Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

vendredi 8 janvier 2010

Amitié & Création II

Pour poursuivre sur ce thème, voici quelques poèmes écrits par Jean Monod après la mort de Franco Beltrametti en août 1995.


UN AMI C’EST UN DIEU QUI L’ENVOIE

Tâtant du pied
comme un bain glacé
la vieillesse
il
s’envole


Le cœur pense
en tombant
« n’est plus »

pensée sauvage
accrochée au mur


Bien que ce jour
ne soit pas
très différent
de ces autres jours
il ne le voit pas

même lumière
lavée d’elle-même
par le vide


Ironie du soleil
longue ardente
sous les pins
les enfants jouent
dans la clarté d’un jour
où tu n’es plus


En peu de mots
passent
les uns après les autres

la vie passe plus vite
que l’esprit

Amour fou
foudroyant
sans trace

friends for
as far
as we can see



GOLDFISH

Where are you
Goldfish mio ?
Don’t tell me
you are dead

Where the eye
of this shallow sky
in the open herb
where bamboo grows ?

Presently I’m building a castle
between Andromede and Sirius
Should be finished to morrow
where the sun eclipses the moon
partly at 3 p. m.


Où es-tu mon Poisson d’Or ?
ne me dis pas que tu es mort
où est l’œil de ce peu profond ciel
entouré d’herbes où pousse le bambou ?

A présent je construis un château
entre Sirius et Andromède
il devrait être fini demain
quand le soleil éclipsera la lune
en partie à 3 heures de l’après midi.

Derniers bouts
de bambou
Plus de danger
tanguer

Big Bazar
Big Rest
Big Bang
No Thing



sometimes
it happens
that you’re here &
we see each other
fast

like
coming on
in a distant boat
still filled
with live ghosts

you in me
you dear
me giving you my
words you giving
birds

Jessie



Visiting again
Theo’s garden – some more trees
from around

Mousses bleu ciel
sur les troncs noirs – Théo
poissons dans la main.

Jessie



… Il y a un chemin qui s’efface
à mesure qu’il se trace
dans cette maison
(ses poutres, ses murs de plâtre étalé à la main...)

Parfois quelque chose revient en l’air
qui éclaire toute la mémoire

“Tu m’as passé le relais
que je cherchais dans les affres
nous avons tendu cette embuscade”


Je ne te quitte plus
je t’emporte où je suis.



FIN DE NUIT

Nous refaisons toutes les fins de nuit
l’expérience de la vie qui s’en va
« comme un songe »

L’homme au réveil est comme celui
qui se souvient d’un rêve
et ne s’en souvient plus

D’un ami on se souvient
quand la mort est venue pour lui comme
« plus de lendemain »

Quand sa mort a fait de tout
le temps à vivre encore
« lui jamais plus »

Ce moment, cette fin
sa vie interrompue
quel froid dans le cœur encore

te saisit chaque fois
qu’en revient le souvenir
dans un refus

comme un baiser
sur des lèvres
qui ne le sentent plus.


Est-ce qu’on tombe
dans la mort
ou est-ce elle qui
remonte notre vie
d’un seul souffle
jusqu’à son premier cri ?

Le passage de la mort
avant la mort
comme un rêve oublié
aujourd’hui en toi
comme une figure familière

pourquoi n’écris-tu plus tes rêves ?


Jean Monod



Compléments :

- Franco Beltrametti présente Leçon du coeur Jeu de la mort de Jean Monod paru en 1995 :

Un recueil de vingt-huit ans de poésie, qui "bouge" d'un classicisme limpide ("tu es reine tu n'es rien je te regarde") à une philosophie provocante ("Il aurait, je crois, parlé de mouches") à un expérimentalisme déroutant ("Avant je creusais / maintenant j'avance") à une grâce zen ("Je regardais dans le jardin. / Sans doute un insecte. / C'était la nuit.") - juste pour signaler quatre directions.

Vous voyez comme elles sont interchangeables, et il y en a beaucoup d'autres. Leçons du cœur jeu de la mort de Jean Monod est un volume monolithique qui articule des expériences diversifiées, dont la caractéristique commune est le désir d'une prise directe et quotidienne sur le réel, prise à laquelle l'auteur a été d'une redoutable fidélité.

Les choses sont abordées, interrogées et poussées aux limites, «l'émotion dévastatrice», ni romantique ni antiromantique, est balancée par une pratique d'objectivation qu'on peut qualifier de classique au sens noble du terme. Il s'agit d'une attitude plutôt que d'une formalisation - et ceci est bien intrigant. Peut-on combiner Stendhal avec un chamane? Jean Monod, dans son écriture, semble prouver que oui.

Il est (ou a été, ou sera) anthropologue de pointe (voir son premier livre-enquête Les barjots, entrepris en 1966 à l'instigation de Claude Lévi-Strauss; et vingt ans plus tard Wora, la déesse cachée, sur les Indiens Piaroa de l'Amazonie vénézuélienne et sur les mutations du chercheur Jean Monod). Il a fait du cinéma comme réalisateur (Histoire de Wahari, 1975) et comme acteur (Dionysos de Jean Rouch, 1984); il a été romancier (Raid, 1990, une visite intense aux Indiens Lakota); il s'est occupé d'astronomie et de philosophie free-wheeling. Poète-voyageur au Japon (Distante écume, 1992), vidéaste (Qu'est-ce qui se passe? 1994), il est aussi éditeur: voir les livres AIOU et la revue internationale de poésie-image du même nom.

Un nouveau front est celui de la performance ou poésie-action, où il explore de nouvelles situations avec la danseuse japonaise Kagumi; un autre est la traduction de la poésie - de l'anglo-américain (Tom Raworth, Cid Corman, Duncan McNaughton, Scarecrow, James Koller), de l'italien (Dario Villa, Patrizia Vicinelli, Corrado Costa,Franco Beltrametti), de l'espagnol (Arystéides Turpana), du japonais (Nobu Wada), seul ou avec le groupe B.T.G.

Personnage aussi direct que complexe, Jean Monod, par son écriture aussi instantanée qu'élaborée, offre de manière frappante des parcours et des niveaux qui laissent au lecteur une liberté de lecture subtilement projectuelle. Disons que Jean Monod est un écrivain qui aime transmettre des choses simples de façon articulée et des choses articulées d'une façon très directe, ce qui fait la dynamique "savante" de ces textes qui se renvoient les uns aux autres avec une clarté cohérente, combinée avec un "laisser-faire" qui est une porte ouverte à la totalité toujours reculée. Et ceci semble correspondre à une confiance positive, vécue par l'auteur dans la vie et l'art, et désirée dans ce que j'appelle, faute d'un meilleur terme, l'utopie possible.

Expérience rare. Et livre nécessaire. Nécessaire pour l'auteur, qui a voulu marquer certains points de "tout" son travail, et nécessaire pour le lecteur, qui désormais peut se confronter à une pensée riche et composite projetée avec rigueur dans une continuité surprenante d'invention d'écriture-action.

Ceci est d'une profondeur significative, tant dans le contexte de l'avant-garde actuelle que, j'y insiste, dans le renouvellement d'un classicisme serein qu'on pourrait, parfois, dire traditionnel - si par tradition on entend aussi bien la "sauvage" que l'européenne, non moins sauvage.

Voulez-vous voir comment la pensée amazonienne se combine avec celle des philosophes pré-socratiques, celle-ci avec la "poésie-experiment", et, surprise permanente, avec le goût solide du jeu spontané et sophistiqué? Lisez Leçons du cœur jeu de la mort et vous m'en direz quelque chose. Après plusieurs lectures croisées de ce volume puissant et consistant de 275 pages choisies, on peut confirmer la justesse de l'observation d'Ezra Pound via Basil Buntig, que la poésie - Dichtung en Allemand - signifie "faire dicht", faire dense. Jean Monod écrit avec une légèreté admirable des choses d'une extrême densité. Ce livre va durer. En plus j'ai des raisons bien fondées de croire qu'il nous prépare d'autres renouvellements métamorphiques, d'autres surprises. Dans quelles directions, quels domaines? Jean Monod est sans aucun doute un des maîtres actuels du "nécessaire" dans l'art non-dualiste et transgressif du make it new.

«C'est un repaire de dragons, me dit-il.» (page 269) - et je m'arrête là.


Franco Beltrametti
Riva San Vitale, 1er juin 1995

le site dédié à Franco Beltrametti

1 commentaire:

  1. Marly Bulcão (philosophe - Brésil)16 janvier 2010 à 03:01

    Je voudrais ajouter à les réflexions sur les amis un texte de Gaston Bachelard et un poème de Fernando Pessoa qui nous enseignent qu’il faut vivre le sentiment d’amour et d’amitié pour l’autre pour qu’on puisse se connaître à soi même.
    Marly Bulcão

    Que m’importent les fleurs et les arbres, et le feu et la pierre, si je suis sans amour et sans foyer ! Il faut être deux ou, du moins, hélas ! il faut avoir èté deux pour comprendre un ciel bleu, pour nommer une aurore !
    Bachelard

    Meus amigos são todos assim: metade loucura, outra metade santidade. Escolho-os não pela pele, mas pela pupila, que tem que ter brilho questionador e tonalidade inquietante.
    Escolho meus amigos pela cara lavada e pela alma exposta.
    Não quero só o ombro ou o colo, quero também sua maior alegria.
    Amigo que não ri junto, não sabe sofrer junto.
    Meus amigos são todos assim: metade bobeira, metade seriedade.
    Não quero risos previsíveis, nem choros piedosos.
    Quero amigos sérios, daqueles que fazem da realidade sua fonte de aprendizagem, mas lutam para que a fantasia não desapareça.
    Não quero amigos adultos, nem chatos.
    Quero-os metade infância e outra metade velhice.
    Crianças, para que não esqueçam o valor do vento no rosto, e velhos, para que nunca tenham pressa.
    Tenho amigos para saber quem eu sou, pois vendo-os loucos e santos, bobos e sérios, crianças e velhos, nunca me esquecerei de que a normalidade é uma ilusão imbecil e estéril."

    Fernando Pessoa

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