Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 16 décembre 2023

Poème pour Nicole

Je ne voudrais pas terminer l'année sans avoir une pensée pour Nicole Drano qui nous a quittés au mois de juin dernier. Avec Georges, son mari, elle formait un couple de poètes à l'action exemplaire pour donner à la poésie toute sa place dans le monde contemporain.

Depuis 1998 où j'ai fait sa connaissance avec Georges lors du festival Voix de la Méditerranée à Lodève, c'est une multitude de souvenirs qui me revient et qui passe aussi par Sète et Frontignan. Là, j'ai été à plusieurs reprises, généreusement et avec beaucoup de chaleur, accueilli dans la demeure des deux poètes où Nicole mettait le meilleur soin pour que ses hôtes s'y trouvent chez eux.

Sa disparition a causé une grande émotion parmi tous ceux qui appréciaient sa délicatesse, son amitié et l'originalité de son œuvre poétique  toute entière traversée par sa grande sensibilité. Georges bien sûr plus qu'un autre pouvait ressentir la douleur de cette perte et aussi l'exprimer. C'est ce qu'il a fait dans son recueil Le poème que je t'écris paru en juillet dernier.

Dans l'avant-propos, Thierry Renard, directeur de la collection Noces qui accueille le livre, rappelle que l'engagement de Nicole et Georges a largement débordé du cadre de la poésie. Ainsi tous les deux se sont impliqués dans les années soixante-dix  dans la défense des marais salants de Guérande et de 1999 à 2007 ils ont participé à des missions humanitaires au Burkina Faso.

Pour la poésie, il rappelle également qu'avec leur association "Humanisme et Culture", ils ont invité plus de deux cents poètes de toutes nationalités à intervenir dans des lectures publiques. Je me souviens personnellement de ces rencontres organisées sous le titre générique A la santé des poètes qu'accompagnait la publication d'un Carnet des Lierles qui était une manière de les fixer et de les prolonger. J'avais rendu compte dans ce blog du carnet spécial édité à l'occasion de la centième.

Thierry Renard cite aussi quelques titres de recueils de Nicole : Arbres, ... S'il n'y avait pas d'herbe / si la poésie n'existait plus ..., Délicatesse et gravité. J'ai gardé précieusement pour ma part Chant du barrage de la Sirba, présenté par Joachim Kaboré Drano et inspiré par une de ses missions humanitaires au Burkina, que Nicole m'a dédicacé ainsi : " ce sont ces rythmes et ces battements de mots qui m'ont envahie, pas de route pas de sentiers ni chemins, quelques mots sur la piste de poussières".

Mais il est grand temps de donner la parole à Georges. Son livre est rythmé en trois parties respectivement intitulées : Pour te rejoindre, Jours ouverts et Tout recommence. Par une écriture resserrée au lyrisme contenu nous suivons le poète dans ce que la perte de l'être aimé peut lui faire éprouver et ressentir. L'expérience est rude, tant les complicités étaient nombreuses. Cependant derrière les questions que toute mort fait surgir, demeure le pouvoir des mots et de la poésie qui fait dire à Georges : " Que faire pour savoir / où nous en sommes / Sinon inventer une autre langue / où absent se dirait être ".

Complément :

- Le livre sur le site de l'éditeur.

 

samedi 18 novembre 2023

Un poème d'Anne Bihoreau

                           A l'horizon

 

Là où finit la terre

Là où commence le ciel

une trouée d’air

 

« Il habite ses glacis

jusqu’à cette cassure

où le ciel s’interrompt »

                     Jean Laude

 

Là où finit la terre

Là où commence le ciel

j’habite ce peut-être

cette faille de l’être

 

l’horizon

la frontière du jour

au-devant de soi-même

 

L’horizon

l’onde de matière

la chambre du poète

 

Un pas en avant

Un pas en arrière

Il n’y a de frontières

qu’en moi-même

 

les mots tombent dans l’escarcelle

 

Seule m’appartient

l’avancée que je fais

à la lisière du réel.

 

Anne Bihoreau

St Malo, le 07/02/23

 

*                                           


Anne Bihoreau est une femme immergée dans le tissu du monde au pied du littoral breton qui tente de capter le réel pour écrire dans l’intervalle.

Poétique des éléments, tel est son ancrage en poésie…

L’attrait solaire, la lumière, l’impact de la mer, du rivage dans les sphères de l’imaginaire, les cimetières de bateaux, le bruit du vent, la trouée de l’air, l’envol migratoire, mais aussi les étendues boréales, le vent du désir, l’éros sont autant d’éléments d’exploration et le thème des recueils : « Tournesols », « Eaux-Fortes » dont certains sont inédits : « Boréales », « A fleur de mer », « Alphabet amoureux du poète ».

Amie de « la Tour du vent » à St Malo (35) depuis 1990 elle fut publiée dans la revue « Avel IX » de 1991 à 2013 autour de Théophile Briand ainsi que dans la revue « Bulles du Cercle poétique du Ternois » (62), et la rubrique « En musardant » de l’Abeille du Ternois de 1993 à 2009. Elle fut reçue en 1995 à la Maison des poètes et des écrivains à St Malo.

En lien régulier avec les « Amis de Gaston Bachelard », elle fut invitée comme poète au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle (50) en 2012 au Colloque « Bachelard : Science, Poésie, une nouvelle éthique » et est publiée couramment dans leur Bulletin annuel depuis 2006 sur les thèmes suivants : la mer, le désir, du féminin, les fragments du réel.


 

samedi 14 octobre 2023

Un film de Patrick La Vau sur Bernard Manciet

Il y a un peu plus de dix ans, en janvier 2013, je présentais dans ce blog le livre d'entretiens que j'avais réalisé avec Serge Bec et Bernard Manciet. Les années ont passé. Après Bernard Manciet disparu en 2005, Serge Bec nous a quittés en 2021. Tous les deux nous manquent beaucoup. Ceux qui les ont connus continuent au fil des ans à entretenir leur souvenir et faire découvrir aux générations plus jeunes leur œuvre forte et marquante. Certains moments s'y prêtent plus particulièrement, ainsi du centenaire de la naissance de Bernard Manciet.

À cette occasion Patrick La Vau vient de réaliser un très beau film sur le poète gascon. Il n'en est pas à son premier puisqu'il a déjà à son actif une quarantaine de réalisations toutes dédiées à des figures de la culture occitane représentatives d'un monde qu'il a à cœur de faire connaître et de défendre. C'est ainsi qu'il a déjà filmé par exemple un métayer gemmeur des Landes, des joueurs de vieille, le rugbyman François Moncla ou encore le poète Max Lafargue.

Pour Bernard Manciet, le défi était d'être à la hauteur du personnage, de mettre en valeur ce "monstre d'originalité" comme disait de lui René Nelli. Et le défi a été magistralement relevé.

Par une réalisation soignée, de très belles images, un montage qui nous tient en haleine, Patrick La Vau nous entraîne en 52 minutes, dans l'univers baroque de Bernard Manciet. Il donne des éléments biographiques sans être didactique et ennuyeux. Il fait entrer dans l'œuvre par petites touches et de différentes manières : lectures de poèmes, commentaires de l'auteur, extrait de récital, illustrations graphiques, complétées par une analyse à la fois fine et chaleureuse de Jean-Pierre Tardif. Rappelons que ce dernier dont nous avons parlé récemment a été le collaborateur le plus proche de Bernard Manciet au sein de la revue OC avant d'en devenir lui-même le rédacteur en chef. Il en avait d'ailleurs raconté l'histoire dans ce blog.

Ce que j'ai ressenti comme poète, c'est que Bernard Manciet et son œuvre continuent de nous questionner, de nous stimuler dans notre propre recherche et particulièrement sur l'usage que nous faisons de la langue. Le titre donné au film est d'ailleurs explicite à ce sujet : Un díder de huec / Un dire de feu. C'est un documentaire qui ouvre sur le présent, le bouscule, il n'embaume pas un auteur pour le faire bien sagement entrer dans le panthéon des grands hommes de l'Occitanie.

La bande-annonce devrait suffire à nous en convaincre : 


Compléments :

- Pour contacter le réalisateur : lavaupatric@gmail.com

- Le site de Patrick La Vau.


  

mardi 12 septembre 2023

En souvenir d'Andrée Appercelle

Il y a tout juste un an, Andrée Appercelle nous quittait. Elle était dans sa 97ème année. Je voudrais aujourd'hui lui rendre hommage en évoquant la séquence où je l'ai fréquentée et dire le souvenir merveilleux que j'en ai gardé.

J'ai rencontré Andrée Appercelle à Lodève lors du Festival Voix de la Méditerranée qui s'y est tenu de 1998 à 2009. À l'époque, je demandais systématiquement aux poètes qui avaient été en âge de le connaître lorsqu'il écrivait ses livres de poétique, si ils avaient été en contact avec Gaston Bachelard et ce fut le cas pour Andrée Appercelle.

Elle avait correspondu avec le philosophe entre 1953 et 1960, était allée lui rendre visite à son domicile parisien situé au pied de la Montagne Sainte-Geneviève et avait noué avec lui une relation tout autant poétique qu'affectueuse.

Avec le soutien de l'Association des Amis de Gaston Bachelard, nous avons pu alors envisager la parution des lettres qu'elle avait reçues de lui, complétée par une évocation  d'Andrée Appercelle de ce qu'elle appelait des "Rencontres-Bonheur".

Elle concluait ainsi : "Je me souviens : Gaston Bachelard et son foulard rouge, sa barbe de neige, son sourire indulgent ; modeste artisan devant son bureau, luttant pour arriver au terme de tout ce que son esprit désirait transcrire. Cinquante ans en arrière, avec tout ce qui a défilé dans ma vie, je mesure la chance de l'avoir rencontré. J'essaye de me souvenir de sa voix, de son accent. Gaston Bachelard était un être de soleil, de flamme douce. Ce mot soleil, je l'écris souvent dans mes poèmes, il me révèle la passion que je mets en lui, ma flamme aussi. Merci, Monsieur Bachelard, de m'avoir enrichie, éveillée, vous que j'appelais avec élan "le Grand-Père des Poètes".

Une des lettres était accompagnée du poème qu'André Appercelle avait dédié au philosophe. Il sera par la suite repris dans son recueil Mousse et Chèvrefeuille, le voici:

L'Oiseau Bulle

Une goutte de soleil

chante, vibre, veille

dans la chambre,

Une goutte de soleil se cambre

et se pose sur mes cheveux.

Un chrysanthème d'or

secoue ses pétales joyeux

au creux de ma main,

Un chrysanthème d'or

au parfum de thym.

Une feuille de chair cueillie

à l'arbre de la vie

palpite sous la voix de la pluie,

s'endort sur les doigts de la nuit.

Et je suis le sillon chaud et gourmand

où tombent, graines sous le vent,

les notes claires et gaies du chant

de la fleur de soleil,

Et je suis le sillon chaud creusé

où se blottissent deux gouttes noires

luisantes comme peau de poire

sous lèvres de rosée,

Et je suis le pollen

de la fleur de soleil

si de ma gorge d'homme tombe un fruit

juteux et doux au cœur du petit canari.

 

Andrée Appercelle restera par la suite toujours fidèle à son souvenir. Quand, en 2007, a été publié mon livre Gaston Bachelard ou le rêve des origines  qui faisait la part belle à la relation du philosophe avec les poètes, elle a organisé dans une librairie de Grenoble une rencontre pour que je puisse le présenter. À plus de quatre-vingts ans elle poursuivait cette activité généreuse au service de la poésie qu'elle avait commencée dès les années cinquante.

À cette période également elle préparait un livre qui témoignait d'une autre fidélité qu'elle avait toujours manifestée, cette fois envers les animaux.

Dans cet ouvrage, elle faisait parler en poèmes Judith, un macaque d'Asie qu'elle avait adoptée en 1974 dans un refuge de la S.P.A.D. de Grenoble où l'animal avait été recueilli dans un état pitoyable à la suite de mauvais traitements. Son compagnonnage avec celle qu'elle considérait comme "une petite sœur" durera 23 ans. 

Venue d'Asie

je m'appelle

Judith

rutilante

d'une beauté

à quatre mains

en un temps

de coco-sucré

où je sautais

entre les branches

sans me casser

le nez

Complément :

- Andrée Appercelle sur le site du Printemps des Poètes.

 

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 


mercredi 30 août 2023

La mémoire vive d'André Lombard

Il y a deux ans, je rendais compte du livre d'André Lombard qui s'intitulait Dans le miroir des jours. En introduction de ma présentation j'avais employé ces mots : " C'est une grâce de pouvoir être ancré dans un territoire géographique et culturel qui vous apporte en continu les stimulations nécessaires pour poursuivre le chemin et tenir le cap". L'auteur m'a fait l'amitié de les reprendre en exergue de son nouveau livre, indiquant ainsi que celui-ci prolonge et enrichit le précédent.

 Il précise le propos en quatrième de couverture : "Tout de suite après Dans le miroir des jours, sans doute ai-je donc voulu entreprendre de faire, via ces quelques autres textes supplémentaires, non le point pour moi-même en cours de route, mais une nouvelle halte en partage. Pour mémoire, tout simplement".

De cette mémoire nous avons grandement besoin, à un moment où s'estompent à grande vitesse tous les repères qui permettaient un arrimage à un passé fécond et nourrissant. Par sa connaissance intime et passionnée de son "terroir" et de tous ceux qui le font et l'ont fait rayonner André Lombard nous permet cette continuité lumineuse. Il ne se contente pas de rendre compte, il est engagé dans cette mission qui est vitale pour notre présent et notre avenir.

Pour cela, il n'utilise pas la langue de bois. Ses admirations n'empêchent pas la critique, le débat n'est jamais clos et c'est ce qui le rend bien vivant. Ainsi par exemple de l'attitude de Jean Giono vis-à-vis du provençal.

La liste est longue de tous les protagonistes qui traversent les pages de ce livre. Citons Pierre Ricou, Lucien Henry, Pierre Martel, Louis Pons, Claude-Henri Rocquet, Marcel Coen, Serge Fiorio, Lucienne Desnoues, Norge, Jean Mogin, Eugène Martel, Jules Mougin, Henri Cartier-Bresson, Pierre Magnan, Lucien Jacques, Lanza del Vasto, Aimée Castain. Chacun peut remercier l'auteur d'en garder mémoire quand la tendance serait pour la plupart d'entre eux à les recouvrir du voile de l'oubli tellement ils n'entrent pas dans les critères culturels en vogue.

Soyons reconnaissant à André Lombard de continuer à cheminer en toute liberté entre Luberon et Haute-Provence en quête des "vraies richesses" qui méritent de rester dans nos mémoires.

 

Complément :

- Le livre de 280 pages est vendu 25€ + 5€ de port à commander à André Lombard, St-Laurent, 84750 Viens. 

Pour joindre l'auteur par courriel :  nolombard@gmail.com

samedi 17 juin 2023

Joan-Pèire Tardiu dans la collection PO&PSY

Nous suivons avec intérêt dans ce blog les publications de Joan-Pière Tardiu. Nous avions été heureux de présenter en 2021 son recueil A LA PEIRALHA / Parmi les pierres. Nous nous réjouissons aujourdhui de la sortie de  Lo vent que parla lo paradis / Le vent qui parle le paradis dans la collection PO&PSY.
 
 
Le recueil est présenté dans une pochette qui lui sert d'écrin et en fait une sorte de livre-objet. Celle-ci nous renseigne sur les intentions de la collection. Les éditions érès sont à l'origine des éditions de sciences humaines. Sur les traces de Freud, elles ont intégré dans leur démarche la place privilégiée qu'occupent les écrivains pour accéder à une connaissance plus profonde de l'être humain. Aussi, à travers la collection PO&PSY, dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot, elles se proposent "de faciliter l'accès à des œuvres poétiques" et cela "sans limitation d'époque, ni de lieu, privilégiant des formes ou anthologies brèves dans la seule exigence de la qualité des textes et de leur présentation".
La collection  compte à ce jour plus de vingt auteurs parmi lesquels le roumain Lucian Blaga déjà présenté dans ce blog, le brésilien Paulo Leminski ou encore le poète occitan Jaumes Privat, également accueilli dans ce blog.
 

Joan-Pèire Tardiu est donc le deuxième auteur occitan à entrer dans la collection. Nous nous étions habitués dans ses livres à une présentation où une page était dédiée au poème en occitan, une autre à sa traduction en français. Cette fois, occitan et français sont présentés ensemble, le français à la manière d'un sous-titre de l'occitan. C'est l'auteur lui-même qui s'est chargé de la traduction et le recueil est agrémenté de gravures d'Eve Luquet.
Nous avons déjà eu l'occasion de dire la manière choisie par Joan-Pèire Tardiu pour espacer les mots sur la page, c'est sa "marque de fabrique". Nous la retrouvons dans ce recueil. 
James Privat nous en donne le sens à la fin de la publication, à la fois en occitan et en français. Je lui laisse la parole : "Au bout de tout il y a la poussière, le temps, l’espace qui se creuse, l’espace dans les trous. qui se peuple de mots. stupéfié. c’est le vent immobile, ce vent de pas res qui parle au-delà des murs, le balancement du ciel, la bufada (la bourrasque).
Depuis «Paraulas als quatre vents» ou «Jorns dobèrts», ses premiers recueils des années 73-74, à celui-ci, « Lo vent que parla lo paradis », Joan-Pèire Tardiu n’a de cesse d’écrire çò que se pòt pas dire / e pas qu’aquò (ce qui ne peut se dire / et cela seulement), non parce que la parole serait perdue – en langue de Lacaussade ou d’ailleurs – mais parce que les mots construisent le monde a brigalhs (avec des débris, des miettes). D’où les trous. La poésie de Tardiu est pleine de trous, de trous entre les pierres, de pierres qui dressent des murs, de trous dans les murs où s’engouffre le vent, de ténèbres et de lumière. Dans ces trous passe le souffle, la voix obstinée dans les battements du temps. Ça parle. Voix déchirée, physiquement, de la lenga à reconstruire à chaque instant, à inventer, à s’inventer – quelle chance! – avec laquelle bâtir – paradoxalement – le monde... enfin... le paradis."

Complément :


 

jeudi 18 mai 2023

Cheminer avec Serge Fiorio - IV

Corne

« Enfant, j’ai rêvé de peindre, et puis j’ai peint mes rêves ! »

« Naïveté, Nativité, les mots sont proches. »

Adoration
 
« Quand on me commande un tableau en m'en précisant le sujet, certains détails ou autres, il y a souvent soudain rencontre entre le désir exprimé et mon imagination. C'est un peu comme si cette dernière s'identifiait alors au désir du demandeur et je n'ai plus qu'à les laisser mûrir ensemble ; cela résout d'ailleurs en grande partie, et très vite, bien des problèmes qui se présentent habituellement à la naissance d'un tableau. »

Carde, 1960

Compléments: 

La palette du peintre

- Le blog d'André Lombard sur Serge Fiorio et ses proches.

- Serge Fiorio sur Wikipédia.

 

mercredi 17 mai 2023

Cheminer avec Serge Fiorio - III

Diseuse de bonne aventure

« Que diriez-vous, cher maître, si demain l’un de vos tableaux faisait son entrée au Louvre ? »

 - « Déjà ! »

« Que feras-tu si un jour tu ne peux plus peindre ? »

 - « Je sucerai mon pouce ! »

Portrait de Giono, 1934.

« Le portait est, sans jeu de mots, le sujet casse-gueule par excellence pour tout peintre. »

« Qui ne risque rien, n’a rien ! En peinture, comme ailleurs.  Cependant,  tout n’est pas à peindre,  loin de là ! »

Carnaval au village, 1959.

« Dans ma jeunesse, au village de Taninges, en Haute-Savoie, ce qui rendait le carnaval passionnant, c'est qu'il n'était pas figé dans sa tradition. C'était l'époque où les films comiques, les burlesques et leurs gags, occupaient pour une grande part les écrans de cinéma et remplissaient la salle d'éclats de rire. Ils stimulaient notre imagination et enrichissaient ainsi le carnaval de trouvailles inoubliables, renouvelées chaque année dans un esprit de fête nous faisant bien oublier la dureté de l'hiver. C'est à cette belle source fascinante que je puise les miennes. » 

(à suivre)

 

 

 

mardi 16 mai 2023

Cheminer avec Serge Fiorio - II

Continuons à cheminer parmi les toiles, les pensées et réflexions du peintre.

Bûcheronnage - manège. 1958

« La peinture est un engagement. »

« Peu de peintres savent oublier ce qu’ils ont appris pour ne laisser parler que leur cœur. »

« Un chiffon sale, même étiqueté et cataloguéArt contemporain ”, reste un chiffon sale ! »

« L’ignorance en peinture n’est pas un handicap, mais, par les moyens de bord, le point de départ de découvertes originales. »

« Toutes les étiquettes qu’on me colle sur le dos, ici ou là, n’ont qu’un seul mérite : me faire rire ! »

« Au départ, c’est sûr, on a un don – quelque chose dedonné ”, qui ne vient pas de soi – et c’est quelque chose de précieux. Je ne sais pas à qui dire merci mais je lui dis merci tous les jours. »

Épouvantail

« Je suis un enregistreur d’images, et peindre des spectacles aussi beaux, ou inattendus, que ceux que je peux voir les yeux fermés ou en rêve est une sollicitation constante qui m’entraîne toujours plus en avant. Mais je dois choisir, car j’en vois beaucoup plus que ce que je peux en peindre ! »

« Chacun de mes tableaux raconte quelque chose. »

« L’originalité ça ne s’invente pas : c’est un miracle que de peindre ! »

« Des jours, j’ai une fée dans la main ! »

« Il n’existe pas en peinture de problème sans solution.»

« L’essentiel est bien que la vie soit de la poésie en action ! »

Vue cavalière, 1976.

« Quand je peins, il m’est plus facile de dire ce que je vois que ce que je fais. »

« Ceux qui ne sont pas un brin poète sont tous des menteurs ! »

« Il suffit que je ferme les yeux pour que tout s’éclaire !»

(à suivre)

 

lundi 15 mai 2023

Cheminer avec Serge Fiorio

Nous avons déjà eu dans ce blog l'occasion de rendre hommage à Serge Fiorio. Grâce à son ami André Lombard dont le dernier livre avait fait l'objet d'un compte-rendu dans nos colonnes, nous allons pouvoir partager un peu plus son itinéraire d'artiste. Je le remercie de m'avoir adressé les photographies de quelques œuvres de Serge Fiorio accompagnées de ses pensées et réflexions sur son art et sa vie de peintre.

Carnaval au village, 1990

-Vous faites du naïf ?

 Non, non, de la peinture ! 

-Accepteriez-vous de vous séparer pour moi d'un de vos pinceaux ? 

Un tout neuf ? 

-Non bien sûr, le plus usagé possible. 

Alors, c'est celui-là ! dit-il en tendant à la personne celui avec lequel il était justement en train de peindre. 

« C'est que bientôt on va me demander des pinceaux comme on réclamait des médailles au curé d'Ars. Mais moi, sans pinceaux, je ne suis plus rien ! »

Rocher d'Ongles

« Au début, à Taninges, je dessinais ce que je voyais et, au bout d'un moment, continuer me devenait impossible, j'étais dans une impasse. Alors la vie a fait que j'ai été obligé de peindre seulement les jours de pluie dans les baraquements de chantier. Il fallait désormais que je puise en moi et non plus au-dehors : que je compose, dans tous les sens du terme. J'ai peint de mémoire quelques bouts de paysages, ceux d'alentour qui me paraissaient les plus plastiques (la montagne est plus théâtrale que plastique). Mais ceux qui ont vu ça, tous, très vite m'ont dit, fort prémonitoirement : « Ça ressemble à la Provence ! »

 (à suivre)

samedi 15 avril 2023

Éclats de poésie

 Lorsque l'on considère la puissance de feu des médias, capables de répandre en un temps très court une information qui touchera des millions d'individus, on peut se demander quel sens peut avoir de continuer à diffuser un message qui dans le meilleur des cas ne sera reçu que par quelques centaines de personnes. C'est à cette question que sont aujourd'hui confrontés quotidiennement les poètes et les éditeurs de poésie. Question qui ne les empêche pas de continuer  leur chemin, sans doute parce qu'ils savent que durée et nombre sont inversement proportionnels, que la trace laissée par une information de masse est éphémère alors que celle laissée par un poème va être profonde et durable.

Voici deux exemples de ces éclats de poésie venus scintiller dans le miroir terne que les moyens de communication moderne nous proposent en continu.

Ce nouveau recueil de Jacques Guigou fait suite à l'édition de Poésie complète 1980-2020 qui a rassemblé ses vingt premiers recueils de poésie. Dans ce dernier opus Jacques Guigou poursuit un thème que nous avions déjà eu l'occasion d'évoquer dans une précédente chronique : sa fréquentation assidue des rivages.

Pour le poète, le littoral est source inépuisable de contemplations, de sensations, de désirs, d'émerveillements, de méditations et d'interrogations qu'il traduit dans une langue épurée et suggestive :

            Maintenant

            à même cette jetée 

            cet instant bleuté

            analogue aux instants d'alors

            instant non répété

            mais instant relié

            instant dont aucuns des éclats anciens

            de la mer

            ne lui est retiré

            maintenant

            à même cette jetée

            ce rapt d'éternité

 

Complément :

- Le livre sur le site de l'éditeur.

*

Avec L'île aux oiseaux de Claude Held que viennent d'éditer les éditions de l'Estey nous avons un bel objet entre les mains. "L'objectif de notre association est de réaliser en typographie des livres, des objets-livres, des livres d'artistes, des projets de création liant des textes aux Arts plastiques" nous disent ses responsables Edith Masson et Hervé Bougel. Avec ce recueil tiré à 120 exemplaires numérotés le résultat est convaincant. Pour les connaisseurs la couverture est imprimée sur un papier Fabriano Tiepolo 295g. pur coton, le texte est en caractère Helvetica Corps 10,12 et 16 sur un très beau papier de Lune ne pesant pas plus de 100 g.

Les poèmes de Claude Held quant à eux avaient déjà paru en 2010. Dans une écriture proche de celle de Jacques Guigou, ils font curieusement écho à ses préoccupations :

            à quoi faut-il croire quand

            l'eau se retire

            et que les bancs de sables

            émergent

            alors que tu passes

            avec une idée

            de ce qui reste

            et s'éloigne


Complément :

- Pour contacter les éditions : estey.editions@gmail.com

 


mercredi 8 mars 2023

Le souvenir de Raymond Bergerot (suite)

Voici un témoignage de Michel Capmal qui vient prolonger la chronique précédente consacrée à Raymond Bergerot. Se souvenant du festival des Voix Vives de 2011, Michel évoque aussi Claudio Salvagno dont la mort prématurée en 2020 nous avait tous bouleversés. En 2013, Claudio avait été l'hôte de ce blog.

En parcourant le programme de l'édition 2011 des Voix Vives, j'ai retrouvé le rendez-vous quotidien que j'animais de 20h à 21h, place de L'Hospitalet, et qui s'appelait : "Scène ouverte aux Sétois". Le dimanche 24 juillet, je recevais Raymond Bergerot pour les textes et Jacques Barthès pour la musique. Jacques a eu la gentillesse de me faire parvenir une photo de l'événement.

Je laisse maintenant la parole à Michel Capmal :

Raymond Bergerot

Je n’ai pas encore eu le plaisir de découvrir le recueil consacré à Raymond Bergerot par l’association Filomer, et dont le titre, le concernant, me paraît si bien choisi et émouvant : « Le poète inconnu dont le nom s’esperdu ». Mais je garde un souvenir persistant de ma rencontre avec lui lors du Festival « Voix vives » à Sète en 2011.

Devrais-je dire, d’abord et en passant, que n’ayant jamais été trop attiré par les grands rassemblements, quels qu’ils soient, je m’attendais à me faire cette réflexion « mais qu’est-ce que je fais là, moi ? » Finalement, tout s’est plutôt bien passé.

Donc, un soir, en plein festival, dans une petite rue du vieux Sète, nous étions quelques amis autour d’une table pour diner ensemble, et causer ! Florence Albré, Jean-Luc Pouliquen, Claudio Salvagnio, un très attachant et talentueux poète iltalien, aujourd’hui décédé lui aussi, auteur de L’autra Armada et de L’empiri de l’ombre, et Raymond Bergerot. Un vrai « type du Midi » à la grande vivacité d’esprit, à l’humour caustique communicatif, à la faconde intarissable, parlant de tout, se souvenant de tout. A cette époque il était très préoccupé par la lecture de la Kabbale. Que cherchait-il dans les arcanes de ce texte sacré ? En fait, et comme pour certains méridionaux, il y avait chez lui une gravité cachée devant les grands mystères de l’existence. Il nous a parlé aussi de sa famille, selon lui tous des artistes, des originaux dont il avait hérité une « âme » individualiste dans le meilleur sens du terme, autrement dit non moutonnière. Pour ce festival, il présentait chaque jour, si je me souviens bien, un groupe d’artistes et poètes locaux. « Hé oui, nous sommes les indigènes ! » disait-il avec un léger rire exprimant une mélancolique lucidité sur l’emprise des parisiens envers la culture occitane. Raymond était peintre et poète. Avec talent et sincérité.

Jean de Blanchard dans son atelier de Montpellier avec Michel Capmal 


En repensant ainsi à Raymond Bergerot de Sète, je me dois de faire un salut amical à son frère le peintre Jean de Blanchard de Montpellier. Et que nous avons bien connu fut une époque, Florence et moi. Il nous recevait dans son grand appartement près de la place de la Comédie, et nous faisait découvrir ses dernières œuvres. Des peintures exaltant le corps féminin dans tous ses états, sur toiles et aussi sur les quatre côtés de cubes en carton. Un artiste, un poète lui aussi.

Raymond aimait les chats, les femmes et la mer ? ! C’était un homme de goût. Un digne héritier des troubadours.

Michel Capmal - 4 mars 2023


 

samedi 25 février 2023

Le souvenir de Raymond Bergerot

J'ai déjà eu l'occasion de parler dans ce blog du festival de poésie Voix Vives de Sète. De 2010 à 2014, j'ai participé à son organisation et à son animation. C'est ainsi qu'en 2011, j'ai pu y inviter le poète Michel Capmal qui intervient souvent dans ces colonnes. Michel qui connaissait déjà le frère de Raymond Bergerot,  profita du festival pour le rencontrer. C'est ainsi que dans son sillage je fis aussi sa connaissance. Raymond nous invita à visiter son logement dans le Quartier Haut, nous montra quelques unes de ses toiles et nous fit lire certains de ses poèmes. Le festival permit aussi de passer une agréable soirée avec lui et de découvrir d'autres créateurs sétois à ses côtés. Je pense en particulier à Jacques Barthès que j'ai présenté il y a peu ici-même.

Raymond Bergerot nous a quittés le 27 Mai 2019. Ses amis de l'Association Filomer dont il était un membre fondateur ont souhaité lui rendre hommage en éditant un recueil de ses plus beaux poèmes. Ils sont accompagnés de reproductions de ses tableaux et de photographies de Jacques Barthès qui font écho à l'univers poétique de Raymond Bergerot. C'est Jacques Barthès d'ailleurs qui s'est chargé de la conception et de la mise en pages du recueil.

Marie-Ange Hoffmann brosse dans sa préface en quelques lignes un portrait chaleureux du poète : "Pour lui tout était sujet à poésie. Il aimait tous les êtres humains, mais surtout les femmes. Il aimait tous les animaux, mais surtout les chats. Il aimait toute la nature, mais surtout la mer. Il aimait tous les éléments, mais surtout le vent. Il aimait toutes les villes, mais surtout Sète et son Quartier Haut."

Nous partageons l'analyse qui est faite en quatrième de couverture de sa poésie: "Forte, elle touche à tous les thèmes essentiels. Du temps qui passe au mystère de la vie et de l'amour, du voyage poétique à la contemplations des paysages, de la Nature à un amour passionné des chats."

Le recueil se termine par un texte de Jacques Barthès qui raconte comment il a mis en musique un poème de Raymond Bergerot et comment cette collaboration souda leur amitié.  La partition réalisée à cette occasion  complète son témoignage.

C'est une des possibilités offertes par ce blog que de nous permettre d'écouter ce poème devenu chanson : 


Compléments : 

- Le recueil est vendu 10 € l'exemplaire + 5 € de port à commander à l'Association Filomer, 2 impasse de la Bordigue 34200 Sète (contact : filomer@orange.fr).

- Quand l'Association Filomer rendait hommage à Raymond Bergerot.

 


 

samedi 28 janvier 2023

Autour de "Liberté" de Paul Eluard

 Avec cette première chronique de l'année, nous allons écouter Paul Eluard lire son fameux poème Liberté. Il est l'occasion pour moi une nouvelle fois d'évoquer Gaston Bachelard qui l'a souvent cité dans ses livres. Ne commence-t-il pas sa Psychanalyse du feu par cette phrase de lui : "Il ne faut pas voir la réalité tel que je suis" ?

Avant d'être lâché à des milliers d'exemplaires par des avions de la R.A.F. sur le sol français, le poème avait été publié dans un recueil intitulé Poésie et vérité 42. C'est le groupe de jeunes poètes surréalistes de La Main à plume qui s'était chargé de l'édition. Il comptait parmi ses membres Nadine Lefebure qui suivait dans ces années de guerre les cours de Gaston Bachelard en Sorbonne avec attention. Elle y trouvait là des raisons de résister à l'Occupant et de garder espoir.

Parmi les nombreux autres étudiants passionnés par les cours du grand philosophe qui composaient l'auditoire, se trouvait le poète et essayiste Georges Jean qui écrira plus tard dans un livre intitulé Bachelard l'enfance et la pédagogie : "  Nous étions quelques-uns à "tenir" tout au long de la première séquence pour avoir une place lorsque la poésie ferait son entrée. Cette expression n'est pas une image, car effectivement, au moment où Bachelard retournait, comme il disait, son tablier ainsi que le Maître Jacques de Molière, les poètes arrivaient et c'est à l'occasion d'une "interclasse" que nous reçûmes le précieux fascicule d'Eluard Poésie et vérité 42 qui contenait Liberté."

Mais il est temps d'écouter Paul Eluard : 


Compléments :

- On pourra lire de Nadine Lefebure Anecdotes hors philosophie dans le n°5 des Cahiers Gaston Bachelard publié par l'Université de Bourgogne en 2002.

- Bachelard l'enfance et la pédagogie de Georges Jean a été publié par les éditions du Scarabée en 1983.