’aujourd’hui ».
Si Mon enfance est à tout le monde, l’autobiographie de René Guy Cadou, s’arrête au seuil de la librairie et de la rencontre avec Manoll, en 1948, R. G. Cadou avait projeté d’écrire la rencontre. L’ouverture des archives du Centre René Guy Cadou a permis de redécouvrir ce cahier et d’en offrir aujourd’hui la primauté de l’incipit. L’écriture de Cadou tente alors de recréer un temps à jamais perdu. Puis, nous interrogeons Jean-Claude Albert Coiffard, qui a étudié au plus près les rapports d’amitié entre les deux poètes dans son livre René Guy Cadou, Michel Manoll : une amitié en plein cœur, afin qu’il nous explique la genèse de cette amitié. Serge Wellens et Marcel Béalu nous font découvrir l’homme qu’il était à travers l’évocation de ce qu’ils ont pu partager. Gilles Baudry complète le portrait en faisant revivre la voix du poète à travers ses poèmes. Jean-Noël Guéno et J.-C. A. Coiffard nous font part de leur lecture de sa poésie. Jean-Luc Pouliquen, quant à lui, continue l’exploration des liens poétiques et amicaux qui unissaient M. Manoll et Gaston Bachelard comme il l’avait amorcé dans le premier Cahier.
Dans la suite de ce numéro, vous pourrez lire une chronique croisant les regards de deux photographes sur Louisfert : Vincent Jacques et Marc Guitteny, car la vocation de ces cahiers est aussi de faire découvrir des « continuateurs » de l’esprit de l’École de Rochefort ou de R. G. Cadou. Puis, nous découvrirons la conférence que Raymond Scévolle avait prononcée en 1955 au Cercle poétique français dans laquelle il confie sa rencontre décisive avec la poésie de Cadou.
Nous espérons que ce second numéro des Cahiers Cadou sera à votre goût comme il l’est pour nous en voulant aussi bien célébrer les poètes de l’École de Rochefort et R. G. Cadou que ceux qui se revendiquent de cet esprit de liberté et d’indépendance.

Olivier Delettre & Luc Vidal


- Le site de la revue

samedi 2 juillet 2011

Les Voix Vives de Sète - Deuxième édition


Après le succès remporté en juillet 2010 - plus de 30000 personnes étaient venues assister aux différentes manifestations incluant lectures, spectacles, soirées d'ouverture et de clôture au cours de laquelle on avait pu remarquer la présence d'Agnès Varda - le festival des Voix Vives de Sète offrira à partir du 22 juillet et jusqu'au 30 juillet sa deuxième édition.
En une année, la Méditerranée dont il se propose de rassembler tous les poètes, aura connu de nombreuses crises et conflits, qui se poursuivent encore. Le festival aura donc une valeur exemplaire et symbolique en se présentant comme un lieu de paix et de dialogue où toute la Méditerranée fera entendre ses voix profondes.
Quelques uns des poètes accueillis récemment dans ce blog y participeront, en particulier Michel Capmal et Frédéric Figeac. Il faut y ajouter Serge Bec qui avait été également l'hôte de nos chroniques.
Les occasions de vivre la poésie collectivement sont rares. Le merveilleux cadre offert par la ville de Sète et cette période privilégiée qu'est le mois de juillet, sont des raisons supplémentaires pour se laisser convaincre.

- le site officiel des Voix Vives