Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 16 novembre 2013

Un bout de chemin avec Andrea Genovese - III

Nous nous attardons aujourd'hui sur l'activité de romancier d'Andrea Genovese en présentant celui de ses romans qui a été traduit et publié pour l'instant en France. Il s'agit de Croissant de lune faucon et marteau paru aux éditions La Rumeur libre en 2011. Voici ce qu'en écrivait Vanessa Del Pizzol dans le n° 225 de la revue Traduire.

Ce roman d’« anticipation », écrit au milieu des années soixante-dix, publié en Italie en 1983, a paru dans sa traduction française en janvier de cette année. Par une singulière conjoncture historique, le sujet abordé dans cette fiction – une guerre de sécession entre le Nord et le Sud de l’Italie – a des résonances d’une actualité confondante. Il suffira de rappeler que l’année 2011 est celle du 150e anniversaire de l’Unité Italienne, un anniversaire controversé, à l’aune d’une géopolitique dominée par des tentations indépendantistes (l’une des plus visibles et des mieux organisées restant celle que prône la Ligue du Nord) opposant le Nord au Sud. Croissant de lune faucon et marteau, en ce sens, propose aux lecteurs d’aujourd’hui une vision qui va bien au-delà des frontières de la « botte italienne ». L’Europe elle-même se voit confrontée à ce type de tensions dans différents pays, que l’actualité ne cesse d’illustrer.

Outre le caractère visionnaire de ce roman, on est frappé par la puissance des sentiments et des interrogations qui traversent le protagoniste. Vanni, reporter de guerre quinquagénaire, parcourt l’Italie du centre (poumon écologique et maquis) vers le Sud pour rendre compte de l’affrontement violent entre la nouvelle « République Populaire » et la « vieille République Parlementaire ». Cette mission d’information, il l’accomplit tant bien que mal, sur le fil de ses doutes et de ses émotions. Son périple le mène du nord de la péninsule jusqu’à l’extrême sud, par un retour symbolique à ses racines siciliennes. Le regard qu’il porte au début du roman sur la nouvelle configuration souhaitée par les révolutionnaires lui paraît pour le moins hasardeuse : « la République Populaire devait s’en tenir, de manière réaliste, à ses frontières naturelles, historiques et culturelles ».
 Le conflit militaire dont certains épisodes s’avèrent particulièrement sanglants fait resurgir une question fondamentale, celle de l’identité nationale : « il s’agissait de l’identité d’un peuple, une identité nationale à réaliser après des décennies de rhétorique, d’exploitation, d’émigration, de corruption, de clientélisme, de mafia ».
 Une identité nationale que Vanni envisage comme une absurdité :« Nous n’avons rien en commun avec les Nordistes. Ni l’histoire, ni la culture. Nous sommes deux peuples différents. Il n’y a pas de cohabitation possible ».

Tout, dans le roman, tourne autour de cette déchirure insurmontable. Qu’il s’agisse de l’engagement des puissances extérieures (Europe et États-Unis d’un côté, Afrique de l’autre) se calquant sur le schéma bien ancré d’une Italie du Nord riche et européenne vers un sud sous-développé dans son économie et ses infrastructures ou bien, sur un plan individuel, des aventures amoureuses de Vanni qui le conduisent d’Angela et Tina, deux italiennes du Nord (la première, militante comme lui, et la seconde, âgée de 16 ans, rencontrée par hasard dans un car) à Zeudj, journaliste libyenne (sorte d’alter ego intellectuel) avec laquelle il noue une brève mais intense relation à Palerme. Cette dernière représente le rêve africain, la seule issue possible pour Vanni pris dans un conflit identitaire fort entre son statut d’intellectuel et un eros décuplé par la guerre, mais également pour une Europe exsangue, tant sur le plan économique que culturel :

"L’homme occidental, l’homme grec, était toujours aux prises avec son défi de titan lancé aux dieux. Même si Zeudi n’était pas le bon sauvage, elle représentait néanmoins une nouvelle phase, une ligne parallèle de l’évolution humaine. Intègre dans ses structures mentales, l’Afrique préparait en sourdine son hégémonie sur l’Europe, pauvre mendiante de pétrole, que le lent étranglement de l’industrie repoussait vers un nouveau et plus atroce âge de la pierre."

Croissant de lune faucon et marteau
, outre la réflexion qu’il propose sur l’Italie contemporaine et son identité nationale, sérieusement mise à mal ces derniers temps, s’attache notamment à redéfinir une certaine vision de la littérature et des armes dont elle dispose dans un contexte (celui de la guerre telle que l’auteur choisit de la mettre en scène ici) qui exige de la population un positionnement, un engagement. L’engagement, tel est le maître mot qui définit cette première œuvre romanesque livrée à la publication et qui augure de belle manière l’ampleur de l’écriture narrative et biographique dans laquelle l’auteur s’est plongé par la suite, donnant naissance à une suite de romans qui retracent un parcours littéraire et humain particulièrement dense. Le souffle romanesque, l’existence d’un véritable style qui s’abreuve à la poésie, au théâtre et au journalisme, définissant un geste d’écriture ambitieux, sans oublier le questionnement philosophique et politique sur la place de l’homme dans la société, son rapport avec la nature, le rôle de l’Église catholique, ne pourront qu’emporter le lecteur au fil des pages.

L’intérêt de ce roman réside enfin dans le travail de traduction mené tambour battant par le traducteur, Andrea Iacovella, qui est également un ami de longue date et l’éditeur de l’auteur. Italien d’origine maîtrisant parfaitement l’italien et le français, engagé lui aussi dans la littérature (italienne), poète à ses heures, il a voulu faire entrer Croissant de lune faucon et marteau dans le cercle du lectorat français en offrant un rendu du style remarquable, compte tenu des traits caractéristiques de la plume de Genovese (dialecte sicilien, création de mots, références latines et grecques, mélange d’ironie cinglante et de tendresse sensible…) qui font de la traduction un véritable travail de ciselage.

Vanessa Del Pizzol

Complément :

1 commentaire:

  1. Je me souviens d'un mouillage sur la petite île désertée de Spargi avec notre voilier. L'amarrage d'un bateau à moteur de taille XL, un milanais qui voguait au compas depuis Livorno.
    Nous parlâmes à l'époque (1978) des relations Nord-Sud.
    Et lui d'invoquer un tsunami pour faire disparaitre ce mezzogiorno parasite, "tutti affondati" disait-il !
    Il va falloir lire Genovese avec cette toute nouvelle traduction !

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