Un Griot en Provence de Jean-Luc Pouliquen, est un récit de jeunesse, qui se retrouve tel un petit sachet de lavande : intact, préservé, au fond d'une armoire provençale. Il a conservé le parfum un peu suranné, mais au fond intemporel d'une "mémoire sans tain", à laquelle j'emprunte cette image. (
Comme deux draps blancs,
Mémoire sans tain, Jean-Luc Pouliquen, page 140.)
"Auto-fiction , ou "roman personnel", basé sur des éléments réels, il revenait d'Afrique, pour redevenir en Provence. "Moussa" est à la fois un prénom inventé et le symbole de la jeunesse africaine étudiante avec laquelle il a amorcé un dialogue. Plus profondément, il s'agit d'un "roman d'initiation", dans lequel le sujet s'interroge à travers une quête identitaire, sur le rapport de l'homme avec sa terre natale.
"C'est alors que j'eus l'impression que l'on me soufflait quelque chose à l'oreille. Griot, mais oui Moussa tu as raison. Je pourrais être le griot de la Provence...." (Quatrième de couverture.
Un Griot en Provence.)
Le Griot, poète et musicien originaire d'Afrique noire, marque une conception plutôt révolutionnaire de la Provence. "Un griot en Provence" est plus qu'un simple provençal, qui le soir ferme les portes et les volets bleus de sa jolie maison aux tuiles rouges. Le "félibre" fige le provençal, dans une conception passéiste et pour l'auteur, il est temps de "faire éclater les catéchismes et les idéologies" . En parallèle avec les tribus d'Amazonie, vivants dans des huttes, il choisit plutôt le cabanon en tant que "lieu de résistance", ou le fébrile poète se réfugie, portant en lui des valeurs soleils, éternelles.
Ce griot provençal, entretient peut-être un "lien secret", avec l'
Oiseau de feu du Garlaban. Si le feu est l'un des quatre éléments, il représente également la force primitive, instinctive, spirituelle et même comme l'auteur me l'a confié "la racine cosmique". Un feu ou l'Afrique et la Provence, se retrouvent en amies, pour ne faire qu'un seul soleil, une lumière plus intense...rougeoyante. Fasciné par la dualité du feu, il meurt et renaît à travers cette initiation poétique, qui semble lui conférer les pouvoirs du feu : "il ne me restait plus qu'à tout brûler dans un grand feu"..."Un tas de feuilles qui se consume en automne, au couchant, la fumée qui s'en échappe, reste en suspension dans un ciel cristallin : c'est la plus belle image qui me restera de ce jardin." (p.26)
Griot d'Afrique, dépositaire de la mémoire, le Provençal transmet sa langue, tel un chant, une musique, une poésie, un conte...de génération en génération. La langue soude au pays, cimente le sol de la terre natale. L'auteur avait déjà évoqué cette volonté de réappropriation de la culture des territoires de langues d'oc, qui va bien au-delà de la Provence. "Entre Gascogne et Provence", se trouverait la langue d'or...(
Entre Gascogne et Provence. Entretiens avec les poètes Serge Bec et Bernard Manciet. Edisud 1994). Culture au sens propre et figuré, il s'agit aussi de transmettre sa terre, ce qui signifie : préserver le patrimoine de la Provence dans des projets collectifs, proches de la nature, tel que reboiser.
Griot universel. Homme d'ici et d'ailleurs, n'importe qui.... Il ressent le besoin de vivre dans la pauvreté, la simplicité, tel qu'il le fera plus tard au rythme d'un quartier : "La Goutte d'Or" à Paris, en immersion poétique. (
A la Goutte d'Or. Paris 18ème - Chroniques pour un quartier. AIDDA éditions, 1997) Si le Griot inscrit l'histoire de sa tribu dans le temps, le poète écrit dans des ateliers avec des enfants, le passé de ce quartier populaire de Paris, au cœur d'un métissage culturel. Plus qu'une immersion, il s'agit d'une véritable mission : construire une identité collective en dépassant les rivalités.
Griot cosmique. Il ouvre ses ailes en Provence, pose et repose ses bagages, mais ce n'est qu'un point de départ, une ancre pour un poète méditerranéen. Le Griot à sa manière voyage sous "l'Empire du soleil" (expression de Frédéric Mistral), de la Provence au Monde entier, comme un pèlerin marchant sur la terre mosaïque, emportant seulement sa Provence, dans son sac à dos...