Quand revient juillet, je repense à ces années heureuses où je me rendais à Lodève pour participer au festival international de poésie Les Voix de la Méditerranée. Le temps a passé et déjà quelques membres de l'équipe d'animation à laquelle j'appartenais nous ont quittés. Ainsi de Bernard Mazo en 2012, de Kolja Micevic en 2020, et de Nicole Drano en 2023. C'est avec beaucoup de tristesse que j'ai appris au mois de mars dernier que Denise Boucher les avait rejoints.
Denise Boucher faisait un long voyage pour nous retrouver en terre languedocienne puisqu'elle arrivait du Québec. Sa joie de vivre, son humour, sa voix chaleureuse rendaient sa présence lumineuse et nous avions plaisir à compter parmi nous cette forte personnalité qui représentait sur nos rivages méditerranéens les Latins d'Amérique du nord. Les quelques livres que j'ai d'elle vont me permettre de la présenter.
Ce livre de poésie paru en 2002 dans lequel elle est associée à Andrée Appercelle, déjà présentée dans ce blog, a été publié dans la collection Vis-à-Vis dirigée par Claudine Bertrand. Cette collection se propose de rassembler deux voix poétiques dans un même ouvrage, l'une d'ici et l'autre d'ailleurs, invitant à un voyage intérieur dans lequel audace, passion et risque seront convoqués. J'ai choisi de reproduire le poème de Denise Boucher dont le titre est également celui de son recueil :
ACTES DE VIE
avec les oies revenues
qui figurent au ciel
les calligrammes d'Apollinaire
avec les bontés
qui mouillent dans vos yeux
et m'ancrent à vos côtés
avec le perce-neige phœnix
qui fend la contradiction blanche
pour se darder au soleil
avec le jour d'avril
qui s'allonge sur le divan
pour que l'on s'aime toujours
avec la porte enfin ouverte
d'où l'on voit le voisin
sortir son râteau
avec la débauche rappelée
qui découvre les herbes
et les corps fatigués
avec cette chaleur
qui grimpe déjà en nous
bien avant les pivoines
avec ces graines des fleurs
de l'an passé même si on me dit
qu'elle ne m'appartienne plus
je respire déjà les résurrections

Les Fées ont soif est une pièce de théâtre qui fait date dans la vie de Denise Boucher tout autant que dans l'histoire culturelle du Québec. Lorsqu'elle fut jouée pour la première fois en 1978, elle créa une véritable révolution dans les esprits et échappa de peu à la censure. Voici ce qu'en dit Lise Gauvin dans sa préface de l'édition de 1989 : "Du manifeste, Les Fées ont soif a encore et surtout l'aspect iconoclaste. Au sens propre et fort du terme. [...] Les archétypes de la Vierge, de la mère et de la putain, plus qu'un système de représentation théâtrale efficace, sont les fondements mêmes sur lesquels on s'est appuyé pour évacuer la femme de sa propre histoire et de son corps. L'originalité de la pièce a été de lier les trois images, d'en faire une trinité opérante et parlante, capable de dénoncer ses peurs, ses manques et, par-dessus tout, son état de latence. [...] A la violence des actes et des modèles, Les Fées opposent la machine désirante du je se constituant comme sujet. Et ce, au risque de l'anarchie libertaire."

Une Voyelle paru en 2007 est un récit autobiographique dans lequel Denise Boucher nous fait partager soixante-dix ans de sa riche existence. On la suit depuis son enfance à Victoriaville jusqu'à ces dernières années où elle est souvent venue en France. D'abord enseignante, elle est ensuite devenue journaliste avant de s'affirmer comme écrivaine, poétesse, dramaturge, romancière et auteure de chansons. Femme de nombreux combats, elle a toujours pris le parti de la liberté contre toutes les formes d'oppression, rencontrant en chemin de grandes figures de la poésie et de la littérature comme Gaston Miron par exemple. Comme le souligne son éditeur : "A travers elle, on lira le parcours d'un Québec qui a émergé de l'eau bénite pour s'enfoncer dans le maquis de la contre-culture avant de se retrouver à l'air libre. Mais c'est au soleil de la poésie que l'auteure s'échauffe encore et toujours, une poésie saine et belle, humaniste, qui imprègne d'une beauté courageuse les pages de cette autobiographie."
Donnons lui la parole pour terminer cet hommage :
Complément :