Tous les poètes de langue d'Oc que j'ai présentés jusqu'à ce jour se situaient sur le territoire français. Pourtant l'occitan se parle au delà de nos frontières, en Espagne et en Italie. Nous en avons le témoignage avec Claudio Salvagno qui vit à Bernezzo près de Cuneo et développe une œuvre poétique qui ne cesse avec les années de s'étoffer. La revue OC, les éditions Jorn ont déjà publié ses poèmes. Il figure dans l'anthologie Camins dubèrts de Jean Eygun dont j'ai rendu compte il y a peu. Il y a deux ans Claudio Salvagno était l'invité du festival Voix Vives de Sète. Il m'avait à cette occasion offert son recueil L'autra armada qui contenait en version trilinge (français, italien, occitan) un long poème intitulé Tal dédié à une poète israélienne que l'auteur avait eu l'occasion de rencontrer quelques années plus tôt à Lodève. Il y a peu Claudio Salvagno m'a fait parvenir son dernier livre qui reprend le même titre L'autra armada mais contient de nouveaux textes comme Lo cotel de Tbilisi, Après la tuba, Clars bas auxquels s'ajoute une étude sur l'auteur par Giovanni Tesio. Cette fois l'ouvrage est en italien et en occitan. Pour en avoir un avant-goût voici un extrait du long poème dédié à Tal dont j'ai choisi la version en français et en occitan.
Tal,
je suis sûr que la lumière, le vent muet
qui me regarde du haut de ce matin
pendant que je traverse la première neige
e me tombe dans la vie
c’est le même matin qui en soufflant lève la poussière
et s’enfile dans tes cheveux pendant que tu marches dans l’emboutillage
sous le regard des pères perdus long les murs
où les adolescents ne seront jamais à l’abrit des désirs de revanche.
Quatre automnes sont passés Tal
et une haleine qui fatigue les arbres et fait pourrir l’herbe
est montée ici
ici où la glace donne l’eau pour tous.
Le temps inutile est arrivé
Le temps du choléra
Non, je ne nous vois pas dressés comme des gardes
à faire barrière, à faire rempart en attendant
qu'arrive un nouvel ennemi. Pas davantage
je ne nous vois courbés
sous le doigt de quelqu'un qui nous fasse épeler
comme des écoliers débutants et qui nous aide à tracer des limites
sur un papier déjà trop petit, trop gribouillé,
un maître qui nous apprenne autre chose
qui ne soit pas la ligne de séparation qui court
entre la langue et le coeur.
Non, nous sommes le hurlement bleu du nuage lion
nous sommes le tigre qui court dans la conjugaison du torrent
nous sommes le balbutiement sombre du feuillage
l'illusion du vent d'avril.
Nous sommes les molènes, nous sommes les asphodèles
dans les clairières de la forêt.
Ce matin tes lèvres lointaines
l'éclair de tes yeux qui aussitôt s'éteint
et laisse s'évanouir ton visage dans l'ombre
viennent me chercher
dans cette maison étrangère
qu'aucun souvenir douloureux n'ébrèche
pure, dominant le vacarme du monde
la cuisine dans sa chair blanche
de désirs, vit ses rêves hors du gel.
Ici les gens, sans plus le poids de la terre,
arrosent de regards une ville où les hauts immeubles
dressent leurs pierres claires contre un ciel
trop vaste. Vieux cinémas, bars étroits, étals de poissonneries
rues qui se resserrent en ruelles où les pas flottent
et les voix volent au vent comme flocons.
Après tant d'années de guerre
l'illusion vaincue revient
et comme si n'existaient pas de traces où je suis passé
ma bataille ne passe pas et je ne sais pas
si le meilleur droit que j'aie
n'est de combattre et vaincre avec le seul plaisir
celui qui plus fort me combat
ou bien regarder passer l'armée des jours
laisser passer la fièvre
et attendre que tout ce qui m'appartient
se disperse comme fétu au vent, comme poussière de serpolet
se défasse avec moi, s'évapore derrière les coteaux.
....
Claudio Salvagno
(Traduction Jean-Michel Effantin e Vincenza Giordano)
Claudio Salvagno
Nòtas :
Tal Nitzan, poètessa israeliana
je suis sûr que la lumière, le vent muet
qui me regarde du haut de ce matin
pendant que je traverse la première neige
e me tombe dans la vie
c’est le même matin qui en soufflant lève la poussière
et s’enfile dans tes cheveux pendant que tu marches dans l’emboutillage
sous le regard des pères perdus long les murs
où les adolescents ne seront jamais à l’abrit des désirs de revanche.
Quatre automnes sont passés Tal
et une haleine qui fatigue les arbres et fait pourrir l’herbe
est montée ici
ici où la glace donne l’eau pour tous.
Le temps inutile est arrivé
Le temps du choléra
Non, je ne nous vois pas dressés comme des gardes
à faire barrière, à faire rempart en attendant
qu'arrive un nouvel ennemi. Pas davantage
je ne nous vois courbés
sous le doigt de quelqu'un qui nous fasse épeler
comme des écoliers débutants et qui nous aide à tracer des limites
sur un papier déjà trop petit, trop gribouillé,
un maître qui nous apprenne autre chose
qui ne soit pas la ligne de séparation qui court
entre la langue et le coeur.
Non, nous sommes le hurlement bleu du nuage lion
nous sommes le tigre qui court dans la conjugaison du torrent
nous sommes le balbutiement sombre du feuillage
l'illusion du vent d'avril.
Nous sommes les molènes, nous sommes les asphodèles
dans les clairières de la forêt.
Ce matin tes lèvres lointaines
l'éclair de tes yeux qui aussitôt s'éteint
et laisse s'évanouir ton visage dans l'ombre
viennent me chercher
dans cette maison étrangère
qu'aucun souvenir douloureux n'ébrèche
pure, dominant le vacarme du monde
la cuisine dans sa chair blanche
de désirs, vit ses rêves hors du gel.
Ici les gens, sans plus le poids de la terre,
arrosent de regards une ville où les hauts immeubles
dressent leurs pierres claires contre un ciel
trop vaste. Vieux cinémas, bars étroits, étals de poissonneries
rues qui se resserrent en ruelles où les pas flottent
et les voix volent au vent comme flocons.
Après tant d'années de guerre
l'illusion vaincue revient
et comme si n'existaient pas de traces où je suis passé
ma bataille ne passe pas et je ne sais pas
si le meilleur droit que j'aie
n'est de combattre et vaincre avec le seul plaisir
celui qui plus fort me combat
ou bien regarder passer l'armée des jours
laisser passer la fièvre
et attendre que tout ce qui m'appartient
se disperse comme fétu au vent, comme poussière de serpolet
se défasse avec moi, s'évapore derrière les coteaux.
....
(Traduction Jean-Michel Effantin e Vincenza Giordano)
Tal,
siu segur que lo clar, l'aura muta
que da l'aut d'aquest matin me gacha
mentre traverso la prima neu
e me tomba dedins la vida
es lo mesme matin que a bufs leva la possiera
e s'enfila dins i tiei pels, mentre traverses lo trafic
sota l'agach di paires perduts arlong i murs
que arparan ren i garrions dai desirs de arvenja.
Son passats quatre tardors, Tal
e un alen que fai guchir i àrbols e marçar l'erba
es remontat finde aicí
aicí ente lo glaç fai l'aiga per tuchi.
Es arrubat lo temps inutil
lo Temps dau Colera.
Non, veio ren nos dreits coma usoards
a far barriera, a far mur ent l’esper
qu’arrube un novel 'nemic. Tant pus
nos veio ren doblats
sot lo det de qualqu'un que nos fague silabar
coma noveis escoliers e que nos ajude a traçar confins
sus un papier já tròp pichòt, tròp escaraboclat
un mestre que nos mostre qualcòsa d’autre
que sie ren la reia de la desbòina que cor
entre la lenga e lo còr.
Nos, sem lo bram bloi de la niula lion
sem la tígria que cor dins la coniugacion dal bial
sem lo gargotear borre de la bronda
l’engan de l’aura d’abril.
Nos sem i levions, siem la porracha
dins i esclarzòles dal bosc.
siu segur que lo clar, l'aura muta
que da l'aut d'aquest matin me gacha
mentre traverso la prima neu
e me tomba dedins la vida
es lo mesme matin que a bufs leva la possiera
e s'enfila dins i tiei pels, mentre traverses lo trafic
sota l'agach di paires perduts arlong i murs
que arparan ren i garrions dai desirs de arvenja.
Son passats quatre tardors, Tal
e un alen que fai guchir i àrbols e marçar l'erba
es remontat finde aicí
aicí ente lo glaç fai l'aiga per tuchi.
Es arrubat lo temps inutil
lo Temps dau Colera.
Non, veio ren nos dreits coma usoards
a far barriera, a far mur ent l’esper
qu’arrube un novel 'nemic. Tant pus
nos veio ren doblats
sot lo det de qualqu'un que nos fague silabar
coma noveis escoliers e que nos ajude a traçar confins
sus un papier já tròp pichòt, tròp escaraboclat
un mestre que nos mostre qualcòsa d’autre
que sie ren la reia de la desbòina que cor
entre la lenga e lo còr.
Nos, sem lo bram bloi de la niula lion
sem la tígria que cor dins la coniugacion dal bial
sem lo gargotear borre de la bronda
l’engan de l’aura d’abril.
Nos sem i levions, siem la porracha
dins i esclarzòles dal bosc.
Esto matin i ties labres dalònh
l’esluci di tiei uelhs que subit se estup
e laissa morir lo morre ent l’ombra
me venen a querre
dins aquesta casa forestiera
ren entemenaa da recòrds de dolor
genica, auta sobre la vronior dal monde
la foganha dedins sa carn blancha
de desirs, viu i siei sòmis sensa jalat.
Aquí i gents, perdut lo greu de la terra,
bealen d’agachs 'na vila ente caseis auts
leven i sies peires clares contra un cel
tròp larg. Cines vielhs, bars estrenchs, boteies de peisson
camins que se sarren dins i quintanes ente i pas galegen
e i vòutz son pelons a l’aura.
Après un barron d’anhs de guerra
retorna l’engan perdut
e coma se i foguesse pas de peaas ente siu passat
ren passa la mia batalha, e sabo ren
se ja eu melhor dreit no aia
qu'ab lo sol depòrt venz'e guerrei
aquel que plus fòrt me guerreia
o gachar passar l’armada di jorns
laissar passar la freu
e 'speitar que tot aquò qu’es miu
se perde coma oloc, coma possiera de poiòl
se desface abó mi, s'esvapore darreire i broes.
...l’esluci di tiei uelhs que subit se estup
e laissa morir lo morre ent l’ombra
me venen a querre
dins aquesta casa forestiera
ren entemenaa da recòrds de dolor
genica, auta sobre la vronior dal monde
la foganha dedins sa carn blancha
de desirs, viu i siei sòmis sensa jalat.
Aquí i gents, perdut lo greu de la terra,
bealen d’agachs 'na vila ente caseis auts
leven i sies peires clares contra un cel
tròp larg. Cines vielhs, bars estrenchs, boteies de peisson
camins que se sarren dins i quintanes ente i pas galegen
e i vòutz son pelons a l’aura.
Après un barron d’anhs de guerra
retorna l’engan perdut
e coma se i foguesse pas de peaas ente siu passat
ren passa la mia batalha, e sabo ren
se ja eu melhor dreit no aia
qu'ab lo sol depòrt venz'e guerrei
aquel que plus fòrt me guerreia
o gachar passar l’armada di jorns
laissar passar la freu
e 'speitar que tot aquò qu’es miu
se perde coma oloc, coma possiera de poiòl
se desface abó mi, s'esvapore darreire i broes.
Claudio Salvagno
Nòtas :
Tal Nitzan, poètessa israeliana
Compléments :
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