Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 21 janvier 2017

Le souvenir de Michel Miniussi

Michel Miniussi (1956-1992) était un écrivain occitan que ses amis n'oublient pas. Ils continuent d'éditer son œuvre d'un grand raffinement restée pour une bonne part encore inédite. Jean-Pierre Tardif, déjà intervenu dans ce blog, m'a aimablement autorisé à reproduire ici la présentation qu'il a faite de Gràcias (Non deo) dernier livre paru de Michel Miniussi.


Les textes réunis ici, à la suite des recherches de Xavier Bach et du travail de Stéphane Lombardo pour la mise au point de la version occitane ainsi que pour la traduction de la première partie du recueil, ne sont pas des œuvres « secondaires ».

Les lecteurs qui découvriraient l'écriture de Michel Miniussi pour la première fois à travers le présent ouvrage la découvriront au fil des pages dans tous ses traits constitutifs. De plus, ils auront accès à la source, à l'origine même de ce qui sera le parcours littéraire du jeune écrivain,  tant pour ce qui est du traitement des thèmes que pour la langue. Et cette approche « originelle », où les lieux sont directement présents, avec les noms mêmes qu'ils ont dans la réalité, où le désir et ses configurations les plus charnelles sont au cœur des textes, s'avère particulièrement troublante et bouleversante.

Certes, il y a ici, comme dans toutes les œuvres de Michel Miniussi, cette grâce singulière qui s'attache à l'évocation simultanée, sur les ailes du désir, des paysages et des êtres, où le frôlement est toujours en même temps celui de la lumière et des corps. Il y a les échos littéraires et artistiques mobilisés par l'auteur, - échos qui, pour l'écriture occitane , vont des Troubadours aux auteurs du XXe siècle, Denis Saurat, Jean Boudou et Henri Espieut, entre autres. Sans oublier les auteurs italiens et français.

Mais qu'on ne s'y trompe pas : l'évocation des lieux, des moments et des résonances littéraires qui les accompagnent, prend toujours ici le relief de la vie, dans les battements de cœur des êtres qui la vivent, dans la nudité désirante des corps qui est en même temps la beauté éperdue des âmes. C'est le « chant des corps » magnifiquement célébré par l'auteur, en particulier quand l'être aimé est « plus que nu  ». Et, dans ce contexte, le « chant des poètes », loin de toute « littérature » a justement lui-même cette vie profonde, cette vibration sensible :
« Les mots dans les bouches avaient chair et sang. Aux oreilles ils tintaient, chants d'amour. La poitrine, le visage et les bras, rien ne manquait et tout était offert, fruit, en ces poèmes - Paul Valéry, Dionisi Saurat, Arnaut Daniel – qui gardaient en eux-mêmes un être vivant. »

On l'aura compris, l'écriture de Michel Miniussi, qui mobilise si « précieusement » tant de sources, et qui se déploie esthétiquement, comme on a pu le dire, sous le signe du « baroque », est le contraire même de l'érudition. Le défi, pour l'auteur, était de donner vie à une quête bouleversée d'amour dans des mots et dans un rythme qui soient à la hauteur du désir qui l'animait, qui le portait. Et c'est là que prend sens le choix singulier de la langue d'oc. Que le lecteur relise simplement dans la version occitane originelle le passage ci-dessus, pourtant magnifiquement traduit en français par Stéphane Lombardo, pour avoir une idée de ce que peut apporter la langue d'oc à l'évocation bouleversée du désir et de l'amour. Qu'il aille plus loin, s'il le veut, s'il le peut, avec la lecture de tout ce qui concerne l'« environnement » de la quête, la description des lieux de l'errance amoureuse, Toulouse, Montpellier, la Côte d'Azur, Rome, notamment - lieux eux-mêmes hantés par ce désir que surplombe souvent le spectre de la mort - et il pourra comprendre combien le recours au provençal a été pour l'auteur une nécessité sensible, osons-le dire : une nécessité véritablement « physique ». C'est la langue d'oc, non seulement dans les mots, mais dans le rythme même des phrases, qui donne à cette écriture toute sa sensualité. La langue n'est donc pas une simple « enveloppe verbale ».  A moins de penser avec Paul Valéry, l'un des auteurs souvent cités par Michel Miniussi, que « ce qu'il y a de plus profond dans l'homme c'est la peau ». La peau des mots de la langue d'oc au service de la peau de l'être, de l'intensité véhémente de la quête amoureuse...

C'est en particulier pour cela, pour inciter à un effort de lecture directe dans la langue, que cette édition ne propose pas de traduction de la deuxième partie du recueil  : les textes y apparaissent dans leur version originelle, tels qu'ils ont été écrits, et l'orthographe -contrairement au choix normatif  fait pour la première partie- est celle de l'auteur : c'est la graphie occitane du provençal des années 80 - légèrement différente de l'actuelle, notamment  pour les accents.

                                         Joan-Pèire Tardiu  / Jean-Pierre Tardif

Compléments : 
-  Pour commander le livre : Gràcias (non Deo). Prix : 17 euros. Les Amis de Michel Miniussi, 210 chemin de la Cerisaie, F-06250 Mougins.
- Le site consacré à Michel Miniussi.

samedi 7 janvier 2017

Le souvenir de Jean Ballard et des Cahiers du Sud

Pour commencer l'année, j'aimerais rappeler ce que furent les Cahiers du Sud et ce qu'ils doivent à son fondateur Jean Ballard. Il ne s'agit pas ici de s'abandonner à un simple exercice de nostalgie mais plutôt de se souvenir d'une période faste de la littérature et de la poésie avec l'idée de la retrouver. Car il faut bien le dire, lorsque nous nous livrons à une comparaison avec les temps actuels, le constat n'est pas en notre faveur. C'est un profond sentiment de perte qui nous envahit. A chacun d'entre nous de tenter d'en analyser les causes, elles relèvent autant de la société qui a changé que des individus qui la composent. Ce que nous pouvons déjà dire pourtant, c'est que Jean Ballard étaient animé par un grand désintéressement et une générosité qui lui faisaient oublier sa propre personne. Il ne faisait pas non plus la chasse aux subventions publiques mais cherchait plutôt un financement privé. Le portrait que fait de lui Edmonde Charles-Roux est à méditer.

     

 Complément :
- Sur le rôle joué par André Gaillard aux Cahiers du Sud.