Complément:
-Présentation du numéro sur le blog du Petit Véhicule
Les prix du Goéland, décernés à Rennes, puis chez LIPP à Paris, auront une notoriété certaine. Théophile BRIANT découvre et révèle la voix franche et fraternelle de CADOU, celle amoureuse et douloureuse d’Alain BORNE, l’érotisme amer de BÉALU, la destinée fulgurante de Georges ALEXANDRE, la générosité verbale de BÉRIMONT, l’extrême sensibilité de la jeune aveugle Angèle VANNIER… BRIANT, malgré sa virulence (Le Goéland-corsaire, disait affectueusement CADOU, n’hésitait pas à stigmatiser les « faussaires » de la poésie) fut vraiment le Saint-Vincent-de-Paul des poètes, ses chers goélandeaux. « Ne me dites pas que j’ai du mérite, répondait-il, c’est à la fois ma vocation et ma destinée ».
Outre ses éditoriaux, Th. BRIANT a écrit des poèmes, rassemblés dans deux volumes intitulés « Premier recueil » et « Deuxième recueil » de poèmes. Grand lecteur, il était un bon critique et a excellé en préfaçant les recueils de jeunes poètes, en multipliant les conférences et en rédigeant deux biographies magistrales de SAINT-POL-ROUX et de Jehan RICTUS (il projetait d’écrire sur CÉLINE qui le réclamait comme biographe). Admirateur de la Bretagne, terre de ses ancêtres et d’écrivains, il publia « Les Pierres m’ont dit », rencontre des ombres errantes de CHATEAUBRIAND à Saint-Malo et à Combourg, de LAMENNAIS à la Chênaie… et un roman, « Les Amazones de la Chouannerie ». La destruction de sa ville-à-l’ancre en août 1944 lui arracha l’hymne funèbre à Saint-Malo dévasté, illustré par X. de LANGLAIS. « Ici, c’est feue la cité corsaire. C’est la ville assassinée, c’est la gisante au péril de la mer. C’est la baie des pierres trépassées ! (…). La pierre bâtie revient au menhir ». Son « Testament de Merlin », œuvre de longue haleine, véritable testament spirituel et littéraire, ne fut publié qu’après sa mort.
Son aventure terrestre prend fin le 5 août 1956 ; victime d’un accident de voiture – un véhicule qu’il conduisait d’une façon toute particulière pour faire « toucher les épaules aux vieux Saturne ce Krono-maître » - il décède peu après.
Cette profonde transformation s’accompagne de l’élaboration d’une œuvre, de l’accomplissement d’un véritable sacerdoce poétique. Deux ans après l’installation à la Tour, c’est en effet le lancement du Goéland dont le premier numéro d’une longue série s’envole le 22 juin 1936, solstice d’été. Publication originale qui participe à la fois du journal et de la revue, Le Goéland paraît d’abord tous les quinze jours, puis tous les mois, enfin quatre fois l’an. Mais par sa présentation et son esprit, il s’apparente bien à un journal. La composition ne varie guère : un éditorial rédigé par BRIANT lui-même sur des thèmes essentiels (la pierre, les nombres, le feu, la mort, l’or…), de nombreux poèmes, des articles de critique et d’actualité littéraire et artistique, des documents inédits de grands écrivains, enfin, en dernière page une revue de presse. Le tirage oscille entre 1500 et 2000 exemplaires pour une diffusion étendue, avec des interruptions entre 1939-42 et 44-46. En tout, 120 numéros.
Chevalier-servant de la poésie, tel est le rôle assigné au Goéland : « cette feuille volante est un acte de poésie, une croisade, elle appelle les âmes ». Car Th. BRIANT se fait l’idée la plus haute de la poésie et du poète son médium.
La poésie est un besoin essentiel dans un monde matérialiste ; c’est même « la seule réalité qui vaille de vivre ici-bas » lit-on dans le premier numéro, au ton de manifeste. Quant au poète, véritable guide ou missionnaire, c’est « un homme qui voit plus clair et plus loin que les autres, qui connaît au dernier carat le prix de chaque vie humaine ». Il est en fait « le phare suprême de l’humanité en perdition, le dernier indicateur, qui montre par delà le tunnel de la sottise et de la cruauté la terre promise de la Sagesse et de l’Amour ». Servir la poésie, c’est aussi la défendre : Le Goéland est un journal de combat, aboyant sans relâche contre « l’idiot, le salopard et le faussaire ».
Les sympathies de Th. BRIANT vont d’abord à CORBIÈRE, NERVAL, VILLIERS, HUYSMANS, BARBEY, BLOY, dont il publie des inédits et qu’il contribue à faire (re)connaître en dévoilant certains aspects méconnus, grâce à son complice René MARTINEAU. Il défend de grands poètes amis, dénigrés comme Max JACOB, ou ignorés comme MILOSZ qu’il n’hésite pas à qualifier de « plus grand poète vivant » en lui consacrant un numéro spécial en 1938. Mais la place la plus large au sein du journal et dans son cœur, il la réserve aux jeunes poètes, sans nul doute en souvenir de son fils unique Xavier, mort tragiquement en 1937. Tâche plus difficile encore, d’autant que Le Goéland est très exigeant : il demande certes des poètes mais « pas des rimailleurs égrotants mais des bâtisseurs de monde » dans la lignée des grands frères cités plus haut. « Il n’y a qu’un moyen de connaître les poètes de son temps. C’est de les chercher. Il n’y a qu’un moyen de les trouver. C’est de les aider à vivre » assurait BRIANT. C’est donc pour leur donner la première place mais aussi pour leur éviter le sort de leurs aînées et donc combattre le postulat imbécile de marginalité maudite que Le Goéland – dont « l’Amour et la Foi guident les vols de reconnaissance » offre son aile protectrice aux jeunes poètes.