A une époque où l'agitation prime sur l'action, où l'instant est préféré à la durée, où le nomadisme l'emporte sur l'enracinement, voici un livre qui nous prend à contre-pied pour nous donner de la hauteur et nous permettre une mise en perspective. Son auteure Michèle Ricard, a eu le privilège de recevoir de son père - le célèbre inventeur de l'apéritif anisé qui porte son nom, l'industriel de génie et le mécène éclairé qui fit rentrer la Provence dans l'âge moderne - une propriété en Camargue. En son hommage, et en celui de son frère Patrick disparu il y a tout juste un an, elle a souhaité restituer l'histoire du domaine à l'occasion de son millième anniversaire.
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Dès lors elle nous entraîne dans une épopée qui commence au Xe siècle de notre ère, quand l'Archevêque d'Arles était aussi propriétaire terrien. Situé au bord de l'étang du Vaccarès, dans un delta du Rhône qui s'est modifié au fil des ans, le domaine tirerait son nom de sa situation médiane à l'origine entre deux bras du fleuve. L'Histoire qu'il a vu se dérouler se superpose avec celle de la Provence, ses invasions, ses luttes de pouvoir, ses épidémies, ses grands fractures... Seront évoqués les Comtes de Provence, les Seigneurs des Baux, Les Templiers, La Maison d'Aiguières devenus tour à tour les maîtres des lieux, tandis que peu à peu le pays se forge ce caractère si particulier et qu'apparaît en 1512 la confrérie des gardians. Des personnages se détachent de cette fresque comme par exemple Bérengère de Barcelone, fille des Comtes de Provence, habile en politique et protectrice des poètes. A l'approche de la Révolution, c'est le Marquis Jean-Baptiste Marie de Piquet qui se distingue. Esprit éclairé, homme de culture, il fit don aux États de Provence des 60 000 volumes de sa bibliothèque à la condition de les mettre à disposition du public dans la ville d'Aix-en-Provence. Il initiait ainsi ce qui allait devenir la Méjanes, cette médiathèque de référence où se trouve aujourd'hui la Fondation Saint-John Perse.
Le livre se conclut sur la période contemporaine, celle qui vit Paul Ricard acheter le domaine en 1939 sur un coup de cœur et en faire ce qu'il est devenu, avec son élevage de taureaux, sa culture du riz qu'il réintroduisit pendant la guerre, ses équipements touristiques : petit train, arènes, circuits pour promeneurs, cavaliers, etc.
Une riche iconographie accompagne le texte et lui confère relief et force. Toute la dimension familiale que restitue Michèle Ricard en présentant les peintures de son père, des photographies de ses parents, de ses frères et sœurs, de ses enfants, ainsi que du personnel attaché au domaine, rend l'ouvrage encore plus attachant. Il renvoie chacun à son propre parcours, à ce qu'il a reçu des siens et à la manière dont il saura le transmettre. De sorte qu'écoulement du temps signifie "liens et cohésion" et non pas "brisures et éclatement".
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