Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

dimanche 28 avril 2024

Un poème de Jeanne-Marie Giudicelli-Lainé

 Il y a tout juste quarante ans, le 28 avril 1984, sortait des presses des éditions Le Dé bleu dirigées par Louis Dubost, le recueil de poèmes de Jeanne-Marie Giudicelli-Lainé intitulé Amphores sous une jaquette illustrée par Chisa.

Il m'avait à l'époque beaucoup plu et j'avais même pu quelques années plus tard en témoigner de vive voix à l'auteure lorsque avec Jean Bouhier nous étions venus en Vendée présenter Fortune du Poète qu'avait également édité Louis Dubost.

Reprenant ce recueil dans ma bibliothèque, j'y retrouve la même magie, le même enchantement, ce qui m'a donné l'envie de le mettre à l'honneur dans ce blog.


Voici tout d'abord ce qu'en dit la musicologue Brigitte Massin dans la préface : "Parfois on se souvient d'une voix, saisie en une rencontre fortuite. Ainsi de celle de Jeanne-Marie Lainé. Une voix, et un regard, et ce mystère qui auréolait un jeune visage, celui d'un être comme étonné de devoir vivre et qui trouvait son abandon dans les bras de la nature.

Je n'avais pas oublié Jeanne-Marie Lainé, et souvent je m'étais demandée si ce grand désir enfoui de la poésie avait pu surgir du rêve de la dormeuse.

Ce recueil m'a rendu sa voix. Le monde y est murmuré, parfois suggéré seulement. Le non-dit y importe, habitant les silences. Jeanne-Marie Lainé telle une sourcière du bonheur, ayant pour compagne la nature bienheureuse, poursuit sa quête au pays de l'au-delà des mots. La femme ayant mûri, ceux-ci ont pris leur densité. Ils sont tendres et fiers. Ils nous parlent."

Continuons par ce poème :

MATURITÉ

Je  sais ce qui n'est plus et ne reviendra pas, à quoi même jamais je ne rêve.

Qui pourrait dire qu'on a ajouté ou enlevé quelque chose en moi, hors la douleur pour les rêves perdus ? Leur retentissement même a décru.

Ma mémoire est comme le grand champ noir d'une ville la nuit - où les lumières s'éteignent peu à peu...

Les souvenirs s'en vont reviennent s'estompent.

Le monde multiple de mes soifs qui était univers s'est fait village puis rue chambre enfin.

Qui pourrait dire que j'ai vieilli ?

Je me suis épurée.

C'est une chance pour nous, le livre a été numérisé depuis par Gallica.

 


samedi 23 mars 2024

Ciné-poèmas / Ciné-poèmes

Au mois de janvier, j'ai parlé de l'année 2024 comme de "l'année Frédéric Mistral", en fait une année qui nous fait faire un retour arrière et nous replonge dans le XIXe siècle. Si génial que fut le poète de Maillane, on ne peut réduire le provençal et la langue d'oc à son œuvre et à son parcours. Elle a été après lui le véhicule d'une expression sans cesse renouvelée qui s'est accordée au contexte nouveau dans lequel se sont trouvés immergés ceux qui avaient choisi de lui rester fidèle.

Parmi les nombreux auteurs d'aujourd'hui qui ont témoigné de ce renouvellement, JànLuc Sauvaigo me paraît le plus exemplaire dans sa capacité à intégrer la modernité. J'ai déjà eu l'occasion de le dire dans ce blog. Je voudrais par cette chronique en donner un nouvel exemple.

Avec ses Ciné-poèmas, il nous entraîne dans l'univers cinématographique omniprésent dans notre vie quotidienne dont il a fait la matière de son imaginaire, de son écriture et de ses dessins car il est aussi artiste graphique.

Le livre présenté en version bilingue français-nissart se compose de trois parties entrecoupées de nombreux dessins, dont certains en couleurs, relevant de la bande-dessinée.

La première partie s'intitule Lo Cat, lu Piratas & lo Mago / Le Chat, les Pirates & le Magicien. Elle se découpe en 32 images inspirées par Hitchcok, le cinéaste japonais Yasujiro Ozu et Jean-Luc Godard. On y trouvera en particulier de nombreuses références au film d'Hitchcok Les 39 marches.

La deuxième partie a pour titre Jim & JànLuc fan un film / Jim & Jànluc font un film. En fait, ils en feront cinq et le livre nous en donne en quelques lignes un avant-goût. Ces cinq films s'intitulent La Ratapinhata, La Chambre verte, (J.) M le Maudit, Réfléchir l'image - des autres et enfin Bob le Flambeur. On retrouve ici des références à François Truffaut, Fritz Lang, Jean-Pierre Melville. Mais tous se passent à Nice.

Enfin la dernière partie du livre Esquasi blu / Presque bleu est le synopsis inédit d'un conte musical et dansé, écrit pour le projet jazz de Jean-Louis Ruf, lors de "palhon ven", une célébration par la Ville de Nice des 600 ans de la Dédition de 1388.

Derrière cette "accroche" cinématographique se dissimule une interrogation profondément humaine sur notre devenir et sur une identité, ici l'identité nissarte, qui ne veut se dissoudre dans un art - devenu une industrie - d'une puissance phénoménale sur les imaginaires. Ce livre agit en fait comme une tentative de réappropriation par les mots, en détournant à son propre compte la vision du monde proposée. Et la poésie appelée en renfort permet ce miracle :

"Lo pinctor vou s'estar coma un astre perdut / Invisible en quauque luèc dau ciel, dau Blu / Viatjam toi devèrs, delà d'un image"

"Le peintre veut rester comme un astre perdu / Invisible en quelque lieu du ciel, du Bleu / Nous voyageons tous vers, au delà d'une image"

Complément :

- Le livre de 112 pages, format 20,5 cm X 20,5 cm, édité sur papier glacé et contenant de nombreuses illustrations en couleurs et noir et blanc est vendu 26 € (port compris) à commander chez l'auteur :  gracco.ontario@sfr.fr 

 

 

 

 

jeudi 22 février 2024

Les Allées du silence de Monique Marta

 Monique Marta est une amie de ce blog qui a présenté à plusieurs reprises sa revue Vocatif, sa poésie ainsi que ses essais. Elle vient de faire paraître un nouveau livre intitulé Les Allées du silence que nous avons particulièrement apprécié.

Dans le préambule l'auteure nous indique son intention : "J'aimerais que ce petit livre soit, pour le lecteur, un compagnon de promenade ou de retraite". Ce compagnon bien évidemment doit l'amener à trouver les allées du silence et cela dans un but précis. "Car c'est au sein du silence que se perçoit le bruit le plus infime : celui du battement des cœurs." conclut Monique Marta dans ces quelques lignes d'ouverture.

Suit une préface de Chantal Danjou qui nous prépare à nous mettre dans les pas de l'auteure. " Il s'agit tout de même d'un sacré défi que de parler de silence dans notre monde où le bruit se révèle être un véritable fléau" note-t-elle. Et après avoir accompagné Monique Marta dans toutes les allées qu'elle a explorées pour nous, elle lui pose cette ultime question : "Faire silence permet-il de "voir au-delà"? ".

A notre tour maintenant de faire notre miel de silence avec cette suite de textes en prose de différentes longueurs mais tous assez courts et reliés par une même sérénité.

Silence et solitude, silence et obscurité, silence et création, silence et inspiration, sont quelques uns des thèmes abordés. Monique Marta a pris soin de mettre en sous-titre "Poésie" sur la couverture de son livre. Ce n'est pas un essai impersonnel qu'elle nous livre. Les nombreuses références, à la fois à des auteurs classiques et à des poètes contemporains, collent à son expérience personnelle. Je pense en particulier à Jean Digot qu'elle a connu à Rodez où il animait les Journées internationales de poésie et qu'elle cite plusieurs fois. La part autobiographique est très importante dans ses pages, elle nous conduit aussi bien en Polynésie où Monique Marta a assisté à des cérémonies traditionnelles, qu'à Nice où elle a longtemps vécu, que dans le petit village des Alpes-de-Haute-Provence où elle réside aujourd'hui. Les allées du silence ont été véritablement expérimentées et dans des configurations très diverses. C'est ce qui donne toute sa force à cet ouvrage et lui permet d'atteindre son but. On le refermera en sachant par exemple comment trouver notre source intérieure d'où pourra jaillir la lumière.

Complément :

- Le site de l'éditeur où trouver le livre.