Voici des années, il était de bon ton de proclamer la mort de la poésie et le triomphe inéluctable de la chanson. Seule, elle pouvait assurer et assumer la diffusion du courant poétique de notre époque ! Seule, elle était susceptible d’atteindre le peuple !
Qu’en est-il aujourd’hui ?
« La chanson est poésie » affirme-t-on de tous côtés !
Toute la poésie ? Et en ce cas, pourquoi continue-t-on à écrire des poèmes qui ne seront jamais chansons, qui ne seront peut-être jamais lus ou connus ?
Quand on sait le peu d’audience des livres de poèmes, la mise à l’écart (volontaire ou involontaire) des poètes de la vie de la cité, le pari dangereux des rares éditeurs de poésie, nous dirons que dans notre bonne société occidentale, il est tout simplement suicidaire de continuer à n’écrire que de la poésie ; car enfin, cette reine exilée, non seulement ne passera pas les ondes du petit écran, mais fera toujours écran à notre désir de paraître !
Faite pour le silence, le secret, la pause du temps, la flânerie lente et interminable, au contraire de la chanson, éphémère, passionnée, instinctive …
Certes, la chanson peut-être poétique, celles de Brassens le sont indéniablement, mais lui-même se nourrissant des poètes du passé, affirmait le caractère intemporel de la poésie.
La poésie, c’est le face à face avec nous-mêmes, avec la nature, avec les autres et ce face à face se poursuit inlassablement, sans brisures, à travers les pays et les siècles.
Elle n’a nul besoin « des trompettes de la renommée » c’est pourquoi aujourd’hui, elle subit l’exil mais elle n’est point morte.
La chanson est partage direct, communication facile et émotionnelle ; elle est la sœur la plus conviée de toutes nos fêtes. Pourtant, lorsque l’écho de celle-ci faiblit et s’éteint peu à peu et qu’il ne nous reste alors que la nostalgie, on a envie de se tourner vers la poésie, sœur plus étrange, moins facile à apprivoiser et dont le mystère est toujours aussi grand.
« Chaque jour dit le Renard au petit Prince tu t’assoiras un peu plus près de moi… »
Ainsi s’adresse à tout homme la poésie, tissant avec nous des liens fortement humains et irremplaçables.
Cette longue patience qui monte en nous comme la sève dans l’arbre, est source de bien des joies, de déchirantes confrontations. Mais une fois qu’on l’a connue, on ne peut l’oublier sans mourir.
Michèle Serre
Michèle Serre découvre très tôt la poésie et obtient des prix littéraires aux Jeux floraux de Perpignan (institution très vivante dans les années 60). Cette participation lui permet des rencontres avec d’autres poètes français et catalans mais aussi étrangers notamment Léopold Senghor et Maurice Carême.
Après des études littéraires elle rentre dans une vie professionnelle mais poursuit une expression personnelle sous la forme de poèmes et de nouvelles. Très impressionnée par le livre de Roger Caillois et Jean Clarence Lambert sur le Trésor de la poésie universelle, elle entreprend une recherche approfondie sur les poètes du passé mais aussi sur la poésie actuelle française et étrangère.
Elle publie alors dans des anthologies de poésie aux éditions St Germain des Prés. Malgré des sollicitations elle n’accepte pas cependant les publications à compte d’auteur. Très vite consciente des difficultés d’édition de la poésie, elle crée avec son mari Pierre Sentenac (artiste peintre) des manifestations de poésie-peinture, ce qui lui donne l’occasion d’une mise en valeur de ces deux expressions dans des catalogues.
En 1991, ils concrétisent un projet d’édition confidentielle de livres d’artistes : Le Bien-Vivre, et poursuivent cette tâche jusqu’à aujourd'hui.
Cette édition leur permet d’intégrer d’autres créateurs avec un intérêt particulier pour les livres d’enfants mais aussi à travers une collection : « Passeurs du temps », un approfondissement poétique des chemins de la création de quelques poètes et artistes, le dernier en date : Hartung, un éclair dans la nuit.
La diffusion des livres s’effectue à travers des expositions mais aussi une participation aux salons de poésie notamment à Lodève durant les Voix de la Méditerranée. (Contact Michèle Serre et éditions Le Bien-Vivre : pierresentenac@orange.fr)
- A ses débuts notre groupe des Cahiers de Garlaban a travaillé avec le chanteur Jean-Jacques Boitard qui avait mis plusieurs de nos poèmes en chansons :
Merci pour ce texte sur le rapport poésie et musique. Je l’associe à deux films que j’ai vu récemment : O homem que engarrafava nuvens (un documentaire sur la musique, notamment sur l’expansion du “baião” à travers Humberto Teixeira et Luiz Gonzaga) et Só dez por cento é mentira (sur le poète brésilien Manoel de Barros). C’est justement le sujet de votre chronique qui revient dans leurs images. Les imaginations créatrices et les découvertes des expressions culturelles, surtout dans ce rapport entre musique et poésie. Parler sur cela aujourd’hui est un grand défi, puisque dans les divers domaines qui traitent des relations humaines, c’est souvent un sujet oublié, du moins négligé. Le défi, en fait, sera de traiter la question de façon non arbitraire, mais en valorisant les points de vue sur leurs conséquences culturelles et sociales. Il faut laisser tomber les approches comparatives qui vont normalement décréter une expression artistique comme supérieure à l’autre.
RépondreSupprimerÀ mon avis, quand on parle des arts il faut avoir le sentiment de l’altérité. Alors, nous entrons sur le terrain des relations humaines. Un terrain évidemment plein de paradoxes et de contradictions. Selon Gerd Bornheim, c’est à partir de la découverte du monde des voyages qu’il y a aujourd’hui un nouveau regard sur l’autre. D’après lui «nous affirmons qu’au cours de ce processus, le voyage moderne remet en jeu le statut ontologique de l’identité du même et s’ouvre en direction de la découverte des dimensions de l’altérité de l’autre». En fait, on parle de l’acceptation de l’autre au travers de la découverte. «Poésie n’est pas une description » dit Manoel de Barros : « c’est une découverte !» Découverte des mots, des sonorités ! Dans la musique il y a la même envie. La particularité du langage musical n’est pas seulement la sonorité. Le sens du langage est beaucoup plus que cela. Le rapport poésie et musique nous offre les clés pour comprendre les opérations expressives au travers de la fécondité du langage et du rythme de l’avenir. L’artiste comme a dit Roland Barthes c’est quelqu’un qui assume les jouissances de la langue, les jouissances d’aménagement, les métaphores et la jouissance de la musique. Mais cela n’est pas facile. C’est un apprentissage de la liberté esthétique... Donc, émerge ici un grand voyage vers l’imagination et l’imaginaire. En effet la nouveauté marche peu à peu vers la différence, non pas la différence que Lévi-Strauss a entrevu dans les indigènes brésiliens : je parle d’un rapprochement plus ample, qui a déjà perdu le sens d’exotique. Ce n’est pas une exagération de dire que l’interprétation de ce mot a fait disparaître plusieurs cultures sur la terre. En somme, d’après moi pour parler de poésie et musique dans le monde contemporain, il faut accepter le défi de la découverte de l’autre.
Gaspar Paz